1. Le vélo dans les pays du « Sud »
Les Nations Unies ont énoncé en 2015 un ensemble de 17 objectifs de développement durable qui doivent mobiliser notre énergie pour la période 2015-2030, aussi bien dans les pays développés qu’en développement. Le 11e objectif intitulé « Make cities and human settlements inclusive, safe, resilient and sustainable » contient un point relatif à la mobilité, notamment urbaine : « provide access to safe, affordable, accessible and sustainable transport systems for all ». Aujourd’hui 64% des kilomètres parcourus dans le monde sont urbains et on estime que cela peut tripler d’ici à 2050. Ce 11e objectif des Nations Unies résonne tout particulièrement pour les villes des pays « du sud » où pollutions et congestions dues aux véhicules sont extrêmement importantes, et où les populations sont en général plus vulnérables. On estime que 85% des décès dus à la pollution de l’air ont lieu dans les PVD et que 90% de la pollution en zone urbaine dans les PVD est due aux véhicules motorisés.
Dans les pays du Sud, transformer les habitudes de mobilité urbaine pour basculer vers des modes plus respectueux de l’environnement comme le vélo y est difficile à plusieurs titres. D’abord la voiture particulière est encore majoritairement considérée comme un modèle de réussite sociale. Notons que ce phénomène n’est pas général puisqu’il n’est par exemple pas observé dans les pays d’Europe de l’Est par exemple, où le niveau social ne semble pas influer sur l’utilisation du vélo. Ensuite, la sécurité routière est souvent mauvaise, décourageant toute velléité d’utiliser le vélo régulièrement pour ses trajets domiciles-travail par exemple : « 90 % des accidents mortels se produisent dans les pays en développement où circulent seulement 48% de la flotte mondiale de véhicules motorisés ».
Outre le fait que le vélo, et plus généralement les mobilités actives, sont peu polluantes et bonnes pour la santé, elles ne consomment pas d’énergie, au contraire des transports collectifs urbains de type bus ou tramway. Par ailleurs, d’un point de vue macro-économique, tout investissement en infrastructure urbaine qui est réalisée en direction du vélo, ou des engins de glisse, est un investissement essentiellement « one-shot », avec un coût d’exploitation très faible. Les deux modes de modalité (actives individuelles et collectives) sont bien sûr complémentaires, les secondes permettant globalement de transporter plus loin et plus vite.
2. Le cas de la Tunisie
Dans le cadre général des pays du Sud décrit ci-dessus, la Tunisie ne fait pas exception : l’usage du vélo comme mode de déplacement quotidien reste quasi-absent dans les grandes villes tunisiennes (0,8% de la part modale à Sfax, moins de 1% à Tunis). L’usage de la voiture particulière est représentatif d’un certain niveau de vie, les infrastructures dédiées au mobilités actives sont vétustes (trottoirs souvent inutilisables) ou inexistantes, les services de transports publics ne sont plus adaptés à une population urbaine et un étalement urbain en forte croissance. Par ailleurs l’ensemble des voitures individuelles compte pour environ 15% de l’énergie totale consommée par la Tunisie, ce qui est largement supérieur par exemple à la France où ce taux était en 2019 de 10,2%. La ratio habitants/bus diminue depuis 2014 à Tunis, sans alternative durablement acceptable.
3. Le problème des données et d’un état des lieux précis
Un des problèmes récurrents lorsqu’il s’agit de mettre en place des scenarii de transformation des mobilités dans les pays des « Sud » est le manque de données. En Tunisie la dernière enquête « mobilités » date de 1994. Les enquêtes « mobilités » sont coûteuses et longues. Ce manque de données, en particulier sur les déplacements intra-urbains, empêche la mise en place d’un état des lieux précis. Cette question a récemment été pointée dans un rapport de l’Union Européenne comme un verrou à la mise en place de scenarii prospectifs réalistes.
4. Le projet MoMIDS
Le projet Modèles de Mobilité Intelligente et Durable dans les pays du Sud (MoMIDS) est un projet scientifique qui a 3 objectifs : 1) produire de la connaissance sur les mobilités dans le Grand Tunis, 2) proposer une modélisation spatio-temporelle de ces mobilités, 3) évaluer dans quelle mesure il est possible de mettre en place un modèle de développement de la mobilité cyclable à Tunis.
Nous utilisons une approche interdisciplinaire qui se développe autour de 4 volets complémentaires : 1) des enquêtes de terrain dans des aires urbaines choisies, 2) l’enregistrement et l’analyse de traces GPS dans le cadre d’expérimentations « grandeur nature », 3) l’utilisation de données de téléphonie mobile à grande échelle, 4) la question de la cyclabilité dans un contexte comme celui de Tunis et la modélisation de la notion de « détour cyclable acceptable ».
Une première semaine d’expérimentation aura lieu fin mai 2023 et une deuxième à l’automne 2023. Il s’agit d’une expérimentation qui doit engager entre 90 et 150 participants qui travaillent dans un des quartiers du Bardo, Centre Urbain Nord ou Charguia 2, et qui est centrée sur les déplacements « domicile -> travail ». Cette expérimentation est basée sur l’enregistrement de traces GPS des participants lors d’un déplacement « domicile -> travail » et d’un entretien consécutif au déplacement.
L’expérimentation a pour objectif thématique d’améliorer nos connaissances de la mobilité en essayant de répondre à des questions comme : comment se fait l’optimisation spatio-temporelle des trajets « domicile -> travail » ? Comment peut-on utiliser des modes actifs (vélo) pour optimiser ces trajets ? Quels sont les choix que l’on peut expliquer et ceux que l’on ne peut pas expliquer dans les choix de trajets observés ? Peut-on qualifier la manière avec laquelle les gens forment leur trajet ? Peut-on identifier des scenarios types de déplacements ?
En comparant les traces GPS et la position des antennes de téléphonie mobile, l’expérimentation a aussi un objectif méthodologique qui est de savoir dans quelle mesure il est possible de reconstruire les trajets à partir des données de téléphonie mobile dans le contexte du Grand Tunis ? Nous questionnerons aussi la possibilité de détecter automatiquement le mode de transport.