La présence de la communauté mudéjare dans la péninsule ibérique présente une série de problèmes de résistance, d’assimilation et de coexistence dans les royaumes chrétiens (fig.1). Mais, avant de commencer, savez-vous ce que signifie le mot mudéjar? Mudéjar est le terme par lequel sont connus les musulmans qui sont restés dans les territoires conquis d’Al-Andalus par les chrétiens.

Maintenant, la question est : dans quelle mesure la religion a-t-elle influencé la cohabitation ? Y avait-il vraiment une cohabitation entre les deux groupes religieux ?

La Reconquête espagnole

Pour mieux comprendre la relation entre chrétiens et musulmans, il faut revenir sur la Reconquête, période à laquelle les royaumes chrétiens se sont battus contre les musulmans d’Al-Andalus pour reprendre le contrôle de toute la Péninsule. 

En 711, les musulmans, dirigés par Tariq ibn Ziyad, traversèrent le détroit de Gibraltar et en quelques années, presque toute la péninsule passa sous la domination musulmane. Durant les deux siècles suivants, la culture musulmane eut une grande influence sur la péninsule. Cependant, alors que des conflits internes fragilisaient les royaumes musulmans, les royaumes chrétiens s’unissant les uns aux autres et consolidaient leur influence.

L’an 722 marque la première victoire des chrétiens lors de la Bataille de Covadonga, menée par le roi Pelayo. C’est à ce moment-là que commença la Reconquête, jusqu’à ce qu’elle se termine en 1492 avec la conquête du Royaume de Grenade par les Rois Catholiques (fig. 2).

La Reconquête fut une longue période d’affrontements. Les communautés chrétiennes et musulmanes ont cependant cohabit pacifiquement. Partageant le même espace et échangeant tant au niveau commercial que culturel.

La Méditerranée médiévale, espace d’échanges et de conflits

La « vie » d’une minorité religieuse: l’origine et l’évolution des mudéjars

Lorsque les chrétiens ont commencé leur conquête dans les territoires d’Al-Andalus, il y avait des musulmans qui ont émigré vers les royaumes andalous, tandis que d’autres ont décidé de rester. Ceux qui sont restés ont été officiellement autorisés à vivre librement sur leurs terres, à pratiquer l’islam, à utiliser leur propre langue et à conserver leurs coutumes. Ce sont les mudéjars (fig. 3). En échange, ils devaient obéir au roi et payer des impôts fixés par les capitulations.

Au début, les chrétiens ont accepté que les mudéjars habitent dans les royaumes chrétiens pour deux raisons : ils craignaient de perdre le contrôle de ces vastes territoires récemment conquis, et en plus, ils avaient besoin de gens pour travailler ces terres. Les mudéjars produisaient un grand bénéfice à ces royaumes puisque la plupart d’entre eux étaient des agriculteurs. Généralement, c’étaient des gens humbles qui se consacraient à l’agriculture, à la maçonnerie et à la menuiserie.

Cependant, au fil du temps les mudéjars devenaient une minorité de plus en plus petite comparée à la chrétienne, de sorte qu’ils n’avaient plus besoin de leur aide. En outre, ils se toléraient de moins en moins et la haine entre les deux communautés augmentait.

Les mudéjars se trouvaient dans un état social, politique et juridique inférieur à celui des chrétiens. Ils en étaient conscients, mais c’était le prix à payer pour pouvoir continuer à pratiquer librement leur religion.

La chronologie de la présence mudéjare dans la péninsule ibérique couvre de 1085 avec la conquête de la Taifa de Tolède par Alfonso VI, jusqu’en 1502 quand ils ont été forcés de se convertir au christianisme par des « édits de conversion forcée » en les transformant en morisques.

Quelles mesures les chrétiens utilisaient-ils pour la cohabitation ?

Au Moyen Âge, des mesures ont été prises pour faciliter et favoriser la cohabitation avec les mudéjars. Ces mesures ont été menées à travers des lois, des discriminations, des obligations et/ou des interdictions pour réglementer la cohabitation entre les différentes cultures, mais plutôt en faveur des chrétiens. Les mudéjars avaient moins de droits, par exemple, un crime commis par un mudéjar était puni plus sévèrement que s’il avait été commis par un chrétien.

L’une des conditions que les chrétiens avaient pour permettre aux mudéjars de pratiquer leur religion était le paiement des impôts. Au XVe siècle, ils étaient obligés de porter un signe de demi-lune sur leurs épaules pour les différencier. Ils avaient également des limitations professionnelles et ils étaient forcés de vivre dans des quartiers séparés appelés quartiers maures, en les discriminant de la société.

Les limites des quartiers maures ont varié tout au long du Moyen Âge en fonction de l’évolution historique, de la démographie et des conditions de vie de chaque lieu. Aux premiers siècles, les quartiers maures étaient situés dans des forteresses abandonnées ou à la périphérie de la ville entourée de murs.

Cependant, beaucoup d’entre eux ont fini par traverser ces murs pour rejoindre le noyau chrétien ou juif en raison du manque d’espace dans les quartiers maures. Au XVe siècle, lorsque la législation royale fut de nouveau appliquée, on leur accorda de nouvelles terres où ils pouvaient rassembler tous les mudéjars de la ville (fig. 4).

Il y a eu beaucoup de débats pour savoir si le regroupement des mudéjars en quartiers maures était à leur propre demande ou imposé par les monarques. S’il a été imposé par ces derniers, il est également débattu s’il s’agissait de contrôler les mudéjars ou de les protéger puisqu’ils généraient de grands bénéfices pour les royaumes chrétiens.

A partir du XVe siècle, les restrictions s’accroissent de plus en plus jusqu’à finalement conduire à la conversion forcée de 1502, en les transformant en morisques.

À quel point la religion était-elle importante dans les royaumes chrétiens ?

L’un des objectifs des chrétiens avec cette conquête était de défendre et d’étendre la foi chrétienne. C’est alors que le concept de guerre sainte arriva sur la Péninsule, à ce que les chrétiens répondirent par les croisades organisées par le Pape depuis Rome, légitimant la Reconquête.

Le modèle sociologique des royaumes chrétiens était celui de la religion chrétienne en tant que dominante, et deux minorités religieuses acceptées ou « tolérées ». On admettait l’existence des autres religions, mais l’oppression était toujours utilisée pour montrer sa supériorité.

À la fin du XVe siècle, naît une époque où les royaumes chrétiens voient la nécessité d’exercer un pouvoir centralisé et autoritaire. Ils cherchaient l’homogénéité idéologique de leurs citoyens. De cette façon, ils pourraient avoir toute la population unie pour un plus grand contrôle sur eux.

Avec les Rois Catholiques au pouvoir, le désir de l’unification religieuse augmenta. Ils décidèrent de forcer tous les musulmans et les juifs à se convertir au christianisme ou à quitter le royaume (fig. 5). Cette conversion forcée a été vue sous deux angles différents. Tandis que les musulmans et les juifs voyaient cela comme une injustice de la part des royaumes chrétiens, ces derniers voyaient que c’était un processus nécessaire pour l’unification religieuse.

L’histoire médiévale dans ce cas, préfère remplacer la dure réalité par un mythe, dans laquelle se montre une cohabitation harmonieuse des trois religions qui a pris fin parce que les deux autres religions « n’ont pas accepté ou compris leur conversion à la vraie religion ».

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Conclusions

La présence des différentes communautés religieuses dans la péninsule ibérique occupe une place prépondérante dans l’histoire médiévale de l’Espagne. Cette histoire a souvent été présentée comme un exemple de cohabitation pacifique entre les groupes religieux. Cependant, la cohabitation entre ces communautés a été romancée car elle n’était pas vraiment aussi pacifique et harmonieuse, mais c’était plutôt la prédominance du christianisme sur les autres communautés.

En conclusion, il était évident qu’il y avait un problème de cohabitation pour les chrétiens et les musulmans. La raison qui a causé la marginalisation des mudéjars était la religion, car cela leur empêchait de s’intégrer aux chrétiens. Toutefois, la relation qui existait entre le peuple chrétien et musulman avait ses aspects pacifiques. Ils étaient liés car ils devaient commercer entre eux car la plupart des mudéjars étaient des agriculteurs et des maçons. Il y avait même des relations matrimoniales entre musulmans et chrétiens. 

Cependant, au fil du temps, la couronne a fait de son mieux pour éloigner les chrétiens des mudéjars car ils avaient peur que ces derniers les influencent dans leurs croyances religieuses. En fait, ils ont commencé à les voir comme une menace pour la religion chrétienne. Et c’est alors qu’ils ont décidé de les forcer à se convertir au christianisme ou à quitter définitivement le territoire chrétien. On voit comment la « vie » des mudéjars se limitait à une certaine période. Cependant, il ne devrait pas être omis de l’histoire car il était une preuve évidente qu’il y avait une coexistence entre chrétiens et musulmans.

On voit alors des preuves que les musulmans et les chrétiens pouvaient initialement vivre sous le même pouvoir politique, bien qu’avec des lois différentes et des discriminations, on doit donc parler de coexistence plutôt que de cohabitation. De cette façon, on voit que la cohabitation pacifique de ces deux communautés était plus un mythe qu’une réalité. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Bibliographie

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