Interland : La prévention sur internet par Google®
Le géant de la Silicone Valley, Google®, a financé en 2017, le développement d’un jeu pédagogique nommé Interland qui fait partie du programme plus large « be internet awesome« . Son but est le suivant « To make the most of the Internet, kids need to be prepared to make smart decisions. Be Internet Awesome teaches kids the fundamentals of digital citizenship and safety so they can explore the online world with confidence » (Google, 2017). Autrement dit pour obtenir le meilleur d’internet, les enfants ont besoin d’être préparés à prendre des décisions de manière autonome. Be internet awesome apprend aux enfants les fondamentaux de la citoyenneté numérique et de la sécurité afin de pouvoir surfer sur internet en toute confiance. Il est accompagné de nombreuses ressources à destination des parents et des éducateurs, uniquement en anglais. L’éveil de la conscience numérique des élèves est un enjeu important du monde scolaire contemporain. Pour autant comment peut-on intégrer un programme de prévention mis en place par l’entreprise leader sur le marché ? Cette article tentera de répondre avec méthode, à cette question. Dans une premier temps nous verrons dans quelle mesure le conseiller principal d’éducation (ci-après) CPE est compétent dans l’éducation au numérique de nos élèves. Sera ensuite développée la prise en main du jeu. Après nous aborderons pourquoi il est primordial de s’intéresser à cette question dans nos établissements scolaire. Pour finir nous mettrons en exergue les limites de l’outil
Les compétences du CPE en matière de numérique : Un agent au service de la mutation de l’Institution
Le ministère de l’éducation nationale marque depuis longtemps son ambition de faire rentrer les nouvelles technologies dans l’école. C’était déjà le cas pour la radio, la télévision ou encore le magnétoscope. La mise en œuvre d’un plan en faveur de l’utilisation du numérique commence en 1985 avec le plan « informatique pour tous ». La loi du 8 juillet 2013 dévoile la stratégie qui aidera à faire rentrer l’école dans l’ère du numérique. Nous nous appuierons plus particulièrement sur le point « une éducation renouvelée aux médias, à l’information et à l’usage responsable d’internet et des réseaux sociaux ». Cette transition doit être l’œuvre de l’ensemble de la communauté éducative. Les compétences numériques ont été pensées afin de parfaitement s’intégrer dans l’acquisition du socle commun de compétences, de connaissances et de culture de 2015 ainsi qu’au référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation du 8 juillet 2013.
En effet chacun des personnels de l’éducation nationale est acteur du service public et en ce sens doit permettre aux élèves d’être outillé en ce qui concerne le numérique car un manque de qualification dans ce domaine peut entraîner des inégalités sur le marché du travail dans une société de plus en plus digitalisée. Ensuite, l’administration centrale nous invite à nourrir notre pratique professionnel de la culture numérique. L’intégration de la culture numérique dans sa vie professionnelle est développée en plusieurs points :
« Tirer le meilleur parti des outils, des ressources et des usages numériques, en particulier pour permettre l’individualisation des apprentissages et développer les apprentissages collaboratifs ». Il y a ici une vision du métier d’enseignant conforme à ce que nous énoncions précédemment : un enseignant qui sait apporter une aide à chaque élève et qui sollicite le travail partagé. On est loin d’un simple dispensateur d’un savoir.
« Aider les élèves à s’approprier les outils et les usages numériques de manière critique et créative ». L’élève lit numérique, écrit numérique… Le numérique est un outil ordinaire…
« Participer à l’éducation des élèves à un usage responsable d’internet ». Éduquer les élèves, c’est leur confier des responsabilités. L’usage responsable d’internet, c’est particulièrement la possibilité d’éditer : journaux scolaires, blogs…Bien évidemment le contrôle par le chef d’établissement aidé par un ou plusieurs enseignants est indispensable.
« Utiliser efficacement les technologies pour échanger et se former ». C’est toute la question de la formation par le numérique. Les Moocs arrivent et se développent d’une part avec des appuis institutionnels, mais aussi de manière plus spontanée : des réseaux se mettent en place.
Durpaire, J. (2015). Autonomie pédagogique et culture numérique. Administration & Éducation, 3(3), 135-140. https://doi.org/10.3917/admed.147.0135
Concernant plus particulièrement le CPE, le numérique s’inscrit dans la politique éducative de l’établissement par le biais par exemple des parcours éducatifs. Le numérique peut s’insérer dans tous les parcours et l’outil que nous présentons pourra par exemple être inclus dans le parcours citoyen en collège lors de séances pédagogique (6-5ème) et pourra également être utilisé en études au collège. Il peut également être utile en étude, afin de se divertir en apprenant au CDI. Pour ce qui est de son utilisation au lycée on privilégiera son usage à titre d’exemple afin d’aborder des questions de société comme le poids et l’image des grandes entreprise sur internet. Ces exemple d’utilisation s’intègre dans le suivi du parcours de formation de l’élève. Les problématiques qui s’intéressent au numériques doivent faire l’objet d’un diagnostic partagé et d’un projet commun en lien avec l’ensemble de la communauté éducative et plus particulièrement le professeur documentaliste qui occupe une place centrale dans l’éducation aux médias et à l’information.
Interland : Le jeu pour devenir des cyber-héros, car se protéger c’est cyber-simple !
Voilà la promesse que nous fait Google® avec ce petit univers qui met en scène différents personnages qui représentent des rencontres que les enfants peuvent faire sur internet. La plateforme vise plutôt les élèves entre 8 et 12 ans. Le jeu nous propose quatre environnements, chacun attachés à un thème.
Nous avons tout d’abord la tour des trésors qui aborde la question des informations personnelles.
C’est ensuite dans le royaume de la gentillesse qui sensibilise à la question du cyber-harcèlement et des comportements malveillants.
La question de la vérification des informations si on effectue des recherches sur internet est posée sur la rivière de la réalité.
Pour finir la montagne de la prudence met en avant la nécessaire protection de ses données.
Chaque « monde » est lui même divisé en plusieurs mini-jeux qui se soldent par une question à trou afin de tester les connaissances du joueur.
Équiper nos élèves pour l’usage du numérique est un enjeu crucial des années à venir
Les jeunes sont aujourd’hui particulièrement exposés au numérique puisqu’ils sont singulièrement équipés par rapport aux générations précédentes d’une part et par rapport au reste de la population d’autre part. Le temps que les adolescents consacrent à internet est assez important (Martin, 2008). Il est également important de noter que les jeunes ont des utilisations et des compétences très contrasté. Le sexe ou encore la classe sociale sont des éléments à prendre en compte et qui expliquent en partie ces disparités. Ce qu’il est fondamental de comprendre que la catégorie adolescent n’est pas uniforme et que ça n’est pas parce qu’ils sont nés entourés d’outils numérique qu’ils en ont une bonne maîtrise. En effet l’utilisation ne garantit pas la le développement de compétences (Fluckiger, 2008). Internet fait des jeunes des proies faciles pour les publicités pour des produits en tout genre, ce phénomène ne cesse de s’accroître avec l’augmentation du pouvoir d’achat des adolescents. Ajoutons pour finir que nos élèves entre 10 et 12 ans vont débuter leur adolescence et qu’ils vont rentrer plus profondément encore dans la construction de leur identité. Cela passe notamment par l’identité numérique qu’ils se créent. Les apports d’internet sont nombreux et peuvent s’avérer être de vraies ressources pour les élèves aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Pour toutes ces raisons l’éducation aux médias et à l’information a été introduite en 2016.
Les plus-values de l’outil : Un serious game pensé pour responsabiliser les jeunes utilisateurs
Le jeu est une des activité qui favorise le plus l’apprentissage naturel(Geary, 2007). Les jeux sérieux sont un outil comme un autre afin de rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages. Ces logiciel sont subdivisés en deux catégories. Ceux qui ont comme objectif premier la pédagogie et ce pour qui ce critère ne vient que dans un second temps. (Amadieu, Tricot, 2014).Interland se situe dans la première catégorie puisque l’objectif premier du concepteur est de responsabiliser l’utilisateur. C’est d’ailleurs une caractéristique qui est reprise par un article de recherche qui analyse cet outil (Seal, Schoenberger , 2018).
Il permet d’aborder les principales question relatives à la citoyenneté numérique. Les bases sont abordées. En effet les sujet abordés sont variés. Ce jeu est avant tout conçu pour les jeunes enfants et cela se voit tant au niveau du vocabulaire utilisé, des couleurs, ou encore des manipulations nécessaires à l’activité. De plus, il n’est pas nécessaire que l’élève dispose d’un niveau très important en lecture afin qu’il s’en serve.
Les limites de l’outil : Un jeu pédagogique conçu par l’entreprise en situation de monopole sur son marché
Le premier apparaît dès la présentation de l’outil et notamment lorsqu’on présente l’entreprise qui a financé sa conception. C’est Google®, leader monopolistique dans la création de moteur de recherche. Cela pose nous pose la question de l’éthique professionnelle et de la neutralité commerciale. En effet, la neutralité commerciale est imposée dans l’Ecole de la République. Cette obligation est rappelée dans le titre 1 du statut de la fonction publique. Ce principe s’applique afin de protéger les élèves dans la mesure où ils ne sont pas encore assez matures pour prendre, seuls, toutes les décisions qui les concernent. Nous sommes pour eux des personnes de référence et à ce titre nous nous devons de les protéger de l’influence néfaste de certains phénomènes. Peut-on vraiment, dans ce cas, utiliser cet outil ? Oui, mais des précautions sont à prendre.
Cet outil numérique souffre des maux de sa catégorie. Il ne peut se suffire à lui-même dans la formation de la citoyenneté numérique des apprenants. Sur les 31 études concernant les jeux sérieux, il s’avère que les sujets n’ont pas fait plus de progrès qu’avec un outil classique mais étaient plus motivés (Girard et coll., 2013). Cependant d’autres chercheurs soutiennent l’idée selon laquelle des effets positifs à court et long terme ont été mesuré et la motivation n’était pas plus présente (Wouters et al., 2013). On peut donc dire que ce qui importe le plus c’est la mise en activité de l’élève plus que le fait que ça soit un outil numérique, il n’y a pas vraiment de plus-value au niveau des apprentissages. Enfin, pas de manière certaine.
Concernant maintenant Interland, nous pouvons exposer trois grandes limites du jeu :
The program’s choice of language to describe Internet safety and online
It fails to consider the usage of information past a surface level;It ignores elements outside of the user’s control; and
It portrays Google as a benevolent and authoritative Internet expert.
Seale, J., & Schoenberger, N. (2018). Be Internet awesome: a critical analysis of
Google’s child-focused Internet safety program. Emerging Library & Information
Perspectives, 1, 34–58.
Pour expliciter cette analyse nous pouvons dire que ce logiciel ne répond pas à toutes les menaces qui pèsent sur les jeunes durant leur utilisation d’internet, comme la récolte des données par les différents sites visités. Rien n’est indiqué quant à l’utilisation des données que récoltera Google®. Afin de limiter le risque de conservation des données des élèves, l’utilisation du logiciel dans l’établissement devra obligatoirement se faire via la navigation privée (CNIL, 2016). L’impact de l’entreprise sur ces questions est complètement passé sous silence. A cela s’ajoute la manière dont l’annonceur s’adresse au joueur : de manière autoritaire et passe par la première personne pour faire penser que la responsabilité de la sécurité sur internet ne dépend que des comportements des utilisateurs. De plus, les rappels du producteurs sont nombreux, ce qui cache peut-être de la publicité masquée (annonce de Google au départ du jeu, les couleurs des iles). Pour finir on explique aux enfants que le nombre de résultats élevé est gage de qualité alors même que des annonceurs payent pour apparaître en tête de liste.
Conclusion
En conclusion nous pouvons dire que le CPE a toute sa place dans la formation à la citoyenneté numérique. Lui et l’ensemble de la communauté éducative doivent permettre aux élèves de pouvoir avoir un usage raisonné de cet outil. Et ce dans le but de mettre en oeuvre les grands principes du Service Public de l’éducation. Cette ressource peut à la fois être une mine d’or et nous mener vers l’enfer le plus sombre. Comme les deux côtés d’une seule et même pièce, les avantages ne sont pas dissociables des inconvénients. Afin d’assurer la transition technologique, pédagogique et éducative les agents doivent se doter d’outils pertinents. Interland peut en faire partie mais au regard des nombreux écueils de la conception, l’utilisation devra être encadrée par un adulte et s’accompagner d’une solide formation aux médias et à l’information.
Bibliographie
Durpaire, J. (2015). Autonomie pédagogique et culture numérique. Administration & Éducation, 3(3), 135-140.
F.A., & Tricot, A. (2014). Apprendre avec le numérique : Mythes et réalités. La nouvelle Imprimerie Laballery.
Geary, D.C (2008). An evolutionarily informed education science. Educational psychologist, 43, 179-195.
Girarg C., Ecalle J.,& Magnan A. (2013), Serious game as new educational tools : How effective are they? A meta-analysis of recent studies., Journal of computer assisted learning, 29, 207-219
MARTIN O. (2008). « La conquête des outils électroniques de l’individualisation chez les 12-22 ans ». Réseaux, n° 146, p. 335-365.
Seale, J., & Schoenberger, N. (2018). Be Internet awesome: a critical analysis of
Google’s child-focused Internet safety program. Emerging Library & Information
Perspectives, 1, 34–58.
Wouters P., & Van Oostendorp H. (2013). A meta-analytic review of the role of instructional support in game-based learning. Computers & Education, 60, 412-425
Sitographie
Fluckiger, C. (2008). L’école à l’épreuve de la culture numérique des élèves. OpenEdition Journals. https://journals.openedition.org/rfp/978#tocto3n1
Google. (2017). Be internet awesome. Be internet awesome. https://beinternetawesome.withgoogle.com/en_us/
La navigation privée pour limiter les risques de piratage de vos comptes en ligne | CNIL. (2016). Cnil. https://www.cnil.fr/fr/la-navigation-privee-pour-limiter-les-risques-de-piratage-de-vos-comptes-en-ligne
Ministère de l’Education Nationale. (2013). Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République. Ministère de l’Education Nationale de la Jeunesse et des Sports. https://www.education.gouv.fr/loi-ndeg2013-595-du-8-juillet-2013-d-orientation-et-de-programmation-pour-la-refondation-de-l-ecole-5618
Ministère de l’Education Nationale de la Jeunesse et des Sports. (2013). Le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation. Ministère de l’Education Nationale de la Jeunesse et des Sports. https://www.education.gouv.fr/le-referentiel-de-competences-des-metiers-du-professorat-et-de-l-education-5753
Ministère de l’Education Nationale de la Jeunesse et des Sports. (2021). Circulaire de rentrée 2016. Ministère de l’Education Nationale de la Jeunesse et des Sports. https://www.education.gouv.fr/bo/16/Hebdo14/MENE1608893C.htmCon
Wikipedia contributors. (2021). Plan informatique pour tous. Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_informatique_pour_tous