Dimanche 10 juin 2012 | Le Havre (76600)
Appel à communication pour une journée d’étude portant sur « Les politiques de mode de vie et les parcours de fin de vie » : De quelles manières ces politiques se construisent? A quels niveaux? Avec quels acteurs? Sous quelles logiques normatives? En retour, comment les personnes âgées répondent aux injonctions des politiques publiques? En quoi, leur parcours de fin de vie est-il lié aux conditions de sortie du monde professionnel? Qu’en est-il de leur représentation du « domicile » face aux appels au « maintien à domicile ».
La question du vieillissement présente un intérêt majeur, en raison des transformations profondes, notamment en matière d’organisation des parcours de vie. Il ne s’agit pas d’un simple allongement de la période de fin de vie. La grande vieillesse a toujours existé, de même que la dépendance, désormais elle « sort de l’anonymat » car elle se constitue en étape dans le cycle de vie.
De nombreux travaux ont montré que les politiques publiques de retraite, ont engendré de nouveaux modèles de trajectoires individuelles sous la forme d’une organisation ternaire du cycle de vie : formation, production et repos… (Guillemard, 2010). La transformation majeure des dernières décennies est l’émergence de nouveaux groupes sociaux. Un de ces groupes est intercalé entre le monde du travail et la vieillesse. Qu’en est-il alors de « la dernière étape du cycle de vie » ? Le développement des unités fixes et mobiles de soins palliatifs, tend à allonger cette période de la vie et à l’institutionnaliser quelle que soit la période dans laquelle elles interviennent. Mais on peut se demander dans quelle mesure, ce dispositif ne va pas instituer une ultime étape entre la vieillesse et la mort. La quête de rationalité sous la forme de « nomenclaturisation » des états de santé en Groupe Iso Ressource (GIR), en est une illustration. Aux CARSAT[1], la population relevant des GIR 5 et 6, aux départements les groupes 1 à 4. Un débat est en cours concernant le 5ème risque pour distinguer encore les groupes 3 et 4.
La dernière étape du cycle de vie, bien que souvent éloignée du moment de cessation d’activité salariée, est marquée par la carrière professionnelle. En effet les conditions de travail, le montant et le moment de la retraite, le métier ou le statut d’emploi sont autant de caractéristiques de la vie au travail qui participent à la construction des parcours de vieillissement. Si bien que l’analyse des trajectoires de fin de vie doit être attentive à la dégradation de la situation du marché du travail, à l’intensification des procès de production ou aux transformations des systèmes de protections sociales qui ont cours depuis plus de 30 ans afin de rendre compte des évolutions des modes de vie des personnes âgées.
Ces transformations sous l’effet conjugué des politiques publiques nationales et territoriales d’une part et des pratiques sociales d’autre part redéfinissent les catégories d’action et ordinaires liées au vieillissement : domicile, mobilité, autonomie, aide à domicile etc. Elles poussent à leur tour, les pouvoirs publics à mobiliser de nouveaux moyens d’action pour intervenir sur le « groupe cible ». Les politiques de mode de vie[2] des personnes âgées sont au cœur de cette dynamique.
Ces politiques tirent leur origine du rapport Laroque. Il s’agissait de lutter « contre toutes formes de ségrégation », de séparation entre les personnes âgées et l’ensemble de la population. Depuis lors, un objectif normatif de politique publique apparaît sur le critère de l’espace : « le maintien à domicile ». Cette norme a pour conséquence d’induire l’absence de reconnaissance d’un droit à un domicile, en tant que lieu privatif et lieu de vie sociale dés lors que la personne ferait le « choix » de vivre en institution. (Réguer 1997 ; Charpentier et Réguer, 2008). Au cours du 7ème plan l’autorité publique peine à généraliser l’humanisation et encore plus la suppression des hospices. Les difficultés d’atteindre l’objectif de maintien à domicile voient apparaître l’objectif du « maintien à domicile le plus longtemps possible ». Cette formulation revient au « placement le plus tard possible ». L’objectif de politique publique devient alors normatif, non sur le critère de l’espace « domicile » mais sur celui du parcours de vie : c’est au regard des conditions de vieillissement qu’est envisagé le passage en institution.
En outre, en reportant à plus tard la question du lieu de vie adapté au maintien d’une vie sociale, les politiques publiques engendrent une négation d’une pratique de prévention. Lorsqu’il est question de prévention, c’est le plus souvent en terme individuel et en référence à « la perte d’autonomie », expression générique comprise le plus souvent au sens restrictif de la maladie et du handicap. Ainsi un des enjeux pratiques de cette journée est de contribuer à comprendre les effets des politiques publiques sur la segmentation des modes de vieillissements. Cette journée intéresse en effet les acteurs de la prévention et de l’accompagnement des personnes âgées dans la mesure où elle interroge à la fois les évolutions des politiques publiques et leurs traductions dans la pratique quotidienne. Cette journée d’étude recèle un intérêt social et pratique majeur, utile à la décision publique ou privée. D’une part, les aidants professionnels, les accompagnants familiaux ou encore les organisations productrices de services trouveront dans les résultats de travaux de recherche matière à optimiser et améliorer la qualité de leur intervention, des conseils qu’ils peuvent prodiguer. D’autre part, et peut-être de façon plus essentielle encore car préventive d’un « mal vieillir », les résultats de travaux seront utiles aux institutions, aux collectivités territoriales, organisations, professionnels en contact avec les vieillards de demain. Quelle que soit leur implication dans l’accompagnement de leur parent âgé, les enfants, le plus souvent déjà retraités ou en fin de carrière, sont les témoins privilégiés de l’expérience de leurs propres parents. Cette position de témoin constitue une expérience concrète pour ces populations par ailleurs confrontées à des questionnements stratégiques sur leur mode et lieu de vie, région, logements, services, objets de consommation, revenus, famille. L’efficacité de la prévention est d’autant plus opérationnelle qu’elle est précoce. C’est aussi dans cette étape du cycle de vie (aux alentours de la cessation d’activité professionnelle, du départ des enfants, de l’accompagnement des parents, parfois d’un déménagement ou d’une adaptation du logement) qu’il est plus efficace de prévenir car il est plus aisé de se projeter dans l’avenir pour devenir « stratège » de son mode de « bien vieillir ». La prévention constitue un intérêt social majeur de cette journée d’étude.
Argument principal
Avec le soutien des Réseaux thématiques 6 « Politiques sociales, protection sociale et solidarités » et 7 « Vieillesse, vieillissement et parcours de vie) de l’Association française de sociologie, du Centre Pierre Naville (Université d’Evry) et de l’UMR IDEES (Université du Havre), cette journée d’étude poursuit l’objectif de faire dialoguer l’analyse des politiques publiques de mode de vie et l’étude des parcours de fin de vie des personnes âgées en ayant comme perspective la production d’une publication académique. Cet appel s’adresse donc aux chercheurs dont les travaux portent sur les parcours de fin de vie.
De manière générale, les travaux sociologiques sur la production des politiques sociales ont bien montré combien on ne pouvait réduire les politiques publiques à des instruments (Colomb, 2012 ; Guillemard, 2010). Au-delà, de proposer des solutions à un problème, les politiques publiques sont des cadres normatifs, des manières de dire le monde instables et soumises à l’action des individus qui en sont à l’origine. Il en va de même pour les politiques de vieillissement et plus particulièrement des politiques de mode de vie. Elles ont leurs logiques propres dont il importe de décrypter autant les fondements que les effets. On peut comprendre ces politiques comme une certaine représentation du monde, fruit d’une construction sociale mettant en jeux une multiplicité d’acteurs. Face aux orientations cognitives et normatives de ces politiques de « maintien à domicile le plus longtemps possible », un des enjeux central réside dans la manière dont les personnes âgées négocient ces injonctions normatives. En particulier, dans la mesure où les politiques de vieillissement sont largement décentralisées, il s’agit de comprendre les modes de construction territoriales des politiques de mode de vie. Face à ces politiques, un second enjeux central est d’interroger la diversité des comportements, des représentations des parcours de vie des personnes âgées : quelles en sont les évolutions, en quoi participent-ils à la définition de l’objectif de politique publique ?
Ainsi on peut étudier la dynamique de politiques de mode vie sous un double point de vue sociologique.
- D’une part, il s’agit d’analyser à nouveau frais la construction et la transformation des politiques de mode de vie au niveau local et national. Notamment, la caractérisation à la fois de leurs transformations depuis 50 ans mais aussi des acteurs impliqués dans le débat et la décision permettra de souligner la complexité de l’évolution de ces politiques. Les contributions pourront aussi mettre en perspective les transformations de ces politiques en termes de configurations d’acteurs, de niveau de gouvernance entre le territoire et le central ou d’orientations cognitives. Elles pourront se focaliser sur un territoire ou comparer des politiques locales de mode de vie. Ces questions sont inséparables des politiques urbaines dont on pourra souligner les interactions avec les politiques territoriales de mode de vie.
- D’autre part, face à ces injonctions administratives et officielles, qu’en est-il du vécu et des projets de vie des vieux ? En quoi la construction des parcours de fin de vie s’articule avec la carrière professionnelle ? Par exemple, de quelles manières les conditions de sortie (santé, pensions de retraite…) de la vie au travail participent à des trajectoires de vieillissement différenciées ? Quelles ressources culturelles, sociales et financières sont mobilisées dans l’élaboration et la réalisation d’un parcours de vieillissement ? Par ailleurs, qu’en est-il de la notion de « domicile ». Cette catégorie tout à la fois mobilisée par les acteurs publiques, les familles, les associations ou les bénéficiaires demandent à être intérogées (Villela-Petit, 1989 ; Serfati-Garzon, 2003 ; Mallon, 2004). Notamment, qu’en est-il de l’invocation du « libre-choix » en faveur du maintien à domicile face à l’inadaptation des domiciles des vieilles personnes (Pennec et Le Borgne-Uguen, 2005 ; Pennec, 2006 ; Colomb et Reguer, 2012) ? Les contributions pourront rendre compte des modes de vie des individus et des combinaisons d’initiatives des acteurs notamment en matière de mobilités, d’enracinements et de dis-continuités dans les rapports à « l’habiter » (travaux du PUCA).
Un détour par la méthode est de ce point de vue nécessaire. Les réponses à l’appel tiendront compte de cette dimension : comment étudier et interpréter la parole des vieux, de quelle manière le travail d’enquête se trouve mis en jeu dans cette situation (Argoud, 1999)?
Réponse à l’appel à communication
- Les résumés sont à envoyer à fabrice.colomb@gmail.com
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Avant le 10 juin 2012.
- Réponse prévue le 13 juillet.
- Les résumés devront contenir un titre, un courte bibliographie et ne pourront excéder 3600 signes espaces compris.
- L’auteur présentera de quelle manière son sujet s’inscrit dans la problématique de la journée. Les résumés devront détailler l’objet et la question de recherche. Il s’agira également d’indiquer la démarche empirique, les matériaux et leur traitement. Enfin, l’auteur donnera quelques éléments sur les résultats attendus de sa recherche.
- Dans la mesure où cette journée a pour objectif de déboucher sur une publication scientifique, les organisateurs demanderont aux auteurs retenus de produire pour le mois de novembre 2012 un texte correspondant aux standards académiques. L’objet de la journée d’étude sera de discuter ces textes dans la perspective de la publication.
Modalités pratiques
- Cette journée d’étude se tiendra le jeudi 17 janvier 2013 à l’université du Havre.
- Les repas, déplacements et hébergements seront pris en charge par l’organisation de la journée d’étude, en fonction des financements alloués.
Comité d’organisation
- Fabrice Colomb (Centre Pierre Naville, Université d’Évry) : fabrice.colomb@gmail.com
- Daniel Réguer (CIRTAI-UMR IDEES 6266, Université du Havre) : dreguer@orange.fr
Comité scientifique
- Anne-Marie Guillemard, présidente (GEPECS, Université Paris 5)
- Dominique Argoud (CIRCEFT, Université Paris-Est Créteil),
- Jean-Claude Barbier (CES, Université Paris 1),
- Stephen Bouquin (Centre Pierre Naville, Université d’Evry),
- Vincent Caradec (CERIES, Université Lille 3),
- Fabrice Colomb (Centre Pierre Naville, Université d’Evry),
- Françoise Le Borgne-Uguen (ARS, Université de Bretagne occidentale),
- Isabelle Mallon (GRS, Université Lyon 2),
- Simone Pennec (ARS, Université de Bretagne occidentale),
- Marielle Poussou-Plesse ( Centre George Chevrier, Université de Bourgogne),
- Daniel Réguer (CIRTAI, Université du Havre),
- Habib Tengour (Centre Pierre Naville, Université d’Evry),
- Serge Volkoff (GIS-CREAPT, Centre d’études de l’emploi).
Références
- Argoud, D. et Puijalon B.,1999, La parole des vieux, Paris : Dunod
- Colomb, F., 2012, Les politiques de l’emploi (1960-2000). Sociologie d’une catégorie de politique publique, Rennes : Presses Universitaires de Rennes
- Colomb, F. et Reguer, D., 2012, « Les politiques de maintien à domicile : entre injonctions normatives et pluralité des représentations des personnes âgées », Congrès de l’AISLF, Rabat, 2-6 juillet 2012.
- Guillemard, A.M., 1980, la vieillesse et l’Etat, Paris : PUF.
- Guillemard, A.-M., 1986, Le déclin du social, Paris : PUF.
- Guillemard, A.M., Les défis du vieillissement, Armand Colin, 2010
- Haut Comité Consultatif de la population et de la famille, 1962, Politique de la vieillesse, Paris : La documentation française 1962
- Mallon, I, 2004, Vivre en maison de retraite. Le dernier chez soi, Rennes : Presses universitaires de Rennes
- Naville, P. L’âge de le retraite, Esprit, vieillesse et vieillissement, N°817, N°spécial, mai 1963
- Serfaty-Garzon, P.,2003, chez soi – territoires de l’identité, Paris : Armand Colin.
- Pennec, S., 2006, « L’attachement au domicile : entre désirs et contraintes », Les Cahiers de l’Actif, n° 364/365. pp.11-32.
- Pennec, S. et Le Borgne-Uguen, F. (dir.), 2005, Technologies urbaines, vieillissements et handicaps, Rennes : EHESP
- Réguer, D., 1997, Transformation des comportements et dispositif gérontologique, Presses Universitaires du Septentrion.
- Réguer, D., 2001, « Recomposition d’une vie sociale », in LEGRAND M. (sous la direction) La retraite une révolution silencieuse, Editions ERES.
- Réguer, D.,Charpentier, M., 2008, « Regard critique sur les politiques de maintien à domicile des personnes âgées en France et au Québec », Revue canadienne de politique sociale, n°60-61.
- Villela-Petit, M., 1989, Le chez soi : espace et identité, in Architecture et comportement, vol 5, n°2 p 127 – 133.
[1] Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail
[2] Il s’agit ici de comprendre « la vieillesse comme mode de vie spécifique » qui appelle un type d’intervention particulier portant notamment sur l’hébergement, le domicile, les équipements sanitaires, la mobilité, etc. (Guillemard, 1986, p. 23).
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