Atelier 2 / Séance d’ateliers 5

Apparences de la vulnérabilité : (salle E412)

  • Mathieu Acquier, L’entrée dans la vulnérabilité : une analyse ontologique :

Prenons l’étymologie comme point de départ. Vulnérable est composé de vulnus, la  blessure, suivie du suffixe -able, qui exprime la possibilité. La personne vulnérable est celle qui  « peut être frappée d’un mal ». L’intérêt philosophique que j’y vois en tant que réanimateur  n’est pas la blessure en elle-même, chose commune à l’hôpital (qui occupe le Cure si  omniprésent), mais bien ce « peut être », ce -able. Il s’agit d’une éventualité physique, 

psychologique, ontologique, comme possibilité tributaire de la pathologie, du monde mais aussi  du soin (en tant que Care)

Comment intervient la vulnérabilité dans la prise de décision d’un réanimateur ? Un de ses rôles est d’expertiser le niveau d’engagement thérapeutique « éthiquement raisonnable » avant une éventuelle altération de l’état de santé du patient. Plus simplement, il s’agit de répondre à  la question : « jusqu’où irions-nous pour le patient ? Intubation, dialyse, massage cardiaque ?». C’est la perception de la vulnérabilité qui impose au soignant cette réflexion éthique. Elle se  base sur une évaluation médicale appréciant les caractéristiques du malade (son âge, ses  affections chroniques…) et l’environnement (tension des lit de réanimation), mais aussi sur les  souhaits du patient (qualité de vie acceptable, place accordée à son autonomie…). Cette prise  de conscience de la vulnérabilité du malade exige donc une projection vers des futurs  hypothétiques (« irions-nous ? »), mais aussi un questionnement de la volonté du patient en tant  que sujet libre. 

Quels aspects philosophiques se jouent alors ? L’entrée dans la vulnérabilité, en tant  qu’ouverture sur des possibilités d’altération, dévoile des rapports ontologiques fondamentaux.  Ce moment décisif est l’occasion de questionner le pouvoir-être du Dasein

D’abord, elle lie l’histoire de vie du patient à la situation dans laquelle il est jeté (la période  Covid où toute personne de plus de 50 ans était entrée dans une vulnérabilité en est un exemple  frappant). Elle éclaire le patient comme être-au-monde

Aussi, l’ébranlement existentiel qu’accompagne la vulnérabilité vient de la révélation brutale du rapport avec la mort comme la possibilité « la plus propre ». Elle appelle le patient à assumer son être-vers-la-mort

Enfin, elle rend possible une réintégration de la temporalité fondamentale du patient. En  révélant ce « peut être », elle donne l’occasion aux protagonistes de la relation de soin de  percevoir l’intrication du passé (précarité d’un corps qui a vécu), du présent (moment de la  rencontre patient-soignant) et du futur (possibilités imprégnées de fragilité et de dépendance). Par ce choc ontologique qu’est l’entrée dans la vulnérabilité, le patient a l’opportunité de se  réapproprier sa situation et son rapport au monde. Elle est aussi l’occasion d’assumer son passé  pour se porter vers un champ nouveau de possibilité, et ainsi de se ressaisir en tant que projet  coïncident avec son pouvoir-être authentique. Le rôle du soin est d’accompagner cette  résolution. Si le patient n’en a pas la force, du moins le soignant pourra tenter d’exploiter les  potentialités existentielles de la situation afin de revaloriser le patient en tant que Dasein.

  • Julia Tinland, Est-il pertinent de mobiliser le concept de vulnérabilité en éthique de la prévention ?

The concept of vulnerability does not necessarily play a central role in the ethics of prevention. Indeed, this field lends itself particularly well to referencing other closely-related but distinctive terms, such as risk or susceptibility. These do not share the same drawbacks as vulnerability, the paternalistic undertones of which have been highlighted on several occasions (Mackenzie 2014; Levine et al. 2004), but they still allow for the examination of deeply relevant normative considerations. Indeed, the ethical acceptability of preventive measures is often thought to lie in the ratio between their (medical, monetary, political, psychological, social, etc.) risks/costs and the health benefits they can bring about (Khaw and Marmot 2008). 

More recently, however, beyond being used as a label for individuals and groups whose capacity for informed consent is jeopardized and who need to be protected from exploitation (Ruof 2004), the concept of vulnerability has been referenced in connection to care and medicine more broadly (Held 2006; Gilson 2014). Understood as a universal marker of the precariousness of human life, health and autonomy, vulnerability underlines our inescapable interdependence. As we may all in turn care for and be cared for by others throughout various stages of our lives, we need to promote kindness, attentiveness, and beneficence both in our interpersonal relationships and our (political, medical, social) institutions (Straehle 2017). This new perspective allows us to question when and how vulnerable persons and bodies are “identified”, “targeted” and “treated” in the context of preventive care. This paper contends that mobilizing the concept of vulnerability in the ethics of prevention is highly pertinent for three reasons: 1) it can remedy some of the shortfalls of cut-and-dried risk/benefit calculi; 2) it allows for a more complete overview of what our responses to individuals or populations who face increased risks of deteriorating health ought to be; and 3) it could play a crucial role in reconciling prevention as a public health concern and personalized approaches to prevention.

  • Océane Paris, Soigner à crédit : Penser la sensibilité éthique des soignants dans un contexte de vulnérabilité chimique :

Mme S vivait en centre d’hébergement, elle disait souvent « Si vous me cherchez, vous me trouverez dehors sauf si c’est pour les traitements ». Mme S avait une hépatite au stade terminal et aucune chance de guérir. Aucune chance de guérir, mais se sentait quand bien corps -objet quand il s’agissait de prendre une ribambelle de traitements pour le reste. Le reste, c’était les crises d’épilepsie et les douleurs chroniques en cascade. Son quotidien tournait autour de l’alcool, le trottoir, la peur des hommes et la fuite. Dans la manière de Mme S a vouloir être cherchée, mais dans le fait de rester introuvée, les soignant.e.s interrogeaient le risque d’un abus de pouvoir (Heaslip & Ryden, 2013) et de non-maltraitance face aux refus de soins. 

Dans le cadre de l’application d’un travail prescrit face à ses résistances, nous chercherons à comprendre les liens entre vulnérabilité chimique et sensibilité éthique soignante. Nous pouvons reconnaître dans cette situation clinique, trois formes de vulnérabilités partagées et « mutuelles » (Langlois, 2012) que l’on pourrait qualifier de chimique : 

– Une vulnérabilité chimique dans un effet sédatif recherché vis à vis d’une souffrance du corps-vécu. L’effet de sédation lié à l’alcoolisation chronique altérait la conscience de Mme S : une difficulté des soignants était d’évaluer sa capacité à affirmer ou non son consentement. 

– Une vulnérabilité chimique dans le cadre de la non-observance thérapeutique. Mme S ne voulait pas prendre de traitements plus que nécessaire et le nécessaire était le moins : si ce refus venait interroger une rationalité médicale avec ses idéaux, cela signifiait aussi « ne pas faire ce que l’on peut encore faire, quand il n’y a plus rien à faire » pour les soignants dans un contexte de fin de vie. 

– Une vulnérabilité chimique dans le cadre de l’inertie clinique. Mme S ne parlait pas de ces symptômes, cela créait une « incertitude concernant son état réel » (Reach, 2012). L’inertie clinique induite par une difficulté à modifier le traitement et à quantifier la dose nécessaire créait une faille symptomatique et une impossibilité pour le soignant d’agir en fonction de ses connaissances. 

De cette manière, les vulnérabilités chimiques, que pourrait occasionner la réflexion Butlerienne autour du corps vulnérable, viennent induire une « contrainte de réciprocité » (Honneth, 2002) dans l’agir-soignant face à une incapacité à dire un consentement affirmatif (Garcia, 2020) ou dans un désir de soin changeant. La reconnaissance d’une vulnérabilité chimique problématique (Garrau, 2018) interroge le développement d’une sensibilité éthique et d’une réflexion autour de valeurs en conflit par la recherche de justesse éthique de pratique soignante s’inscrivant dans le collectif d’une équipe.