Atelier 1 / Séance d’ateliers 1

Partage d’une vulnérabilité, entre soignants et soignés : (salle E412)

  • Irène Ferialdi, Vulnérabilité patient-soignant dans la psychose. Réflexions phénoménologiques pour le rétablissement du Nous :

Oscar entre dans la pièce et s’assoit. En réalité, je ne comprends pas s’il s’assoit ou s’il se contente de  s’appuyer sur sa chaise. Tout au long de la séance, Oscar me donnera l’impression d’être positionné sur le  bloc de départ d’où s’élancent les coureurs de 100 m. Raide, tendu, prêt à accélérer sur 100 mètres au son  du coup de pistolet du juge de départ. 

La vulnérabilité dans la psychose a une tonalité intransigeante. Dans le cas d’Oscar, ses traits paranoïaques et  persécuteurs semblent le glacer au niveau musculaire. La mâchoire serrée, les pieds pointés vers le sol, le  corps en tension. Le groupe thérapeutique se raidit à son tour. Un mimétisme sensori-moteur (Grivois) se  répand dans la pièce. Nous regardons le coureur, le coureur nous regarde. La séance commence. 

Dès les premiers ouvrages de la tradition phénoménologique en psychiatrie, l’atmosphère est une notion  employée pour rendre compte de la tonalité pathique et anté-prédicative de la vie du malade. Jaspers,  Blankenburg et Conrad sont connus pour l’avoir employée afin de rendre compte de l’expérience qui, chez le  patient, anticipe causalement l’émergence du vécu psychotique. L’atmosphère, en bref, est cet affect privé dont le patient fait l’expérience avant que la désorganisation psychotique ne produise une métamorphose  irrémédiable de son monde. 

Depuis la moitié du 20e siècle, cependant, on assiste à une redéfinition de la notion d’atmosphère, tant en  philosophie qu’en psychopathologie. D’un fait privé, l’atmosphère désigne dorénavant un affect commun et  indique les sentiments spatialement diffus qui « tonalisent » la situation dans laquelle se trouvent tous les  percipients (Tellenbach ; Schmitz). Cette approche atmosphérique trouve ses équivalents dans le  développement des récents courants phénoménologiques (Fuchs ; Ratcliffe) et psychanalytiques post bioniens (Bromemberg ; Mitchell). 

Dans cette optique, la vulnérabilité psychique cesse d’être une simple affection interne du patient que le  clinicien doit écouter, mais devient une tonalité pathique, un paysage, dans lequel le patient et le thérapeute  sont appelés à se rencontrer. 

En s’appuyant sur des travaux et des articles de Fuchs, Ratcliffe, Pankow et Benedetti, cette contribution se  propose d’explorer : 

1) La vulnérabilité du patient psychotique : les anomalies des structures modales interpersonnelles et  les tonalités pathiques corrélées 

2) La vulnérabilité des soignants : le corps vécu comme support et moyen de partage de l’expérience commune 

3) La vulnérabilité dans la relation patient-soignant : l’expérience de l’interpersonnalité comme agent  de soin du Soi malade. Pistes de réflexion pour un rétablissement du Nous. 

Par-là, la communication entend contribuer à la réflexion actuelle sur le rétablissement des psychoses  schizophréniques (Koenig) et apporter des éléments originaux et innovants au débat.

  • Brieuc Henri, Penser la vulnérabilité dans la relation de soin entre représentations du patient et des soignants :

Cette communication se fera sous la forme d’un récit clinique d’une situation authentique rencontrée dans une pratique hospitalière des Soins Palliatifs. Nous évoquerons l’histoire d’une patiente en situation palliative d’un cancer cutané, alors qu’elle se trouve en situation de handicap sensoriel dit « lourd », étant sourde muette et aveugle. Nous confronterons au travers de cette histoire les notions de vulnérabilité du soigné et du soignant, et surtout la représentation qu’ont l’un de l’autre. 

Contrastant avec son apparente vulnérabilité et l’image que nous avions de sa difficile existence en tant que soignants, la patiente en question a fait preuve tout au long de son histoire d’un remarquable élan vital. A l’inverse, l’équipe soignante s’est souvent retrouvée en position de vulnérabilité face à cette personne si marquante par sa force vitale. Cela sera donc l’occasion de questionner la vulnérabilité du patient et du soignant dans la relation de soin, à travers les représentations de chacun. Pour analyser cette situation Nous mobiliserons les notions d’éthique du soin issues de la philosophie, dans le champ des soins palliatifs, du handicap et de la vulnérabilité. 

  • Romane Dugast, Réparer les aidants : l’objectif inavouable du soin ?

Et si le moyen le plus humain d’aborder la vulnérabilité dans le soin était, paradoxalement, de reconnaître pleinement l’instrumentalisation des corps ? 

Au travers de l’étude du roman Réparer les vivants, de Maëlys de Kerangal et du concept d’éthique minimale développé par Ruwen Ogien, la question peut en effet se poser. Pour Ruwen Ogien en effet, les concepts de dignité humaine et l’interdiction kantienne d’utiliser autrui comme un simple moyen en vue d’une fin ne seraient pas efficaces, voire dangereuses, car trop floues.

De même, l’écriture ciselée de Maëlys de Kerangal, laissant la part belle au morcellement de la chair et à une précision toute chirurgicale, n’empêche pas le contenu de son roman d’être d’une grande empathie. Autour d’un corps mort et littéralement découpé en morceaux – celui de Simon, dix-neuf ans, décédé dans un accident de voiture – les enjeux humains se succèdent, entre les parents dévastés, les amis miraculeusement rescapés, les soignants débordés et les malades en attente d’organes. 

Comment, alors, savoir quoi faire ? Comment agir face à l’incapacité à consentir de manière libre et éclairée dans le domaine médical ? Comment gérer le poids des injonctions contradictoires pesant sur le personnel de santé et les proches ? Comment, enfin, bâtir un système à la fois efficace et prenant en compte les enjeux multiples présents dans le soin ? 

Les aidants – professionnels ou pas – sont en effet tenus à de nombreuses règles de déontologie, dont celle de ne pas nuire, mais également à des limites, qu’elles soient temporelles, personnelles, ou encore financières. Pour ces raisons, ils ne peuvent être considérés comme neutres dans le processus de soin. Une neutralité inatteignable en pratique, notamment lorsque le patient est incapable de s’exprimer ou d’être compris. Et comment comprendre le principe de non-nuisance à autrui dans le domaine médical ? Pourquoi ne pas user de ce que Michel Foucault appelait « le courage de la vérité »  et reconnaître tous ces facteurs ?

Cette communication aura donc pour but d’explorer les conséquences de ces diverses approches, sous l’angle croisé de la littérature et de la philosophie.