Atelier 2 / Séance d’ateliers 4

Temporalité vécue et temporalité clinique : (salle E412)

  • Constance Barthès, Quand la temporalité de l’hospitalisation se heurte à la temporalité psychique de l’adolescent hospitalisé en pédopsychiatrie : présentation d’un dispositif groupal :

Les nombreux remaniements incombant au travail de l’adolescence (physique, psychique et  identitaire) peuvent entraîner une perte des repères qui plonge l’adolescent dans une fragilité  psychique durable (Gutton, 2012 ; Houssier 2015 ; Marty, 2005). Lors de mon expérience clinique  en service psychiatrique pour adolescents, j’ai pu constater que la temporalité de l’hospitalisation et  les objectifs de la prise en charge se heurtaient parfois à la temporalité psychique de l’adolescent.  Alors, comment accompagner l’adolescent à s’approprier le cadre spatio-temporel de l’unité de  soins afin de trouver des repères susceptibles de le soutenir durant cette période de grande  sensibilité psychique aux interactions extérieures ? Comment l’aider à faire face aux  bouleversements et à la violence interne du pubertaire ? La prise en charge des adolescents  présentant une vulnérabilité narcissique ou traumatique s’avère particulièrement complexe,  notamment lorsqu’elle implique l’urgence suicidaire (Drieu, Le Malefan, 2008). Lorsque  l’adolescent ne peut se saisir d’un espace pour décharger ses affects dans une temporalité  spécifique, le corps peut devenir le théâtre des conflictualités et vulnérabilités de l’adolescent,  support d’expression de sa souffrance.  

 À partir du cas clinique d’une adolescente ayant effectué une tentative de suicide  médicamenteuse au sein de l’unité de soins, ma proposition interroge comment penser le soin  lorsque l’agir violent auto-agressif vient mettre à l’épreuve le lien soignant-soigné et le cadre de  l’hospitalisation. Comment le clinicien peut-il dépasser « l’impossible rencontre » (Balier, 2002) et  accueillir les mouvements de destructivité de l’adolescent ? Enfin, comment penser et travailler  dans et avec la crise, en ajustant le dispositif de soin au patient pour remettre du plaisir dans la  relation de soin ? Nous illustrerons nos réflexions par la présentation d’un dispositif d’atelier  thérapeutique groupal que nous avons mis en place sur l’unité, dans l’objectif de permette le  passage de la mise en acte auto-agressive sur le corps, à la mise en oeuvre créative.  

  • Jasmina Jovanovic-Lombard, Penser la vulnérabilité et ses expressions avec Henri Maldiney : le pathique, le gnosique et le vulnérable :

 

En reprenant une citation d’Henri Maldiney, lecteur d’Erwin Straus – « Toute sensation comporte un moment émotionnel, pathique, et un moment représentatif, gnosique » à la  lumière de la notion de vulnérabilité, nous soutenons l’idée selon laquelle toute vulnérabilité  relève d’un moment pathique et d’un moment gnosique. Penser les liens, les nœuds et les  rapports entre ces deux moments de la vulnérabilité, c’est penser sa temporalité dans la maladie  et plus largement, la place qu’elle prend dans toute situation critique, marquante au niveau  existentiel de nos vies. Il s’agit d’abord d’envisager la vulnérabilité – aussi bien la mienne que  celle d’autrui –, comme à la fois une question sensible et une question du sensible, comme une  question relative à nos tonalités affectives. Le concept maldinien de transpassibilité nous aidera  à penser les enjeux de la vulnérabilité et le sens de ses expressions par rapport à nos capacités  de (ré)ouverture et de rencontre.  Pour rester dans la thématique du colloque – « la vulnérabilité en santé » -, nous allons  surtout réfléchir à la vulnérabilité et à l’existence en question dans la dépression et dans la  mélancolie en se référant à quelques textes phares d’Henri Maldiney, publiés dans son livre  Penser l’homme et la folie.

  • Marie-Thérèse Ndiaye, « Hora incerta » comme justification de la déontologie médicale selon Jankélévitch :

Face à des personnes en fin de vie ou vulnérables, surtout lorsque celles-ci sont frappées de maladies incurables et pour qui le temps ne semble pas jouer en leur faveur, quel repère pour les soignants afin de demeurer dans la culture du soin et du prendre soin ? Que peut bien faire la médecine lorsqu’un malade est en phase terminale, lorsqu’on est certain que ce n’est qu’une question de temps, et incertain du ‘‘quando’’ de l’avènement de cet évènement létal? C’est sous cet angle que nous comptons participer à ce colloque. Et selon nous, pour répondre à cette question d’actualité qui va au-delà du strict médical, et du purement scientifique puisque intriquée d’enjeux existentiels, moraux et même politiques, la pensée de Jankélévitch philosophe contemporain pourrait être, croyons-nous, d’un grand apport. Sa contribution sur l’éthique médicale est à situer, selon nous, dans la trame de sa philosophie morale qui est une philosophie de l’amour et de la relation à l’autre. De fait, il considère que la morale nous incite à faire le bien. Et pour lui, l’action bonne consiste ou équivaut à aimer l’autre, quel que soit cet autre sans ‘‘hactenus’’ c’est-à-dire jusqu’à un certain point, mais pas au-delà. Qui plus est c’est dans son ouvrage intitulé La Mort qu’il évoque l’attitude qui devrait animer les soignants face au mystère de la fin de vie. Il écrit « C’est l’hora incerta qui justifie l’impératif numéro Un de toute déontologie médicale. Impératif simple, mais aussi urgent et aussi inconditionnel que simple ! tout malade, même notoirement incurable, doit être considéré comme guérissable et soigné en tant que tel et ce jusqu’au dernier soupir inclusivement ». Dans ce passage, c’est l’incertitude de l’heure qui semble rappeler à la médecine le sens de sa vocation et la valeur inestimable de tout patient. L’imprévisible avènement de la mort rend la vie à la fois vulnérable et pourtant pétrie d’avenir. En effet, l’heure incertaine laisse entrouverte la porte de la vie, fait place à l’espoir sans cesse renouvelable. Ainsi, la date de la mort prochaine ou lointaine (qui sait), enjoint la conscience morale du médecin à agir en faveur du patient aussi longtemps qu’il sera en vie. Il en résulte dès lors, pensons-nous, que même lorsque rien ne semble plus être faisable, l’accompagnement du malade et de ses proches est un impératif non négociable parce que rien n’est encore joué. Rien ne prouve que le malade condamné à mourir aujourd’hui ne tiendra pas jusqu’à demain. Tant qu’il est encore en vie, il jouit du droit fondamental à la santé et à l’accès aux soins. Il nous semble que cet appel est beaucoup plus percutant et urgent dans les structures de santé publique des pays en voie de développement. Je pense spécifiquement au Sénégal où de nombreux patients perdent la vie faute de moyens financiers, de prise en charge et d’accompagnement sanitaire.