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Exposition Constantin Brancusi

Paris – Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou

14 avril – 21 août 1995

Affiche de l’exposition – Paris C.G.Pompidou ,1995
Photographie d’un autoportrait de C. BRANCUSI en 1914-1915 par M. Rollais

            Constantin Brancusi est l’un des artistes qui a le plus influencé la conception de l’art moderne. Parmi les initiés, beaucoup le considèrent même comme l’un des inventeurs de la sculpture moderne. Constantin Brancusi est né en Roumanie en 1876 et meurt à Paris en 1957. Son œuvre est particulièrement fragile et pour beaucoup dispersée à travers le monde. Constituer une rétrospective monographique de l’artiste s’avère donc particulièrement délicat. Peu de temps avant sa mort, Constantin Brancusi a légué à l’État français l’ensemble de son Atelier – situé impasse Ronsin – afin que celui-ci rejoigne les collections du Musée national d’art moderne – qui se trouvait alors au Palais de Tokyo à Paris –. Lors de l’ouverture du nouveau site du Musée national d’art moderne Georges Pompidou en 1977, les œuvres de l’Atelier sont transférées dans un nouveau bâtiment créé spécialement pour les accueillir. Une inondation de celui-ci en 1990 met en danger les sculptures. Une partie des œuvres est alors présentée dans le bâtiment central du Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou en attendant la fin de chantier – qui a lieu de 1995 à 1997 – du nouvel édifice sur la Piazza Beaubourg ; conçu spécialement pour reconstituer à l’identique l’atelier originel de Brancusi. Dès 1990, Dominique Bozo initie en tant que directeur du Musée national d’art moderne (C.N.A.M.). L’idée d’une grande exposition monographique dédiée à l’artiste. Il confie la conception de celle-ci à Margit Rowell et Ann Temkin. Margit Rowell est la conservatrice en chef du département des dessins du MoMA à New York. Elle est aussi conservatrice en chef du département sculpture du M.N.A.M de 1991 à 1994. Margit Rowell est nommée commissaire de l’exposition parisienne. La conception de l’exposition Constantin Brancusi, est un travail qui se fait en tandem avec le Philadelphia Museum of Art de Philadelphie aux États-Unis. C’est Ann Temkin qui seconde Margit Rowell pour la partie française de cette monographie. L’architecture de l’exposition est réalisée par Lorenzo Piqueras. L’exposition Constantin Brancusi rassemble 103 sculptures, 38 dessins et 55 photographies de l’artiste ; venant des collections du Rassemblement des Musées Nationaux, de différents musées américains, mais aussi de prêts de collectionneurs particuliers. La présentation des œuvres a lieu dans le Centre Georges Pompidou à Paris entre le 14 avril et le 21 août 1995. L’exposition reçoit l’aide financière et le mécénat d’un des plus grands groupes de communication mondiale, le Groupe Havas. L’œuvre de Brancusi a la particularité d’être une constellation d’éléments combinatoire qui dialogue entre eux. Chaque réalisation de l’artiste forme ainsi un signe élémentaire qui une fois rassemblée avec les autres éléments constitue une véritable sémantique narrative. Les sculptures de Brancusi entretiennent toutes des rapports entre elles ; ainsi qu’avec leurs socles et l’espace environnant. Nous verrons comment la scénographie mise en place pour la présentation des œuvres de Constantin Brancusi doit répondre à l’impératif de les faire dialoguer ensemble. Dans un premier temps, nous analyserons les particularités du travail de Brancusi et les moyens déployés par les commissaires de l’exposition pour transmettre au public les spécificités théoriques propres du travail de cet artiste. Ensuite, nous analyserons l’ensemble des particularités matérielles et symboliques de cette exposition en tant qu’objet événementiel. Enfin, nous replacerons l’exposition Constantin Brancusi dans un cadre plus formel et la place qu’elle occupe dans la vie publique ainsi que sa réception.

            Constantin Brancusi est l’un des artistes les plus marquants pour l’histoire de l’art durant la période du XXe siècle. Il reste pourtant plutôt méconnu du grand public. Il a quitté très son foyer – à 11 ans – pour vivre de petits travails. La chance ou le destin lui font connaitre un client qui, sûr de voir en Brancusi un jeune violoniste talentueux, est subjugué par le luthier qui a réalisé le violon : Constantin Brancusi lui-même. Ce riche client de Craiova le fait alors rentrer à l’École des arts et métiers de Craiova. Quatre ans plus tard, C. Brancusi parvient à intégrer l’École des beaux-arts de Bucarest en 1898. Après des études où il obtient des mentions et médailles honorifiques pour ses rendus. Il part à pied à travers les chemins en direction de la capitale des arts : Paris. Brancusi arrive à Paris en 1904. Il poursuit ses recherches artistiques et sa formation dans l’atelier Mercier de l’École des beaux-arts de Paris. Il fera un très court séjour comme commis dans l’atelier du célèbre Auguste Rodin. Mais très vite il se lasse et estimant qu’ « il ne pousse rien à l’ombre des grands arbres ». Il quitte le célèbre sculpteur très rapidement et s’installe un temps dans un atelier du boulevard Montparnasse. Puis alors que sa réputation grandit sans laisser quiconque indifférent à ses réalisations. Il s’installe dans un atelier situé dans le bidonville d’artistes de l’impasse Ronsin en 1916. Fidèle à sa maxime : « Crée comme Dieu, ordonne comme un roi, travaille comme un esclave » ; Brancusi remet à l’ordre du jour des techniques de travail antiques comme la taille directe de la pierre.  Il assemble chacune de ses créations avec un ordre particulier où l’œuvre en elle-même tient sa place avec le support qui lui est associé. Constantin Brancusi travaille inlassablement seul. Ses créations dépassent tout ce qui est connu jusqu’alors par leurs concepts, leurs aspects jamais vus, et leurs finitions hors-normes. Il y a bien sûr le point d’orgue de ses idées d’avant-garde avec le Procès Brancusi qui se tient à New York en 1927 et 1928. Ce fameux procès donne la définition de ce qui peut être considéré comme de l’art aux yeux du monde. Ce qui marque le plus les esprits intellectuels, c’est que pour être de l’art, il ne suffit plus de réaliser une mimèsis de la nature, mais que l’on peut comme Brancusi capturer la réalité, car comme le dit Brancusi : « Ce n’est pas l’enveloppe extérieure qui est réelle, mais l’essence des choses ». Par exemple, pour sa série des Oiseaux dans l’Espace ; il ne veut par sculpter un simple oiseau et l’affirme : « Ce n’est pas l’oiseau que je sculpte, mais le vol »de celui-ci. Pour le farouche optimiste qu’est Brancusi, c’est un peu comme si chaque chose avait sa place dans l’univers. Il veut dans sa quête d’absolue. Il affirme d’ailleurs : « Tout ce que je fais est de chercher la forme […pour qu’elle] suggère l’infini ». Son atelier de l’impasse Ronsin est d’ailleurs agencé dans un ordre particulier. Chaque socle, pièces achevées ou non, chaque chose tient sa place dans un ordre subtil. Brancusi fait dialoguer chacune de ses réalisations comme pour faire résonner sa pensée optimiste profonde où chaque nous serons tous unifiés tel son Baiser, car Brancusi pense vraiment qu’en la beauté de ses réalisations « l’esprit sera différent ».

C’est peu de temps avant sa mort que Constantin Brancusi lègue l’intégralité de son atelier à l’État français – il n’a obtenu la nationalité française que peu de temps avant sa mort –. Parmi les désidératas de l’artiste, sa volonté première est la préservation de son atelier et de l’équilibre parfait qui y règne. Chacune de ses œuvres communique et répond à une autre. Dans les dernières années de sa vie, il n’a plus guère fait que réassembler les œuvres et les socles et agencer l’espace que celles-ci occupent dans son atelier, comme pour trouver l’Essence de l’Univers. Chaque réalisation de Brancusi tient sa place parmi les autres, chaque socle devient partie intégrante de l’œuvre et du Tout et de la Beauté. D’ailleurs afin que personne ne dénature ses réalisations ; Brancusi a très tôt demandé à l’artiste photographe Man Ray (qui vivait lui aussi dans le bidonville d’artiste de l’impasse Ronsin) de lui apprendre la photographie et ainsi fixé sur le papier argentique les bons assemblages socles-sculptures. Après la mort de Constantin Brancusi en 1957, son œuvre connait bien des vicissitudes. Il y a les conflits d’héritages entre l’État et les légataires universels ; il y a aussi le péril imminent des œuvres de Brancusi dans le bidonville de l’impasse Ronsin et les tracas administratifs. La solution de préservation est finalement trouvée en reconstituant l’Atelier à l’identique – ainsi sont respectées les dernières volontés de l’artiste – au Palais de Tokyo ; où le Musée national d’art moderne est installé. Puis avec le projet de construction de Beaubourg – qui devient par la suite le Centre National de Culture et d’Art Georges Pompidou -. Ensuite, l’Atelier Brancusi trouve une place de choix dans une nouvelle reconstitution en 1977 tout près du Centre Pompidou lors de l’ouverture de celui-ci. En 1990, un nouvel incident met gravement en danger les œuvres de Brancusi dans la reconstitution de son atelier. De très graves inondations menacent l’intégrité même du travail de Brancusi. Car les œuvres de Brancusi forment une constellation combinatoire où la forme artistique rentre en dialogue avec la forme utilitaire.

Bien que les réalisations de Brancusi soient particulièrement connues dans le monde de l’histoire de l’art, le grand public ignore pour la plupart ses réalisations et connaît encore moins l’artiste lui-même. La marche – de marbre poli blanc – que l’artiste a déposée dans le jardin du monde des arts semble obscure aux néophytes ou au non spécialistes. Les inondations du site où ses réalisations sont agencées dans un ordre défini d’une manière quasi testamentaire ; mettre en péril les œuvres magnifiques, mais fragiles de l’artiste. Son manque de notoriété dans le grand public doit aussi être très sérieusement corrigé à la vue du constat de la place de premier ordre qu’occupe Constantin Brancusi à l’avant-garde de l’art moderne. Le projet de construire sur la Piazza de Beaubourg, immédiatement à côté du C.N.A.C. un nouveau bâtiment dédié qui respecte l’intégralité des doléances testamentaires. Seul cet Atelier peut permettre de contempler le fabuleux travail de l’artiste en traduisant l’ensemble de la mobilité externe de son atelier intégrant une fixité interne qui frôle l’absolue. Un lieu dont l’aura des réalisations est une « toile tissée d’espace et de temps » comme l’écrit W. Benjamin. En attendant la fin des travaux de construction de l’Atelier Brancusi ; François Barré, le président du M.N.A.M. Georges Pompidou et ses équipes décident d’organiser en collaboration avec le Philadelphia Museum of Art une grande exposition monographique sur Constantin Brancusi. Le choix du partenariat entre ces deux musées est dû au fait que ce sont eux qui possèdent les plus grands fonds de collections d’œuvres de Brancusi. Les commissaires font aussi appel à des œuvres détenues par des collectionneurs privés afin d’exposer une véritable rétrospective monographique de l’artiste. Ainsi, en plus des 103 sculptures, 38 dessins et 55 photos de l’artiste sont exposés dans la Grande Galerie (au 5e étage du C.N.A.C). La commissaire de l’exposition pour Paris est Margit Rowell, qui la conservatrice en chef du département sculpture du M.N.A.M durant la période. Avec comme architecte scénographique Lorenzo Piqueras ; les commissaires de l’exposition prennent la partie de réaliser la présentation – complexe – des œuvres selon le double scénario chronologique et thématique. En effet, les locaux ne permettent pas de reconstituer pour cette exposition l’Atelier de Brancusi. Ce n’est pas non plus un désidérata des organisateurs. La présentation des œuvres se fait donc suivant un parcours qui aborde les différents thèmes travaillés par Constantin Brancusi en suivant la chronologie créative de l’artiste. Cela peut se révéler parfois compliqué, car Brancusi travaillait sur ses réalisations en faisant évoluer au fil du temps – sur le temps long – ses thèmes de prédilections : il y a ainsi plusieurs Oiseaux dans l’Espace, ou plusieurs Baisers, etc…

La mise en place scénographique choisie est très classiquement pour l’époque le « white cube » avec un parcours essentiellement chronologique parmi les différentes thématiques abordées. Les photos de l’artiste sont exposées le long des murs blancs selon une Ligne continue très sobre. Quelques rondes-bosses sont exposées de manières autonomes le long des murs. Placées sur des tapis de protections qui les isolent du public ; plusieurs groupements d’œuvres avec une thématique identique permettent de faire dialoguer les œuvres entre elles. Les visiteurs avancent donc selon un parcours précis qui permet de montrer l’évolution du travail de l’artiste selon le temps, mais aussi et surtout selon les thèmes qu’il aborde. Il y a un double dialogue où chaque groupement dialogue avec les autres pièces qui le composent, mais aussi il y a les liens forts qui unissent chaque pièce entre elles. La ligne continue de photographies exposées aux murs permet de ne pas rompre le lien entre les quinze salles de présentation de l’exposition. L’ensemble du 5e étage et la Grande Galerie sont ainsi occupés par les œuvres de Constantin Brancusi. Le public peut donc à loisir visiter ces grands espaces.

La communication autour de cette exposition est faite par voie de presse artistique, mais aussi grâce au mécénat de l’entreprise de communication HAVAS. Une très large promotion auprès de tous les publics – et surtout le grand public – qui connait particulièrement mal l’œuvre de Brancusi ; et encore moins l’artiste lui-même permit d’obtenir un succès populaire très important. L’exposition Constantin Brancusi connue eut la visite de 431.764 visiteurs sur 111 jours d’expositions. Pour une exposition d’art moderne, le succès et phénoménal. Les médias de France et leurs alter-ego étrangers ont largement commenter le succès de cette première exposition monographique en France de l’artiste alors que c’était la première exposition de cette ampleur dans le monde depuis 1976 – avec l’exposition en Allemagne – qui a elle-même succédé à la toute première aux États-Unis en 1969-70 –. Le succès à très largement traversé les océans et lorsque le Philadelphia Museum of Art (qui détient la seconde collection d’œuvres de l’artiste au monde après Pompidou) à pris le relai quelques mois plus tard en présentant la même scénographie et les mêmes œuvres sur le sol américain avec Ann Temkin comme curator in chief. Cela assura au Philadelphia Museum of Art un succès tout aussi phénoménal.

L’exposition Brancusi au C.N.A.C. Beaubourg a donc marqué les esprits ; tant des publics avertis ou amateurs que ceux du grand public. Elle a inscrit auprès de quiconque l’autorité et l’influence qu’a eue Constantin Brancusi sur l’art et particulièrement la sculpture du XXe siècle. À partir de ce moment-là, Brancusi est pour le grand public devenu l’un des grands artistes de l’art moderne et plus particulièrement de son avant-garde. D’ailleurs, depuis cette exposition la cote de Brancusi a flambé. Chacune de ses réalisations se monnaie des dizaines de millions d’euros. Sa renommée est telle que des guerres judiciaires ont lieu encore aujourd’hui devant les dizaines de millions d’euros que valent chaque œuvre : Le Baiser de la tombe de Tania Rachevskaïa en est la preuve aujourd’hui où l’État tente de préserver à grands frais la sépulture ornée de cette statuaire. Mais Brancusi ne voulait-il pas juste atteindre la beauté en sculptant l’Essence même de toute chose… ? On est loin de son rêve utopique. Aujourd’hui Brancusi est l’un des artistes les plus chers au monde. La réouverture de l’Atelier Brancusi sur la Piazza peut alors avoir lieu en 1997 sous les meilleurs hospices médiatiques.

Bibliographie:

Art Comptant Pour Rien. (2012). Expo Brâncusi à Beaubourg | Archive INA. https://www.youtube.com/watch?v=gAjem7Rh0-A

Art Comptant Pour Rien. (2015). FRANCE : CONSTANTIN BRANCUSI EXHIBITION. https://www.youtube.com/watch?v=_I9PzZH7anA

Europe des Cultures—Brancusi à Beaubourg—Ina.fr. (s. d.). Europe des Cultures. Consulté 24 avril 2021, à l’adresse http://fresques.ina.fr/europe-des-cultures-fr/fiche-media/Europe00229/brancusi-a-beaubourg.html

Ina.fr, I. N. de l’Audiovisuel-. (s. d.-a). Brancusi à Beaubourg. Ina.fr. Consulté 18 avril 2021, à l’adresse http://www.ina.fr/video/CAB95026628

Ina.fr, I. N. de l’Audiovisuel-. (s. d.-b). Margit Rowell à propos de Constantin Brancusi. Ina.fr. Consulté 18 avril 2021, à l’adresse http://www.ina.fr/video/I17067370

Photographies de Brancusi. (s. d.). Centre Pompidou. Consulté 24 avril 2021, à l’adresse https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cEbMEyy

 Brancusi (Catalogue de l’exposition), Dir. François Barré. Ed. Gallimard – Centre Georges Pompidou, 1995, Paris

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