Atelier 4 / Séance d’ateliers 3

Temporalité dans le contexte du travail social : (salle D31)

  • Val Grandgirard, Accompagner ou orienter ? Déambulations en addictologie :

Cette proposition prend forme autour d’une expérience de travail en tant qu’éducateur spécialisé en CSAPA (Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie), au sein d’une équipe pluridisciplinaire médico-psycho-sociale. Nous accueillons des personnes aux prises avec des addictions, dans une appréhension globale, depuis une clinique inscrite dans le social et la réduction des risques. 

En abordant leurs trajectoires singulières avec l’addiction, les accueillis évoquent d’abord une réduction du champ des possibles, une relation au monde orientée par la recherche du produit et la consommation. Dans les premiers temps, la relation au produit ou au comportement répété vient se nouer à un contexte de vulnérabilité initial, faire béquille. Lorsqu’elle devient monolithique, elle entraîne avec elle (ou maintient) une précarisation de l’existence (psychique, somatique, financière, sociale). Il semble difficile pour certain de s’engager dans un parcours de soin : les écueils peuvent être l’angoisse de la perte de ce qui fait repère (le produit), l’auto-exclusion, l’isolement. Se pose la question de comment occuper son temps et son espace. Le parcours de soin s’associe à la recherche d’un nouvel équilibre pour reconstruire ce qui a été déséquilibré par l’addiction. Cela nécessite une continuité et un étayage soutenu dans l’accompagnement, à même la vulnérabilité. 

Comment border cette transition entre le moment où le produit coordonne l’existence de la personne, où il apparaît qu’elle ne se soutient plus que de cela, et le temps de la prise de recul, la possibilité de faire le choix de ne plus consommer (ou différemment) ? Il semblerait que nous devons accompagner la personne à appréhender de nouveaux agencements au quotidien et de nouveaux environnements. Cette prise d’autonomie s’inscrit nécessairement dans le temps et dans des espaces de participation, au sein du centre de soin et en dehors. 

Nous choisissons d’illustrer cette modalité de notre travail par une analyse de temps de sorties en groupe appelées déambulations artistiques, qui consistent entre autres en la visite d’expositions, de promenades urbaines et de partage d’un temps convivial à plusieurs. Nous mettrons en perspective la dimension temporelle des addictions et la notion de rythme qu’évoque la déambulation (flâner, marcher, sans but précis). Nous verrons comment une mise en mouvement hors du bureau d’entretien, hors de l’établissement (mais pas de l’institution) et dans l’environnement des accueillis (leur ville) nous permet d’initier une ouverture aux possibles pour la personne en mouvement dans l’espace (culturel et géopolitique, sociologique, thymique). Par-là, créer la possibilité d’autres points de rencontre entre la personne et le monde et, tout en étant soutenu d’une présence éducative et soignante, d’expérimenter un autre rythme que celui dans lequel il ou elle est retenu-e, de s’autoriser à emprunter d’autres trajets. 

  • Tofie Briscolini, Ethnographie de la spatio-temporalité du soin en Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale :

Une soirée, lors de mon enquête ethnographique, j’accompagne Laurent, un hébergé, au « pôle santé » pour qu’il prenne sa « molécule ». Il s’assied sur la table de soin, prends les  cachets que je lui tends et demande trois grands verre d’eau. En s’allongeant, il me confie  que, généralement, c’est le moment où il discute avec Marc ou Jeanne (un.e travailleur.euse social.e), iels prennent des nouvelles et me demande si l’on peut prendre ce temps pour  discuter ensemble. J’apprendrai par la suite, que cet espace-temps est très « ritualisé » – pour  reprendre les termes des professionnel.le.s du social – pour Laurent. Cet extrait me semble  alors illustratif de plusieurs enjeux notamment la manière dont les pratiques de soins des  corps éprouvés (Hennion, 2010) vient déployer une spatio-temporalité, à l’intérieur de  laquelle se niche des relations, entre autre, d’accompagnement. 

Je réalise une enquête ethnographique auprès de personnes hébergées ou travaillant dans un  Centre d’Hébergement et Réinsertion Sociale (CHRS) de l’agglomération lyonnaise. Les  personnes qui sont hébergées dans ce centre sont définies, pour reprendre les termes de  l’institution, comme ayant ; des « problèmes de santé physique ou psychique (déclaré ou  observé) » des addictions, ayant vécu un parcours migratoires, parcours de rue, ou comme  une population vieillissante. 

L’un des enjeux centraux de l’accompagnement social fournit au quotidien est ainsi le soin. Le  quotidien compris comme « totalité » (Neal & Murji, 2015) et comme « localisation dans le  monde » (Pink, 2012) est alors façonné par les pratiques de soin (rendez-vous médicaux,  médicalisation, vécu lié à la vulnérabilité). 

Si l’on comprend la temporalité comme un temps vécu (La Valle, 2012), ou un temps  du mouvement du corps (Cerclet, 2010) éprouvé, peut-on considérer les pratiques de soin  comme participant d’une tempo-spatialisation ? Comment prend-elle forme au quotidien ? Comment cette tempo-spatialité vient-elle rythmer, ajuster les pratiques professionnelles  dans cette structure d’hébergement ? 

Pour répondre à ces questions, je reviendrais dans un premier temps sur la spatio-temporalité  comme pratique, comme vécu passant par l’embodiment (Le Breton, 2000 ; 2018). Puis, à  partir de descriptions ethnographiques, j’explorerai la spatio-temporalité des pratiques de soin renvoyant à un jeu d’échelle. Dans un premier temps, comment les pratiques du soin rythment le quotidien et deviennent alors un appui pour les activités, notamment pour les  professionnel.le.s. Deuxièmement, comment certaines pratiques du soin, notamment les  hospitalisations, participe à une mise en récit spatio-temporelle. Enfin, comment ces  différentes spatio-temporalisation, sont aussi des appuis à la projection. 

  • Julia Violon, Se sentir vulnérable « hors les murs » Proposition d’un dispositif thérapeutique à médiation « marche » en psychiatrie :

L’histoire des murs en psychiatrie porte les traces de notre rencontre difficile avec la  « folie ». Ceux-ci enferment, cloisonnent, chronicisent en me me temps qu’ils soignent et  prote gent (Que tel, 2012). A partir de situations cliniques (en tant que psychologue  clinicienne) dans des dispositifs a me diation the rapeutiques (Brun et al., 2019) coconstruits avec les e quipes soignantes en psychiatrie, nous verrons combien ce  dispositif ame ne a reconside rer autrement cette question de l’enfermement, mobilisant le  ou la the rapeute dans une mouvance du cadre, sensible et vulne rable a l’impre visible, au  réel, a la tuché (Lacan, 1964), a la rupture et a la surprise (Oury, 2007). Cette pratique  clinique en itinérance « hors les murs » permet d’e tre en « co te a co te » (Roussillon, 2007) avec ces patient(e)s vulne rables psychiquement. Dans cet inconfort en tant que soignant,  nous sommes « spationautes » (Garot, 2018) mobilisant une « science du cheminement » (Douville, 2007) qui permet d’habiter ensemble les espaces, « non-lieux » (Auge , 1992) de  notre hypermodernite , espaces de passages, itine raires urbains ou pe ri-urbains… Le  mouvement de la marche permet alors de faire de ces interstices (Roussillon, 1987 ; Lebreton, 2000), interfaces ou lieux de passages, des lieux partage s ambigus et informels, tendant a relier, transformer, symboliser, ce que nous portons encore aujourd’hui d’une  me sinscription (Henri et Grimaud, 2013), autrement dit d’un clivage puissant entre folie et société (Bleger, 1971).