Question pour un champion: Qu’est-ce que l’Afrique ? A) Les vacances de vos rêves B) Un pays C) Un continent… Et la bonne réponse est… un continent!
Il s’agit d’un continent possédant un très grand éventail culturel qui témoigne les rencontres, les transformations, l’hybridation et l’aliénation. L’imaginaire universel, déformé, homogène et sans spécificité, que nous possédons de l’Afrique n’est qu’une illusion. Saviez-vous qu’en Afrique on produit de la littérature en espagnol ?
Venez avec nous et remettez en question ce que vous savez sur l’Afrique.

Dans notre contexte actuel, il est difficile de ne pas porter un regard critique sur l’imaginaire occidental autour des pratiques socioculturelles africaines.
L’imaginaire, que l’anthropologue Gilbert Durand définit comme « échange continu entre la dimension subjective et le milieu cosmique et social », ne serait qu’une appréhension du monde et le fruit de notre construction socioculturelle et historique.
En effet, l’imaginaire africain véhiculé par les discours hégémoniques, englobe des préconçus bâtis à partir de l’altérité, aiguisés par les différents courants de pensée modernes tels que les théories scientifiques sur la supériorité raciale darwiniennes ou les théories hégéliennes sur l’histoire de l’Afrique, caractérisant tout un contient et ses sujets de « non-civilisés » , « renfermés » et sans histoire.

Malgré que ces théories soient inscrites dans un contexte sociohistorique bien précis, nous soulignons, de manière anachronique, leurs rôles fondamental dans la construction d’un imaginaire « universel » déformé et dégradant des réalités africaines, puisqu’il continue d’être perpétué jusqu’à nos jours.
Oui, mais encore… ?



De l’imaginaire colonial aux réalités africaines
Parler de l’univers culturel africain contemporain, c’est comprendre l’impact de la colonisation sur l’Afrique.
Longtemps considérés comme des barbares et antonymes de la rationalité, par les missions civilisatrices occidentales, les populations africaines se sont vues rélegué au plus bas de l’échelle humaine et considérés comme une « race inférieure ».
Dans un contexte impérialiste visant l’expansion territoriale, leurs pratiques culturelles ainsi que leurs réalités sociales, ne rentrant pas dans les canons occidentaux, furent l’objet de différents processus oppressants d’aliénation socio-culturelles et géopolitiques.
Par conséquent, ces quêtes, cherchant à justifier les violences et le choc introduits par la colonisation, ont bâtis et propagé un imaginaire colonial nourri d’un discours particulier (bestial, raciste, sexiste, infériorisant…), qu’a transformé la perception du monde sur l’Afrique et la perception des populations africaines sur elles-même.
Mais, qu’en est-il des réalités africaines ?
Contrairement, aux perspectives homogénéisantes, les réalités africaines ne sont pas lisses puisqu’elles sont composée d’un large éventail d’ethnies et donc, des cultures. Ces cultures, comme la plupart, ont leur propres idéologies, leurs patrimoines et leurs propres perceptions du monde.
Le contact Afrique/Europe, par le biais de la colonisation, a supposé un chamboulement et une métamorphose des ces cultures. Parmi les effets de ces transformations, douloureuses et forcées, ont jaillis des hybridations culturelles complexes et multiples.
À partir de la deuxième moitié du XXème siècle, naissent les études postcoloniales, un ensemble des théories interdisciplinaire menées par des intellectuels, originaire des anciens territoires colonisés. Ils débutent alors des profonds travaux de réévaluation et de déconstruction des paradigmes de l’époque coloniale , visant à :
« sortir du modèle colonial de la représentation de l’Autre en déconstruisant les structures de pensée et les logiques héritées de la domination coloniale. »
REYNOLDS m., Homi K. Bhabha, les postcolonial studies et la notion de l’hybridité, 2011
Néanmoins, les théoriciens ne sont pas les seuls à réfléchir sur ces sujets, puisque, un grand nombre des productions culturelles, remontant à plus de quatre-vingt-dix ans, reflètent des travaux profond d’auto-réflexion et de déconstruction.
Hmmmm….Mais, est-ce que c’est possible de décoloniser l’imaginaire africain à travers la fiction littéraire ?
L’imaginaire colonial dans la fiction postcoloniale
Dans l’époque contemporaine, les productions culturelles sont devenues des champs de réflexions des maux des sociétés. Effectivement, les créations artistiques, comme la littérature, ne détiennent plus qu’un rôle esthétique, elles sont aussi devenues des outils opérationnels dans le processus de réaffirmation et de revendication.
Les littératures postcoloniales, produites par des intellectuels issus des anciennes colonies p, se définissent comme des voix/voies de résistance: des « contre-attaques » par l’écriture à partir de leurs contextes socioculturels et historiques.
Le roman Las tinieblas de tu memoria negra (1987) ou Les ténèbres de ta mémoire noire (traduit et publié en français en 2004),écrit par Donato Ndongo, est un roman représentatif de la littérature postcoloniale équato-guinéenne.
Cette fiction, racontée à la première personne, par un narrateur-personnage anonyme, qui semblerait être un indigène de l’ethnie fang colonisé par les espagnols, nous plonge non seulement dans une scénographie coloniale mais aussi au beau milieu d’un conflit identitaire.
Dans un conflit long et complexe, il est contraint de choisir entre sa culture indigène et la culture qui lui a été imposée par le biais de la colonisation.


Les imaginaires et l’identité dans Les ténèbres de ta mémoire noire (2004)
Comment introduire la question de l’imaginaire dans la fiction sans être lourd ?
Comme toute œuvre littéraire, Les ténèbres de ta mémoire noire (2004) introduit la question de l’imaginaire à partir d’une série des dynamiques littéraires. En l’occurrence, nous aborderons deux techniques : le dédoublement du personnage-narrateur et la personnification des instances culturelles.
Pour commencer, nous allons aborder la question du dédoublement du personnage-narrateur et essayerons de comprendre son rôle dans le déroulement de l’histoire. Le dictionnaire Larousse définit le dédoublement comme phénomène dans lequel l’être est « partagé en deux ». Dans le roman de Donato Ndongo, bien que l’histoire soit, généralement, raconté à la première personne, par un je , nous pouvons constater, de temps à autres, une commutation des voix poétiques ambiguë entre je/tu.
Stratégie de lecture ou enjeu poétique ?
Les deux. D’une part, la stratégie du dédoublement, permet non seulement de briser le monologue intérieur du narrateur-personnage mais aussi de maintenir le lecteur éveillé. D’autre part, il sert à représenter la question de l’identité en conflit, étant donné que, le tu se présente comme une fraction du je, mais plus objective.

L’autre dynamique littéraire, utilisée par l’auteur, dans Les ténèbres de ta mémoire noire (2004), est celle de la personnification des instances culturelles à partir de deux personnages: le père Ortíz et l’oncle Abeso.
Dans la narration, le père Ortíz est un prêtre envoyé par l’Église catholique espagnoles en Guinée Équatoriale dans l’objectif d’évangéliser les peuples indigène de cette région. Il est le guide religieux et celui qui donne une éducation occidentale au narrateur-personnage. Par la suite, il incite le personnage-narrateur à devenir un des premiers prêtre « négre » à pouvoir divulguer la foi chrétienne à ses semblables «païens » et « non-civilisés » . À travers du roman, il adopte un discours civilisateur et quasi-méprisant vis-à-vis des autochtones. Par conséquent, il représente la culture colonisatrice occidentale.
L’oncle Abeso, bien évidement, est l’opposé du père Ortíz. Il est l’oncle du narrateur-personnage et le chef d’une tribu fang. Il se charge de lui transmettre les traditions culturelles de la tribu. Il refuse, catégoriquement, de se convertir au christianisme et à s’intégrer à la culture occidentale. De plus, il octroie au narrateur-personnage la mission de délivrer la tribu des colonisateurs. Ainsi, il représente la culture indigène résistante.

L’emploi de l’antagonisme, pour contraster ces deux personnage a la fonction, d’un point de vue narratif, de poser « les éléments perturbateurs » dans la suite logique du roman.
Au travers de ces deux stratégies littéraires, nous avons aperçu comment, à partir d’une voix d’un personnage-narrateur subalterne, la complexités des rapports dominant/dominés abordés via la fiction. De plus, nous avons réussis à cibler la problématique centrale ainsi que ces conséquences développées dans le roman: le choc culturel en tant que source de conflit lors de la construction identitaires chez l’individu colonisé.

L’imaginaire fang depuis la perspective du réalisme merveilleux
Le réalisme merveilleux, en tant que mode narratif, se caractérise par l’incorporation et l’acceptation du «surnaturel » dans le réel de la fiction.
Il est interessant de souligner que, dans Les ténèbres de ta mémoire noire (2004), l’utilisation de ce mode, se révèle à deux moments précis de la trame: lors des deux rituels typiques de la culture fang.
Le premier, a lieu lors du rituel de circoncision du personnage-narrateur, à ses six ans. Lors de cette cérémonie dans la forêt le personnage-narrateur passe d’être considéré un enfant à un homme. C’est son premier contact avec la culture de sa communauté. Il est présenté pour la première fois à ces ancêtres, qui se présentent devant lui de façon mystique pour lui enseigner des leçons de survie.
Le deuxième, a lieu aussi dans la forêt. Dans cet rituel, les anciens et les ancêtres du narrateur-personnage lui relèguent sa future position de chef de la tribu ainsi que les secrets et l’histoire de celle-ci.
Bien entendu… dans la fiction rien n’est anodin. L’emploi du discours du réalisme merveilleux peut être justifié par plusieurs raisons, mais nous n’en donnerons que deux.
Premièrement, les événements sont racontés depuis la perspective d’un enfant. Par conséquent, évoquer la mémoire d’enfance peut se révéler ardu, puisque cela implique aussi la possibilité de déformer des événements de par l’émerveillement.
Deuxièmement, l’introduction de ce type de discours, peut être un moyen utile d’expliquer d’autres réalités sociales. Ce sont les premiers contacts entre un être colonisé, possédant un imaginaire diabolisé de sa propre culture, et sa culture originaire. Donc, on pourrait dire, qu’il y a une intention de reproduire le moment de rencontre et réconciliation entre les deux.
D’ailleurs, à ce sujet et dans le contexte de la littérature postcoloniale, on affirme que:
« […] la fonction du réalisme merveilleux est de participer au vaste processus de reconstruction identitaire qui se donne pour objet de réécrire l’histoire par l’intermédiaire de la fiction, d’explorer et d’expliquer la spécificité d’une communauté. »
PINÇONNAT, C., « Le réalisme merveilleux dans le roman amérindien », in Le Réalisme merveilleux, Xavier Garnier éd., L’Harmattan, 1998, p. 35-52.
Après tout, peut-on décoloniser l’imaginaire… ou pas ?
L’Afrique est un vaste continent, possédant une très grande richesse culture. Les divers processus de colonisation ont transformé les réalités des peuples africains. et des réalités diverses et complexes. La littérature, en tant que produit socioculturel a plusieurs rôles dans le processus de décolonisation: elles dégagent le maux passés et présents, influencés par l’oppressions directes et/ou indirectes; déconstruissent l’imaginaire déformant et dégradant véhiculé par les discours hégémoniques occidentaux; se réapproprient de leurs histoires à travers les écrits; et nous invitent reconsidérer ce que nous savons.
BIBLIOGRAPHIE
BANETH-NOUAILHETAS, É., « Le postcoloniale : histoires de langues », Hérodote, 2006/1, n° 120, p. 48-76.
NDONGO-BIDYONGO, D., Las tinieblas de tu memoria negra. Editorial Fundamentos, 1987.
ORDOÑEZ, L., Historia, literatura y narración. Historia crítica, Bogotá, Colombie, 2008, p.1 94-122.
PINÇONNAT, C., « Le réalisme merveilleux dans le roman amérindien », in Le Réalisme merveilleux, Xavier Garnier éd., L’Harmattan, 1998, p. 35-52.
Enfin une réflexion scientifique qui mérite de s’y attarder. Déconstruire cet imaginaire de l’africain forgé et entretenu par l’hégémonie occidentale, seulement dans le but de chosifier l’autre est une des approches les plus intéressantes que j’ai lu jusque-là. Parce que c’est ce cela qu’il est question. Et chaque pays africain devrait vraiment effectuer un travail de réapropriation de son histoire afin de briser cette vision encadrée des pays dits puissants sur les autres. Cette hégémonie participe encore aujourd’hui au déséquilibre politique, économique et social auquel nous assistons. Et pire elle participe à la méconnaissance par les propres populations concernées de leurs véritables histoires.