Yves Ardourel

Maître de conférence

Sciences de l’information et de la   communication

ERT34, Hypermédias et apprentissage

Former les enseignants à la pratique de la FOAD

Introduction

Les institutions de formation, en particulier universitaires, développent de plus en plus des modalités de formation impliquant réseaux de communication et ressources numériques ; quelles que soient leurs appellations, e-learning, formation à distance, autoformation tutorée ou autres vocables, nous les désignerons ici, par le terme générique de FOAD (formation ouverte et à distance). Que représente ce mouvement, une évolution normale ou un bouleversement dans l’organisation des formations ? Quelles en sont en particulier les conséquences pour les enseignants de ces institutions en terme d’adaptation et d’appropriation ?

Les causes de ce phénomène sont multiples : selon une analyse de l’évolution des médias, on peut y voir les effets conjugués de la généralisation des réseaux de communication électronique et de la numérisation des ressources ; une approche  socio-économique, ferait ressortir l’évolution des besoins pour des formations différenciées, le souhait de parcours plus individualisés et la nécessité de prendre en compte une diversité de publics appelés à « se former tout au long de la vie » selon un slogan européen déjà ancien.

Les programmes européens et nationaux encouragent et incitent les institutions universitaires à se saisir de ces systèmes informatiques d’échange, développés par la sphère technologique et à promouvoir des « formations innovantes » qui s’appuient sur leurs fonctionnalités communicationnelles. En 2005 en France, sous l’impulsion de la Direction de la technologie au ministère de l’éducation,  cinq UNT (universités numériques thématiques) se sont constituées selon des logiques de mutualisation entre universités.

On assiste donc, dans un environnement universitaire où les formations en présence restent largement majoritaires, à l’émergence de nouvelles manières de former et d’apprendre qui se positionnent le plus souvent en synergie avec les modalités classiques, rarement en concurrence.

Une question se pose : faut-il former les enseignants de ces institutions à ce nouvel univers ? Faut-il les préparer à la pratique de l’e-learning, et comment ? Est-il nécessaire d’amener les enseignants à s’approprier les méthodes de travail associées à la médiatisation des connaissances ou suffit-il de laisser l’évolution se faire « naturellement » ?

Hypothèse et questions

Il n’y a pas de réponses immédiates à ces questions, elles vont dépendre de l’analyse que l’on fait de la situation. Si on considère que cette évolution est de type technologique, simple changement des conditions techniques de travail, comme l’arrivée de l’électricité dans les amphithéâtres, ou plus récemment le remplacement du tableau noir et de sa craie par le tableau blanc, il s’agit d’une adaptation à un nouvel environnement et une formation pourrait se résumer à la prise en main des outils et à un entraînement pour leur manipulation. Mais si on reconnaît que cette évolution est associée à une posture pédagogique nouvelle, la question de la formation des enseignants se pose alors de façon cruciale.

L’hypothèse qui sous-tend cette article est que la FOAD ne représente pas une simple évolution des environnements de formation qui se transformeraient sous la pression conjuguée des technologies numériques et des décisions politico-économiques. Nous posons que la FOAD représente une position pédagogique particulière s’appuyant sur des principes qui ne sont pas ceux des « formations classiques ». Même si certaines études apportent des éléments allant dans ce sens, nous ne présentons pas ici des résultats de recherche qui permettraient d’assurer la validité de cette hypothèse, nous esquissons quelques conséquences de cette option sur la formation des enseignants.

Enseigner est un métier ; comment alors ne pas donner aux enseignants l’ensemble des outils, méthodes et principes leur permettant de travailler dans les environnements qui seront les leurs ? Puisqu’il est réaliste de considérer la FOAD comme un élément incontournable pour tout organisme de formation, tout enseignant doit pouvoir concevoir, animer et participer à ces types de formation. En abandonnant la logique d’une adaptation à une évolution « naturelle », comment s’engage t-on dans une appropriation de principes pédagogiques différents, exigeant une  re-conceptualisation de l’acte d’apprendre ?

Si la nécessité liée au métier impose de former les enseignants à la pratique de la FOAD, quels sont les axes à privilégier ? Sans dresser ici un plan de formation détaillé, cherchons à trouver des repères, définir des orientations et préciser les écueils à éviter.

Une première erreur serait de penser qu’il suffit de présenter le fonctionnement de quelques plates-formes, d’analyser des cours en ligne et d’apprendre le fonctionnement des outils de communication électronique. Il nous semble important d’affirmer qu’il ne peut y avoir de pratique efficace en FOAD sans une réflexion approfondie qui permette de poser les problématiques fondamentales :

  • Quels sont les modèles d’apprentissages sous-jacents ?
  • Quelles sont les conséquences de la médiatisation des con-naissances et quels rôles jouent ces connaissances numériques dans un parcours de formation ?
  • Comment appréhender les enjeux de la distance en formation ?
  • Quelles fonctions sont attribuées à l’autonomie de l’apprenant ?

Un point essentiel sur lequel toute formation d’enseignants à la FOAD se devrait d’insister, concerne les représentations qu’ils s’en font. Il est probable qu’au sein d’un groupe d’enseignants, on trouve des modèles implicites divers, voire contradictoires.

Malgré des caractéristiques pédagogiques précises, il n’y a pas en FOAD un modèle pédagogique unique, défini une fois pour toute ; comme dans une formation classique, il y a une variété d’approches liées à la place et au rôle de l’enseignant, de l’apprenant, des dispositifs numériques et dépendant de la spécificité des savoirs dispensés.

Les schémas simplifiés de la FOAD, ne suffisent pas à éclairer les orientations pédagogiques d’une formation donnée ; utiles pour poser les problèmes, ces schémas ne résolvent pas les choix didactiques, ni ne répondent aux questions sur les stratégies de développement des dispositifs.

Fig. 1 : exemple de schéma classique d’une FOAD

La pratique d’un métier

Travailler au sein d’un dispositif de FOAD est un acte professionnel ; il est donc indispensable d’en connaître les principes, les outils et les méthodes. Trop souvent les enseignants engagés dans ces dispositifs doivent trouver par eux-mêmes, sur le tas, les éléments nécessaires à leur action. L’expérience acquise sur le terrain ne devrait pas être le parcours habituel et unique de formation ; on peut penser que la professionnalisation à la FOAD serait d’autant mieux réussie que l’on professionnaliserait la formation associée.

Une formation pour aujourd’hui

Le métier d’enseignant intègre donc peu à peu la FOAD, mais est-ce bien nécessaire de s’y former dès maintenant ? Il y a peut être des institutions à l’écart de ce mouvement, ne serait-il pas possible d’attendre quelques   années ? Croire à un élan, parier sur la lenteur des évolutions, est probablement un piège ; la mutation apportée par la FOAD est active même au sein des institutions qui y croient le moins. Trois domaines de la FOAD  agissent déjà dans les formations les plus classiques :

  • le recours à la recherche documentaire et  l’utilisation des documents numériques trouvés. Tout enseignant doit pouvoir accompagner élèves ou étudiants dans ces tâches et valider les démarches et les productions.
  • la maîtrise des ressources scientifiques et pédagogiques accessibles par les réseaux de communication. L’abondance des ressources mises à disposition des élèves et des étudiants place l’enseignant en situation d’expert ; il doit en particulier élaborer des stratégies de veille.
  • les communautés professionnelles « virtuelles ». Aucun enseignant ne peut plus travailler dans l’isolement, sa participation à des communautés électroniques est d’ores et déjà indispensable.

Comment former les enseignants aux pratiques de la FOAD ?

Une synthèse précise de ce qui se fait dans les différentes institutions est à conduire ; elle permettrait de préciser les paramètres d’une caractéristique connue : la diversité dans la durée, les modalités et les contenus. Sans disposer de ces résultats, on peut cependant positionner cette formation dans une logique créative et réflexive.

a) Associer l’expérimentation de situations de formation à distance et l’analyse des pratiques mises en oeuvre.

b) Confronter des modèles théoriques et l’explicitation de situations pédagogiques impliquant communication à distance et ressources numériques.

c) S’appuyer sur la production de groupe d’enseignants en formation que ce soit pour concevoir des parcours ou réaliser des ressources et des évaluations.

Un élément important serait la reconnaissance de la formation dans le cadre par exemple d’un Master universitaire. Ce serait un moyen d’abandonner les formations marginalisées,  peu satisfaisantes ou incomplètes. Pour organiser une telle formation dans le système éducatif français, il y a des points d’appui précis :

  • la logique du B2i (Brevet informatique et internet) que tout élève, de l’école primaire au lycée, doit obtenir.
  • l’organisation du C2i (Certification informatique et internet) ; celle-ci délivrée par les universités aux étudiants en fin de licence, se prolonge par une version professionnelle pour différentes catégories de métier (santé, droit, enseignement).
  • surtout il faut considérer les communautés de praticiens qui mutualisent et diffusent la réflexion sur les démarches et les pratiques en FOAD et qui facilitent ainsi le partage des ressources. Le service assuré par le site Internet THOT témoigne du dynamisme de ce secteur.

La distance, moteur de la formation

La formation des enseignants à la FOAD devrait avoir pour objectif principal de faire prendre conscience que la distance est une richesse. Cette richesse se matérialise et se concrétise particulièrement dans deux champs : l’autoformation et le tutorat. Ces domaines ne sont pas hors du champ des formations classiques, mais en FOAD, ils occupent une place stratégique ; leur prise en compte est majeure pour la réussite des dispositifs FOAD ; ils manifestent le renouvellement de la façon d’apprendre, le renforcement et l’efficacité des apprentissages.

Les sept piliers de l’autoformation (Philippe CARRE)

  • un projet individuel
  • un contrat pédagogique
  • une phase de préformation
  • un environnement ouvert
  • un accompagnement
  • l’alternance individuel – collectif
  • un suivi de l’étudiant, du groupe, de l’institution

Fig. 2 : principes de l’autoformation

Tout dispositif de FOAD renforce les compétences d’autonomie de l’apprenant et réorganise profondément les questions de motivation. La fonction tutoriale est actuellement la fonction la plus caractéristique de la FOAD et la plus délicate à faire reconnaître et à spécifier. Décrite depuis longtemps par les chercheurs en pédagogie, elle représente au sein de la FOAD un enjeu d’efficacité et de réussite que nous ne détaillerons pas ici.

La fonction tutoriale

Les six fonctions distinguées par Bruner (1987), citées par Alain Baudrit

1. L’environnement : amener l’apprenant à adhérer à sa formation. Il s’agit bien de permettre à l’apprenant de se situer au cœur de l’action de formation.

2. La simplification de l’activité : prise en charge éventuelle de certains éléments de la tâche inaccessibles à l’apprenant.

3. Le maintien de l’orientation : incitation à persévérer dans le champ de la formation engagée.

4. La signalisation des caractéristiques essentielles : souligner les aspects déterminants de la tâche.

5. Le contrôle de la frustration : mettre en confiance et rassurer celui qui apprend.

6. La présentation des solutions : donner des indications pour résoudre certaines difficultés.

Fig. 3 : la fonction tutoriale en général

Pour résumer les chances apportées par la distance, on rappellera d’abord que « connaître c’est savoir prendre de la distance ». Il faut répéter et se convaincre que la distance est efficace ; c’est en prenant conscience de la distance qu’un apprenant a avec un objet de connaissance qu’il peut s’engager dans un apprentissage. Savoir prendre du recul, permet de construire des connaissances plus évoluées. Deuxièmement, on pourrait dire que la FOAD est  une organisation de la présence. En effet, il ne s’agit pas d’isoler les apprenants mais de les mettre en relation, d’une part avec des savoirs, mais aussi avec des tuteurs et des groupes de travail. N’oublions pas que l’opposé de la présence ce n’est pas la distance mais l’absence. Enfin, il est à noter que la question difficile en FOAD, c’est le temps. Quels rythmes donner aux apprentissages, comment prévoir les rendez-vous et organiser les planning ? Comment inscrire la liberté d’une formation ouverte dans la linéarité contrainte du temps ?

Le développement de la FOAD, une chance pour les systèmes de formation

L’arrivée des modalités de type FOAD  représente une chance pour la rénovation des systèmes de formation. Ces modalités amènent les organismes de formation à penser des formations hybrides fondées sur des synergies. Ces formations mixtes sont porteuses de dynamisme et d’innovation, elles posent l’obligation de former les enseignants qui s’y engagent, car malgré « la douceur » apparente des dispositifs, les difficultés de conception et les problèmes de réalisation sont réels.

La formation des enseignants à la FOAD est un levier pour conduire le changement. Cependant, le développement d’une nouvelle culture pédagogique, l’établissement « d’une autre école » ne dépend pas que de la formation des enseignants ; il ne faudrait pas minimiser les freins dus à la restructuration des organisations qu’un développement significatif de FOAD engendre, ni la résistance administrative et comptable. Les étudiants eux-mêmes ne sont pas a priori acquis à une modification forte des formations suivies.

La FOAD propose aux systèmes éducatifs d’évoluer vers d’autres logiques de formation qui ont leur part d’utopie, mais qui rencontrent le désir d’apprendre et la valeur libératrice de la connaissance, qui sont et restent les fondamentaux de toute pédagogie.

Bibliographie

Charlier, B. Peraya, D., Technologie et innovation en pédagogie, Dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur. De Boeck Université, Bruxelles, 2003

Lévy, P., Cyberculture, Odile Jacob, Paris, 1997.

Perriault, J., L’accès au savoir en ligne, Odile Jacob, Paris, 2002.

Serres, M., Atlas, Julliard, Paris, 1994.

Wolton, D., Internet et après, Flammarion, Paris, 1999.

Mots clés : formation à distance, technologies de la communication, parcours de formation, ressources numériques.

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