Les faces cachées de « genre »

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5 octobre 2019

Décrypter sa catégorisation (ou un truc dans le genre)

Le colloque CLAP19 invite à se pencher sur la catégorisation claire et/ou approximative de faits de langue dans diverses dimensions (syntaxiques, sémantiques, pragmatiques, etc.). Pour répondre à l’appel ainsi formulé, l’étude de Céline Vaguer se focalise sur les usages du mot genre dans la langue du XXIe siècle, et ce, alors même que ce mot retient l’intérêt de nombreux chercheurs depuis plus de 20 ans (Danon-Boileau & Morel, Rouget, Fleischman, Yaguello, Rosier, Noailly, Mihatsch, Dufaye, Vladimirska, entre autres).

Dans le domaine de la linguistique, comme ailleurs, coexistent différents points de vue théoriques qui déterminent, chacun, une certaine démarche méthodologique. Or, le choix d’un problème à résoudre, la manière de le poser et la délimitation des outils propres à permettre sa résolution dépendent de la théorie à laquelle on se réfère. A priori, les diverses conceptions théoriques sont également plausibles et séduisantes (elles reposent toutes sur une argumentation) et rendent compte de différents faits empiriques, mais se heurtent aussi à des difficultés ou à des contre-exemples qui justifient le sentiment d’insatisfaction que l’on peut éprouver à leur encontre.

La démarche descriptive de Céline Vaguer consiste à rendre compte du fonctionnement linguistique en partant des formes. Autrement dit, l’analyse formelle (distributionnelle et syntaxique) permet de progresser dans l’investigation sémantique et, réciproquement, une prise en compte plus affinée du sens conduit à des avancées en matière d’analyse grammaticale. Le sens, inaccessible à l’observation, ne peut être construit que par hypothèse à partir des indices formels fournis par la langue. C’est donc par une approche postulant que l’accès au sens est indissociable de l’étude des formes (interface syntaxe-sémantique) qu’est centrée son étude.

Son objectif. La diversité des emplois de genre oblige à s’interroger sur sa classe fonctionnelle (peut-on encore parler de nom?). Céline Vaguer cherche donc à caractériser chacun des comportements syntaxiques de genre (par l’identification des propriétés propres à chacun de ses emplois) pour tenter de saisir l’identité même du mot genre.

Quelques exemples issus de la description proposée par Céline Vaguer

  • [intraprédicatif, modifieur du N]
    Tout à l’heure, le bruit proche de l’avion l’avait alerté, rien qu’au ronron il avait reconnu un coucou de ce genre, alors voilà, il était venu voir. (Garat, Le grand Nord-Ouest, 2018)
  • [intraprédicatif, attribut du N1]
    Et il y avait d’autres filles d’un autre genre et c’était comme ça. (Akerman, Ma mère rit, 2013)
  • [intraprédicatif, modifieur de N2]
    Mais comme à Miss Plunkett il m’a fallu ce genre d’électrochoc pour me réveiller. (Garat, Le grand Nord-Ouest, 2018)
  • [intraprédicatif, déterminant complexe indéfini]
    Du point de vue l’égal, étant donné qu’elle était partie avec sa mère, on ne pouvait pas vraiment parler d’enlèvement ; plutôt un genre de fugue qui avait du mal tourner. (Garat, Le grand Nord-Ouest, 2018)
  • [apposition, locution prépositive]
    Celui-là, dans le genre grand chef des anciennes tribus, était d’une autre trempe, il était l’avenir. (Garat, Le grand Nord-Ouest, 2018)
  • [apposition, Nprép]
    Un seigneur, genre guerrier à cheval sabre au clair, couteau entre les dents, ils ont ça dans le sang : Kasak, c’est héréditaire. (Garat, Le grand Nord-Ouest, 2018)
  • [intraprédicatif, modifieur > locution adverbiale]
    Sous la pluie glacée elle tapait des semelles, mains aux poches, le cou frileux rentré dans sa parka de montagne, un petit sourire coincé du genre je m’excuse, pourtant pas précisément gênée de me tomber sur le poil dans crier gare […]. (Garat, Le grand Nord-Ouest, 2018)
  • [extraprédicaitf, incident > marqueur discursif]
    – Mais admettons un truc vraiment pas cool.
    – Genre ?
    – Eh bien genre : un mec, quand il était môme, […]. (Guyard, La Zonzon, 2011)
  • [extraprédicatif, incident > marqueur discursif]
    Il zone à Pigalle, combines louches, gonzesses, un peu maquereau, six mois pour trafic de viande faisandée aux Abattoirs, tu vois le genre. (Garat, Pense à demain, 2010)

Ses conclusions

  • En quittant la langue pour le discours, genre permet d’attirer l’attention sur le contexte énonciatif ou sur l’implicite du discours.
  • Genre ne peut pas occuper n’importe quelle place dans la phrase ; sa place n’est pas aussi libre que cela et reflète son rôle syntaxique et sémantique.
  • Si genre connaît des emplois diversifiés, on retrouve une unicité sémantique dans chacun de ses emplois qui le ramène toujours à l’idée d’une classification par rapport à une catégorie « posée en discours comme un préalable » (Rosier, 2005 : 231). Autrement dit, genre permet d’identifier une catégorie de façon stricte, mais peut également sélectionner un exemplaire d’une catégorie explicite ou faire référence à des notions, des propriétés (génériques), mais en aucun cas à des entités ou évènements spécifiques.
  • Cette « identification » stricte doit s’opérer de façon objective, mais il n’est pas rare de constater qu’avec genre elle peut être flottante et exprimer alors une approximation.
  • Genre permet cette identification en liant deux X différents : l’un jouera le rôle de référence (présupposé) – sur lequel agit genre –, l’autre lui est confronté ; c’est ainsi que l’on constate leur similitude par différentes valeurs (comparaison, illustration, ressemblance…).

1 thought on “Les faces cachées de « genre »”

  1. Deloison dit :

    Merci ! J’ai pu expliquer à mon fils son utilisation abusive du mot genre dans ses phrases !

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