Le projet

Le sifflé béarnais, un langage à réinventer

Des crêtes aux vallons d’Ossau, bien avant l’ère des téléphones portables, les bergers pyrénéens communiquaient autrefois par des sifflements puissants et mélodieux, que les promeneurs non avertis pouvaient prendre pour le langage des oiseaux ou le chant des marmottes. Cette pratique ancestrale connue sous le nom de lo shiular d’Aas du nom d’un petit village ossalois était une forme sifflée de l’occitan béarnais conçue pour se faire entendre de loin sans avoir à crier. Elle permettait aux bergers de se comprendre d’un versant à l’autre, au cœur du calme imposant des montagnes.

La parole sifflée

Comme le chuchotement ou le cri, la parole sifflée est une modalité verbale : elle ne remplace pas une langue, mais en est une forme adaptée à un contexte de communication contraignant. Dans les vallées profondes, les forêts denses ou les zones escarpées, parler de façon ordinaire serait inaudible. Crier, userait vos cordes focales. Siffler, en revanche, permet de faire porter la voix sans effort particulier sur plusieurs centaines de mètres.

Certaines langues, comme l’occitan béarnais, le turc ou encore certaines langues africaines et amazoniennes, ont développé des versions sifflées. Il ne s’agit pas de codes secrets ou de simples signaux, mais bien du langage, qui transpose les éléments essentiels de la parole dans une forme sonore différente. Après un temps d’apprentissage, les auditeurs sont capables de distinguer les voyelles — indiquées par la hauteur du sifflement — et les consonnes, encodées dans les silences et les bruits, ainsi que dans les modulations qu’elles impriment aux voyelles voisines.

Ainsi, le sifflé est une autre façon de parler, adaptée aux besoins d’un mode de vie et à un environnement. Il mobilise l’oreille, le souffle, la mémoire et l’attention d’une manière très particulière. Il demande de l’écoute, de la précision, et crée un rapport particulier à l’espace.

Le projet ECO Revitaliser l’occitan sifflé : renouer paysage, habitants, pratiques cherche à redonner vie à cette langue disparue des usages, à travers un travail collectif associant habitants, enseignants, chercheurs et associations locales. L’objectif ? Mieux comprendre cette pratique unique, à la fois sensorielle, corporelle et profondément liée au paysage sonore, pour lui imaginer un nouveau souffle dans le temps présent.

Pourquoi s’intéresser au sifflé béarnais ?

Parce qu’au-delà d’un simple moyen de communication, il incarne une autre manière d’habiter le monde : une façon d’être à l’écoute du paysage, de faire corps avec la nature, de vivre le territoire autrement. À l’heure où nos vies s’éloignent de l’oralité et des échanges sensibles, ce projet propose de repenser notre lien au langage, au vivant, à ce qui nous relie à un lieu. Une langue n’est jamais qu’un outil de communication : sa puissance tient aussi dans ce qu’elle permet d’exprimer, de ressentir, de transmettre, de faire exister.

Depuis 1999, plus aucun siffleur traditionnel ne pratique cette langue au quotidien. Mais grâce à l’association Lo Siular d’Aas dirigé par Théodose Peyrusque, une quinzaine de passionnés entretiennent encore la flamme. Mieux encore : depuis 2015, grâce à l’engagement de deux enseignants d’occitan au collège Les Cinq Monts à Laruns, Nina Roth et Philippe Biu, une cinquantaine de collégiens de Laruns apprennent chaque année cette technique dans leurs cours d’occitan.

Le projet ECO s’intéresse particulièrement à ces jeunes locuteurs en devenir : comment s’approprient-ils cette forme de langage ? Que ressent-on en parlant avec son souffle et en entendant sa voix porter loin ? Dans quels contextes l’utilisent-ils une fois sortis du collège, au-delà des murs de la classe ? En posant ces questions, le projet cherche à imaginer comment le sifflé peut réintégrer nos usages actuels. Les partenaires du projet en ont dessiné les contours : faire du langage sifflé un trait d’union entre tradition et modernité, en réactivant les liens qui unissent la langue, le paysage et les pratiques culturelles vivantes.

Ce projet est soutenu par TIRIS, dans le cadre de l’appel à projets « Co-recherches avec la société ». Il est porté par Anna Marczyk-Buklaha.

Continuez vers Partenaires

Lisez ce contenu en occitan 

Répondre à Lafitte Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 réponses à “Le projet”

  1. Avatar de Lafitte
    Lafitte

    Bonjour, je me demandais s’il n’y avait pas une faute d’orthographe dans le site. Sous la barre de menu en haut à gauche il est écrit revitaliser lo sHiular d’Aas avec un « h » à « shiular » mais l’association « lo siular d’Aas » orthographie « siular » sans le « h ».

    A part cela, le site est très bien et les photos d’illustration sont magnifiques. Bravo pour ce beau projet.

    1. Avatar de Anna Marczyk
      Anna Marczyk

      Bonjour, et merci beaucoup pour votre œil attentif !
      Vous avez tout à fait raison : il existe plusieurs façons d’écrire le mot « siffler » en occitan — siular, shiular ou même… chiular.
      Les graphies ou servent à marquer le son [ʃ].
      Ainsi, tout dépend de la graphie qu’on choisit : la classique pour siular, ou la mistralienne — celle de Frédéric Mistral — pour shiular ou chiular. 🙂

Répondre à Lafitte Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Partagez cet article