Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

Étiquette : Édition cartonera

Cardboard House Press: un projet d’affirmation culturelle transfrontalier en Arizona

Logo de la maison d’édition

C’est en voulant rendre hommage au premier livre (La casa de cartón) de l’auteur et poète péruvien Martín Adán, publié en 1928, que ce projet cartonero porte le nom Carboard House. Cette maison d’édition sans but lucratif est située en plein cœur de la ville de Phoenix, capital de l’Arizona. Cet état frontalier avec le Mexique comporte une forte population latino-américaine et chicano étant donné son emplacement et son histoire. Notons que cet état faisait partie du Mexique avant la guerre américano-mexicaine qui s’acheva en 1848. Cette portion des États-Unis est donc à cheval entre deux pays, un terrain propice aux échanges culturels. C’est d’ailleurs sur ces échanges culturels que le Cardboard House Press veut miser en se consacrant au développement et à la création de médias afin de réaliser des échanges culturels entre les communautés. Ce projet cartonero a pour objectif de valoriser et de diffuser la littérature hispanophone en provenance d’Amérique latine et d’Espagne. Pour ce faire, tous les ouvrages publiés par la maison d’édition sont bilingues (Anglais-Espagnol) dans l’optique de rejoindre le plus grand nombre. Cette ouverture du mouvement cartonera aux anglophones fait aussi la particularité et la force de ce projet.

Des auteur.e.s d’Argentine, de Colombie, de Cuba, du Chili, d’Espagne, du Guatemala, du Mexique, du Pérou, de Puerto Rico et d’Uruguay ont ainsi été publiés dans les deux langues. Pour se financer, le Cardboard House Press a mis en place un onglet donate afin de solliciter l’aide du public. Il est également soutenu par des associations et entreprises variées comme en atteste son site internet. Parmi les partenaires économiques, nous retrouvons la National Association of Latino Arts and Cultures, la Arizona Commission on the Arts, la Andrew W. Mellon Foundation, la Ford Foundation, Southwest Airlines, la Surdna Foundation, Arizona Humanities et la City of Bloomington Arts Commission.

En plus d’offrir des traductions sur son site, Cardboard House Press propose aussi des ateliers de création/production de cartoneras pour la communauté latino-américaine et chicano. Cela participe activement à l’affirmation culturelle de ces communautés qui, bien qu’implantées dans la région depuis longtemps, restent dans une position socio-économique et politique fragile de façon disproportionnée en comparaison à d’autres populations. L’accès à l’emploi, la barrière linguistique, et les politiques migratoires figurent parmi les obstacles rencontrés par beaucoup encore aujourd’hui. La maison d’édition, par sa mission, tente de pallier cette réalité en misant sur l’accès à la culture. Les participant.e.s aux ateliers vont, en plus d’être en contact direct avec des œuvres internationales, participer à l’élaboration de leur propre œuvre. Ainsi, le projet rassemble jeunes et moins jeunes autour du mouvement Cartonera latino-américain au sein d’un pays qui en compte très peu.

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Membres du collectif participant à un atelier de confection cartonero

En avril 2020, dans un article publié sur le site Reading in Translation la traductrice et poète Kelsi Vanada donne son impression du collectif Arizonien et du mouvement cartonera qu’elle associe à la contre-culture. Elle relate comment le collectif a fait de la confection de livres en matières recyclées, une façon de rassembler les gens qui vont renverser les structures de pouvoir économique et idéologique, incluant celles du monde littéraire. Elle fait aussi allusion à l’aspect linguistique et écologique du projet :

In addition, the Collective’s work engages in creating solidarity with Latin American cartoneras, and in recognizing Spanish as a language of the United States. This social statement is complemented by an environmental one: the Collective is reusing materials in a country where climate change is categorically disputed or ignored, and that in and of itself is reason enough for the Collective’s work. Much of the cardboard the Collective uses comes from condom boxes shipped to a local LGBTQ+ health clinic.

KElsi vanada
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La Santa Muerte Cartonera : une maison d’édition rebelle et marginale

La délinquance et le terrorisme comme forme d’écriture littéraire

La Santa Muerte Cartonera, ville de Mexico, 2008-2010.

La maison d’édition Santa Muerte Cartonera a été fondée dans la ville de Mexico en 2008 par deux poètes : le chilien Héctor Hernández Montecinos et le mexicain Yaxkin Melchy.

C’est la deuxième Cartonera à voir le jour au Mexique après la Cartonera de Cuernavaca née la même année dans un contexte de conservatisme politique et d’explosion des maisons d’édition Cartonera dans le pays. Le pays compte aujourd’hui près d’une trentaine de Cartoneras. Elle fait ainsi partie de la première « génération » de cartoneras mexicaines et a inspiré les cartoneras mexicaines de la seconde génération notamment les Cartonera Kodama, Cohuiná, Tegus et Orquestra Eléctrica.

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La Santa Muerte Cartonera, ville de Mexico, 2008-2010.

La maison d’édition Santa Muerte Cartonera a été fondée dans la ville de Mexico en 2008 par deux poètes : le chilien Héctor Hernández Montecinos et le mexicain Yaxkin Melchy.

C’est la deuxième Cartonera à voir le jour au Mexique après la Cartonera de Cuernavaca née la même année dans un contexte de conservatisme politique et d’explosion des maisons d’édition Cartonera dans le pays. Le pays compte aujourd’hui près d’une trentaine de Cartoneras. Elle fait ainsi partie de la première « génération » de cartoneras mexicaines et a inspiré les cartoneras mexicaines de la seconde génération notamment les Cartonera Kodama, Cohuiná, Tegus et Orquestra Eléctrica.

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Cartongrafías – Mettre des mots sur les maux du conflit armé : un devoir de mémoire ?

Pendant près de soixante ans, la Colombie a traversé une longue période de conflit armé, principalement entre les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’État à travers des groupes paramilitaires. Les affrontements ont eu lieu sur l’ensemble du pays, et les tensions ont contraint de nombreuses populations à abandonner leurs territoires. Les déplacements forcés étaient dus aux actions des guerrilleros, mais aussi aux groupes paramilitaires coordonnés par l’État colombien, qui arrachaient les populations à leurs terres, sous prétexte du conflit.

A plusieurs reprises, le pays a espéré voir le conflit toucher à sa fin. Plusieurs tentatives de cessez-le-feu ou de trêves ont échoué. En 2012 les négociations pour la paix s’ouvrent entre le gouvernement et les représentants des FARC, laissant entrevoir à la population une résolution du conflit. Un travail de mémoire a alors débuté dans l’ensemble du pays, déliant les langues de ceux qui avaient le courage de se remémorer le passé. La question de la mémoire, très présente et longtemps reniée, est finalement devenue centrale, dans le processus de retour à la paix dans le pays. De nombreuses associations ont été créées, notamment le MOVICE, Movimiento Nacional de la Víctimas de Crímenes de Estado, qui œuvre, encore aujourd’hui, à la reconnaissance par l’État de son implication dans le conflit, notamment dans le déplacement des populations. Le rôle de l’État dans le conflit a longtemps été renié par celui-ci, pourtant de nombreux militaires et chefs de guerre se sont dénoncés. Maison d’édition cartonera indépendante, Cartongrafías est née en 2013, à Bogotá, sur l’initiative de victimes de déplacement forcé lors du conflit armé.

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Sarita Cartonera : la révolution éditoriale à Lima est « chusca »

Nada de lo que me digan me va a alejar de la calle, sé encontrar la esperanza en las calles, entre los borrachos y las putas, sin irme mas allà buscando el cielo…

Collectif, Manifeste de Sarita Cartonera
Murales représentant Santa Sarita Colonia à Milan, réalisé par les street-artists Hadok e Sef.01.

Remarquable exemple de conciliation entre revalorisation de la culture populaire urbaine, positionnement politique anti-autoritariste et négociation avec les espaces culturels institutionnels, Sarita Cartonera est la première maison d’édition cartonera péruvienne et la deuxième à être fondée, après Eloisa Cartonera.

Elle est née à Lima en 2004, fondée par Milagros Saldarriaga et Tania Silva, deux jeunes diplômées de la faculté de littérature de l’Université San Marcos. Un an avant, Milagros Saldarriaga rentre dans une librairie à Santiago de Chile et découvre un des livres de carton d’Eloisa Cartonera, fondée en 2001 à Buenos Aires. Touchée par l’initiative d’Eloisa Cartonera, elle ramène l’idée à Lima, où elle fonde Sarita Cartonera avec l’aide d’autres diplômés en littérature.

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El Taller Leñateros ou la revendication identitaire tzotzile

Au cours de ces 500 dernières années, des générations de peuples autochtones ont été tu(é)es, invisibilisées, marquées par la perte de leur identité, de leur culture et croyances spirituelles qu’a imposées la culture hégémonique occidentale blanche. Ce fut le cas pour les populations Mayas dans les hauteurs du Chiapas. Depuis plus de 500 ans et en s’opposant depuis à la logique de globalisation du néolibéralisme, les populations mayas tzotziles ont toujours lutté pour récupérer et préserver leur tradition orale et leur mémoire ancestrale. Le Taller Leñateros est ce projet mexicain légendaire qui leur permet aujourd’hui de revendiquer leur identité et devient bien plus qu’une proposition éditoriale indépendante alternative face à la domination de grands groupes du secteur de l’édition en Amérique latine depuis la fin du siècle dernier.

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Los Zopilotes, accès et ouverture du genre littéraire au Guatemala.

Logo Los Zopilotes

Suite aux graves conflits armés entre les guérillas d’extrême-gauche et l’armée de 1960 à 1996 et à la guerre civile, le Guatemala a subi une grande pauvreté.

En effet le nombre de morts fut important et les coups d’états à répétition fragilise la société tant au niveau économique que social (en particulier à cause de l’hyper violence). La population guatémaltèque possède le deuxième taux d’alphabétisme le plus faible dans l’espace latino-caraibéen (82% Guatemala, 61% Haiti en 2015). L’accès donc à l’œuvre littéraire reste limité car le capital culturel et économique d’une large part de la population, au sens de Bourdieu, ne possède pas les ressources nécessaires à sa lecture.

Plus largement, le champ culturel guatémaltèque s’avère majoritairement représenté selon les codes dominants, issus de la colonisation espagnole. Cependant, la population étant en grande partie d’origine maya, la production intellectuelle s’inspire également de la lutte contre l’oppression subie par les communautés et des traditions culturelles indigènes.

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Yiyi Jambo: pour un portunhol salvagem

Première maison d’édition cartonera du Paraguay

Yiyi Jambo est une coopérative d’édition alternative paraguayenne qui s’insère dans le mouvement des maisons d’édition cartoneras impulsé par Eloisa cartonera en 2003 à Buenos Aires, Argentine.

Page Facebook officielle de Yiyi Jambo Cartonera. Posté le 29/06/11.

La maison d’édition paraguayenne a été créée en 2007 à la capitale Asunción, et fait partie de la première génération de cartoneras née à la suite d’Eloisa cartonera, aux côtés de six autres éditoriales latinoaméricaines : Animita, Dulcinéia, Sarita, Mandrágora, Yerba Mala, et Matapalo. Elle est également la première maison d’édition cartoneras du Paraguay.

Deux hommes sont à l’origine de cette initiative: Douglas Diegues, poète et peintre paraguayo-brésilien et Cristino Bogado, poète paraguayen. Il s’agit de deux figures de la scène littéraire et artistique paraguayenne, également reconnus au Brésil et en Argentine. Dans la réalisation de leur projet, ils ont été aidé par Javier Barilaro, un membre d’Eloisa cartonera.

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Amaru Cartonera, de la poésie itinérante à la piraterie féministe

 

Logo d’Amaru Cartonera

Amaru Cartonera est une maison d’édition cartonera péruvienne fondée par Johana Casafranca le 30 octobre 2013 dans le contexte du 4è festival de poésie de Lima. Maison d’édition itinérante, son nom signifie « serpent » en quechua. Elle publie surtout de la poésie ainsi que des textes politiques anarchistes et féministes. Ses livres sont libres de droit, parfois piratés. Ils prennent la forme de volumes reliés à la main ou d’accordéons de papier disséminés au gré du voyage. Conçus comme des œuvres d’art indépendantes, ils sont aux prémices d’une révolution, portée par les mots.

Extrait du Manifiesto Cartonero d’Amaru :

« Estamos construyendo algo nuevo. La revolución no será televisada.

¡Ármate de palabras! »

Traduction :

« Nous sommes en train de construire quelque chose de nouveau. La révolution ne sera pas télévisée.

Arme-toi de mots ! »

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Eloísa cartonera

Couverture de l’anthologie Nuevos borders argentinos, 2013

Le projet de Fernanda Laguna, qui cofonde en 2003 aux côtés de Washington Cucurto et de Javier Barilano la première maison d’édition cartonera, est exemplaire de ce processus qui se développe à l’origine en marge des circuits commerciaux et académiques. Située aux antipodes de la logique néolibérale qui préside alors à la restructuration du champ littéraire argentin et en réaction à l’exclusivité des milieux académiques, Eloísa cartonera est la première coopérative autogérée sans but lucratif de fabrication artisanale d’objets littéraires élaborés à partir de textes cédés par les autrices et auteurs selon le principe du copy left (encore appelé « gauche d’auteur ») et dont la couverture est faite de carton, acheté aux cartoneros de Buenos Aires, lesquels participent également de la confection des ouvrages. Un concept qui s’est par la suite largement développé en Argentine, en Amérique Latine et jusqu’en France puisqu’on compte aujourd’hui environ 150 maisons d’édition de ce type dans le monde. Continue reading