Boudou traduit

Comment une oeuvre qui incarne le drame d’une langue en déperdition serait-elle traduisible? « Remplacer la langue de cette écriture par une autre, quelle qu’elle soit, est évidemment effacer cette dimension clé1 » écrit Jaques Bres en 1983 lors de la parution de la traduction en français du Libre de Catòia et du Libre dels Grands jorns d’Alem Surre-Garcia. Ses premières publications en livre, Jean Boudou les a autotraduites et publiés avec traduction « en regard » – ainsi les Contes, mais aussi La Grava sul Camin. Livre double en visée pédagogique, mise en parallèle?

Pour Surre-Garcia, ces autotraducions sont trop proches de l’occitan: « Aquelas reviradas, tròppròchas de l’occitan, las trobèri marridas. Per çò que mancavan de la distància necessària3. » Cette distance nécessaire, en quoi consiste-t-elle ? Le Libre dels Grands jorns est la première des œuvres livresques boudouniennes publiée uniquement en occitan.

Pour sa traduction, Surre-Garcia opte pour un « style français plus soutenu4« , qui correspond à un glissement de perspective moins directe. Mais est-ce que cette perspective directe n’est-elle pas en elle-même signifiante et alors indispensable de l’oeuvre ? Lors de la traduction des Oeuvres complètes boudouniennes en français dans les années 90 auprès des Editions du Rouergue, on a choisi de retraduire tout : Ni les autotraductions de Boudou lui-même ni les traductions de Surre-Garcia n’ont été reprises.

Pour Pierre Canivenc, le segond traducteur des deux « romans », c’est « l’oralité » de la prose qui compte : « non pas le parlé, mais la voix. (…) Où l’ordre des mots a valeur discursive et philosophique ».

Tandis qu’en 2017, l’IEO choisit la traduction de Surre-Garcia pour la réédition du Catòia en français.

Comment les deux traductions en français diffèrent-elles ? Ce n’est pas seulement le choix des mots, les tournures grammaticales, la parenté avec ou bien la distance prise envers le texte original qui m’intéresse, c’est surtout la perspective, le rythme, l’atmosphère rendue par la traduction: Jusqu’à quel point peut-elle rendre « du Boudou »?

Pour pouvoir le mesurer, il faut partir des caractéristiques stylistiques de Boudou, tels les temps et ses rapports indéfinis, sa syntaxe raccourcie, ses énoncés circulaires pour abourtir à son rythme profond qui fonde son ambigüité essentielle.

En plus : Peut-être la traduction arrive à mieux s’adapter dans une langue moins parentée ? Je dispose d’une traduction anglaise du Catòia qui est malheureusement restée dans le tiroir. C’est Kees Mok qui me l’a communiquée lors du Congrès AIEO de Vitoria, en affirmant que l’anglais s’adapte très bien au rythme boudounien.

Cela m’intéresse de le vérifier – aussi en regard de ma propre traduction du Libre dels Grands jorns en allemand.