Situé sur le plateau de Lannemezan, dans le département des Hautes-Pyrénées (65), le site archéologique d’Avezac-Prat se situe à une altitude entre 380 et 733 mètres. Il est aussi proche de la Ténarèze, voie préhistorique qui longeait le massif montagneux des Pyrénées. Le site comprend toute une série de tumulus (ou tumuli), à peu près une cinquantaine, qui correspondent à une certaine pratique funéraire de l’époque protohistorique, à savoir des sépultures simples ou multiples, recouvertes d’un amas de terre et la plupart du temps circulaires.
Carte 1: Avezac-Prat-Lahitte sur une carte de France, Cap Carto.
Le site a été découvert en 1867 par un certain M. Bordenave qui était conducteur de travaux pour les ponts et chaussées. Quelques années plus tard, il devait être fouillé par deux archéologues présents dans la région, Julien Sacaze et Edouard Piette.
Le site fut encore fouillé à plusieurs reprises dans les années 1960 et d’autres prospections eurent eu lieu en 1997 par F. Marembert; en 1998, 1999, 2000 et 2002 par J.M. Esquidé-Quillet et en 2000 puis 2005 par Yaramisla Tcheremissinoff. L’étude concerne ici les fouilles du XIXe siècle, soit celles réalisées par Julien Sacaze et Edouard Piette.
Les protagonistes
Pour mener à bien l’enquête sur les fouilles des tumuli d’Avezac-Prat, il est nécessaire de plonger dans la correspondance entretenue par les trois protagonistes les plus importants : Julien Sacaze, Edouard Piette et Emile Cartailhac.
Ces lettres ont été acquises par le Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse en 2012 et elles sont conservées aux Archives municipales de Toulouse la même année. Elles peuvent être consultables par le grand public sur le site Tolosana, la Bibliothèque Numérique Patrimoniale des Universités Toulousaines.
Julien Sacaze est né en 1847 à Saint-Gaudens et il est mort prématurément en 1889. Après des études brillantes, il est reçu bachelier à seize ans avant de suivre des études de philosophie et de théologie puis des études de droit à Toulouse. Par la suite, il s’inscrit comme avocat au barreau de Saint-Gaudens avant d’être élu bâtonnier à l’Ordre des avocats quelques années plus tard.
Passionné par l’histoire et l’archéologie, il entreprend des recherches archéologiques dans les Pyrénées aux côtés de son collègue Edouard Piette. Il exécuté plusieurs recherches sur la montagne de l’Espiau en 1875, sur les sépultures du premier âge du Fer dans la plaine de Rivière (près de Montréjeau) en 1877 et 1878, puis sur la nécropole de Garin en 1879
Il se spécialise par la suite dans l’étude de l’épigraphie pyrénéenne et publie en ??? l’ouvrage intitulé Les Inscriptions antiques des Pyrénées qui est la première synthèse sur l’Antiquité gallo-romaine des régions pyrénéennes françaises.
En 1884, il fonde la Société des études du Comminges avec pour objectif l’étude historique, archéologique et naturelle de ce territoire.
Édouard Piette naît le 11 mars 1827 à Aubigny-les-Pothées dans les Ardennes. Il meurt le 5 juin 1906 à Rumigny. D’abord avocat de profession, il s’inscrit dans la lignée des archéologues de tradition antiquaire, conservant aussi tout au long de sa vie son action juridique. Il rejoint très tôt la Société Géologique de France et devient juge de paix après des études à la Sorbonne. C’est une cure thermale qui l’amène dans les Pyrénées en 1871, région dans laquelle il va s’intéresser plus précisément à la Préhistoire. Particulièrement connu pour ses fouilles au Mas-d’Azil (1880-1890) ainsi que pour celles de Brassempouy (1894-1897), il fouille également divers sites à Avezac-Prat ou sur le plateau de Ger, la grotte de l’Espalungue près de Saint-Michel d’Arudy de 1873 à 1874, ou la grotte de Lortet. Il publie de nombreux ouvrages, notamment le plus connu sur l’âge du renne, et propose une classification des temps préhistoriques. D’une rigueur scientifique éprouvée dans ses travaux (fouilles et analyse structurées, classification par des listes…), il serait le précurseur du carroyage.
Émile Cartailhac est né à Marseille en 1845, puis il s’installe à Toulouse en 1860 pour y étudier le droit. Renonçant au barreau, il consacré sa vie à la préhistoire et aux recherches diverses qu’il mène sur le terrain. Il prend la direction d’une revue autrefois propriété d’un de ses maîtres, Gabriel de Mortillet, qu’il nomme Matériaux pour l’histoire naturelle et primitive de l’homme. C’est à ce titre qu’il intervient dans ce dossier puisqu’il est le premier à publier les résultats des recherches de ses deux collègues, Piette et Sacaze. En 1882, Émile Cartailhac deviendra le premier professeur d’archéologie préhistorique à la faculté des sciences de Toulouse.
Le chantier
La première évocation du « cimetière gaulois dans la vallée de la Neste » se trouve dans une lettre de Piette datée du 23 octobre 1876:
« Je crois pouvoir vous annoncer la découverte d’un cimetière gaulois dans la vallée de la Neste, à La Bastide, sur la crête d’un monticule. Il se compose de tumuli ou amas de terre entourés de galets. Dans ces tumuli sont des urnes, des poignards en fer, des torques en bronze et des fibules. Les urnes ont la forme de saladiers, ou celle des vases gaulois de la Champagne auxquels on aurait adapté une anse.
Parfois elles affectent une autre forme gauloise qui a continué à être en usage aux temps gallo-romains.
Les poignards sont de grands couteaux semblables à ceux des tombes gauloises de Chassemy, et les torques en bronze sont pareils à ceux des cimetières gaulois de Chassemy la Champagne. Une fibule en fer a la forme suivante :
Enfin on a trouvé un crochet en fer.
Il est probable que je vais m’entendre avec le propriétaire pour fouiller au printemps prochain. J’oubliais de vous dire que les urnes contiennent des cendres d’incinérés et que les gaulois n’y sont pas enterrés comme dans le nord de la France. On ne retrouve que leurs cendres. Peut-être au lieu de rapporter ce cimetière à l’époque de la Gaule indépendante, faut-il le faire remonter au premier âge du fer. »
Le projet de fouille est bien en cours au mois de janvier 1877 comme l’atteste une lettre de Julien Sacaze (lettre de J. Sacaze à E. Cartailhac, 10 janvier 1877).
Les négociations semblent donc délicates puisque M. Delphin Carrère propriétaire à Labastide cherchait à acheter un terrain où se trouvaient des tumuli. Sacaze demande dans sa lettre la plus grande discrétion à Cartailhac, alors que ce dernier annonce dans la revue des Matériaux la prochaine campagne de fouilles.
Il n’y a plus de mention des fouilles dans la correspondance jusqu’au mois de juillet 1877, lorsque Sacaze annonce dans une nouvelle lettre qu’il doit fouiller les 50 tumulus du site avec M. Piette (lettre de J. Sacaze à E. Piette, 14 juillet 1877). C’est en août que Piette annonce à Cartailhac que les fouilles sur le site d’Avezac-Prat ont enfin commencé, suggérant que les problèmes de propriété ont été résolus (lettre de E. Piette à E. Cartailhac, 10 août 1877). Un mois plus tard, Piette annonce l’achèvement des fouilles et lui fait part des résultats préliminaires. Il y décrit le site et le mobilier trouvé par les deux archéologues (lettre de E. Piette à E. Cartailhac, 28 septembre 1877).
Les publications
La première analyse de fouille des tertres d’Avezac-Prat est proposée dans la revue Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme dirigée par E. Cartailhac. Cette revue est un mensuel illustré traitant de l’anthropologie et de la préhistoire. Elle est d’abord fondée par Gabriel de Mortillet en 1864 sous le nom de Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme, puis continuée par Eugène Trutat et Emile Cartailhac entre 1868 et 1872 avec une pause entre septembre 1870 et août 1871, et enfin par Emile Cartailhac, Paul Cazalis de Fondouce et Ernest Chantre de 1873 à 1888. Chaque numéro comprend plusieurs articles, de taille variable, accompagnés régulièrement de planches illustrant le propos. C’est donc dans cette revue que les tertres d’Avezac-Prat sont décrits et étudiés pour la première fois au travers d’un article publié dans le Tome X de la livraison de novembre-décembre 1879. L’article est intitulé « Les tumulus d’Avezac-Prat (Hautes-Pyrénées) » et présente les résultats et les découvertes produites par la fouille, accompagnés de quatre planches de dessins d’objets trouvés sur le site. Il est important de noter que l’article a été rédigé par Émile Cartailhac, sur la base des informations reçues de la part des deux archéologues. Cette publication est d’ailleurs régulièrement un sujet abordé dans les échanges épistolaires. En 1899, un ouvrage plus complet Les tertres funéraires d’Avezac-Prat paraît avec les noms réunis de Piette et Sacaze, bien que Julien Sacaze soit décédé dix ans auparavant. Cet ouvrage donne à voir la zone de fouilles et les différentes découvertes, avec des descriptions et des représentations dessinées de tous les objets trouvés sur le site, pour un total de 29 planches. Les dessins remarquables sont des chromolithographies réalisées par Jules Pilloy, un archéologue membre de la Société des antiquaires français.
Le relevé
Le relevé général (planche I) a été réalisé par M. Bordenave et figure un plan et une coupe longitudinale du site. Celui-ci comporte 50 tumuli au total, 44 sur la crête de la colline et 6 placés un peu plus aléatoirement sur le côté. 27 tumuli sont positionnés en ligne droite de l’est à l’ouest. Les tumuli varient en taille de 3 à 30 mètres de diamètre. Les plus grands sont à l’ouest du cimetière, et ils sont moins alignés que le reste et de période moins ancienne. Plusieurs des tumuli sont entourés par des cromlechs, qui sont des cercles de pierre mégalithiques qui les entourent.
Le matériel
La planche II montre une urne cinéraire dotée d’un couvercle et accompagnée des armes du défunt qui sont placées tout autour d’elle. On y voit deux pointes de lances, une épée et une longue arme de jet en fer, ainsi qu’un objet en bronze.
Cet article est le résultat des travaux des étudiant.e.s du cours « Histoire et archéologie des Celtes », plus particulièrement de Héloïse Blanc-Simon, Paul Cartigny, Anouk Farizon, Marion Cauty, Thomas Colin, Morgane Colvis, Jordhan Demay, Jeanne Faure, Thea Hoeg, Clément Simoes, Maïwenn Constant et Guillaume De Montity.