Appel à Communications
Colloque international
L’accueil des migrants en ville : Les politiques urbaines et les mobilisations citoyennes en question
Université Toulouse – Jean-Jaurès, 12-13 mai 2022
La restriction mondiale des régimes nationaux d’immigration, accentuée par la pandémie de Covid-19, a fait du sort des migrants bloqués dans leur trajectoire ou enfermés dans un statut illégal ou précaire un enjeu de plus en plus important pour les agglomérations urbaines qui les reçoivent, de façon volontaire ou non. La crise des politiques d’asile et le déclin des pratiques religieuses de solidarité a amené la société civile et les gouvernements locaux à construire des mesures fragmentées et palliatives pour gérer des situations parfois critiques. Tandis que la couverture médiatique et les discours politiques soulignent souvent des administrations submergées et des expressions populaires de rejet, l’interaction avec les populations migrantes peut aussi donner lieu à la tolérance, l’accommodation ou le soutien aux nouvelles populations étrangères (Babels 2018). De nombreuses solidarités citoyennes ont vu le jour pour pallier aux dysfonctionnements des dispositifs d’Etat, soit parce que les acteurs institutionnels ne possèdent pas les compétences liées aux problématiques migratoires, soit parce que l’Etat est lui-même la source du rejet administratif. Dans certains cas, les acteurs locaux font référence à des notions de sanctuaire, d’accueil, et d’hospitalité dans leurs efforts à défendre les droits des migrants et à promouvoir leur accès aux services. D’autres expérimentations dans la protection des migrants sont mises en oeuvre sans rhétorique particulière, mais elles représentent néanmoins des positionnements idéologiques qui sont ancrées dans des contextes historiques, institutionnels et philosophiques.
Les maires et autres acteurs locaux qui dénoncent et s’opposent de façon explicite aux politiques nationales restrictives positionnent les municipalités « rebelles » concernées comme des sanctuaires pour des migrants qui risquent la détention et l’expulsion (Furri 2017). Le terme « sanctuaire » prend racine dans un mouvement social et religieux qui a émergé au début des années 1980 pour défendre des demandeurs d’asile centraméricains aux Etats-Unis (Coutin 1993), mais son emploi s’est élargi récemment dans la recherche et dans la société civile, au fur et à mesure que la polarisation politique vis-à-vis de l’immigration a augmenté dans de nombreux contextes nationaux (Darling and Bauder 2019, Lippert and Rehaag 2013). Aux Etats-Unis, le débat sur les « villes sanctuaires » implique désormais des questions institutionnelles concernant la communication et la coopération entre le gouvernement fédéral et les autorités locales dans la pratique de l’identification et la détention des migrants non-autorisés. A travers les Amériques, les politiques municipales conçues pour protéger les migrants tendent à se focaliser sur les enjeux moins conflictuels de l’amélioration de l’accès aux services ou plus largement au respect des droits de la personne (Faret and Sanders 2021). Si les villes ne peuvent pas offrir systématiquement un havre physique et un refuge sûr, le concept de « sanctuaire » soulève néanmoins des questions fondamentales sur les tensions qui peuvent surgir lorsque les gouvernements locaux gèrent les migrations d’une manière qui rentre en contradiction avec les priorités nationales en matière d’application de la loi. Quelles sont les bases pratiques et symboliques des conflits avec les gouvernements nationaux au sujet de l’immigration ? Dans quelle mesure ces luttes autour des politiques migratoires font partie d’une renégociation plus large du rôle et de l’autorité des villes, et d’un écart croissant entre des intérêts urbains et nationaux ? Le principe éthique de non-refoulement des migrants à risque peut-elle s’appliquer aux gouvernements locaux (Blake & Hereth 2020) ? Peu d’attention a été accordée à ces dynamiques dans certains pays du Sud, ou dans des pays qui ne possèdent pas une longue tradition d’immigration.
Par ailleurs, de nombreux maires et conseils municipaux ont émis des messages formels de bienvenue aux migrants, souvent en tant que membres des réseaux nationaux ou internationaux de villes « accueillantes » (Welcoming America aux Etats-Unis ; Cities of Solidarity en Europe). Ces déclarations publiques et appels à l’action sont fondés sur une variété de considérations pratiques, d’enjeux idéologiques et de motivations stratégiques. Certains messages participent à construire une marque urbaine de ville cosmopolite et tolérante de la diversité, ce qui peut contribuer à son rayonnement international. D’autres formulations présentent les immigrés comme une ressource économique potentielle, capable d’endiguer les pertes de population et de stimuler le redressement des zones urbaines en déclin. Dans d’autres cas encore, l’appui aux populations étrangères peut relever d’une stratégie d’affichage de positionnements progressistes et inclusifs à même de séduire une partie de l’électorat local. Dans quelle mesure ces expressions de solidarité avec les résidents d’origine étrangère ont-elles produit des changements politiques de fond ? Les enjeux migratoires ont-ils été intégrés dans la construction des politiques de planification urbaine, de logement, d’éducation, et santé publique dans les villes concernées ? Au-delà des stratégies de communication, les positionnements des gouvernements locaux vis-à-vis de l’immigration peuvent être lus comme des indicateurs des priorités et des aspirations sur le long terme.
Les espaces et les lieux de l’accueil s’entendent au-delà des strictes limites morphologiques de la ville (densité, découpage administratif), étant donnée la place que prennent aujourd’hui les localités péri-urbaines et rurales dans cette géographie de l’hospitalité en Europe, en Amérique et en Afrique (Furri et Lacroix, 2020; Berthomière et al., 2020). Des villes “mondiales” aux bourgs ruraux, les collectivités territoriales s’inscrivent pleinement dans des réseaux d’accueil, volontairement ou involontairement, avec des effets différenciés sur l’ancrage et l’appropriation des lieux par les personnes exilées. Ainsi la question de l’urbanité comme dimension de l’accueil peut-elle se déployer au-delà des configurations classiques de la “ville” au singulier ? De quelle manière l’accueil prend-il forme dans cette géographie plurielle, depuis les localités urbaines (centre-ville, quartiers périphériques), les espaces péri-urbains et jusqu’aux bourgs ruraux?
Le devoir d’hospitalité envers l’étranger fournit un autre cadre de référence saisissant pour la réception humanitaire des migrants ; les actes individuels et collectifs de solidarité observés dans les espaces frontaliers que les migrants traversent, là où ils attendent la possibilité de le faire ou dans les villes atteintes, peuvent être considérés comme des exemples concrets d’accueil des étrangers dans le besoin, leur offrant sécurité et minimum vital. Les initiatives citoyennes relèvent de différents domaines qui concernent les conditions de vie des migrants : leur venir en aide quotidiennement et les accompagner (hébergement, scolarisation, aide alimentaire, etc…) ; les aider administrativement et légalement (réfugiés en demande d’asile, mineurs isolés, migrants sommés de quitter le territoire…), les orienter vers une insertion professionnelle et une installation à plus long terme. Les formes de solidarités citoyennes anciennes ou qui ont émergé ces dernières années, qu’elles émanent d’associations, de collectifs engagés ou de petites actions individuelles, sont à interroger aujourd’hui. Les initiatives proposées peuvent-elles offrir autre chose que des mesures palliatives, forcément insuffisantes ? De quelle manière les formes de solidarités à l’égard des étrangers ont-elles été vilipendées, criminalisées (Carrère & Baudet 2004), mais parfois discrètement encouragées (Brugère & Le Blanc 2018) ? A quoi correspondrait une politique de l’hospitalité, à part une « réduction dans la domination » des migrants vulnérables par les acteurs et les institutions qui exploitent leur statut précaire (Boudou 2017) ?
Que ce soit dans la perspective des pouvoirs publics locaux ou des initiatives citoyennes, les rapports asymétriques générés dans une démarche d’accueil peuvent soulever des questions qui font miroir à celles inhérentes à la notion même d’hospitalité. Au sens anthropologique, cette relation à l’autre implique des limites à sa durée et une forme de réciprocité de la part des hôtes (Gotman 2001, Pitt-Rivers 1977). Pendant combien de temps des individus et des groupes de migrants peuvent-ils bénéficier des mesures de protection sans créer une réaction négative ? Dans certains cas, la question de comment la distribution d’aide produit ce que certains acteurs considèrent comme des obligations de la part des migrants (devant prouver leur mérite ou offrir une forme de contribution) se pose. L’origine et la catégorie ethnico-raciale attribuée à ces migrants ont-elles une incidence sur les attentes à leur égard ? Comment le contexte pandémique a-t-il influé sur la perception des migrants et sur la possibilité de leur venir en aide ?
Dans ces dynamiques, la question des perspectives propres aux populations migrantes – depuis leur agentivité plus ou moins contrainte jusqu’aux projets migratoires initiaux ou transformés qui sont les leurs – apparait également centrale. On sait combien les situations contemporaines peuvent conduire les populations en mobilité à être victimes de discrimination de la part des agents administratifs, ou des populations locales au sens plus large. Les contradictions entre le discours des autorités locales et les formes d’intervention des acteurs locaux chargés de l’application de la loi ne sont pas rares. Elles témoignent souvent d’un décalage entre la perception qu’ont les gouvernements locaux des questions migratoires et la manière dont les populations étrangères vivent les processus d’incorporation urbaine. Dans quelle mesure les politiques d’accueil et les initiatives citoyennes correspondent à des attentes souvent difficiles à lire ? Les niveaux élevés de vulnérabilité et d’invisibilité peuvent contribuer, du point de vue des acteurs migrants, à maintenir une distance avec les institutions, en particulier lorsque le discours d’accueil local coexiste avec des opérations de contrôle et de détention menées par l’Etat. Dans la perspective des expériences quotidiennes de la ville vécues par les populations en situation de migration, comment se manifestent le ton hospitalier du discours officiel et les dispositifs mis en place par les autorités locales ?
Le colloque des 12-13 mai 2022 à Toulouse se propose ainsi d’explorer les processus sous-jacents à la construction des initiatives urbaines d’accueil des migrants, de questionner les cadres théoriques qui les étayent, incluant notamment le devoir d’hospitalité dans une démarche humanitaire, l’offre de « sanctuaire » par des autorités locales en conflit avec l’Etat, ou encore l’image cosmopolite et progressiste de la « ville accueillante ». La rencontre vise à placer ces débats dans un périmètre international, et sera l’occasion de réunir des chercheurs d’Europe, des Amériques, d’Afrique et au-delà, afin d’interroger la réception urbaine des migrants dans des perspectives croisées et attentives à des environnements spécifiques, tant du point de vue de la nature des dynamiques migratoires que des formes d’action existantes. Les approches depuis l’anthropologie, la sociologie, la géographie, la science politique, le droit ou les études urbaines seront les bienvenues, alimentant un dialogue multidisciplinaire et multiscalaire que nous souhaitons fructueux.
Conférenciers invités :
- Michel Agier (EHESS, IRD)
- Susan Bibler Coutin (University of California at Irvine)
- Thomas Lacroix (CNRS – Migrinter)
Comité scientifique d’organisation :
Lionel Arnaud (Université Toulouse III – Paul Sabatier)
Etienne Ciapin (Université Toulouse – Jean Jaurès)
Laurent Faret (Université de Paris)
Annalisa Lendaro (Université Toulouse – Jean Jaurès)
Stephanie Lima (Université Toulouse – Jean Jaurès)
Samuel Malby (Université Toulouse – Jean Jaurès)
Hasnia-Sonia Missaoui (Université Toulouse – Jean Jaurès)
Hilary Sanders (Université Toulouse – Jean Jaurès)
Les langues du colloque seront l’anglais et le français. Merci d’adresser une proposition (environ 500 mots), ainsi qu’une brève biographie (5-10 lignes), pour le 24 janvier 2022 à : Welcomingmigrants2022@univ-tlse2.fr. Un texte et éventuellement un support visuel résumant la communication seront demandés pour le 30 avril.
Les organisateurs tâcheront de couvrir les frais de mission des jeunes chercheurs qui en feront la demande.
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