Thierry Cardoso

Thierry Cardoso est médecin épidémiologiste. Il est responsable des unités Petite Enfance / Enfants et jeunes de la Direction de la prévention et de la promotion de la santé, Santé Publique France. Ses thématiques de recherches portent sur les interventions basées sur la Pleine conscience, applications et perspectives en Santé publique ainsi que la naissance et la parentalité en Pleine conscience.

Réduire les inégalités sociales de santé dès la période des 1000 premiers jours. S’appuyer sur les connaissances pour répondre à un enjeu sociétal
En France, les inégalités sociales et territoriales de santé (ISTS), constituent un véritable défi. Leur existence, leur persistance et leur reproductibilité d’une génération à l’autre sont largement documentées. Celles-ci se sont accrues depuis 10 ans et la crise sanitaire actuelle a tendance à les renforcer. Elles se mettent en place dès la grossesse et s’installent durablement lors la petite enfance. La mobilisation en faveur de la santé des enfants relève d’une responsabilité sociétale.
Accompagner le développement du jeune enfant en améliorant les environnements et en intervenant précocement constitue un levier puissant de réduction de ces inégalités. « les efforts ciblés visant à rompre ou à perturber les cycles intergénérationnels négatifs qui sont créés par des inégalités d’ordre sanitaire ou contribuent à celles-ci [..] permettront de promouvoir le développement de jeunes qui soient en bonne santé, sûrs d’eux, compétents sur le plan social et se sentant sécurisés dans leurs relations, et qui, à leur tour, créent, en tant que parents, grands-parents et tuteurs, les conditions propices à l’avènement de générations futures en aussi bonne santé. » OMS. Les Nations Unies reconnaissent la puissance de cette période dans la perspective d’une transformation du monde vers un avenir plus durable[1].
Santé publique France s’est, dès sa création, engagée pour la promotion de la santé et la prévention dans le champ de la périnatalité et de la petite enfance, mettant ainsi son programme en cohérence avec les recommandations de l’OMS et des Nations Unies. Cette attention particulière portée à la grossesse et la petite enfance s’accorde également en France aux priorités spécifiques à la politique de santé de l’enfant, de l’adolescent et du jeune de la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022[2]. Elle est également en lien avec les mesures gouvernementales annoncées à la suite des travaux de la commission des 1000 premiers jours, installée par le président de la République en 2019.

Martine Court

Martine Court est maîtresse de conférences en Sociologie à l’UFR Psychologie, Sciences sociales, Sciences de l’éducation, Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive LAPSCO, Université Clermont Auvergne. Ses recherches sont consacrées à la socialisation au cours de l’enfance. Elle étudie notamment les processus à l’œuvre dans la construction des différences de classe et de genre à cet âge de la vie.

La socialisation culturelle des jeunes enfants :
entre recomposition des inégalités et maintien de la distinction
Depuis les années 1980, les inégalités entre les classes en ce qui concerne la socialisation culturelle des jeunes enfants ont connu des transformations importantes. En lien notamment avec l’allongement des scolarités parentales, des pratiques telles que la lecture d’histoires à voix haute, les visites culturelles, ou l’inscription des enfants dans des activités de loisirs encadrées ne sont plus aujourd’hui l’apanage des classes moyennes et supérieures bien dotées en capital scolaire, mais s’observent aussi dans une partie des classes populaires. Pour autant, cette évolution n’est pas synonyme d’uniformisation. Les changements qui affectent les pratiques éducatives des parents dans certaines fractions des classes populaires s’accompagnent d’un maintien voire d’un renforcement de l’apprentissage de la distinction culturelle dans le haut de l’espace social. En se fondant sur une enquête récente réalisée auprès de familles d’enfants de cinq ans appartenant à des milieux sociaux diversifiés, cette conférence analysera ce double phénomène, et proposera des éléments de discussion sur la recomposition des inégalités culturelles au cours de la prime enfance.

Nicoletta Diasio

Nicoletta Diasio est socio-anthropologue et chercheuse au Laboratoire Dynamiques Européennes DynamE, Université de Strasbourg. Elle est également directrice de la Revue des Sciences Sociales. Ses thématiques de recherches sont à la croisée de la sociologie du corps, des âges, des genres et des générations. Ses recherches ont un intérêt tout particulier pour les thématiques de l’enfance et l’adolescence.

Pouvoirs de la ressemblance
Le moment qui va de la conception aux premières années de l’enfant occasionne une production intense de discours sur les ressemblances : le couple qui s’évertue à imaginer ce que sera l’enfant ; les conseils sur les conduites à tenir pendant la grossesse ; les techniques de visualisation qui permettent à partir d’indices minuscules, de la forme du nez à la manière de bouger, d’inscrire le fœtus dans une généalogie et de le rendre déjà singulier. Qui n’a pas connu ces paroles échangées au-dessus d’un couffin où on essaye de déceler chez l’enfant ses similitudes (et attachements) aux différents membres de la parenté ? Ou encore les premières promenades avec bébé, avec amis, parents ou connaissances qui se penchent sur la poussette et demandent « de qui il tient » tel ou tel caractère. Ces « bavardages » autour du corps enfantin ne sont qu’apparemment anodins : ils constituent une de nos modalités de fabrication progressive de la personne et de son intégration à la communauté des humains. Ils répondent à des questions ontologiques et sociales fondamentales : « qui suis-je ? », « à qui j’appartiens ? », « quels sont les contours de cette appartenance ? » et « qui es-tu pour moi pour décider qui je suis ? ». Repérer les traits communs entre les individus revient non seulement à les apparenter, mais à les inscrire dans une généalogie et des groupes à géométrie variable incluant les vivants et les morts, les proches et les lointains. Cette intervention interroge la fascination pour les ressemblances familiales ainsi que leur rôle dans la dynamique d’emparentement et dans la fabrication d’une nouvelle personne. A partir d’une recherche anthropologique menée en Italie et en Pologne depuis 2002, la contribution récuse l’idée de ressemblance comme relevant de la seule naturalisation du lien familial, d’un ordonnancement des rapports d’âge, de genre ou de génération ou d’effets mimétiques issus de rapports affectifs ou de care. Tous ces éléments sont biens présents, mais leur articulation et leur caractère immanent, processuel et intersubjectif nous semblent à explorer de manière plus diffuse.

Richard Ménard

Richard Ménard est un chercheur en qualité de l’air à Environnement et Changement Climatique Canada. Depuis près de 10 ans, il travaille en collaboration avec Santé Canada où ses cartes de pollution sont utilisées dans des études de cohortes pour établir des liens entre la santé et la qualité de l’air. Ses travaux ont aussi permis d’évaluer son impact sur la santé des enfants. Récemment, il a rejoint un groupe d’experts de l’Organisation Météorologique Mondiale pour développer un réseau opérationnel de suivi de la qualité de l’air à l’échelle mondiale.

L’environnement et la petite enfance.
Dépistage de la pollution atmosphérique et ses effets sur la santé et le développement des bébés
Le Canada a été l’un des pionniers à mettre en place un modèle météo-chimique de la prévision de la qualité de l’air en temps réel, sur tout le continent Nord-Américain, un peu comme les météorologues le font pour la prévision du temps. En le combinant avec le réseau de surveillance de la qualité de l’air mise en place sur le continent Nord-Américain, depuis plusieurs décennies, il est possible d’améliorer la qualité des prévisions des modèles et de donner une portée beaucoup plus grande aux observations faites par le réseau de surveillance. En suivant les familles par leurs adresses postales et connaissant la distribution géographique des polluants atmosphériques, il est alors possible de connaitre l’exposition aux polluants ambiants sur des périodes de temps considérables. Ceci a donné suite à de nombreuses études épidémiologiques sur les effets de la pollution atmosphérique ambiante sur la santé humaine.
En collaboration avec le Dr François Reeves, Cardiologue clinicien, affilié au Département de santé environnementale de la Faculté de Médecine de l’Université de Montréal et auteur du livre Planète Cœur, ainsi que Dr Teresa To, chercheure au Toronto Hospital for Sick Children, nous présentons en revue les évidences médicales, les pathologies liées aux nano-agresseurs chimiques que nous respirons, et les résultats d’études épidémiologiques des effets de la pollution atmosphérique sur la santé humaine. Les bébés sont encore plus assujettis à ces agresseurs environnementaux que leur rapport surface sur volume est plus grand que chez l’adulte. Grace à des informations supplémentaires de cohortes de bébés et questionnaires sur leur santé s’échelonnant sur plus de 5 ans, nous allons aussi exposer les résultats des effets de la pollution atmosphérique sur le développement de l’enfant, du fœtus à l’âge scolaire.

Julie Poissant

Julie Poissant, spécialisée dans le champ de la petite enfance, travaille comme professeure aux départements d’éducation et formations spécialisées à l’Université du Québec à Montréal. Ses thématiques de recherches sont liées aux inégalités sociales de santé et couvrent la période de la conception à 8 ans. Son projet de recherche actuel porte sur les moyens pour favoriser l’implication parentale dans la réussite éducative des élèves de milieux défavorisés en maternelle 4 ans.

Intervenir pour l’équité en santé dès la petite enfance grâce à des ingrédients clés
Avant même la naissance, les enfants n’ont pas les mêmes possibilités d’atteindre un état de santé et de développement optimal. Par ailleurs, c’est durant la petite enfance que s’établissent les fondations requises à la santé, au développement ainsi qu’aux apprentissages et aux compétences qui serviront tout au long de l’existence. Cette période, entre la conception et 8 ans, représente donc une fenêtre d’opportunité à saisir pour la lutte aux inégalités sociales de santé (ISS). Or, l’intervention pour réduire les ISS n’est ni simple ni univoque et passe nécessairement par la mise en place d’actions audacieuses, délibérées et concertées. À partir d’exemple d’interventions françaises, québécoises et internationales, les ingrédients clés nécessaires aux actions préventives pour l’équité en santé seront présentés et discutés.

Lukas Rass-Masson

Lukas Rass-Masson est spécialisé en Droit privé et sciences criminelles. Il enseigne à l’Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé (IRDEIC), Université Toulouse Capitole. Son travail de recherche doctoral s’est intéressé aux fondements du droit international privé européen de la famille.

La petite enfance en droit international privé
La petite enfance soulève des spécificités auxquelles le droit international privé, cette branche du droit applicable aux relations juridiques qui concernent au moins deux pays, ne saurait rester indifférent. Le droit international privé a ainsi besoin d’identifier les besoins particuliers en matière de petite enfance, que ce soit pour connaître les conditions du bien-être des jeunes enfants ou pour prévenir les risques d’atteinte au bien-être de ceux-ci. Ce n’est qu’une fois que ces enjeux spécifiques sont identifiés qu’il est possible de concevoir la manière dont il faut adapter le droit international privé face aux spécificités de la petite enfance. Cette adaptation se fait aussi bien au regard de l’élaboration des règles juridiques applicables qu’au regard de la bonne réalisation de ces règles, notamment par le juge et les pouvoirs publics. La difficulté de l’internationalité de la petite enfance implique alors, pour assurer une protection efficace de la petite enfance, de coordonner l’action internationale des autorités. Il est donc nécessaire de poser le cadre permettant une coopération internationale satisfaisante, d’une part, entre autorités publiques, mais aussi, d’autre part, entre les autorités publiques et les acteurs privés, qu’ils soient associatifs ou interviennent à titre individuel. Ce n’est qu’à condition de bien coordonner l’action internationale de tous ces acteurs, autour de règles juridiques adaptées aux spécificités de la petite enfance, que la petite enfance sera adéquatement prise en compte par le droit international privé.

Régine Scelles

Régine Scelles est psychologue clinicienne et professeure de Psychopathologie. Elle est rattachée au Laboratoire Clinique Psychanalyse Développement CLIPSYD, Université Paris Nanterre. Ses thèmes de recherches portent sur l’éthique et la déontologie, la psychopathologie du bébé et de l’enfant, les familles et la psychopathologie des liens ainsi que les relations entre enfants et le handicap.

Un enfant pas comme les autres dans la fratrie :
les déficiences vécues en groupe à hauteur d’enfants de 0-6 ans
L’enfant dès sa naissance se construit en identification aux figures parentales et dans un processus complexe d’identification/différenciation avec ses frères et sœurs. L’enfant déjà né ou qui vient de naitre regarde, touche ses frères et sœurs à la manière des enfants bien sûr et il est  influencé dans cette dynamique relationnelle par  le regard des parents sur chacun des membres de la fratrie. Aussi, ce que les enfants confrontés aux déficiences d’un enfant pensent, vivent, ressentent est dépendant à la fois par ce qui se passe entre enfants et par le  regard, les paroles de l’adulte, en particulier des parents et aussi des adultes de la famille élargie. Or, longtemps l’impact de ce qui se passe entre enfants dans les situations particulières de fratrie jeune comprenant un enfant en situation de handicap est souvent resté dans l’ombre au profit d’une attention portée à la souffrance parentale et aux soins à donner à l’enfant déficient.
Cette communication s’alimentera d’une pratique de recherche et d’une pratique clinique qui permettra d’évoquer : 1) comment ils se représentent les « particularités » de cet alter/ego ; 2) ce que vivent ensemble les enfants jeunes pour lesquels évidemment la communication orale parent/professionnels/enfants est important mais qui co-construisent un « vivre ensemble comme frère et sœur » via d’autres sens. Loin des simplifications qui analysent ce qui se passent dans les dyades dans la fratrie (ainé/cadet ; garçon/fille…), nous évoquerons la complexité de la dynamique groupale au sein de ces  fratries-là dans leurs évolutions toujours possibles. Cela permettra d’ouvrir sur des propositions de soutien, d’écoute à apporter aux frères et sœurs et à l’enfant en situation de handicap dès le plus jeune âge pour que tous les enfants puissent bénéficier pleinement des ressources des liens fraternels et de ses fonctions maturatives, en particulier dans les processus de socialisation.

Olivier Thévenon

Olivier Thévenon est chef de l’Unité sur le Bien-Être des Enfants au Centre de l’OCDE pour le Bien-être, l’Inclusion, la Soutenabilité et l’Égalité des chances (WISE). Cette unité est notamment responsable du Portail de données sur le bien-être des enfants. Ses travaux récents portent sur le bien-être des enfants, la pauvreté des familles et des enfants, les services aux familles et la prise en compte de diversité des familles dans les systèmes de protection sociale des enfants. Ses travaux antérieurs portent également sur les politiques familiales et de l’emploi, en relation avec l’égalité entre les sexes, les comportements démographiques et la pauvreté des familles et des enfants. Avant de rejoindre l’OCDE, il était chercheur à l’INED, où il a été responsable de l’unité de démographie économique.

Faire du bien-être des enfants un véritable sujet de politiques publiques
Olivier Thévenon mettra en avant la nécessité pour les politiques publiques d’appuyer son action sur un paradigme de politiques publiques qui prenne en compte le développement et le bien-être global des enfants et sa dimension « écologique ». Le bien-être est en effet une notion multidimensionnelle qui inclut la santé physique et mentale, le développement socio-émotionnel et cognitif et le bien-être matériel, dépendantes les unes des autres. Prendre en compte ces interdépendances permet de mieux identifier les besoins des enfants et met en lumière la nécessité d’assister les enfants et leurs familles dans de multiples domaines pour avoir une action effective. Il s’agit également de prendre en compte la multiplicité et la complémentarité des environnements dans lequel évoluent les enfants, à savoir le milieu familial, d’accueil extra-familial, scolaire, et la qualité du quartier et de l’environnement local. Le caractère compartimenté des domaines d’action publique ne permet cependant pas toujours de prendre au mieux en compte les besoins de multiples nature des enfants. Certains pays ont néanmoins commencé à mettre en place des dispositifs de politique publique qui vise à mieux intégrer la perspective du bien-être des enfants dans leurs politique. La présentation donnera quelques exemple de ces dispositifs.
Ses dernières publications incluent : Measuring what matters for Child Well-being and Policies; Looking beyond COVID-19 Strengthening family support services across the OECD; Delivering evidence based services for all vulnerable families ; Treating all children equally ? Why policies should adapt to evolving family living arrangements ; Child poverty in the OECD : Trends, determinants and policies to tackle it ; il a également contribué à Changing the Odds for Vulnerable Children et Rejuvinating Korea : policies for a changing society.

Michel Vandenbroeck

Michel Vandenbroeck travaille au département du Travail social, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, Université de Gand, Belgique. Par ailleurs, il est co-fondateur du réseau d’experts européen Diversity in Early Childhood Education and Training (DECET). Ses recherches et ses publications portent sur les lieux d’accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité, notamment sur l’inclusion sociale, le développement du langage et le plurilinguisme chez l’enfant.

La marchandisation de la petite enfance : un phénomène “glocal” et contesté
En 2013, Eva Lloyd publiait “Childcare Markets”. Elle y décrivait la France comme un pays résistant aux tendances de privatisation et de marchandisation. Cependant, depuis lors, une large partie des nouvelles places est créée dans les micro-crèches, souvent privées et à visée commerciale. La marchandisation de la petite enfance a énormément évolué, aussi bien dans des pays ayant une politique traditionnellement libérale où l’éducation des jeunes enfants ressort de la responsabilité privée que dans les pays prônant une démocratie sociale (pour reprendre les termes classiques de Esping-Andersen, 1990) où ce domaine dépend de la responsabilité publique. Cette marchandisation s’accompagne, dans plusieurs pays, d’une baisse de la qualité et des conditions de travail. Elle s’accompagne également d’un discours sur le libre choix des parents qui sont de plus en plus sont considérés comme des consommateurs d’éducation.
Cette évolution a profondément influencé le concept de la responsabilité parentale. Cette individualisation de la responsabilité parentale est encore accentuée par des programmes et des politiques de soutien à la parentalité.
Nous porterons un regard critique sur cette image du parent, et nous montrerons également comment des mouvements de résistance se sont développés : à Hong Kong (résistance contre les « chèques petite enfance »), en Italie (la « gestion sociale », au Chili (les « crèches communautaires »), et en France (les crèches parentales). Autant d’exemples pour repenser la relation entre responsabilité publique et privée dans l’éducation des jeunes enfants.
Le terme « Glocal » a été proposé par Ulrich Beck et désigne un phénomène global mais avec des particularités locales.
Le contenu de cet exposé est inspiré du livre The Decommodification of Early Childhood Education : Resisting Neoliberalism, deMichel Vandenbroeck, Joanne Lehrer et Linda Mitchell, publié au printemps 2022 par Routledge dans la série Contesting Early Childhood.