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 L’exotisme est-il toxique? L’image culturelle d’un pays autour des expositions internationales

L’art de l’exposition n’entend pas seulement montrer le travail des artistes contemporains. Le contexte politique, social et culturel de chaque exposition, et l’accueil qui lui est réservé sont tout aussi importants. Cet article se propose d’explorer si les expositions internationales fournissent des représentations de l’image culturelle stéréotypées, tel est le cas du Mexique, un pays qui reste enfermé dans l’exotisme. Il s’agira d’envisager quelle image du Mexique est construite à partir de l’exposition Heliotropo 37, exposition consacrée à l’ensemble de l’œuvre de l’artiste mexicaine Graciela Iturbide , figure majeure de la photographie latino-américaine.

Affiche – Graciela Iturbide Heliotropo 37

La création d’espaces latino-américains pour les expositions d’art a une histoire importante.  Pour des nombreux pays, se présenter dans les expositions est une nécessité, tant les enjeux en termes économique, commerciaux ou diplomatiques sont considérables. Les stratégies, fréquemment divergentes, adoptées par les pays sont souvent basées sur des stéréotypes. Dans cet article, nous parlerons plus particulièrement du Mexique, l’un des premiers pays latino-américains à avoir un espace d’exposition d’art en France où il a présenté des photographies de sa glorieuse histoire précolombienne dans une exposition de photographies de ses pyramides emblématiques. Nous vous proposons d’explorer cette nouvelle période d’effervescence artistique et de découvrir si l’art contemporain Latino-Américain continue d’imposer une image exotique, ou bien s’il est en train de créer un nouveau regard international.

Quelle a été la première image que le Mexique a présentée lors de ses expositions en France?

Tout ou long de l’histoire de l’art, il a été nécessaire d’apparaître dans des expositions internationales. Les premières représentations de l’art mexicain étaient souvent idéalisées, sans grand rapport avec la réalité du pays ; telles représentations se conformaient plutôt à un imaginaire inculquée au public occidental à travers une culture littéraire et artistique prégnante, prétendant répondre à ses attentes, réelles ou supposées.

S’y mêlent aussi des considérations d’ordre financier qui encouragent les organisateurs des expositions à rechercher des représentations « exotiques » dont ils savent le succès assuré. En interrogeant leurs stratégies de présentation, on constate à quel point cette ambition les a obligés à construire une représentation d’eux-mêmes, à se mettre en scène, à s’inventer une sorte d’identité et parfois à s’enfermer, plus ou moins volontairement, dans des images stéréotypées difficilement compréhensibles et séduire le public en évoquant les sacrifices rituels des anciens Aztèques.

 Figure 1 : ©L’Exposition Universelle de 1867 Illustrée, Pierre Petit (1831-1909), 1867 photographie 26×33 cm. Archives Nationales .

Par exemple à l’exposition universelle de 1867 (figure 1) à Paris le Mexique a choisi de mettre en scène son histoire précolombienne en présentant « Le temple de Xochicalco » c’est-à-dire un énorme matériel archéologique. Dans l’exposition le stéréotype des Mexicains était souligné. En effet, c’était un véritable succès de curiosité, peut-être dû aussi à une mise en scène spectaculaire qui insiste avec une certaine complaisance sur les aspects les plus sanglants des civilisations préhispaniques, témoignant d’une véritable fascination pour les rituels aztèques et, particulièrement, les sacrifices humains.

Les crânes rangés sous l’architrave, ni les hiéroglyphes bizarres, ni le rideau éblouissant brodé de plumes et qui ferme l’entrée du temple. […] Le cadavre était rejeté, comme chose vile, en bas des degrés du temple pour servir aux festins des cannibales dont tout le monde a entendu parler.

DUCUING, FR., LE TEMPLE DE XOCHICALCO

Le public parisien étaient heureux de renouer les sacrifices humaines dont l’image du Mexique impressionnait les imaginations et les sensibilités avec des images fortes.

Pourquoi il y a-t-il une effervescence de l’art contemporain latino-américain en France ?

L’espace latino-américain dans la diffusion de l’art en France a marqué avec des hauts et des bas mais la réalité contemporaine actuelle montre de plus en plus une effervescence artistique latino-américaine. En effet cet évènement est fortement marqué par une grande population de Latinos en France, cette augmentation d’étrangers pousse l’attention et l’intérêt par la culture Latino-Américaine, dans ce cas le domaine des arts visuels a été l’un des plus valorisés et promus dans les nouveaux espaces d’art et de création. Par exemple l’exposition  » Là où le soleil brûle la peau : la présence des femmes artistes d’Amérique Latine à Art Paris Art Fair 2019 (figure 2)

“ no son todas las que están, ni están todas las que son ”

Figure 2 : Anna Bella Geiger (Brazil, b. 1933) – História do Brasil: Little Boys and Girls, I, II, III, 1975
Photocollage copy on photographic Endora Paper 21 x 20 cm (34 x 33 cm framed)
Courtesy Mendes Wood DM, Collection Catherine Petitgas

Pour l’édition 2019 Art Paris Art Fair a présenté une exploration de l’art de l’Amérique Latine, de 1960 à nos jours, proposant un parcours historique et contemporain de la production artistique de ce territoire aux multiples tensions : artistiques, politiques, existentielles , et de résistance réalisé que par des femmes.

Si les situations locales (dictatures et conditions économiques difficiles en Amérique latine), ou un climat peu favorable, ont pesé en leur temps sur les décisions de départ des artistes.

Frérot, Christine « Art et Amérique latine à Paris : L’Espace latino-américain (1980-1993) »

Frérot fait référence aux artistes de l’Amérique Latine en soulignant les conditions de leurs pays d’origine, cet argument renvoie également aux problèmes sociaux et culturels des artistes latino-américains qui sont contraints de quitter leur pays d’origine afin d’avoir une véritable reconnaissance de leur travail artistique dans le marché international.

La fondation Cartier pour l’art contemporain est-elle le refuge des artistes exotiques?

De nombreuses expositions, tant en province qu’en région parisienne, ont marqué ces dernières années l’art contemporain en Amérique latine. De plus en plus, les événements s’organisent autour de deux axes conceptuels dominants : la politique et l’engagement des artistes d’une part, et les notions de «réalité merveilleuse» ou «d’exotisme» d’autre part, dimensions qui, aux yeux de leurs spectateurs étrangers, imprègnent l’art de ces œuvres, souvent choisies selon ces « critères exclusifs». Parallèlement, il peut arriver que cette vision réduite de l’art d’ailleurs exclue le travail des artistes qui ne répondent pas à ces définitions, tant sur le plan formel que l’intellectuel.  Cependant, il y a aujourd’hui de nouveaux espaces qui proposent des expositions à des artistes du monde entier, connus ou inconnus.

Tel est le cas de la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris, qui vise à découvrir, accompagner et promouvoir la création artistique contemporaine internationale par des expositions monographiques et thématiques, l’organisation de spectacles et de concerts, la publication de livres et de catalogues, et la constitution d’une collection d’œuvres d’art. Cette espace est pluridisciplinaire a notamment contribué de manière significative à la promotion des artistes africains et latino-américains, telle est le cas de l’artiste mexicaine Graciela Iturbide (voir la vidéo 1) qui a presenté sont travail à la Fondation Cartier.

Vidéo 1: Du 12 février au 29 mai 2022, la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente « Heliotropo 37 ». Pour cette véritable exposition portrait, l’artiste a ouvert les portes de son studio au 37 calle Heliotropo à Mexico.

Les apparences ne déçoivent pas, Il n’est pas nécessaire d’inventer un créateur, mais nous avons besoin d’un narrateur.

Graciela Iturbide

Quelle image du Mexique est construite par l’exposition Heliotropo 37 de l’artiste Graciela Iturbide ?

L’exposition représente le moyen de communication artistique le plus ancien celui qui rencontre le plus vif succès mais demeure paradoxalement le plus équivoque aux yeux du public. Des artistes des critiques et des récepteurs des messages visuelles pour promouvoir la circulation de la culture ainsi que la célébration et le progrès des artistes. L’art de l’exposition a la mission des échanges intellectuelles artistiques et surtout culturelles êtres pays.

Vidéo 2 : Catalogue de l’exposition Graciela Iturbide, « Heliotropo 37 »

La Fondation Cartier pour l’art contemporain a présenté Heliotropo 37 (voir la vidéo 2) de l’artiste mexicaine Graciela Iturbide , figure emblématique de l’art contemporain en Amérique latine. Cet ouvrage rassemble plus de 200 photographies parmi les plus emblématiques de 50 ans de création de symboles ; depuis ses premières séries, des images de groupes indigènes, du peuple Nahua de la Sierra Norte de Puebla au peuple Seri du désert de Sonora,  jusqu’à l’une de ses œuvres les plus récentes « Le bain du Frida Kahlo ».

Lauréate du prix Hasselblad en 2008, la plus haute distinction photographique, la photographe, qui s’apprête à fêter son 80e anniversaire, assure qu’il faut deux choses pour être un bon photographe: «de la passion et de la discipline, rien de plus».

LE FIGARO 2022
Vidéo 3 : Graciela Iturbide, Notre-Dame du noir & blanc • RFI

Graciela Iturbide est une photographe et artiste mexicaine qui a conquis le cœur et l’esprit du public du monde entier ( voir la vidéo 3) avec ses images magnifiques et évocatrices des communautés autochtones du Mexique . Malgré l’admiration généralisée pour le travail d’Iturbide en France, leur travail artistique a également fait l’objet de critiques pendant ces expositions. Les dernières critiques après l’exposition Heliotropo 37 à Paris affirment que ses photographies ont seulement un caractère étrange ou surréaliste et ils traitent comme des objets les personnes qu’elle dépeint, «les indigènes » les réduisant à des stéréotypes et perpétuant des notions nuisibles d’altérité par exemple, les photos de la fête populaire de Chalma, où les Mexicains se déguisent en Jésus pour aller à l’église. (figure 3 ). Ces critiques argumentent que les photographies d’Iturbide devraient être, ainsi, considérées comme des exemples de réalisme magique, qui évoquent toujours sa culture préhispanique et la culture de la mort qui les hante et les enchante (figure 4) tandis que d’autres ont contesté cette interprétation.

Figure 3. Graciela Iturbide Cristo, 1990 Chalma, Estado de México.
Figure 4 : Twitter « Au Mexique, la mort se cultive autant qu’elle se pleure, on en joue, on y fait face à travers des rituels sophistiqués, ancrés dans des systèmes culturels ancestraux. » – « Heliotropo 37 » par Durand Jean-Marie (@jmddurand) / Twitter

Conclusion

Les expositions ont le pouvoir de changer l’interprétation de l’œuvre d’Iturbide au fil du temps. Les espaces d’exposition qui n’utilisent pas les œuvres d’art comme un attirance exotique pour assurer le succès, mais plutôt pour montrer une diversité de cultures, comme c’est le cas de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, ne peuvent pas modifier le fantasme exotique du Mexique, qui a commencé avec la première exposition avec la présentation des pyramides préhispaniques. Le regard international peut fournir de nouvelles perspectives et de nouveaux contextes pour ses photographies, et peut remettre en question les récits et les représentations dominants.

L’image du Mexique est restée stéréotypée et les œuvres d’Iturbide ont été qualifiées d’exotiques par les spectateurs internationaux, probablement parce qu’elles sont toutes en noir et blanc ou parce qu’elles ont capturé la vie de indigènes, puisque « être indigène est toujours synonyme d’exotique dans le regard occidental », alors qu’elle a toujours décrit ses œuvres comme des œuvres poétiques qui cherchent à raconter des histoires quotidiennes sans chercher à atteindre un style particulier. Finalement on peut dire que les expositions internationales préservent-elles une image exotique qui est en train de se deconstruir par rapport à la réalité.

Références :

Castro Brunetto Carlos Javier.,15 septembre 2021, El prestigio de Francia en la vida artística y social de Santa Cruz de Tenerife (1850-1900), Journals Open Edition.

Cheroux Clément.,2019, La Voix Du Voir Les Grands Entretiens De La Fondation Henri Cartier-Bresson, Print.

Delfoline Karine., 2021, Exposition Photographique : Du Cœur à L’ouvrage : Dans L’intimité Du Travail Des Archéologues, Nouvelles De L’archéologie.

Frérot Christine .,2014, Art et Amérique latine à Paris , L’Espace latino-américain (1980-1993) , Artelogie.

Hegewisch Katharina, Noemi Smolik, Ekkehard Mai, and Denis Trierweiler., 1998, L’art De L’exposition Une Documentation Sur Trente Expositions Exemplaires Du XXe Siècle.

2 Comments

  1. Jennifer Samanta Bautista Machado

    Une réflexion très intéressante ! Merci Itzel pour nous inviter à re-penser la construction des espaces d’exposition et leur impact sur la perception des œuvres artistiques de notre Améfrique Ladine. Des oeuvres qui restent, comme tu l’as dit, vues comme « exotiques » ou même « sauvages ». Il va falloir continuer d’exposer ces organisations qui sont devenues des industries d’art et de privilégier celles qui offrent des espaces d’exposition libres de préjugés.

  2. maryneg

    Un article qui nous invite à repenser les idées préconçues dont la circulation est favorisée par des organisations culturelles et artistiques. L’enfermement dont il est fait mention dans l’abstract de l’article montre bien la limitation de ces visions. Cette réflexion est une opportunité qui nous appelle à ne passer à côté de tous les autres aspects qui font la richesse culturelle du pays et qui sont invisibilisés par le concept « d’exotisme ».

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