Mais oui ! Dès la moitié du XVIe, ils ont réussi à coloniser les îles Philippines, un archipel très riche par sa diversité culturelle, mais à la fois très sauvage. Une confrontation à laquelle les missionnaires espagnols ont dû faire face.
Pour en savoir plus, je vous invite à prendre part au voyage de quelques religieux espagnols qui sont partis en 1698 aux îles philippines. Prêts à embarquer ?

Les Philippines sont un archipel constitué de plus de 7 000 îles qui se situent dans le continent asiatique, plus concrètement dans l’océan Pacifique, entre la Chine et le continent américain. Dans l’archipel, on distingue trois zones géographiques majeures : Luçon, Visayans et Mindanao.
Cet archipel a été découvert par les espagnols en 1521 par à Fernando de Magallanes, mais ce n’est qu’en 1571 que Miguel López de Legazpi, un aventurier portugais qui voyageait sous le drapeau espagnol, réussit à coloniser une petite partie de l’archipel.
Cette première colonisation sera l’ouverture qui permettra aux troupes espagnoles de s’étaler sur l’ensemble de l’archipel pendant leur domination. Cette domination durera à peu près trois siècles, jusqu’en 1898. Dès le début de la colonisation espagnole, se créé La Capitainerie générale des Philippines qui ne comprend pas seulement les îles philippines, mais aussi les îles Mariannes, les îles Carolines, Guam et Palaos, ainsi que certaines îles de Micronésie. Cette capitainerie restera néanmoins rattachée à la Nouvelle Espagne, l’actuel Mexique, pour ce qui est du domaine économique.
Manille est la capitale et aussi un lieu important pour les rencontres culturelles, puisque pendant la domination espagnole la ville possède un grand pouvoir en se transformant en centre commercial entre les commerçants espagnols, chinois et japonais.
Une destination attrayante
Ce voyage est l’une des nombreuses missions des religieux qui partaient de la Péninsule ibérique et arrivaient aux Philippines pour apporter du soutien aux effectifs espagnols. Environ trente-neuf religieux dominicains participent à cette mission et partent de Cadix, le 22 juillet de 1698, pour arriver finalement à Manille, le 20 septembre de 1699.

Le voyage aux Philippines depuis l’Espagne n’était pas une chose simple, d’un part par la durée du voyage, qui était de quinze mois puisque à ce moment-là une traversée directe Espagne-Philippines n’était pas envisageable un arrêt de quelques mois en Nouvelle Espagne s’imposait et, d’une autre part, par la difficulté de naviguer dans certains océans.
Ce voyage était le troisième organisé par le père Francisco Villalba, où il répondait aux besoins d’hommes de la Couronne espagnole, car ils manquaient d’effectif pour imposer sa domination par la force et ils avaient besoin de religieux pour le faire à travers l’évangélisation.
Malgré les nombreuses missions d’évangélisation menées dans cet archipel, et une colonisation qui durera pendant trois siècles, la présence des espagnols a toujours été inférieure. Les études de recensement faites sur la population vers l’année 1 700 sont un exemple qui nous permet de nous rendre compte de cette minorité : ils estiment qu’il y avait 7 000 Espagnols (originaires d’Europe ou d’Amérique), contre 30 000 Chinois, contre 300 000 autochtones.
Toutefois, ces données rendent compte des échanges culturels, bien réels et présents dans tout l’archipel. D’autre part, les Espagnols ont duû miser sur ses échanges, d’un point de vue tactique, afin de gagner les soutien de certaines tribus et ainsi pouvoir établir leur domination. C’est donc une fois arrivés aux îles Philippines que les religieux espagnols ont eu à faire à ces « multi-confrontations », étant donné la grande diversité culturelle qu’abritait l’archipel. N’ayant pas été destinés aux mêmes missions, on peut distinguer 3 grandes destinations, la zone nord et centrale, la zone du Sud et la Chine.
Premier arrêt : la zone nord et centrale de Luçon
Les religieux se sont centrés sur l’évangélisation et l’administration des territoires les plus éloignés et hostiles, très riches en terres agricoles et que possédaient une grande diversité d’ethnies autochtones. Dans ces ethnies, nous y retrouvons deux grands groupes : los negritos dans la zone plus basse et los igorrotes dans les zones montagneuses. Los negritos est le nom que les Espagnols leur avaient donné à cause de leur similitude avec les Africains, cette ethnie d’origine austronésienne englobe dos tribus : les aeta et les atis. Los igorrotes est le nom qu’avaient donné les Espagnols à tout l’ensemble de tribus : ifugaos, kalingas, bayack entre autres. Ils se cachaient dans les montagnes, loin des influences chrétiennes et musulmanes, et ont été les protagonistes de plusieurs conflits avec les espagnols puisqu’ils ont refusé de se soumettre à eux.
Dans cette zone, la mission principale des religieux était de s’adapter et de s’intégrer d’une certaine façon aux cultures déjà existantes pour pouvoir prêcher leur religion et ainsi établir des liens avec les tribus pour les coloniser d’une façon moins violente.

Deuxième arrêt : la zone sud de Luçon
Dans la zone du sud, les religieux ont été confrontés à une diversité culturelle différente, puisque la majeure partie du groupe était destinée à la région de Manille et ses alentours. C’est justement dans cette zone qu’il y avait la plus grande diversité culturelle. Il y avait également la présence de tribus autochtones, telles que les igorrotes ou les tagalog, cette dernière a donné son nom à la langue la plus parlée actuellement dans les îles. D’un autre coté, il y avait la plus grande concentration des troupes espagnoles (péninsulaires et américaines) et, près de la capitale, il y avait aussi la plus grande communauté de commerçants chinois installés aux Philippines.

Tout cela sans oublier que ces territoires étaient islamiques avant l’arrivée des Espagnols, il restait donc encore quelques traces de cette religion. À tout cela, il faut ajouter que cette coexistence des cultures donne lieu à l’apparition des métissages, tels que les métisses de sangley (Espagnols et Chinois) ou les métisses d’Espagnols (autochtone et Espagnols).
Un exemple de cette diversité sont les missions de Juan de Toro, qui avait été envoyé au collège de Saint-Thomas de Manille, où il côtoyait une sphère plus élitiste composée par les péninsulaires et les Américains, les métisses d’Espagnols et les Philippins. Un autre exemple sont les missions de Jacinto de Luna, destiné au Parian, le quartier des sangleyes, commerçant chinois, un quartier qui a toujours provoqué beaucoup de tensions avec les Espagnols et où il y a eu beaucoup de révoltes du peuple chinois à cause de l’interdiction qu’ils subissaient de réaliser leurs rites.
Néanmoins, il a toujours existé cet intérêt commun d’entente entre les Espagnols et le chinois, pour continuer les activités commerciales.
Terminus : la Chine
La troisième destination concerne un petit groupe de trois religieux, qui devaient aller en Chine puisqu’ils étaient destinés à l’évangélisation de la religion chrétienne dans les pays non-catholiques. Ces trois religieux sont partis en destination du royaume de Tun-king, un royaume que je n’ai pas trouvé, mais qui pourrait faire référence au golf de Tonkin (qui se trouve aux côtés de la Chine et du Vietnam). Même si pour l’instant, il est difficile d’établir physiquement la destination finale, nous pouvons affirmer que Thomas Sextri et Batolome Sabuquillo avait voyagé jusqu’aux Philippines et que, de là, ils se sont embarqués dans plusieurs voyages pour arriver a leur destination finale. Tout d’abord, ils se sont arrêtés en Indonésie et en Malaisie, où ils ont dû échanger avec d’autres cultures, différentes à celles des îles philippines. Nous pouvons affirmer également que ces trois religieux ont profité de leurs échanges avec les sangleyes des Philippines pour se former dans la langue chinoise pour mieux prêcher la foi chrétienne.
Des confrontations multiculturelles qui durent encore aujourd’hui
Nous pouvons donc affirmer l’importance qu’ont eu les ordres religieux pour que la colonisation espagnole ait été possible dans le continent asiatique. Un continent avec une grande histoire pré-coloniale, qui s’est ensuite transformé en une richesse culturelle qui a perduré au fil du temps, même après la domination espagnole. Tout cela nous pouvons le constater dans l’actualité puisque, malgré le passage des espagnols dans l’archipel, les autochtones ont gardé beaucoup d’anciennes langues. Les espagnols, contrairement à la colonisation qu’ils ont mené en Amérique, ne prêchaient pas la foi en imposant langue la langue espagnole aux Philippines. La seule imposition qu’ils avaient fait était la pratique de la religion chrétienne, ce qui explique la conversation de beaucoup de ces langues anciennes. Un autre point qui nous montre cet échange culturel est que, même aujourd’hui, les îles philippines sont le seul pays chrétien d’Asie, environ 80 % de la population est chrétienne. De plus, avant que l’archipel obtienne son indépendance, moins de 60 % de la population parlait l’espagnol, ce qui montre cette intentionnalité de la part de religieux de s’intégrer aux cultures autochtones pour mieux échanger.
Bibliographie :
- Álvarez del Manzano, B., 1895, Compendio de la reseña biografica de los religiosos de la provincia del Santisimo Rosario de Filipinas desde su fundación hasta nuestros dias, Manille : Real Colegio de Santo Tomás.
- Salazar, V., 1742, Historia de la provincia del Santisimo Rosario de Filipinas, China y Tunkuin, de el sagrado orden de predicadores : tercera parte, en que se tratan los sucessos de dicha Provincia desde el año de 1669 hasta el de 1700, Manille : Real Colegio de Santo Tomás.
- Ocio, H., 1895, Reseña biográfica de los religiosos de la provincia del Santísimo Rosario de Filipinas desde su fundación hasta nuestros días, Manille : Real Colegio de Santo Tomás.
- Folquer, C., 1715, Relación verdadera del viaje de España a Filipinas, de las virtudes y muerte del R. P. Lector Fr. Thomás Tocho, hijo del real convento de N. P. Santo Domingo de la ciudad de Palma. [manuscrit]
Pas déçue de ce « Tour du monde en 80 jours » revisité ! Une autre facette de la colonisation espagnole, celle menée aux Philippines, une ancienne colonie souvent oubliée. Sympa de s’intéresser aux échanges culturels !