Objectifs et problématiques du colloque

À l’instar du delta du Danube, les zones humides (deltas, littoraux, fleuves, lacs, rivières…) sont des « hot spots » pour la biodiversité. Ces milieux, soumis aux changements globaux, constituent des écosystèmes sensibles dont la gestion requiert de comprendre les mécanismes de formation et de fonctionnement. Ce sont aussi des hauts-lieux culturels, les sociétés les ayant mises en valeur étant soudées par la gestion et la proximité de l’eau, d’où la création de microcosmes aux spécificités sociales remarquables.

Cette rencontre s’intéresse à tous les types de zones humides : eau douce, eau salée, eau saumâtre ; eau courante, eau stagnante ; eau permanente ou temporaire qui constituent les marais, les tourbières, les cours d’eau, les estuaires, les deltas et les étendues marines de faible profondeur.

L’objectif de cette manifestation est de poser un regard sur les trajectoires d’anthropisation des zones humides, que celles-ci soient favorables ou au contraire aliénantes pour ces dernières, et de proposer d’échanger autour de la question des temporalités et de l’utilité de reconstituer l’évolution géohistorique environnementale des zones humides afin de d’établir des politiques durables de gestion.

Il s’agira notamment de mettre en lumière le rôle des interventions humaines anciennes ou récentes dans le fonctionnement de ces milieux, des temporalités de leur altération ou de leur amélioration dans l’optique de la prise en compte dans leur gestion.

Cette manifestation scientifique internationale est organisée en Roumanie, à Tulcea et dans le delta du Danube (réserve UNESCO), conjointement par le CNRS (UMR 5602 GEODE et 7266 LIENSs), le Groupe d’Histoire des Zones humides, l’ICEM « Institut Gravila Simion » de Tulcea et l’Institut de Recherche sur le Delta du Danube ; avec le concours de la « Romanian Limnogeographical Association» et le CEDETE (Univ. Orléans).

Ces rencontres seront placées sous le patronage de la Réserve Biosphère « delta du Danube » et du Conseil Départemental de Tulcea et de l’Institut Français de Bucarest. Elles participent de la saison franco-roumaine 2019. Le cadre roumain apparaît en effet idéal pour réfléchir aux trajectoires environnementales des lieux d’eau et envisager de les intégrer dans les politiques d’aménagement : le patrimoine des zones humides de la Roumanie, tout à la fois très varié et très riche, a enregistré des successions de modes de valorisation contradictoires et originaux, notamment lors de la période communiste. Récemment réhabilité, il est en attente de politiques de gestion conciliant biodiversité des sites et socio-cultures de l’eau.

 

Objectifs de la manifestation

L’objectif de ces rencontres est de développer une approche diachronique et chrono-systémique des zones humides et de leurs trajectoires d’artificialisation, en combinant l’analyse des paysages avec celle des usages et des représentations qui les façonnent. Il s’agira d’évaluer les interrelations socio-environnementales dans la longue durée et de poser des questionnements relatifs à la patrimonialisation et la conservation de ces milieux.

Le principe est de faire appel à des terrains d’études et à des milieux diversifiés (montagnes, littoraux, deltas et plaines alluviales…) en Roumanie, en Europe et en Méditerranée…, à différentes temporalités et à des phases d’artificialisation diverses (en cours d’aménagement, en reconstruction, à l’abandon) dans le but de croiser les approches et les problématiques disciplinaires.

Ces rencontres favoriseront le croisement d’approches disciplinaires autour de l’étude des zones humides, du point de vue historique, géographique, sociologique, juridique et environnemental, en mettant en perspective les notions de trajectoires, de patrimonialisation, de conservation ainsi que par la prise en compte des impacts socio- environnementaux.

 

Position

Pendant longtemps, les zones humides ont fait l’objet de défiance voire de rejet de la part des sociétés. Souvent « ignorées, conspuées voire détruites jusqu’aux années 1990, les zones humides continentales sont peu à peu devenues un des enjeux importants des différentes politiques environnementales et d’aménagement aux échelons national, européen et planétaire » (Cubizolle, Sajaloli, Sacca https://journals.openedition.org/geocarrefour/8664). Depuis les années 1990, cet objet de recherche fait l’objet de nombreuses réflexions à la fois historiques, géographiques et écologiques car les zones humides sont à l’origine de services écosystémiques essentiels (gestion des crues, épuration des eaux…), présentent une biodiversité remarquable et contribuent à une singularisation culturelle des territoires. Si les connaissances ont beaucoup évolué sur ces différents aspects, qu’en est-il réellement de l’approche géohistorique en lien avec les zones humides ?

La Géohistoire semble connaître un regain d’intérêt ces derniers temps dans la sphère scientifique, comme en témoigne l’organisation de récents colloques où l’approche temporelle par rapport aux territoires se mêlent (Colloque « Géohistoire des risques et des patrimoines naturels fluviaux » organisé par le GHZH à Orléans en 2013 ; colloque «Géohistoire de l’environnement et des paysages » proposé par le laboratoire GEODE à Toulouse en 2016 ; colloque « Les temps des territoires » à Nanterre en mars 2017, colloque « Archéologie et Zones humides » proposé par le GHZH à Bibracte en novembre 2017 ; colloque international du RUCHE : «Écrire l’histoire environnementale au XXIe siècle : sources, méthodes et pratiques, 13-15 juin 2018). La volonté des organisateurs est de faire le point sur les recherches en géohistoire des zones humides à travers trois aspects : l’artificialisation, la restauration et l’adaptation. L’approche géohistorique suppose-telle de nouvelles approches, de nouvelles méthodes pour questionner les zones humides ? Par ailleurs, ce colloque sera aussi l’occasion de tisser des liens entre disciplines et auprès des collègues roumains.

 

 

thématique du colloque

Le colloque s’articulera autour de trois thèmes :

Thème 1 : Reconstitution des trajectoires spatio-temporelles des zones humides

La prise en compte des temporalités longues est souvent absente des débats tenus dans le cadre de la gestion des zones humides ainsi que celle de l’emboîtement des échelles temporelles entre elles (décennales, séculaires, multiséculaires) et avec les échelles spatiales (de la grande échelle du site à la petite de la macro-région). Pourtant, les dynamiques et évolutions historiques revêtent une importance non négligeable dans le fonctionnement actuel des écosystèmes et dans les perceptions qu’en ont leurs usagers qui déterminent les conditions d’adhésion sociale aux projets d’aménagement ou de préservation. L’approche géohistorique permet l’intégration de la temporalité dans les territoires ; elle est propice à la reconstitution de trajectoires spatio-temporelles. En complément à l’approche géohistorique, la géoarchéologie et l’histoire environnementale permettent de retracer et de remonter plus loin dans le temps. La dimension temporelle autorise une mise en perspective critique des trajectoires territoriales et aboutit à des prises de décisions plus « durables » dans le cadre de politiques de gestion des zones humides. Comment prendre en compte cette dimension géohistorique dans ce processus de gestion ? De quelle manière appréhender les héritages, les anciens usages, les interventions anthropiques anciennes et actuelles ?

Les zones humides ont connu une alternance de phases de dégradation majeures depuis de nombreux siècles au travers de la multiplication d’aménagements et d’usages, de sorte que beaucoup d’entre elles ont été artificialisées ou considérablement réduites par les sociétés, et, a contrario, des phases de valorisation favorables à leurs richesses naturelles et à leur expansion, et des phases de création comme dans le cas des étangs ou des mares. Quels sont les usages ? Quels types d’aménagements détériorent les zones humides ou au contraire les magnifient ? Quels sont les effets écologiques et socio-culturels de ces emboîtements de phases contradictoires et successives sur les territoires de l’eau ? Le changement climatique et les événements extrêmes ne sont-ils pas aussi responsables de la dégradation des zones humides ? Existe-t-il des seuils au sein des trajectoires spatiotemporelles des zones humides ? A partir de quel moment les systèmes deviennent-ils si artificialisés que la résilience de leur fonctionnement biophysique est menacée ?

Face à l’artificialisation et à la régression, de plus en plus de zones humides sont patrimonialisées. Comment prendre en compte les spécificités culturelles des sociétés de l’humide (solidarités, pratiques communautaires, adaptations, isolats…) ? Quels sont les promoteurs de ces opérations et peut-on distinguer les acteurs de la décision et ceux de la mise en œuvre. Enfin, quelles représentations des zones humides sous-tendent ces opérations de patrimonialisation ou de requalification des lieux d’eau ? N’existe-t-il pas une contradiction entre cette patrimonialisation et l’image de « sauvage » véhiculée par les zones humides ?

 

Thème 2 : Restaurer les zones humides et le mythe de l’état de référence

Face à l’artificialisation et aux dégradations des zones humides, de nombreuses opérations visent à valoriser, restaurer les zones humides, tant en milieu rural qu’en milieu urbain. La restauration écologique tend à se généraliser sur tous les types de zones humides.

Quels sont les types d’opérations réalisées lors de restauration ? Quels regards devons-nous porter sur ces reconstructions écologiques par rapport à la reconstitution des trajectoires spatio- temporelles ?

Au travers des différentes trajectoires temporelles des zones humides, est-il possible de percevoir une fabrique géohistorique de la nature ? Quels héritages anthropiques entrent en jeu dans le fonctionnement biophysique des zones humides ? Quels enjeux à l’établissement de ponts entre patrimoine culturel et patrimoine naturel ? Peut-on parler de culturalité écologique à travers le triptyque naturalité / artificialité / culturalité dans le cadre d’opérations de restauration ?

Les organisateurs seront attentifs aux propositions montrant des études de cas à travers notamment l’opérabilité et le suivi de ces opérations.

 

Thème 3 : Nouveaux usages, nouvelles valeurs, nouveaux patrimoines

Les opérations de restauration des zones humides sont souvent associées à des initiatives de sensibilisation, d’éducation du public et des usagers (panneaux, publication…) conduites par des acteurs dissemblables (État, collectivités locales, associations, initiatives privées…) dont il s’agit de bien distinguer les rôles et les relais.  Longtemps décriées, les zones humides actuelles ne sont-elles pas l’objet d’une nouvelle perception de la part des usagers ?

N’existe-t-il pas de nouveaux usages, de nouvelles valeurs? La diffusion de l’évaluation des services écosystémiques rendus par les zones humides ne modifient-ils par leur perception ? Quelles sont également les aménités mises en avant et les moteurs de la patrimonialisation des lieux d’eau ?

La mise en place d’opérations de restauration n’engendre-t-elle pas un nouveau regard sur les zones humides, entre attraction/ répulsion ? La patrimonialisation des zones humides ne constituerait-t-elle pas une forme de marketing territorial