Culture

Cuisines et souvenirs d’enfance

Écrit par Marine MOUSTER et Chi NGUYEN étudiantes en deuxième année de master tourisme, hôtellerie et alimentation à l’ISTHIA, Université Toulouse Jean Jaurès.

L’odeur des gâteaux qui sortent du four à l’heure du goûter ou encore celle du poulet frit le dimanche chez les grands-parents: tous ces souvenirs sont ceux qui nous viennent de l’enfance. Les saveurs et les odeurs des plats que nous avons dégustés dans notre jeunesse ont le pouvoir de nous faire voyager dans le temps, nous rappelant des moments précieux autour de bons repas.

L’enfance – c’est ce que nous avons vécu et qui n’existe plus que dans nos souvenirs, ce quelque chose que nous regrettons toujours et que nous espérons retrouver. Les souvenirs alimentaires sont plus sensuels que les autres, car ils font appel aux cinq sens, et c’est donc dans notre esprit qu’ils s’inscrivent le plus profondément. Susan Whitbourne, professeur de psychologie et de sciences du cerveau à l’université du Massachusetts, a également admis que : « Les souvenirs alimentaires ont un goût de nostalgie et sont liés au contexte dans lequel vous prépariez ou mangiez ce plat, où la nourriture devient presque symbolique. »

Le cinéma a démocratisé ce sentiment de souvenir que nous retrouvons aujourd’hui sur nos écrans. Les films Les saveurs du palais de Christian Vincent (2012), Les recettes du bonheur de Lasse Hallström (2014) et La brigade de Louis-Julien Petit (2022), sont trois films qui expriment les souvenirs de l’enfance liés à la cuisine.

La nostalgie alimentaire est un phénomène qui nous pousse à rechercher les plats que nous avons aimés dans notre jeunesse. Dans Les saveurs du palais, la cuisinière parlant de la crème du Saint-Honoré, précise que c’est « exactement celle que faisait ma grand-mère ». Lorsqu’elle goûte la crème, ses yeux pétillent et il lui faut quelques secondes pour s’en étonner. Elle expliquera plus tard qu’elle le fait en hommage à sa grand-mère car c’est elle qui lui a appris la recette. Aussi, on retrouve l’importance du Saint Honoré tout au long du film. Le président, quant à lui, souhaite manger une cuisine de mère ou de grand-mère, une cuisine traditionnelle. Il souhaite retrouver le goût des trésors de l’enfance. C’est pourquoi, il dit : « j’ai besoin de retrouver le goût des choses […] si vous faites une cuisine de grand-mère, je serai tout à fait heureux ». On comprend ici le lien direct entre la cuisine de sa jeunesse et le bonheur que cela lui procure, bien qu’étant aux plus hautes fonctions de l’Etat français. Il exprime un souvenir de sa jeunesse en disant que cette cuisine est semblable en tout point à celle qu’il mangeait dans sa famille et qu’elle « évoque une foule de souvenirs d’enfance ».

Le lien entre la cuisine et les souvenirs d’enfance est également évoqué dans la construction du personnage du film La Brigade. On y retrouve Katy Marie à l’âge adulte qui cuisine un orgue de betteraves. On réalise au cours du film que c’est pour elle une madeleine de Proust qui lui vient de son enfance. En effet, c’est l’un des premiers plats qu’elle a appris à cuisiner, alors qu’elle était enfant de foyer. Elle en est si fière qu’elle décide de présenter son plat aux jeunes du foyer de demandeurs d’asile dont elle s’occupe.

La cuisine est aussi un moyen essentiel de transmettre les traditions familiales et culturelles. Les traditions culinaires sont transmises de génération en génération, ce qui permet de préserver la culture culinaire d’une famille ou d’une communauté. La cuisine en famille est devenue une activité intergénérationnelle qui renforce les liens familiaux et génère des souvenirs précieux. Chaque plat raconte une histoire qui se transmet. Dans le film Les recettes du bonheur, une mère a appris la cuisine à son fils (Hassan), la cuisine traditionnelle de leur pays, l’Inde. Elle était son mentor, lui a tout appris. Ainsi, Hassan utilise les épices spéciales de sa mère, mêlant habilement les saveurs de l’enfance à chaque plat. Les scènes d’ouverture et de fin du film montrent le lien fort de cet apprentissage. La scène d’ouverture tourne autour de la façon dont Hassan, enfant, découvre les oursins. La caméra se situe devant la mère et son fils les filmant se ruer sur ces fruits de mer. Les gros plans et les plans moyens sur les oursins qui suivent, donnent une impression de saveur particulière à ce produit. Cela montre aussi l’importance de ceux-ci pour la mère qui se bat pour se les procurer. Le jeune garçon ayant grandi, est tout autant passionné par la cuisine. Il rappelle que sa mère était son professeur et explique l’éducation culinaire qu’il a reçue : « Ma mère était mon professeur […] elle m’apprenait à goûter » « Les oursins ont les saveurs de la vie. C’était une éducation de tous les sens. ». Lors de la scène de fin, Hassan, à présent adulte, refait le plat de son enfance qu’il partage avec ses proches, et la communauté française dans laquelle sa famille s’est installée.

La cuisine et les souvenirs de l’enfance sont liés. Ils sont le lien de notre relation avec la nourriture et notre passé. Chaque plat que nous cuisinons et mangeons est rempli d’histoires et de souvenirs qui nous relient à notre famille, à notre culture et à notre enfance. La cuisine est bien plus qu’une activité quotidienne. Elle représente notre histoire familiale et culturelle. Prendre le temps d’apprécier ces souvenirs culinaires est un moyen de faire le lien avec notre passé.

L’autorité féminine en cuisine professionnelle

Écrit par Célia Garric et Cloé Fonné

A l’image d’Eugénie Brazier et d’Anne-Sophie Pic, deux figures de la gastronomie française, les femmes sont représentées dans le cadre de la cuisine professionnelle. Toutefois, cette représentation reste mineure et stéréotypée. En effet, la plupart des cheffes fait face à l’image de la cuisinière domestique, comme l’explique Martine Bourelly dans
« Cheffe de cuisine : le goût de la transgression » : « “faire la cuisine”, savoir-faire considéré comme “naturellement” féminin dans la sphère domestique, s’avère être un métier éminemment masculin. »

Ce métier de chef à connotation masculine engendre parfois l’apparition d’un plafond de verre dans la cuisine professionnelle. Pourquoi une femme cheffe devrait-elle redoubler d’efforts pour espérer recevoir le même respect de son autorité de la part de sa brigade que son homologue masculin ?

Cette question a pu être l’objet de diverses scènes des films Les Saveurs du palais (2012) et La Brigade (2022), réalisés respectivement par Christian Vincent et Louis-Julien Petit. L’analyse de deux scènes marquent un point d’orgue de la relation entre les chefs et cheffes. Dans ces deux scènes, la passion de la cuisine est un élément déterminant pour les personnages principaux des deux films. D’abord, dans La Brigade, Cathy Marie exprime un désaccord verbal concernant son plat signature. Ce désaccord se lit dans un premier temps sur son visage et est mis en scène grâce à un jeu de lumière face à sa rivale, Lyna Deletto. La minutie dont Cathy Marie fait preuve accentue la vision d’une cheffe passionnée dans une cuisine en effervescence. Cette passion est retrouvée dans Les Saveurs du palais avec la cheffe Hortense qui n’a plus rien à perdre et tient à faire régner le respect de la cuisine quitte à entrer en conflit avec son chef rival.

Un autre élément déterminant est l’idée d’isolement, mise en lumière par le cadrage dans La Brigade et le jeu d’acteur dans Les Saveurs du palais. Dans le premier film, Cathy Marie est mise en scène isolée, concentrée et au centre de l’attention du spectateur tandis que les autres gravitent autour d’elle sans jamais interagir. Hortense, dans Les Saveurs du palais, bien qu’accompagnée de deux personnages proches, prend ses propres décisions sans les consulter. On l’aperçoit aussi par le port d’un tablier noir qui contraste avec les tabliers blancs des autres cuisiniers de la cuisine centrale, à l’image d’un mouton noir bouc émissaire.

Outre ces deux éléments, ces scènes mettent en avant un contraste d’autorité entre les chefs et cheffes. Ce contraste est d’une part médiatique dans La Brigade, et d’autre part relève de l’ancienneté dans Les Saveurs du palais. En effet, dans La Brigade, Cathy Marie et Lyna Deletto sont, certes, toutes les deux cheffes, mais n’ont pas le même statut. Lyna est une star de la cuisine qui invite même des journalistes jusqu’au sein de sa brigade, ce qui semble démesuré pour Cathy Marie qui, elle, pour rappel, est une passionnée. Dans Les saveurs du palais, le chef Pascal Lepiq est arrivé avant Hortense dans la cuisine centrale et s’imagine donc supérieur.

Cette question de l’autorité des femmes en cuisine professionnelle est aussi représentée par les interactions verbales fortes entre les chefs et cheffes qui peuvent parfois même frôler l’irrespect. En effet, dans La Brigade, l’altercation entre les deux cheffes met en scène deux figures déterminées. Cathy Marie tient à défendre son plat signature et la passion qu’elle met dans sa cuisine. Elle montre une cheffe principalement intéressée par l’avis des clients en comparaison de Lyna Deletto, mise en scène comme la cheffe autoritaire et sûre d’elle. La cheffe se sent profondément touchée dans sa maîtrise de la cuisine et il semble que son rôle de cheffe ne soit pas respecté par la cheffe Lyna Deletto. A l’instar de Cathy Marie, Hortense, dans Les Saveurs du palais, est à l’origine d’une altercation verbale face au chef Pascal Lepiq : les insultes fusent mais ne sont pas rendues par le chef. Elle répond à son manque de considération tout au long du film par une scène verbalement irrespectueuse, comme une représentation de l’atteinte de la limite du respect de son autorité.

L’autorité de la femme en cuisine professionnelle reste un sujet très nuancé. L’importance de la passion culinaire pour la cheffe peut engendrer un certain isolement, souvent due à l’autorité dont la cheffe doit faire preuve pour recevoir le respect de ses pairs. Les exemples de Cathy Marie et Hortense ne sont qu’un reflet des multiples obstacles que certaines cheffes rencontrent quotidiennement. Toutefois, leur représentation sur grand écran représente une avancée des mentalités françaises sur ce sujet, malgré les dix ans d’écart entre les deux films.