Claire Spooner
Doctorante contractuelle, Monitrice, Université Toulouse – Jean Jaurès
claire.spooner.arraou@gmail.com

Pour citer cet article : Spooner, Claire, « Les interactions chez le dramaturge espagnol Juan Mayorga : vers un langage dramatique de l’entre-deux. », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°3 « Les Interactions II », 2010, mis en ligne en 2010, disponible sur <https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2018/01/09/la-ville-contemp…ite-au-generique/>.

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Résumé

Le langage théâtral se trouve au carrefour de plusieurs domaines (verbal, visuel, sonore, gestuel) en interaction sur scène. L’un des défis du théâtre pour Juan Mayorga est de « rendre l’idée visible », mettant en scène la tension entre le monde abstrait de la philosophie, des idées, de l’intangible, et celui du théâtre, le « règne du concret ». Il fait du plateau et de la salle de spectacle un lieu de confrontations d’idées et de réflexion, un lieu où l’on s’interroge. Loin d’écrire des textes qui voudraient exposer une doctrine et convaincre, Mayorga propose un regard qui mène le spectateur à sortir de sa perception habituelle du réel et de l’histoire, son œuvre a pour but de « déranger », de questionner.

D’autre part, à travers le prisme du langage, Juan Mayorga met en scène les interactions entre les êtres humains, défiant le spectateur/lecteur à réfléchir sur le rôle du langage dans la société, sur ses effets sur les hommes, sa capacité à cacher ou dévoiler le réel, mais aussi à persuader, dominer, annihiler autrui et à maintenir les inégalités entre les êtres humains. Le langage détient un pouvoir symbolique que le théâtre se doit de dénoncer, c’est pourquoi Mayorga choisit de mettre en évidence les « failles » du langage, les moments où l’interaction verbale et humaine (la communication) échoue, mais aussi la capacité du langage à tromper.

C’est finalement un langage qui existe dans son rapport avec l’image que Juan Mayorga réhabilite. En mettant en évidence les tensions entre langages (verbal et visuel), le dramaturge souhaite montrer que les images suggérées par les mots, élaborées à partir de la tension entre les mots, entre les mots et ce qui est montré sur scène, sont bien plus puissantes que des images qui seraient seulement vues. Les interactions verbales ou silencieuses, linguistiques ou corporelles, abstraites ou concrètes sont créatrices de visible, elles donnent à voir et à imaginer. Cette réhabilitation d’une part du langage, et d’autre part du visible, passe par la mise en avant des « trous » (Ubersfeld) du langage dramatique et ouvre la voie à une écriture de l’« entre-deux » (Barthes). Ainsi, l’interaction entre différentes langues (le thème de la traduction est souvent abordé – la traduction comme voyage entre deux langues) et langages, ainsi qu’entre le langage et son envers – les silences du texte et du plateau, sous-tend l’écriture dramatique de Juan Mayorga.

Mots-clés : acte théâtral – dramaturgie espagnole – interactions linguistiques  – langage théâtral – scénographie verbale

Abstract

Interactions in the plays of the Spanish playwright Juan Mayorga: towards a dramatic language of the « in between” (entre-deux).

Language in theatre belongs to many fields related to speech, visual effect, sound and gesture, which are in interaction on stage. One of theatre’s major challenges for Juan Mayorga is to “make the idea visible”. So he stages the tension between the abstract world of philosophy, and the domain of the tangible world, which is theatre. That way, the theatre becomes a place where ideas become questions, never answers, and where ideas interact with the spectator. Juan Mayorga’s aim is to suggest, through his plays, a different look on reality and on history which will lead spectators and readers to see through appearances. His plays are visions of reality aiming at disturbing.

The linguistic interactions are also at the front of the stage in Mayorga’s plays: through the prism of language, the author shows different types of interactions between human beings. Juan Mayorga wants to lead spectators and readers to think about the role of language in society, about its effects on people, about its capacity to hide or to reveal reality, but also to persuade, to dominate others and to maintain the inequality of relations between human beings: he denounces the symbolical and social power of language. That’s one of the reasons why Juan Mayorga chooses to show the “faults” of language, the moments when verbal and human interaction fails, but also the moments when words lie and hide the truth.

So Juan Mayorga rehabilitates a language which exists in its connection with images. By highlighting, in some of his plays, the tensions between verbal and visual languages, Juan Mayorga tries to show that the images which are suggested by words, by the tension between words themselves (between what they say and what they hide), and also between words and what is shown on stage, are much stronger than images which would only be seen. Verbal, silent, corporal, material or abstract interactions create the visible, they lead us, spectators or readers, to imagine, to create our own images. This rehabilitation on the one hand of language, and on the other hand of the visible, focuses on the “gaps” (Anne Ubersfeld) characteristic of dramatic language, and opens the door to a writing of the entre-deux mentioned by Roland Barthes. Finally, the interaction between different languages (the issue of translation is often present in Mayorga’s plays, and it is shown as a journey between two – or more – languages), as well as between language and its reverse – the silences in the text and on stage, underlie Juan Mayorga’s writing.

Key-words: theater act – spanish dramaturgy – linguistic interactions – theatre language – verbal scenography


Sommaire 

1. La scène comme espace d’incarnation et de mise en action des idées : entre les idées et les corps
2. Le théâtre de Juan Mayorga : un regard sur les relations humaines  à travers le prisme du langage
3. Une écriture de l’ « entre-deux » 
Conclusion
Notes
Bibliographie

Le langage théâtral se trouve au carrefour de plusieurs domaines (verbal, visuel, sonore, gestuel) en interaction sur scène. Or, l’un des défis de l’écriture de Juan Mayorga est de « rendre l’idée visible », mettant en scène la tension entre le monde abstrait de la philosophie, des idées, de l’intangible, et celui du théâtre, le « règne du concret ». La scène est donc pour Mayorga un espace d’interaction entre les idées et les corps, les mots et les images, mais aussi entre les différentes idées « rendues visibles » et celles du spectateur.

Le langage (verbal ou gestuel) se trouve au cœur des interactions sur scène, et chez Juan Mayorga il devient même un prisme à travers lequel le spectateur/lecteur est amené à observer et à réfléchir sur les relations humaines, et sur le rôle du langage dans la société. Plus que nulle part ailleurs, au théâtre le langage devient action, et c’est sur cette action du langage que Juan Mayorga porte son regard.

Finalement, l’action du langage au théâtre est inextricablement liée à son « envers », aux silences, et c’est en effet à partir de cette tension entre le dit et le non-dit, les mots et les images, dans ces « entre-deux » que la dramaturgie de Juan Mayorga doit, à notre sens, être lue, vue, et imaginée.

1. La scène comme espace d’incarnation et de mise en action des idées : entre les idées et les corps

1.1. Comment incarner les idées sans les figer ?

1.1.1. Des points de vue décalés sur le réel, sur l’Histoire, et sur la société

Si l’on peut parler pour qualifier le théâtre de Juan Mayorga de « théâtre philosophique » ou d’un certain « théâtre historique », le dramaturge met en scène d’abord et surtout des situations, des histoires concrètes. De plus, les personnages et la situation qu’ils incarnent sont souvent décalés par rapport à notre perception de la réalité, notamment parce qu’il s’agit d’animaux – ce qui ne les empêche pas de parler des êtres humains, au contraire. Ce décalage, outre son effet comique, permet de mettre en scène des idées et des regards sur l’histoire sans tomber dans le « théâtre à thèse », ni dans un théâtre mettant en scène abstraitement des idées.

1.1.1.a. La Tortuga de Darwin ou l’Histoire vue « d’en bas »

Pensons par exemple à La Tortuga de Darwin, où il s’agit de la tortue de Darwin en personne qui vient rendre visite au renommé Professeur d’Histoire afin de l’informer de l’inexactitude de certains des chapitres de son Histoire de l’Europe Contemporaine. En effet, elle affirme être un témoin direct de tous les grands événements historiques européens depuis 1808, sa date de naissance. Tout au long de la pièce, elle expose sa vision de l’Histoire au professeur au début incrédule, puis de plus en plus intéressé, à mesure qu’il s’aperçoit de la véracité de ses propos. Le récit de la tortue est truffé de petites réflexions qui nous rappellent qu’elle est une tortue, et qui nous empêchent de prendre son discours comme une leçon d’histoire. Lorsque le professeur l’interroge sur ce qu’elle a vu à Moscou en octobre 1917, celle-ci répond « Bueno, yo llegué en Diciembre del 22. Es mi sino: siempre llego tarde ». Le professeur enthousiaste s’exclame : « ¡Conoció a los líderes de Octubre! », ce à quoi elle rétorque « Sobre todo por los pies. En aquella época, yo a la gente la conocía por los pies »1.

1.1.1.b. Vers une dramaturgie verbale du regard

Juan Mayorga construit souvent ses pièces à partir de différents regards, différents points de vue sur un même événement. Ceci non pas dans un but relativiste, sûrement pas, ni pour des raisons strictement esthétiques (dramaturgie de la variante, de la réécriture, écriture-palimpseste), mais afin d’obliger le spectateur/lecteur à se poser des questions « en situation ».

Dans Himmelweg, nous écoutons les justifications d’un délégué de la Croix Rouge qui a visité un camp de concentration pendant la Seconde Guerre Mondiale et a écrit un rapport positif sur les conditions de vie des juifs dans les camps, car il n’y « a rien vu d’anormal ». C’est à travers les yeux et le regard du délégué que nous faisons à notre tour la visite du camp : nous sommes conduits à nous demander quel rapport nous aurions écrit à sa place, à nous remettre en question et à nous rendre à l’évidence que « la realidad no es evidente », comme l’affirme Juan Mayorga, et il ajoute : « hay que hacer un esfuerzo para mirarla. (…) En el teatro de ideas lo que importa son las ideas del espectador, provocar su desconfianza hacia lo que se dice2».

Finalement, dans Ultimas palabras de Copito de Nieve, le singe philosophe du zoo de Barcelone décrète que contrairement à ce que ses visiteurs croyaient, ce n’est pas eux qui le regardaient, mais lui qui les a observés pendant toutes ces années : « He tenido mucho tiempo para observarlos. Me pusisteis aquí para mirarme, pero era yo quien os miraba3». La perspective du regardé/regardant est inversée non seulement dans le cadre de la fiction, mais aussi dans celui de la réception de l’œuvre théâtrale : nous allons au théâtre voir des acteurs, des personnages, mais c’est de nous qu’il s’agit, ces questions posées sur scène s’adressent à nous. Cette inversion de la perspective crée une interaction entre la scène (le plateau) et la salle.

1.2. La scène comme laboratoire d’idées en action et en interaction avec le spectateur/lecteur

1.2.1. Les idées sont en interaction sur scène, mais aussi entre la scène et la salle

Les dialogues et échanges d’idées ont lieu sur scène : dans La Paz Perpétua par exemple, on assiste à une joute oratoire – et parfois physique – entre trois chiens, trois candidats pour un poste au sein d’une brigade antiterroriste. On leur demande d’exposer comment ils conçoivent leur rôle dans la lutte contre le terrorisme, leur fonction, ainsi que de définir leur idée de Dieu et la notion de terrorisme. Mais à la fin de la pièce, le débat n’aboutit pas, aucune des trois thèses n’est finalement choisie comme étant la « bonne » : aucun chien n’est retenu par la brigade. Et Juan Mayorga va même plus loin, car le rideau tombe sur le meurtre des trois chiens par l’humain de la brigade antiterroriste qui devait les recruter. Cette fin absurde, amère et violente ne laisse pas indifférent, et pousse à la réflexion sur les notions qui ont été non seulement évoquées, mais mises en scène, « en situation ».

1.2.2. Les mots au théâtre remettent en question les apparences

Loin d’écrire des textes qui voudraient exposer une doctrine et convaincre, Mayorga propose un regard qui mène le spectateur à sortir de sa perception habituelle du réel et de l’histoire, son œuvre a pour but de « déranger » et d’interroger le lecteur/spectateur. Le dramaturge montre, nous l’avons vu, que le regard définit et conditionne notre rapport à autrui. C’est pourquoi il souhaite se défaire de ce regard conditionné (au moins) le temps d’une pièce de théâtre, et pour cela, il plaide pour le « langage de la vie » dont parle Antonin Artaud, un langage qui met en avant la capacité des mots à questionner les apparences et à observer la réalité d’un regard nouveau.

Mais les mots, dira-t-on, ont des facultés métaphysiques, il n’est pas interdit de concevoir la parole comme le geste sur le plan universel (…) comme une force active et qui part de la destruction des apparences pour remonter jusqu’à l’esprit4.

Ainsi, pour Artaud comme pour Mayorga, les mots comme « force active » deviennent une façon d’appréhender le réel à partir des sens, de se confronter directement à la chair du monde au lieu de partir d’idées, de concepts, de systèmes de pensée préétablis. En d’autres termes, il s’agit de rompre avec un langage dans lequel l’intelligible a davantage de poids que le sensible.

1.3. Mise en scène du corps des mots, du « bruissement de la langue »

Au théâtre, les mots ont d’une part la fonction référentielle qui leur est propre dans la réalité, mais d’autre part, puisqu’ils sont placés au devant de la scène, ils deviennent un matériau observable en lui-même. Ils ne sont pas forcément là pour dire quelque chose, mais simplement pour être sur scène. Cette non-fonctionnalité du langage permet de percevoir les mots comme présence physique, et non plus comme transparence s’effaçant pour dire quelque chose. Ainsi, lorsque les paroles rompent avec l’évidence du langage, nous butons sur elles en les lisant ou en les entendant, nous butons sur leur corps, au lieu de passer à travers elles.

Or le théâtre est un espace particulièrement adapté à la mise en scène de l’éventail des possibilités plastiques, corporelles et musicales du langage. Sur scène on peut jouer avec les possibilités de sonorisation des mots, avec leurs différentes manières de se projeter dans l’espace : mettre en évidence la mystérieuse capacité des sons de faire sens. C’est peut-être l’un des défis du théâtre que de parvenir à montrer et à faire entendre « le bruissement de la langue » dont parle Roland Barthes5.

Cartas de amor a Stalin est l’une des œuvres de Juan Mayorga qui met en évidence l’étroitesse du lien entre le langage et le corps. Lorsque Boulgakova décide d’imiter Staline afin d’aider son mari à écrire « la » lettre qui fera réagir le dictateur, celle qui obtiendra une réponse, elle imite le discours de ce dernier mais aussi sa façon d’agir et de parler : « Ella vacila ; busca postura, tono ». Comme le soulignent les didascalies, les paroles de Staline sont indissociables de son corps ; afin d’acquérir une existence propre, il leur est indispensable d’être accompagnées de la matérialité du corps de Staline : « Ella ya está buscando en su cuerpo el de Stalin6 ».

2. Le théâtre de Juan Mayorga : un regard sur les relations humaines  à travers le prisme du langage

C’est à travers le prisme du langage que Juan Mayorga met en scène les interactions entre les êtres humains, tout en défiant le spectateur à réfléchir sur le rôle du langage dans la société.

2.1. De l’interaction verbale aux actes de langage

La mise en scène du langage au théâtre met en évidence que les éléments du discours ne se limitent pas à dire : ils font quelque chose sur scène (c’est le cas des énoncés performatifs), ou bien ils entraînent ou supposent une action ou une réaction, et dans tous les cas ils agissent sur l’interlocuteur et sur le spectateur. Ainsi, pour Anne Ubersfeld, le théâtre est un espace privilégié pour l’analyse de l’action du langage, car « si quelque chose est réel sur scène, c’est bien la parole humaine et ses fonctions, même si ses conditions de production sont simulées7. » D’après Ubersfeld, le théâtre montre le langage « en situation », et « exhibe » le fonctionnement du langage, ses « règles du jeu » : « décollées de leur efficacité dans la vie, elles deviennent visibles8 ».

Ces remarques sont particulièrement pertinentes en ce qui concerne le théâtre de Juan Mayorga, où le langage est envisagé comme sujet dans plusieurs textes comme nous le verrons plus loin, mais où il est aussi mis en scène « en situation ». Dans Cartas de amor a Stalin par exemple, il y a une mise en abyme du théâtre comme espace d’« expérimentation » du langage et de ses effets sur les destinataires. En effet, la femme de l’écrivain et dramaturge Boulgakov propose à ce dernier de jouer le rôle de Staline afin de l’aider à trouver les “mots justes” qui convaincront le chef d’Etat de lever la censure qui pèse sur ses œuvres. Pour cela, elle passe avec son mari une sorte de pacte, de « contrat », pour reprendre la terminologie d’Anne Ubersfeld9.

BULGÁKOVA.-Si eso te ayuda, puedo… imaginar que soy Stalin y reaccionar como él reaccionaría ante tu carta. Puedo ponerme en su lugar.

Le but de leur jeu d’imitation est d’anticiper « l’effet des paroles sur les gens », en l’occurrence sur Staline, de savoir « cómo reaccionará Stalin ante una frase como ésta10». Autrement dit, il s’agit pour le couple d’analyser l’ « action » des mots : Boulgakov et Boulgakova sont à la fois locuteurs et spectateurs du fonctionnement de la langue. À partir de l’imitation, de la tentative d’incarnation d’un personnage, le couple met en scène les conditions d‘exercice du langage dans le monde.

Le double « jeu d’imitation » (car il y a deux cadres scéniques : celui du jeu des personnages et celui du jeu des acteurs) commence avec la question suivante qui constitue le début de la rédaction de la lettre. Boulgakov demande à sa femme – qui est en train de devenir Staline :

No puedo escribir una palabra más sin preguntarme: cuanto vaya a escribir en futuro, ¿está condenando de antemano?

Silencio. Escéptico, Bulgákov espera la reacción de su mujer11.

L’interruption de Boulgakov est mise en évidence par les termes « silencio » et « espera » dans le texte didascalique, mais aussi graphiquement dans le texte par les espaces qui encadrent les didascalies. Ce blanc marque le début de la mise en scène, de la mise « en situation » de l’énoncé de Boulgakov adressé à Staline, mais auquel il revient à Boulgakova de répondre.

Cette question met en avant les trois actes différents et simultanés que l’on accomplit lorsqu’on prononce une phrase12La matière de l’énoncé, les phonèmes ont une signification (acte locutoire) : c’est une question qui révèle le désespoir de l’écrivain censuré et exposant l’absurdité de sa situation. Son effet perlocutoire porte à la fois sur l’émetteur et sur le récepteur (qui est double au théâtre : il s’agit de l’interlocuteur – Boulgakova – et du spectateur, et de fait triple ici puisque l’interlocutrice (ré)agit comme s’il était quelqu’un d’autre  Staline – alors que ses sentiments sont pratiquement opposés à ceux de cet autre qu’elle tente d’incarner). L’effet perlocutoire de l’énoncé sur l’émetteur, Boulgakov, accroît son propre désespoir, sa sensation d’être annihilé comme être et comme écrivain, quoiqu’il écrive ou qu’il fasse. Sur l’interlocutrice, Boulgakova, cet énoncé provoque de la compassion au sens fort du terme, comme chez le spectateur. En revanche, sur le personnage que Boulgakova représente (Staline), l’effet produit est celui du mépris et de la colère.

Quant à la force illocutoire de l’énoncé, elle apparaît de façon évidente dans cette question de Boulgakov qui crée un « contrat » d’une part avec sa femme (elle accepte de « devenir » Staline), et d’autre part avec le « vrai » Staline, car du moment que l’écrivain décide de lui adresser la lettre, il présuppose que le dictateur va lui répondre et éventuellement, s’il a été touché par ses paroles, lui rendre sa liberté d’écrivain. Le présupposé de ce double contrat est que Staline peut répondre – c’est une possibilité sur laquelle se fondent les espoirs de l’écrivain, espoirs qui motivent le processus d’écriture et déclenchent le « jeu » au sein du couple13.

Ainsi, Cartas de Amor a Stalin, comme beaucoup d’autres textes de Mayorga, notamment Hamelin ou El traductor de Blumemberg, met en scène un « modèle réduit des milles et une façons dont la parole agit sur autrui », ce qui est le propre du théâtre selon Anne Ubersfeld. D’après elle, c’est sur les « conflits de langage » plus que d’idées et de sentiments que le théâtre contemporain met l’accent14.

2.2. Le langage comme prisme reflétant et déterminant les relations humaines

2.2.1. Le rôle des « interactions linguistiques » dans la société et dans les relations humaines : Hamelin et Animales Nocturnos

Le langage n’est pas seulement un moyen d’exister pour les personnages de théâtre qui sont des êtres de parole, il ne fait pas seulement l’objet d’une expérimentation comme dans le fragment que nous venons d’analyser de Cartas de Amor a Stalin, il devient sujet dans plusieurs des pièces de Juan Mayorga. En effet, le « métalangage » est fréquent dans l’œuvre du dramaturge, où aussi bien les didascalies que les personnages parlent du langage – et le font parler –, de son pouvoir, de ses effets, de ses perversions, et de ses limites. Hamelin par exemple est « une œuvre sur le langage », comme l’annonce au beau milieu de la pièce le personnage de l’ « acotador », terme que nous avons traduit par « narrateur épique15 » : « Esta es una obra sobre el lenguaje. Sobre cómo se forma y cómo enferma el lenguaje16 ».

Dans cette pièce, Juan Mayorga met en évidence que « les échanges linguistiques sont susceptibles d’exprimer de multiples manières les relations de pouvoir17 ». Le poids des mots dépend de celui qui les énonce et de la façon dont ils sont formulés, c’est ce que montre Hamelin, où les paroles jargonnantes de la psychopédagogue Raquel sont imprégnées de « savoir » et donc de pouvoir, et empêchent la possibilité d’une vraie communication entre elle et les autres. L’assurance avec laquelle elle juge l’enfant victime de pédérastie (Josemari) et sa famille se traduit par un langage « apparemment neutre, mais qui sert son intérêt18 », fait remarquer Juan Mayorga. Dans cette pièce, le langage de ceux qui sont du côté du savoir et du pouvoir, Raquel et le juge Montero, s’oppose à celui de la famille de Josemari, une famille très humble, dont la pénurie commence selon Juan Mayorga, « parce qu’ils sont incapables de configurer un récit qui ordonnerait leurs expériences19. » Cette pièce met en évidence que le langage est malade, qu’il ne fait que renforcer les inégalités entre êtres humains et les empêche de communiquer véritablement.

Cette violence des mots qui instaure des rapports de domination/soumission entre les hommes est visible dans une autre pièce de Mayorga, Animales Nocturnos20. Ce texte met en scène une société où les hommes sont divisés en deux catégories : ceux qui ont des papiers et ceux qui n’en ont pas, des hommes « dans la loi » et des hommes « hors la loi ». Ainsi, le personnage de l’ « Homme Petit » utilise la condition d’immigrant clandestin de l’ « Homme Grand », pour exercer sur lui une violence latente. Du fait de cette inégalité de départ, la communication entre les deux hommes s’établit sous le signe de la violence et de la domination : l’ « Homme Petit » s’approprie petit à petit la vie de sa victime « sans papiers ». Il commence par l’obliger à rester boire un verre avec lui dans un bar (premier tableau), ensuite à se promener avec lui, il l’emmène au zoo voir des « animaux nocturnes » (quatrième tableau), plus tard il le fait monter chez lui pour l’aider à peindre des petits bonhommes pour le « train nocturne » qu’il a fabriqué. Mais Juan Mayorga s’efforce de montrer que la violence entre les hommes n’est pas nécessairement directe, ou unilatérale, et elle peut être inversée : « il n’y a pas d’esclaves et de maîtres purs21 », affirme-t-il dans son entretien avec José Ramón. En effet, finalement c’est l’ « Homme Petit » qui devient complètement dépendant de sa victime, et l’on s’aperçoit qu’il souffre d’une solitude extrême, et ne parvient plus à communiquer avec sa femme, car celle-ci s’est renfermée sur elle-même, ne lui adresse plus la parole, et passe ses nuits à regarder des émissions pour insomniaques à la télévision.

Finalement, le rapport de domination/soumission des deux hommes est similaire à celui de Staline et Boulgakov dans Cartas de Amor a Stalin, où la parole devient aussi une arme, un instrument qui renforce la domination sociale ou politique22.

2.2.3. Interactions entre langage et réel, ou comment le langage peut cacher le réel

Himmelweg met en évidence la capacité du langage à cacher le réel, à le déguiser : le commandant du camp de concentration a réussi, à travers la parole, à organiser une mascarade et à faire croire au délégué de la Croix Rouge que le camp qu’il est en train de visiter est une « ville normale ». Dans cette pièce, les mots déguisent, nient la réalité, ils ne sont qu’euphémismes, et sont presque à prendre par antiphrase. Le leitmotiv dans le discours du commandant, « revenez quand vous voudrez », ainsi que l’insistance au début de la visite sur le fait que l’ « invité a l’autorisation d’ouvrir n’importe quelle porte23 » ne sont que des mots affectant la gentillesse et la volonté d’entière franchise pour mieux cacher l’horreur véritable. Le langage parvient dans Himmelweg à faire illusion sur la seule personne qui aurait pu dire la vérité au monde extérieur au camp (« yo era los ojos del mundo »), et le délégué de la Croix Rouge prendra malgré lui la relève des euphémismes du commandant dans le rapport positif du camp qu’il écrit après sa visite :

Las condiciones higiénicas son satisfactorias. La gente está correctamente vestida (…) Las condiciones de alojamiento son modestas pero dignas. La alimentación parece suficiente. (…) Cada cual es libre de juzgar las disposiciones tomadas por Alemania para resolver el problema judío. Si este informe sirve para disipar el misterio que rodea al asunto, será suficiente24.

Les termes soulignés correspondent aux modalisateurs (« parece suficiente »), aux nuances (« modestas pero dignas »), en un mot aux euphémismes qui poursuivent le jeu du « paraître » du commandant. Finalement, le titre de la pièce constitue peut-être le plus affreux euphémisme de ce texte : Himmelweg signifie « chemin du ciel » et désigne la rampe en ciment, ce chemin qui mène à ce qui est censé être l’« infirmerie », c’est-à-dire la chambre à gaz. C’est une métaphore de l’œuvre entière comme représentation, comme construction du mensonge, d’un monde parallèle et faux au moyen du langage (verbal et gestuel).

Par ailleurs, dans Ultimas Palabras de Copito de Nieve, le singe philosophe dénonce dans son discours les euphémismes caractéristiques du langage et de l’être humain. Au fur et à mesure qu’augmente la douleur d’un Copito agonisant, ses mots deviennent plus agressifs et lucides, ils deviennent la voix de la vérité, tandis que ceux du gardien deviennent de plus en plus ridicules à mesure qu’ils tentent de dissimuler cette « fin désagréable » (« Por favor, olviden este feo final25) ». Après plusieurs vaines piqûres d’anesthésie, le gardien décide de donner une « bonne mort » au singe, c’est-à-dire de l’euthanasier, sûrement pas pour qu’il cesse de souffrir, mais pour qu’il cesse de dire des vérités. Dans cette œuvre, Juan Mayorga montre la tendance de l’homme à euphémiser le réel, incarnée dans le personnage du gardien.

Afin d’échapper aux pièges du langage courant et dominant, aux tics linguistiques qui révèlent une certaine vision du réel et en cachent d’autres, Juan Mayorga choisit de mettre en évidence les « failles » du langage, c’est-à-dire non seulement la capacité à tromper et à dissimuler du langage, mais encore les moments où l’interaction verbale et humaine (la communication) échoue. D’autre part, pour pallier cet échec du langage, Juan Mayorga propose dans ses œuvres un autre type de langage, qui se construit à partir de l’interaction entre mots et images suggérées, entre dit et non-dit, entre vu et imaginé. Un langage de l’ « entre-deux ».

3. Une écriture de l’« entre-deux »

3.1. Interaction entre mots et images

Une grande partie des textes de Juan Mayorga est caractérisée par une « scénographie verbale », c’est-à-dire que l’espace et le temps y sont construits à travers la parole des personnages. Les personnages donnent à voir des images et donc à ressentir des expériences à travers leurs paroles.

C’est « la parole [qui] crée le décor, comme le reste26 ». Cette dramaturgie du verbe implique un décor minimaliste et invite l’imaginaire du spectateur à s’engouffrer dans l’ « entre-deux » du texte et du plateau, et à créer ses propres images. Hamelin, par exemple, est « une pièce sans illumination, sans scénographie, sans costumes », nous avertit le narrateur épique27. Sa réflexion d’ordre général sur le théâtre, « Au théâtre, seul le spectateur peut créer le temps28 », est un axiome, un mot d’ordre à partir duquel on peut lire et voir toute la pièce. Seul le spectateur peut créer ce qui est évoqué sur scène par les mots, c’est en lui et non pas seulement sur scène que va avoir lieu l’«expérience » théâtrale.

Le déploiement d’effets spéciaux, de sons, de technique, ne serait jamais capable de construire des images aussi extraordinaires que celles que les paroles peuvent évoquer, réveiller, chez le spectateur. Pour Juan Mayorga, si l’image est essentielle au théâtre, il s’agit d’une image différente de celle que l’on trouve dans les télécommunications, dans les médias : l’image que l’on voit au théâtre est de la même nature que celle que l’on voit en rêve. La vérité du travail du scénographe repose en effet pour le dramaturge dans cette affirmation : « un chiffon attaché à un bâton est une petite fille29 ». C’est-à-dire qu’à partir de peu de décor, de peu d’accessoires, et de peu de paroles, l’on peut créer les images les plus puissantes. Dès le prologue de Hamelin, Juan Mayorga affirme : « El origen del teatro, y su mayor fuerza, está en la imaginación del espectador30 ».

D’où l’affirmation de Peter Brook dans l’Espace vide : « Un homme marche dans cet espace vide tandis qu’un autre l’observe, et c’est tout ce dont on a besoin pour réaliser un acte théâtral » : un regard (interaction silencieuse) suffit pour créer un acte théâtral.

3.2. Vers une dramaturgie de l’« entre-deux »

La dramaturgie du verbe de Mayorga met en scène l’interaction entre différentes langues et différents langages, mais aussi entre le langage et les silences du texte et du plateau.

3.2.1. Le thème du voyage chez Juan Mayorga, une métaphore de la traduction

Dans El traductor de Blumemberg, Blumemberg et son traducteur voyagent en train vers une destination incertaine, et ce voyage mène à une interrogation sur le langage et l’identité. Assister à une pièce de théâtre de Juan Mayorga serait peut-être comme entreprendre ce voyage. Dans El traductor de Blumemberg, il y a plusieurs voyages : celui de Blumemberg et de son traducteur vers Berlin, celui du fascisme (incarné dans le livre que Blumemberg souhaite faire traduire), qui change de langue, et celui qui a lieu entre l’âme de Blumemberg et celle de son traducteur. Ainsi, le voyage des personnages fait écho au voyage des paroles qui passent non seulement d’une langue à l’autre (de l’allemand à l’espagnol), mais encore d’un esprit à l’autre. A la fin, Calderón devient une espèce de double de Blumemberg et s’approprie ses paroles. C’est donc aussi le voyage et la propagation des idées fascistes qui sont mis en scène.

Le sujet de la traduction intéresse particulièrement Juan Mayorga car il implique non seulement l’interaction entre les langues, entre les différentes expériences vitales des êtres humains, mais encore l’interprétation ou l’adaptation de textes de théâtre. « El adaptador es un traductor. Para ser leal, el adaptador ha de ser traidor », écrit-il31. En effet, pour lui, adapter un texte c’est le traduire, exercer un «déplacement herméneutique» (Steiner), le transporter vers une autre réalité, un autre cadre spatio-temporel, d’autres référents. De même, jouer un texte, le mettre en scène, c’est aussi le déplacer vers un autre cadre, l’adapter à un autre espace et à d’autres attentes.

Ainsi, le théâtre conçu comme espace de traduction, d’adaptation linguistique d’un domaine à un autre, devient l’espace idoine pour jouer avec les signifiants et les signifiés du langage, pour les faire interagir de façon nouvelle, surprenante, pour mener le lecteur/spectateur à renouveler son rapport au langage, au texte et à l’image. En effet, l’essence de la traduction, comme celle du théâtre, ne réside en aucun cas dans la ressemblance avec l’original, « car dans sa survie [de la traduction], qui ne mériterait pas ce nom si elle n’était mutation et renouveau du vivant, l’original se modifie32 », comme l’écrit Walter Benjamin.

Ces nouvelles dynamiques et formes d’interaction créent l’ « entre-deux » du langage dramatique mayorguien.

3.2.2. Une dramaturgie de l’ « entre-deux » ?

La « scénographie verbale » que nous avons évoquée permet de jouer avec les décalages entre le dit par les personnages et le vu/montré sur le plateau. Ces tensions entre langages verbal et visuel incarnent les « trous » (Ubersfeld) propres au langage théâtral et ouvrent la voie à une écriture de l’ « entre-deux » (Barthes).

En suivant la définition de Roland Barthes du « texte de jouissance », nous pouvons peut-être qualifier le théâtre de Juan Mayorga de «théâtre de jouissance33 », dans la mesure où les « creux », les « failles » du texte et de la scène sont mis en avant, et où c’est au spectateur/lecteur, dont « les assises historiques, culturelles, psychologiques » sont rendues plus fragiles par ce qu’il a lu/vu, qu’il revient de les remplir.

Conclusion

La lecture, la réception, des pièces de Juan Mayorga implique une interaction fondamentale entre deux types de lectures : celle qui va directement « aux lieux brûlants de l’anecdote34 », qui s’attache à l’histoire mise en scène, et celle qui porte son regard sur la nature des différents langages mis en scène, sur la matérialité de ces langages. Or, c’est au lecteur de choisir sa lecture, de créer son « entre-deux » lectures, et au spectateur de choisir où porter son regard et comment regarder.

Cette interaction qui fait du récepteur un co-créateur de l’œuvre ne répond pas seulement à une motivation esthétique, littéraire, linguistique, mais encore éthique et humaniste : c’est le double de l’humanité qui est mis en scène, et les questions et conflits posés sur scène sont aussi les nôtres. Inversement, ce n’est pas seulement le spectateur/lecteur qui agit sur le texte de théâtre en le complétant, en le rendant vrai, mais aussi le texte, le spectacle qui agit sur le spectateur/lecteur. Pour Mayorga, la pièce sera réussie si le spectateur sort de la salle de théâtre en ayant été touché, changé, c’est-à-dire en ayant vécu une véritable « expérience ».


Notes

1 –  MAYORGA Juan, La Tortuga de Darwin, Ñaque, Ciudad Real, 2008, p.25. Notre traduction : « En fait, je suis arrivée en Décembre 1922. C’est mon destin : j’arrive toujours en retard », « Vous avez connu les leaders d’Octobre ! », « Surtout leurs pieds. A cette époque, c’est par les pieds que je connaissais les gens ».

2 –  MAYORGA Juan, dans Liz Perales, Juan Mayorga, El Cultural, 11 septembre 2003, www.elcultural.es. Edité par El Cultural Electrónico. Notre traduction: “La réalité n’est pas évidente, il faut faire un effort pour la regarder (…) Dans le théâtre d’idées ce qui est important ce sont les idées du spectateur, provoquer saméfiance envers ce qui est dit ».

3 –  MAYORGA Juan, Ultimas palabras de Copito de Nieve, Ñaque, Ciudad Real, 2004, p.41. Notre traduction: “J’ai eu beaucoup de temps pour vous observer. Vous m’avez mis là pour me regarder, mais c’était moi qui vous regardais ».

4 –  ARTAUD Antonin, Le théâtre et son double, Gallimard, Paris, 2001, p.108.

5 –  BARTHES Roland, Le bruissement de la langue, Essais critiques IV, Seuil, Paris, 2000.

6 –  MAYORGA Juan, Cartas de Amor a Stalin, Sociedad General de Autores y Editores, Madrid, 2000, p.17. Notre traduction: “Elle vacille; elle cherche la posture, le ton”, “Elle est déjà en train de chercher dans son propre corps celui de Staline”.

7 –  UBERSFELD Anne, Lire le théâtre III, Le dialogue de théâtre, Belin, Paris, 1996, p.101.

8 –  Ibid., pp.89-90.

9 –  « En disant « A ce soir », j’aurai avec le destinataire passé un contrat, un contrat soumis à des règles et qui dominera la suite de mes rapports langagiers avec lui », UBERSFELD, Anne, Ibid., p.92.

10 –  « Tú eres el escritor. Conoces el efecto de las palabras sobre la gente », dit Boulgakova à son mari, dans Cartas de Amor a Stalin, op.cit., p.16. Notre traduction: « C’est toi l’écrivain. C’est toi qui connais l’effet des paroles sur les gens ».

11 –  MAYORGA Juan, Cartas de Amor a Stalinop.cit., p.17. C’est nous qui soulignons. Notre traduction : « Je ne peux pas écrire un mot de plus sans me demander : est-ce que tout ce que je vais écrire dans le futur est condamné d’avance ? Silence. Sceptique, Boulgakov attend la réaction de sa femme ».

12 –  UBERSFELD Anne, Lire le théâtre III, op.cit., p.92 : Il s’agit des actes locutoireperlocutoire, et illocutoire. L’acte locutoire résulte de la combinaison d’éléments phoniques, grammaticaux et sémantiques produisant une certaine signification ; par l’acte perlocutoire, ce même énoncé éveille chez l’interlocuteur des sentiments de peur, d’espérance, de satisfaction, de dégoût, etc ; finalement, il a une force illocutoire, « qui a construit un certain contrat entre moi et un autre », c’est un acte qui modifie les rapports entre les locuteurs, et qui produit un contrat entre les parlants.

13 –  Jeu qui deviendra par la suite dangereux pour la santé mentale de l’écrivain, car celui-ci fera apparaître sur scène un Staline fantasmagorique, produit de son imagination.

14 –  UBERSFELD Anne, Lire le théâtre IIIop.cit., p.93.

15 –  Le terme « acotador », néologisme créé à partir du terme « acotaciones » (didascalies), pose des difficultés quant à sa traduction en français. Il y a plusieurs possibilités :Si on le comprend comme une sorte de « personnage didascalique », on peut le traduire par le terme « didascale », créé par MARTINEZ THOMAS, Monique et GOLOPENTIA, Sandra, dans Voir les didascalies, CRIC, Université de Toulouse-Le-Mirail, Institut d’Etudes Hispaniques et Hispano-américaines, pp.140-143. Mais à notre sens, ce personnage dépasse la fonction du didascale (« entité énonciative que l’on ne peut confondre avec un narrateur » et qui est « chargée de donner des instructions au cours de la représentation », dans Voir les didascalies, op.cit., p.192), puisqu’il commente les actions des personnages, les remet en question, remplit leurs silences, interpelle le spectateur. En outre, son point de vue ne se confond pas toujours avec celui de l’auteur. Ainsi, ce personnage n’est pas une simple incarnation de la figure auctoriale, ni une incarnation du texte didascalique, ses paroles n’ayant pas pour seule finalité celle d’ «engendrer une action » (Ibidem), comme celles du didascale. Finalement, le terme « annoncier » qui apparaît dans la traduction française d’Yves Lebeau désigne selon le Trésor de la Langue Française « celui qui dans un spectacle est chargé de l’annoncer », ce qui ne correspond pas à notre sens au rôle de ce personnage/voix didascalique qui est présent tout au long du spectacle. Nous avons donc finalement choisi de traduire ce terme par « narrateur épique » bien qu’il diffère du narrateur brechtien dans la mesure où il n’a pas la tonalité moralisatrice présente chez Brecht. Le rôle du « narrateur épique » chez Mayorga serait plutôt de nous rappeler à tout instant qu’il s’agit d’une fiction qui est représentée, et que c’est à nous spectateurs/lecteurs de lui donner vie.

16 –  MAYORGA Juan, Hamelin, Ñaque, Ciudad Real, 2005, p.57. Notre traduction: « Ceci est une œuvre sur le langage. Sur comment le langage se forme et tombe malade ».

17 –  THOMPSON John B., dans BOURDIEU, Pierre, Langage et Pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p.7.

18 –  MAYORGA Juan, dans notre entretien du 7 avril 2008 placé en annexe de notre mémoire de Master 2; notre traduction.

19 –  Ibid.

20 –  MAYORGA Juan, Animales Nocturnos/El sueño de Ginebra/El traductor de Blumemberg, Madrid, La Avispa, 2003, pp.7-49.

21 –  MAYORGA Juan, dans RAMÓN FERNÁNDEZ, José, « Conversación con Juan Mayorga”, Primer Acto n°280, 1999, pp.54-59.

22 –  Ces textes mettent en évidence que « Toute interaction linguistique, aussi personnelle et insignifiante qu’elle puisse paraître, porte (…) les traces de la structure sociale qu’elle exprime et qu’elle contribue à reproduire », THOMPSON, Ibid, p.9.

23 –  MAYORGA Juan, Himmelweg, Dans Primer Acto n°305, 2004, p.32.

24 –  Ibid, p.36. C’est nous qui soulignons. Notre traduction : “Les conditions d’hygiène sont satisfaisantes. Les gens sont correctement vêtus. (…) Les conditions de logement sont modestes, mais dignes. (…) L’alimentationsemble suffisante. Chacun est libre de juger les dispositions prises par l’Allemagne pour résoudre le problème juif. Si ce rapport sert à dissiper le mystère qui entoure la question, cela sera suffisant ».

25 –  MAYORGA Juan, Ultimas palabras de Copito de Nieve, Ñaque, Ciudad Real, 2004, p.43.

26 –  QUILLARD,Pierre, Revue d’art dramatiquemai 1891, t. XXII, p.181.

27 – MAYORGA Juan, “Hamelin es una obra sin iluminación, sin escenografía, sin vestuario », Hamelin, op.cit., p.28.

28 –  “Ha pasado el tiempo. En teatro, el tiempo es lo más difícil. No basta decir: “Han transcurrido diez días”. O decir: “La tarjeta lleva una hora sobre la mesa”. En teatro, el tiempo sólo puede crearlo el espectador. Si el espectador quiere, la tarjeta lleva una hora sobre la mesa, junto al teléfono”. MAYORGA, Juan, Hamelin, op.cit., p.37. Notre traduction: ”Le temps a passé. Au théâtre, le temps est le plus difficile. Il ne suffit pas de dire “Dix jours se sont écoulés”. Ou « Cela fait une heure que la carte de visite se trouve sur la table ». Au théâtre, seul le spectateur peut créer le temps. Si le spectateur le veut, cela fait une heure que la carte se trouve sur la table, près du téléphone ».

29 –  « Un trapo atrapado a un palo es una niña », “La humanidad y su doble”, dans Pausa, 1994, pp.158-162.

30 –  MAYORGA Juan, dans “Érase una vez una escuela tan pobre que los niños tenían que llevarse la silla de casa”, prólogo de Hamelinop.cit., p.9.

31 –  MAYORGA Juan, « La misión del adaptador », en CALDERÓN DE LA BARCA, Pedro, El monstruo de los jardines, Fundamentos, Madrid 2001, pp. 61-66. Notre traduction: “L’adaptateur est un traducteur. Pour être loyal, l’adaptateur doit être un traître ».

32 –  BENJAMIN Walter, « La tâche du traducteur »,dans Oeuvres I, Gallimard, Paris, 2000, p.249.

33 –  « Texte de jouissance : fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage », BARTHES Roland, Le plaisir du texte, Seuil, Paris, 1970, p.22-23.

34 –  Ibid.


Bibliographie

ARTAUD Antonin. Le théâtre et son double. Paris : Gallimard, 2001, 160p.

BARTHES Roland. Le bruissement de la langue, Essais critiques IV. Paris : Seuil, 2000, 448p.

BENJAMIN Walter. « La tâche du traducteur », Oeuvres I. Paris, Gallimard, 2000, 195p.

MAYORGA Juan. La Tortuga de Darwin. Ciudad Real : Ñaque Editora, 2008, 61p.

MAYORGA Juan. Liz Perales, Juan Mayorga, El Cultural, 11 septembre 2003. Disponible sur <elcultural.es>.  Édité par El Cultural Electrónico.

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MAYORGA Juan. Hamelin. Ciudad Real : Ñaque Editora, 2005, 80p.

MAYORGA Juan. Animales Nocturnos/El sueño de Ginebra/El traductor de Blumemberg.  Madrid : La Avispa, 2003.

MAYORGA Juan, RAMÓN FERNÁNDEZ José. « Conversación con Juan Mayorga », Primer Acto, n°280, 1999.

MAYORGA Juan. « Himmelweg », Primer Acto, n°305, 2004.

MAYORGA Juan. « La misión del adaptador », en CALDERÓN DE LA BARCA Pedro. El monstruo de los jardines. Madrid : Fundamentos, 2001, 192p.

QUILLARD Pierre. Revue d’art dramatique, t. XXII, mai 1891.

THOMPSON John B. dans BOURDIEU Pierre. Langage et Pouvoir symbolique. Paris : Seuil, 2001, 432p.

UBERSFELD Anne. Lire le théâtre III. Éditions Belin, coll. Belin Sup Lettres, 1996, 224p.