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Le mythe de la naissance du soleil, récit universel

L’humanité s’est interrogée, depuis des temps immémoriaux, sur les origines des phénomènes naturels ainsi que sur l’existence des êtres vivants sur Terre. Les nombreux mythes, répartis sur les cinq continents, semblent de tous temps leur avoir apporté des éléments de réponse. Nous nous intéresserons, dans cet article, à cet élément du patrimoine mondial qu’est le mythe et, plus particulièrement, le mythe cosmogonique de la naissance du soleil.

Qu’est-ce qu’un mythe ?

Si on cherche dans les dictionnaires, tels que le Robert en ligne, la définition du mot « mythe », on pourra lire ce premier sens : « Récit fabuleux, souvent d’origine populaire, qui met en scène des êtres (dieux, demi-dieux, héros animaux, forces naturelles) symbolisant des énergies, des puissances, des aspects de la condition humaine. » Les autres sens évoquent l’idée d’éléments imaginaires ou d’allégories. En effet, le mythe se caractérise notamment par le fait qu’il ne raconte pas des événements réels: il est le fruit de l’imagination humaine en réponse à des questions existentielles. La notion d’altérité est également essentielle puisque le mythe est considéré, en général, comme véridique dans les sociétés où il est raconté alors qu’il est considéré comme faux en dehors de ces sociétés (ce qui le différencie du conte).

Les premiers anthropologues ont étudié les mythes anciens des Grecs et des Romains ainsi que les textes recueillis dans le cadre des colonisations. Ils les considéraient comme des croyances imaginaires, inventées par des humains qui n’étaient pas encore capables d’expliquer les phénomènes naturels qu’eux-mêmes expliquaient par la religion catholique ; l’humanité, selon ces derniers, avaient été créée par Dieu et les mythes indigènes étaient des croyances erronées. Leurs successeurs, à l’instar de Claude Lévy-Strauss ou de Georges Dumézil, vont davantage s’intéresser à l’évolution des mythes dans le temps et vont pratiquer une étude comparative des différents récits qu’ils ont pu recueillir.

Un auteur contemporain, Jean-Loïc Le Quellec, nous fait part de sa difficulté à définir exactement ce qu’est un mythe lors d’une intervention en 2014 dans un lycée d’Aubervilliers.

« […] La première difficulté à laquelle je dus faire face fut de définir la matière sur laquelle nous allions travailler avec les élèves. Qu’est-ce qu’un mythe ? […] En première approche, nous avons donc considéré avec les lycéens qu’un mythe se reconnaît à ce qu’il s’agit d’une histoire proposant (notamment) une explication du monde et des choses: il nous dit pourquoi la mer est salée, pourquoi le ciel se trouve si haut. »

LE QUELLEC Jean-Loic, 2021,Avant nous le Déluge! L’humanité et ses mythes, Bordeaux, éditions du détour.

À partir de cette définition, les élèves vont pouvoir partager leurs propres récits. Le mythe est donc avant tout un récit partagé, transmis de manière orale ou écrite.

Le mythe à travers l’espace et le temps

Jean-Loïc Le Quellec et Julien d’Huy ont étudié les mythes et leur portée : ils constatent que les récits mythiques sont présents sur tous les territoires occupés par les humains, sans doute depuis des dizaines de millénaires. Ils ont traversé l’histoire. Certains, plus anciens, sont toujours racontés même s’ils ont évolué, se sont renouvelés ; d’autres sont apparus plus récemment. Jean-Loïc Le Quellec dément l’idée que le mythe précède la science : ce sont deux notions différentes.

De la même façon, les mythes sont présents sur tout le globe. Des récits similaires peuvent se retrouver sur des continents pourtant éloignés les uns des autres, même si quelques petites différences spécifiques liées à l’environnement ont pu apparaître. Les deux auteurs cités précédemment ont travaillé sur cette répartition des mythes par l’intermédiaire (entre autres techniques) de l’aréologie que l’on peut définir comme la science qui a pour objectif d’étudier la répartition géographique des traits culturels. Jean-Loïc Le Quellec déplore l’usage qui en a été fait pour justifier la colonisation et surtout le détournement de la discipline par des mythologues nazis pour justifier leurs doctrines, ce qui l’a discréditée. Il souhaite montrer l’intérêt de l’usage de l’aérologie dans la compréhension des mythes si elle est utilisée à bon escient.

L’aréologie peut ainsi, grâce à des cartes géographiques présentant différents points de vue, étudier la répartition des mythes sur le globe (Fig.1). En recoupant cette répartition avec les données historiques et les classifications des mythes et de leurs variantes, il est possible de suivre l’évolution et le cheminement d’un récit depuis sa création et son origine de départ. Ces observations nous amènent à la conclusion que les mythes ont accompagné l’humanité depuis des temps extrêmement anciens à travers ses pérégrinations sur le globe terrestre.

Figure 1. Répartition mondiale des 487 récits du mythe du plongeon cosmologique, selon la projection de Peirce, qui nous permet de situer sa localisation dans l’hémisphère Nord.
Image extraite de Jean-Loïc Le Quellec, L’humanité et ses mythes.

Pour en savoir plus, un podcast de France Culture qui invite Jean-Loïc Le Quellec à s’exprimer à propos de ses recherches sur les mythes …

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/carbone-14-le-magazine-de-l-archeologie/archeologie-des-mythes-une-plongee-dans-l-imaginaire-de-l-humanite-8764237

Le mythe de la naissance du soleil

Parmi tous les mystères de la nature, celui de la naissance du soleil, de sa présence dans le ciel, a intrigué l’humanité dans son ensemble et généré de nombreux mythes sur toute la surface du globe. La naissance du soleil à partir d’un immense chaos premier, sa disparition qui plonge l’humanité dans l’obscurité sont des thèmes communs à de nombreux peuples et relatés dans des récits qui prennent des formes variées en fonction des continents. Julien d’Huy nous explique que:

« En Eurasie et en Amérique, un grand nombre de sociétés racontent encore aujourd’hui que l’astre fut un jour dérobé ou se cacha de lui-même, ce qui conduisit à l’obscurité et au chaos. »

d’huy julien, 2020, Cosmogonies, la Préhistoire des mythes, Paris, La Découverte sciences sociales du vivant.

Nous allons maintenant nous intéresser au mythe de la naissance du soleil tel qu’il est narré sur le continent américain (Amérique du Sud) où le soleil avait une importance particulière à tel point que les peuples qui habitaient ce continent avant l’arrivée des conquistadors espagnols sont connus comme les peuples du soleil (Aztèques, Incas, Mayas). De nombreuses versions de ce mythe sont connues et nous nous intéresserons plus particulièrement au récit aztèque dans la version recueillie par le frère franciscain Bernardino de Sahagún et reportée dans son œuvre Historia general de las cosas de Nueva España. En voici un résumé.

Après avoir connu quatre ères et quatre soleils différents (Fig. 2), la terre se retrouva plongée dans l’obscurité. Les dieux se réunirent alors à Teotihuacan, au Mexique, et se demandèrent qui allait éclairer le ciel. Tecciztecatl se proposa mais les dieux souhaitaient un deuxième candidat : ils désignèrent alors un dieu de peu d’importance, doté d’une maladie de peau, nommé Nanahuatzin. Ce dernier accepta. Tecciztecatl offrit de riches biens alors que Nanahuatzin fit offrande d’épines d’agave enduites de son propre sang. Les deux dieux firent pénitence pendant quatre jours puis Tecciztecatl, vêtu de riches plumages et Nanahuatzin, revêtu de papier, se placèrent près d’un feu allumé par les dieux. Ces derniers encouragèrent Tecciztecatl à s’y jeter mais il hésita. Nanahuatzin, quant à lui, s’y précipita sans crainte et accéda ainsi au statut de soleil. Cependant ce dernier demeurait immobile et les dieux durent se sacrifier afin de le mettre en mouvement.

Figure 2. Pierre du soleil aztèque, musée national d’anthropologie de Mexico.

Mythe cosmogonique et religion

Un mythe cosmogonique est un récit qui a pour objectif d’expliquer le monde ainsi que ses origines et son fonctionnement. Nous pouvons donc constater que le mythe aztèque de la naissance de Tonatiuh, le soleil, a toutes les caractéristiques d’un mythe cosmogonique. Il s’agit effectivement d’un récit transmis de manière orale en langue nahuatl par les Aztèques puis mis par écrit par les religieux espagnols après la colonisation du Mexique. De plus, ce récit a bien pour objectif de nous expliquer le monde. D’une part, il nous raconte comment le soleil a été conçu par les dieux dans l’objectif d’éclairer la terre et de la sortir de l’obscurité. D’autre part, il nous explique l’alternance des jours et des nuits par la mise en mouvement du soleil grâce au sacrifice des dieux. Ce mythe aura une importance considérable chez les Aztèques puisqu’il justifiera, à leurs yeux, le sacrifice humain: c’est pour maintenir en vie et en mouvement le soleil et donc la bonne marche du cosmos, que les humains doivent, à l’image des dieux, se livrer à la pratique du sacrifice.

Ce mythe de la création du soleil par les dieux aztèques est à l’origine d’une pratique -celle du sacrifice- que l’on pourrait qualifier de religieuse puisqu’elle a pour objectif de satisfaire et maintenir en vie Tonatiuh, le dieu solaire. On trouve communément cette notion de religion associée aux mythes et utilisée pour qualifier les croyances d’autres peuples. Selon Jean-Loïc Le Quellec, les mythologues sont souvent considérés comme des historiens des religions. On peut cependant se poser la question de la pertinence de l’usage du terme de « religion » pour évoquer les croyances d’autres peuples.

Selon Jean-Loïc Le Quellec, d’un point de vue étymologique, le terme de « religion » vient du latin « religio » qui désigne à l’origine un scrupule. Puis les premiers écrivains chrétiens, les « pères de l’église » vont introduire un lien entre les termes « religio » et « religare », qui leur semble davantage conforme à leurs principes (relier au sacré). Le terme de « religion » semble donc déjà tout particulièrement lié à l’histoire de la chrétienté et son utilisation pour qualifier les mythes et croyances d’autres peuples pourrait traduire une vision ethnocentrée du monde. Les peuples du monde ont développé leur propre vocabulaire afin d’évoquer leurs mythes et croyances. Il pourrait s’avérer intéressant d’étudier ce vocabulaire lié aux mythes cosmogoniques afin de mieux comprendre leur portée. Ainsi, étudier le vocabulaire nahuatl utilisé par les Aztèques pour évoquer le mythe de la naissance du soleil nous permettrait de mieux comprendre leur vision des phénomènes cosmologiques.

Pour conclure…

Nous pouvons donc affirmer que le mythe, ayant accompagné l’humanité dans son cheminement à travers l’histoire et le globe, est un patrimoine à portée universelle. Tout peuple a ses mythes et croyances ainsi qu’un vocabulaire spécifique pour les évoquer. L’étude des mythes de manière transversale (histoire, géographie, littérature, psychologie par exemple) nous permet d’en apprendre davantage sur l’être humain. Les mythes ont été utilisés par toutes les cultures et transmis de manière orale ou écrite. Il n’existe pas de région dans le monde qui ne possède pas ses récits mythologiques agrémentés d’un panthéon d’êtres fabuleux qui réalisent des actions hors norme.

  • DE SAHAGÚN Bernardino (Fray), 1577, Historia general de las cosas de Nueva España, Disponible sur https://www.loc.gov/item/2021667837, Consulté le 03/12/2022.
  • D’HUY Julien, 2020, Cosmogonies, la Préhistoire des mythes, Paris, La Découverte, sciences sociales du vivant.
  • LE QUELLEC, Jean-Loïc, 2021, Avant nous le déluge! L’humanité et ses mythes, Bordeaux, Editions du Détour.

1 Comment

  1. Laurine Tisné

    Article très intéressant, bien contruit et très clair. Merci beaucoup ! Pour revenir sur le mythe aztèque, au délà d’expliquer la naissance du soleil, je pense que le sacrifice des divinités servait également de « modèle » aux humains : si les dieux acceptaient de se sacrifier pour que l’humanité prospère, les humains pourraient/devraient en faire autant quand cela serait necessaire (offrandes divines, rites, etc.).

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