Rétrospective de M.C Escher – Palazzo Albergati, Bologne (12.03/19.07 2015)

jeannearati

Maurits Cornelis Escher, artiste dessinateur et graveur du Xxème siècle fortement inspiré par les mathématiques et la géométrie, voit aujourd’hui son travail et son talent mondialement reconnu. De nombreux musées sont inaugurés partout dans le monde, au cours du XXIème siècle, pour honorer ce maître de l’impossible et recenser ses oeuvres. C’est notamment le cas des Pays-Bas, du Canada, des États-Unis, jusqu’au Japon et Israël. Bien qu’on ne concède pas à l’artiste un musée à son nom en Italie, où Escher a passé la plus grande partie de sa vie ; des expositions éphémères naissent à Naples, Milan ou Bologne, pour immerger les spectateurs d’aujourd’hui dans l’imaginaire de l’artiste. L’exposition sur laquelle nous allons plus profondément nous pencher s’est déroulée à Bologne, au Palais Albergati, du 12 mars au 19 juillet 2015. Après un incendie en 2008, le Palais n’a pas pu rouvrir ses portes avant 2014, et a ainsi été inauguré avec la rétrospective du travail d’Escher. Cette exposition rétrospective a été organisée et soutenue par « M.C Escher Foundation », basée aux Pays-Bas, mais aussi supervisée par l’historien de l’art Marco Bussagli et l’un des plus grands collectionneurs des œuvres d’Escher, Federico Giudiceandrea. Nous nous demanderons comment l’univers d’Escher est transmis et perçu au sein du Palazzo Albergati. Pour se faire, nous étudierons dans un premier temps la relation entre Escher et l’Italie, puis dans un second temps, nous nous focaliserons sur la place qu’occupe les constructions impossibles et le jeu des perceptions dans son art. Enfin, nous nous concentrerons dans un troisième et dernier temps, sur la réception contemporaine de son travail.

Divisée en plusieurs sections, l’exposition Escher s’ouvre et justifie sa place au sein du Palazzo Albergati dans la relation qu’entretient l’artiste avec l’Italie. En effet, l’Italie inspire grandement M.C Escher à travers son architecture pointue et ses paysages de campagne aux larges horizons. Le Palais Albergati à Bologne n’est donc pas un lieu d’accueil anodin pour cette exposition. Sa construction à la Renaissance laisse imaginer la minutie architecturale, et donc mathématique, de ce bâtiment, et fait ainsi fortement écho avec l’intérêt que portait Escher pour ces arts, et notamment leur précision. De plus, l’Italie rappelle également la campagne, et particulièrement les paysages agricoles. Escher s’en est épris pour confectionner une de ses œuvres les plus connues, Jour et Nuit, une gravure sur bois datant de 1938. Exposée au Palais Albergati, elle présente des champs agricoles dont les parcelles se transforment en cygnes qui surplombent le paysage. Bien sûr, cette œuvre peut se lire dans le sens inverse, mais nous reviendrons à cette particularité plus tard.

Jour et Nuit, gravure sur bois de fil, 1938

Au delà des paysages de l’Italie, ce sont les artistes qu’il a rencontré à Rome qui l’ont grandement aidé à diversifier son art. Influencé par la Renaissance, époque de la prouesse italienne dans l’Art, il confectionne une série d’Emblemata ou « emblêmes », c’est-à-dire des images picturales accompagnées de citations. Cette série est mise à l’honneur dans une section de l’exposition qui lui est spécialement dédiée.

Si ce n’est pas l’Italie, c’est alors l’Espagne qui inspire énorme Escher. L’architecture de l’Alhambra attire son attention, avec ses dômes et ses mosaïques dont la précision forme des courbes harmonieuses et infinies. L’architecture de ce bâtiment et du sud de l’Espagne plus généralement lui inspirera la série des tesselations, présente au Palazzo Albergati. Ce terme renvoie à l’acte de décomposer une surface en parties régulièrement découpées et qui, ainsi, s’entremêlent.

Mais au-delà de la simple représentation et inspiration de l’Italie ou de l’Espagne, se trouve également la symbolique du voyage. Escher fait voyager les spectateurs de son art dans la projection d’un monde imaginaire, aux tendances parfois utopiques et dystopiques. La lithographie Relativité, produite en 1953, et exposée au Palazzo Albergati, montre par exemple, une impossibilité d’avancer, un éternel recommencement dans les marches qui montent, ou descendent, et se rejoignent sans cesse. Certes, nous pouvons y voir une prouesse mathématique et artistique, mais le message n’en reste pas moins violent. A l’inverse, Un autre monde, réalisée en 1947 et également présente lors de l’exposition, nous ouvre un regard vers l’univers, on pense à un échappatoire. Ainsi, après avoir analysé les inspirations de l’artiste, nous allons nous attarder sur la particularité de son art et comment il est retranscrit au Palais Albergati.

Un autre monde, lithographie, 1947

Relativité, lithographie, 1953

L’exposition Escher offre un grand nombre d’œuvres célèbres pour leurs constructions impossibles et leurs jeux de perception. Par le biais de différents dispositifs, les spectateurs vont ainsi, non seulement voyager dans la vie et les inspirations de M.C Escher, mais aussi dans un cadre spatial infini. En effet, une salle est entièrement dédiée aux immersions visuelles et réfléchissantes, comme la salle aux miroirs. Cette pièce est constituée de murs miroirs et présente des suspensions de formes géométriques blanches pouvant représenter, selon l’angle de vue ou la projection sur le miroir, des oiseaux ou des poissons. Cette création immersive fait évidemment écho à l’œuvre Profondeurs de l’artiste qui dépeint une multitude de poissons volants dont l’alignement dans le dessin forme une infinité. La thématique de la dualité poissons/oiseaux rappellent également la célèbre œuvre Air et Eau I.

Profondeurs, lithographie

Bien que ce dispositif soit fort en terme d’immersion, une première salle à la configuration plus traditionnelle, conventionnelle, retrace ces constructions impossibles nombreuses plus largement. Sur un simple mur sont exposées des petites estampes alignées sur deux lignes. De l’autre côté, on retrouve plusieurs gravures dont les célèbres Air et Eau et Jour et Nuit, abordées précédemment. La lumière qui éclaire les œuvres de la salle est neutre, presque blanchâtre. Elle se dégage par le biais de « spots » et inonde ainsi la pièce, bien que les œuvres accrochées au mur restent épargnées de l’aveuglement.

Air et Eau, gravure sur bois, 1938

Évidemment, il s’agit d’un choix de confort. Si certaines toiles colorées ont besoin d’être bien illuminées ; les jeux d’ombres et les subtilités géométriques d’Escher ont besoin d’une lumière plus douce, qui laisse aux yeux des spectateurs le temps d’apprivoiser le travail, et de s’acclimater aux casses-têtes présentés qui mobilisent tout notre regard et notre concentration. C’est pour cela que l’immersion et l’interaction reste le plus abordable pour un large public. Ainsi, dans chaque salle se trouve une reproduction d’œuvre grandeur nature, ou bien même matérialisée pour que les spectateurs puissent y mobiliser d’autres sens et connexions que la simple vision passive. Au premier degré de cette expérience se trouvent deux vases, ou coupes médiévales, posés sur des pilier à hauteur d’homme. Cette fois, le système d’éclairage détient un rôle dominant dans l’œuvre puisqu’elle permet de créer le jeu de perception. En effet, les ombres des deux vases projetées sur le mur nous offrent en réalité deux images. Selon la concentration du spectateur, la focalisation du regard pourra passer du vase aux deux visages se faisant face que forme la zone de lumière à l’extérieur de l’ombre.

Dans une deuxième salle, l’attraction principale est un fond photo qui dépeint une spirale géométrique créant une illusion d’optique. Les visiteurs peuvent se placer à un endroit précis, indiqué par un stickers au sol, et ainsi sembler se projeter dans la spirale de l’artiste néerlandais. Bien sûr, l’agencement du lieu reste très neutre, les murs sont blancs, ou gris, et les salles ne sont pas surchargées pour éviter que les animations immersives ne gênent la contemplation des œuvres plus conformément présentées. Le Palais Albergati a en effet la chance de détenir le temps de l’exposition des créations célèbres de l’artiste grâce au collectionneur d’Escher, Federico Giudiceandrea, et à la fondation M.C Escher. Les visiteurs plus sélectifs, qui viennent observer ces œuvres en particulier, peuvent ainsi échapper aux brouhaha et à la foule de l’animation, d’autant que le circuit reste libre. La rétrospective du travail d’Escher permet enfin de nous concentrer sur la réception de celui-ci lors de l’exposition, mais plus généralement la réception de son art dans le monde.

Maurits Cornelis Escher, de part ses créations délirantes et impossible, à éveiller la curiosité du monde entier, et cela nous est bien démontrer lors de l’exposition. Tout d’abord, une section de l’exposition est entièrement dédiée à cette réception et se nomme « Eschermania ». Ce terme s’est développée à la fin du XXème, début XXIème siècle, et regroupe toutes formes d’art qu’a inspiré Maurits Cornelis Escher. En effet, l’artiste néerlandais a influencé de nombreux domaines comme le graphisme, la publicité, la mode ou encore le monde la musique. On pense notamment à l’ancien logo de la marque automobile « Renault », qui forme un losange 3D rappelant le triangle de Penrose repris par Escher.

Triangle de Penrose

Logo marque automobile Renault

Cette section est l’une des plus riche en panneaux d’explication, puisqu’elle nécessite la compréhension globale de l’empreinte d’Escher sur le monde d’aujourd’hui. L’une des plus grosse empreinte reste celle sur la musique et le graphisme. En plein essor, le groupe Rolling Stones s’apprête à utiliser l’oeuvre Verbum pour sa pochette d’album avant qu’Escher refuse et se voit contraint de protéger son travail en créant la fondation M.C Escher à l’origine du financement de l’exposition du Palazzo Albergati.

Verbum, 1942

Le graphisme kaléidoscopique du maître inspirera dans la même époque les hippies et l’industrie créée autour de cette mode. Ses œuvres sont alors colorisées, saturées pour donner des images psychédéliques présentées lors d’une projection dans une salle noire de l’exposition. Un micro-film est diffusé où les estampes d’Escher sont numérisés, permettant de traverser l’intégralité des détails des œuvres plus amplement à partir de zooms chorégraphiés qui plongent, par exemple, dans l’infini de Print Gallery, une lithographie de 1956 («Prententoonstelling » en néerlandais).

Pretententoonstelling, lithographie, 1956

Ces sections montrent l’engouement contemporain autour du travail de l’artiste et prouvent que ce dernier dépasse le cadre artistique conventionnel. Les activités immersives proposées par l’exposition sont également le symbole d’une relation positive à l’art de Escher. Cela permet de toucher un plus large public comme les enfants et permet encore une fois une immersion dans les découvertes et créations de ce dernier. Par exemple, dans une salle figure un bloc rectangulaire, dont sortent alternativement des demi-boules convexes et concaves. Cela crée ainsi un effet d’optique lorsque les visiteurs s’observent dedans, puisqu’ils se remarquent à l’endroit lorsque la forme est convexe, mais à l’envers lorsqu’elle est concave. Ce jeu permet de comprendre les expérimentations de l’artiste et permet peut-être d’éveiller la créativité de chacun.

La personnification à Escher est d’ailleurs mise à disposition lors d’un dernier élément d’immersion. L’oeuvre célèbre Main tenant un miroir sphérique, et également autoportrait de Maurits Cornelis Escher, est déclinée pour devenir le support des visages des visiteurs. En effet, le miroir sphérique de l’oeuvre initiale ne contient ici plus le visage d’Escher mais laisse un miroir où tout le monde peut s’observer. Cette projection à la place de l’artiste est intéressante, elle nous rapproche de lui, nous sommes lui, il est nous.

Main tenant un miroir sphérique, lithographie, 1935

Cependant, nous pouvons tout de même relever un problème qu’entraîne ces activités interactives avec le public contemporain : le téléphone. Certains dispositifs comme le fond photo ou la simple utilisation de miroir devient une course à la sur-représentation au lieu de privilégier la réelle projection dans l’univers. Ce constat rejoint alors l’idée du processus d’appropriation qu’est l’Eschermania : dénaturer l’Art pour en favoriser l’aspect commercial ou l’effet de mode.

Pour conclure, nous avons pu étudier comment le travail de Maurits Cornelis Escher a été transmis mais aussi perçu au sein du Palais Albergati, lors de l’exposition de la rétrospective de l’artiste du 12 mars au 19 juillet 2015. Nous nous sommes tout d’abord intéressé à ses inspirations pour comprendre le choix de présenter son travail en Italie, mais aussi pour saisir les spécificités de ses œuvres. Dans un second temps, nous avons pu analyser plus en détail son travail, notamment les constructions impossibles et jeux de perceptions, et comment il a été mis en scène lors de l’exposition. Enfin, nous nous sommes focalisés sur la réception contemporaine de l’art d’Escher pour nous rendre compte de l’influence de l’artiste néerlandais sur le monde entier.

Jeanne ARATI.

Bibliographie :

https://franzmagazine.com/2019/10/15/matematica-e-arte-chiacchierata-con-il-piu-grande-collezionista-di-escher/

https://www.escherinhetpaleis.nl/story-of-escher/emblemata/?lang=en

https://lepetitjournal.com/milan/a-voir-a-faire/art-escher-le-maitre-de-lillusion-milan-32327

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