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Le score de fragilité des communes de Christophe Guilluy : bricolage numérologique
Dans « La France périphérique : comment a-t-on sacrifié les classes populaires », Guilluy présente dans son chapitre 2 comment il a classé les 37 000 (environ) communes françaises en deux catégories : les communes « populaires et/ou fragiles » et les autres, qu’il qualifie d’intégrées. Ma critique ne porte pas sur la dénonciation de la « mondialisation heureuse » mais sur la méthodologie descriptive qui sous-tend les statistiques utilisées pour étayer empiriquement cette dénonciation.
La construction de catégories pour décrire les communes françaises est nécessairement arbitraire, comme l’est n’importe quel langage descriptif. Mais on a l’impression que l’auteur a choisi une réduction binaire ad hoc pour soutenir que la France périphérique comporte une majorité de communes fragiles tandis que c’est l’inverse pour la France métropolitaine (voir aussi le compte-rendu de cet ouvrage par Pierre Bergel dans La quinzaine littéraire n° 1126). L’auteur démontre qu’il a été capable de trouver une manière de décrire qui colle avec son idée. Mais il ne dit rien de ce qu’on peut apprendre des données qu’il mobilise et qui sont décrites dans un référentiel de description à huit dimensions (huit types de pourcentages). Pas très convainquant quand on veut faire valoir un souci d’objectivité dans l’analyse. Faire de la science, ce n’est pas s’arranger pour trouver un cadre descriptif qui montre des statistiques à notre goût, ça commence par poser le problème de la description, en l’occurrence des communes françaises, comme un problème de choix à débattre.
Chaque commune est décrite par huit statistiques. La première est la proportion d’ouvriers dans la population active (de la commune) ; c’est un nombre, p1, qui varie dans [0, 1] (ou dans [0%, 100%]). La seconde, p2, est la proportion d’employés et d’ouvriers dans la population active ; même ensemble d’arrivée : [0, 1]. On remarque immédiatement que p2 est supérieur ou égal à p1 et que ces deux variables, dont l’ensemble de départ est l’ensemble des communes à décrire, sont corrélées. La troisième est la proportion p3 de personnes à temps partiel (la classe de référence n’étant pas précisée). La quatrième, p4, est une proportion d’emplois précaires (la classe de référence n’étant pas précisée). La cinquième, p5, est une proportion de chômeurs (la classe de référence n’étant pas précisée). La sixième, p6, est la proportion de propriétaires occupants précaires (la classe de référence n’étant pas précisée). La septième, p7, est la proportion de revenus inférieurs à 18 749 euros (la classe de référence n’étant pas précisée). La huitième, p8, est la différence de la proportion des ouvriers-employés en 2010 et de la proportion des ouvriers-employés en 1999.
Si bien que chaque commune est décrite par le 8-uplet (p1, p2, …, p8). On peut douter que les quelques 37 000 8-uplets qui résultent de la description des 37 000 communes soient simplement ordonnés : c’est une question empirique. Par exemple, (0,2 ; 0,3 ; 0,04 ; … ; 0,1) et (0,1 ; 0,2 ; 0, 05 ; … ; 0,1) ne sont pas comparables. Si effectivement les communes ne sont pas simplement ordonnées dans ce référentiel de description, la fabrication d’un score de fragilité est une déformation conceptuelle de ce qu’on peut connaître de ces 37 000 communes. La fragilité des communes devient alors une construction évaluative qui permet de classer les communes sur une échelle de valeurs… privées de signification empirique exacte. Si Guilluy revendique la rigueur scientifique, il faut qu’il discute la valeur descriptive de son score de fragilité avant de s’en servir dans sa démonstration.
Lecture de l’Enjeu du salaire de Bernard Friot
Ce billet est consacré à la formulation des questions ou commentaires que suscitent la lecture de l’Enjeu du salaire (Friot, 2012) et que j’aimerais poser ou soumettre à Bernard Friot. Les nombres entre parenthèses indiquent des numéros de page.
– (9) « double chantage de l’emploi et de la dette ». Le chantage, c’est un mot fort. Qui fait chanter qui ? Des descriptions factuelles contrôlables (cf. Vautier, 2014, 14 octobre) permettent au lecteur de juger et raisonner par lui-même ; des phrases elliptiques mettent le lecteur face au choix entre opiner ou bien rester sceptique.
– (12) le salaire comme « mode de reconnaissance de la capacité de produire de la valeur économique ». Qui reconnaît le salarié ? La reconnaissance sociale n’est pas une notion qui va de soi. Et un étonnement : le salaire n’est-il pas versé en échange de quelque chose qu’a produit ou fourni le salarié (on peut dire, son travail, son temps, son énergie, ses capacités intellectuelles) ? La capacité à produire quelque chose, ce n’est pas ce quelque chose, c’est seulement le pouvoir de produire ce quelque chose. Que se passe-t-il si un salarié ne produit pas ce qu’il est capable de produire ? Il reçoit quand même son salaire ! Comme dans la chanson : payé à rien foutre ?
– (13) la mesure de la valeur économique : du point de vue d’une analyse critique de ce qu’est mesurer, la valeur économique n’est pas une grandeur mesurable parce que les choses n’ont pas de valeur en soi, ou, la valeur n’est pas un fait brut (Searle, 1995). Il faudrait remplacer « mesurer » par « évaluer ».
Références
Friot, B. (2012). L’enjeu du salaire. Paris: La Dispute.
Searle, J. R. (1995). The construction of social reality. New York: The Free Press.
Lutter pour le libre accès des documents scientifiques et techniques
"Information is power. But like all power, there are those who want to keep it for themselves. The world's entire scientific and cultural heritage, published over centuries in books and journals, is increasingly being digitized and locked up by a handful of private corporations." Guerilla Open Access Manifesto Sur l'oeuvre d'Aaron Schwartz : une video (sous-titrée en français)
Les monnaies locales présentées par Philippe Derruder
Le néolibéralisme nie les rapports de classes au bénéfice d’une approche individualiste qui renvoie les inégalités aux qualités supposées des personnes et à leurs mérites, et n’entend pas les traiter autrement que sur un mode individuel.
Pinçon, M., & Pinçon-Charlot, M. (2010). Le président des riches : enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy. Paris : La Découverte.
Sortir du capitalisme sans rêver
A propos d’emplois et de salaires
Alternatiba
Mais, à la minute 2:44 du document, Christophe Cassou, climatologue, dit : « … extrêmement probable, dans le langage GIEC, ça veut dire plus de 95% de chances que ça soit le cas… un scientifique ne vous dira jamais 100%, parce que… ça n’existe pas, mais plus de 95% de chances on est au maximum possible au niveau statistique de l’attribution du réchauffement climatique aux activités humaines… »
Voici un bel exemple de probabilité subjective. Une probabilité de 100% en statistique, ça existe : par exemple, 100% de chances que si on pioche dans une urne de billes, on trouve une bille. Dire qu’on croit très fort qu’une proposition est vraie, c’est une chose, mais de deux choses l’une si la proposition a un sens : soit elle est vraie, soit elle est fausse. Et si les climatologues se contentaient de nous dire ce qu’ils observent scientifiquement et ce qu’ils connaissent comme explications possibles de ce qu’ils observent ?
Et si le commerce était garant de la justice sociale, de la redistribution équitable des richesses et du respect de l’environnement ?
Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs. Pour un mandat commercial alternatif de l’Union Européenne.
Signer les pétitions
Signer une pétition, c’est ajouter son nom sur une liste que les initiateurs de la pétition vont montrer à une personne qui, parce qu’elle a une légitimité institutionnelle, a du pouvoir. Le nombre des signataires de la pétition mesure l’ampleur d’un mouvement d’opinion à propos d’un certain sujet d’actualité. Ca ne change pas les choses en profondeur, mais ça montre qu’il existe une vigilance collective, indispensable pour contrôler le pouvoir des gens élus ou nommés à des postes de pouvoir.
Voici un premier exemple de pétition pour montrer que les gens surveillent a minima le fonctionnement de la Commission européenne et du Parlement européen (voir aussi la suite). Cela ne change pas le cadre peu démocratique du fonctionnement institutionnel européen, mais c’est mieux que rien.
Voici un second exemple de pétition qui a « marché », dans le domaine de l’exploitation des ressources naturelles.
… le monde industriel entre dans un processus, à travers le numérique, d’automatisation qui va détruire l’emploi massivement et structurellement et sans rémission… il n’y a pas de politique de relance de l’emploi qui tienne la route dans ce contexte-là… il faut repenser profondément l’organisation industrielle, l’organisation politique, l’organisation économique pour faire face à ce problème majeur et catastrophique qui est la nécessité impérative de sortir du modèle fordo-keynesien.
Stigler, B. (2014, 30 juin). Traces, rétentions, raisons : organologie et pharmacologie des digital studies [fichier video].
La peur de mourir, la quête de pouvoir et la Constitution
Nous les humains sommes des animaux qui savons que nous allons mourir. Cependant, rien logiquement ne nous empêche de douter de notre propre mort, ni d’entreprendre tout ce qui est en notre pouvoir pour échapper au trouble que cette idée nous cause. Les capacités cognitives qui nous permettent d’envisager notre propre mort sont aussi celles qui ont permis à nos prédécesseurs, de génération en génération, de construire notre société. Mais si cette immense activité est une réponse à la peur de mourir, elle nous conduit aujourd’hui dans un monde incompréhensible : personne n’en peut embrasser toute la complexité.
Non seulement nous n’avons pas réussi à devenir immortels, mais ce que nous avons fait du monde semble menacer à plus ou moins long terme tout ce qui y vit. Acceptons notre mortalité et consacrons-nous à la vie dont nous disposons ainsi qu’aux conditions de vie de ceux qui nous succèderont. Accepter notre mortalité, c’est refuser de fuir l’angoisse de mourir en lui opposant nos désirs de puissance.
Se goinfrer de pouvoir n’empêche pas de mourir mais rend dangereux. Je crois qu’un homme puissant qui fuit l’idée de sa finitude est dangereux pour son environnement parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait : il s’agite en ignorant les conséquences de ces actes, par innocence ou par cynisme. Moi aussi je m’agite, mais mon agitation est moins dangereuse parce que mon pouvoir est plutôt restreint. Les hyper-riches sont ceux qui ont les plus grands pouvoirs et le monde qu’ils façonnent pour apaiser leur propre angoisse va dans le mur d’après ce qu’on entend.
Il faut trouver comment faire pour restreindre leur pouvoir et revenir à la raison, une raison collective guidée par la justice, le respect, la sobriété et la responsabilité. La recherche universitaire peut être utile et légitime si elle sert à cela. Les gens qui ne sont pas avides de pouvoir doivent se doter du pouvoir de contrôler le pouvoir des gens qui cherchent le pouvoir. Un pas décisif dans cette direction est suggéré par Etienne Chouard : réapproprions-nous la Constitution.