Fabier Perrier

D’un printemps à l’autre: Le dégel américano-iranien (1997-1998)

« Marg bar Amrika ! » Téhéran, ambassade des Etats-Unis, octobre 1979. Scandé par une foule que va bientôt galvaniser la prise en otage du corps diplomatique américain, le cri exprime un double ressentiment : à la haine de l’impérialisme américain il joint celle d’une culture adoptée par la bourgeoisie occidentalisée des villas huppées du nord de la capitale iranienne.
Quatre ans auparavant, les derniers soldats américains évacuaient précipitamment Saigon, leur dernière tête de pont au Vietnam. Fin décembre 1979, l’Armée rouge pénètre en Afghanistan, se rapprochant dangereusement du Golfe persique. La crise des otages, cauchemar du président Carter durant sa dernière année à la Maison blanche, a alors débuté. C’est l’acte fondateur d’une révolution iranienne qui inaugure une menace d’un type nouveau pour le leader du « monde libre », amalgamant islamisme, terrorisme, menaces sur la route du pétrole et risques de déstabilisation des pétromonarchies pro-américaines.
24 Mai 1997. Muhamad Khatami, mollah réformateur porteur des espoirs de changement d’une génération qui n’a pas connu les années Khomeiny remporte, contre toute attente, les élections présidentielles. Objectif de la nouvelle équipe : retrouver une respectabilité perdue, renouer les liens avec les partenaires de l’OPEP, une Asie centrale post-soviétique en mutation et au-delà avec l’Occident, seul à même de sortir le pays de son marasme économique. Or, cette volonté de normalisation prend de cours l’hyperpuissance américaine, à l’heure même où, dans le rôle ingrat du « shérif solitaire » (S. Huntington), elle s’efforce de mettre l’Iran, symbole des hantises de l’après-guerre froide, au ban de la communauté internationale. La nouvelle donne politique à Téhéran, dont la portée demeure floue, va contraindre l’administration fédérale à arbitrer entre des impératifs contradictoires.
France, 25 juin 1998. En phase finale de la coupe du monde de football, l’Iran triomphe de la sélection américaine, après que les capitaines des deux équipes aient échangé fanions et cadeaux. En liesse, la jeunesse iranienne prend spontanément possession de la rue. Quelques semaines plus tôt, la Secrétaire d’Etat M. Albright, répondant à une initiative du président Khatami, posait les bases d’un possible rapprochement. La diabolisation réciproque semble alors sur le point d’être abandonnée, même si le dégel opéré demeure timide.
La seconde administration Clinton hérite en effet de la première un outillage mental et un arsenal législatif de combat, quoique d’une efficacité sujette à caution. Le vent du changement venant d’Iran ne rencontre dans un premier temps que scepticisme. Durant le second semestre 1997, les signaux positifs demeurent trop discrets pour être perçus comme tels. Ce round d’observation prend fin au cours des premiers mois de 1998. Les contacts mutuels se font plus nombreux, les bonnes paroles plus précises. Fruit d’intérêts bien compris, la rupture de l’immobilisme semble acquise, sans que soit encore franchi le « mur de la méfiance » (M. Khatami).

DEUX CHŒURS TRAGIQUES QUI S’INJURIENT

Des rancœurs réciproques
Tranchant sur des « mort à l’Amérique !» émoussés pour avoir trop servi, un « I love USA » griffonné sur un mur d’Ispahan durant l’été 1997 rappelle à propos que les relations entre les deux pays n’ont pas toujours été conflictuelles. Un aperçu sommaire de leur histoire contemporaine est indispensable à l’intelligence des tendances les plus récentes.
Lorsque Rheza Khan, impressionné par le succès du kémalisme en Turquie, renverse en 1926 le dernier des Qajar, c’est vers l’Occident qu’il se tourne pour enrayer le déclin de l’empire perse. En 1927, c’est à une mission américaine qu’il fait appel pour réorganiser les finances. Son chef, l’amiral Millspaugh, accusé de sortir de son rôle de technicien, est pourtant rapidement poussé à la démission par le leader iranien. Demeure en effet vivace, chez ce dernier, le souvenir de la tutelle qu’au début du siècle les puissances exerçaient sur l’administration du pays. Lorsque Millspaugh est de retour, à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, c’est dans un contexte international tout différent. Rheza Shah déchu, son Empire, occupé, fait office de couloir stratégique pour le matériel américain destiné à l’armée rouge. En 1943, le choix de Téhéran comme terrain de rencontre entre Staline, Roosevelt et Churchill laisse déjà présager des convoitises de l’après-guerre.
Lorsque l’Iran, riche en pétrole et frontalière des républiques caucasiennes de l’URSS, recouvre sa souveraineté en 1945, c’est pour devenir l’un des premiers enjeux de la Guerre froide. Parallèlement, le nationalisme, avivé par la tutelle subie durant la guerre, semble exclure la soumission à l’Occident.
Le refus soviétique d’évacuer l’Azerbaïdjan iranien en 1945 précipite pourtant l’engagement aux côtés des Etats-Unis. Y contribue parallèlement le risque de subversion en germe dans les solides positions détenues par le Toudeh, le parti communiste local. La chute du docteur Mossadegh, fin 1953, lève l’hypothèque de la tentation neutraliste. Largement orchestrée par la CIA, elle place le régime de Mohamed-Rheza Pahlevi, un moment chancelant, dans l’orbite américaine. Les majors accaparent 40 % des parts du consortium qui succéde à la puissante Anglo Iranian Oil Company, longtemps fer de lance d’une présence britannique reléguée désormais au second plan. L’adhésion au Pacte de Bagdad se double, en 1956, d’un traité bilatéral d’assistance. La visite qu’entreprend à cette occasion Eisenhower souligne assez l’importance de l’Iran sur l’échiquier moyen-oriental ;
La décennie 1970 accroît l’importance stratégique de l’Iran aux yeux de Washington. Tandis que l’Union Jack cesse de flotter à l’est de Suez, les leçons de l’enlisement vietnamien conduisent à se reposer davantage sur les puissances régionales alliées. La manne issue du premier choc pétrolier rend possible le rééquilibrage souhaité des deux piliers de l’alliance et permet à Téhéran d’acquérir un matériel militaire ultramoderne. Pour la seule année 1976, l’aviation iranienne passe commande de 160 exemplaires du tout nouveau chasseur F16. Des projets pharaoniques sont lancés. Les ressortissants américains, militaires et civils confondus seront près de 50 000 à la veille de la Révolution. Le golfe persique, « lac américain » ? La situation est moins simple. Le « gendarme du Golfe », fort de sa puissance montante, entend de moins en moins être bridé par les contraintes liées à l’alliance américaine. Après s’être rendu à Moscou en 1968, le Shah exprime des revendications territoriales sur la façade arabe du golfe (Bahreïn, les îles Tomb et Moussa, occupés aux dépens des Emirats arabes unis). La modernisation accélérée et autoritaire permise par la rente pétrolière fragilise pourtant l’assise du pouvoir impérial. Liant son sort à celui d’une dynastie évoluant en vase clos, les Etats-Unis ne voient pas venir la Révolution qui emporte, fin 1978, le régime des Palhlevi..
Il importe de préciser les sources auxquelles s’alimente l’anti-américanisme des différents acteurs de la Révolution, laquelle ne se limite pas, dans sa première phase, à sa composante islamique.
Pour les révolutionnaires laïcs, nourris de maoïsme, de tiers-mondiste et d’anti-impérialisme, la référence-clef demeure l’expérience nationaliste et anti-occidentale du gouvernement Mossadegh, dont ils se veulent les héritiers. On ne peut comprendre les réticences iranienne à émerger d’un rapport de conflictualité, jusque et y compris après l’élection de Khatami en 1997, sans faire intervenir la mémoire de l’action souterraine menée, en 1953, par la CIA dans la manipulation des foules réclamant « spontanément » le retour du shah. D’autre part, les mollah qui, sous la « guidance » de Khomeyni, aspirent à retrouver une position sociale perdue, associent plus spécialement les Etats-Unis aux mutations sans précédent de la société iranienne. Khomeyni lui-même n’a-t-il pas été expulsé d’Iran en 1964 pour avoir dénoncé les privilèges d’extraterritorialité des ressortissants américains ? De la « Révolution blanche » des années soixante au projet teinté de mégalomanie de « Grande civilisation » des dernières années, les bouleversements imposés à marche forcée par le shah sont perçus comme le résultat d’un complot ourdi par l’Amérique.
Le contentieux s’approfondit avec la radicalisation et l’exportation de la Révolution. Washington, prenant les devants, a pourtant poussé le shah au départ, avant de reconnaître le gouvernement modéré de Bazargan, que Brzezinski rencontre à Alger. Un dialogue semble pouvoir s’instaurer en dépit du changement de régime. Le coup de théâtre intervient le 4 novembre 1979 : la prise en otage du corps diplomatique américain, non désavouée par l’ayatollah Khomeiny, entraîne la démission de Bazargan et une islamisation totale du nouveau régime, quelques semaines avant le déclenchement de l’offensive iraqienne. Embargo, boycott, gel des avoirs iraniens, rupture des relations diplomatiques, tractations secrètes ; Les sanctions, que les alliés rechignent à appliquer, se révèlent de peu de portée. C’est en simple citoyen que Carter accueille, à Wiesbaden, les ex-otages, libérés en échange d’un dégel partiel des avoirs.
Le déclenchement de l’offensive iraqienne et la radicalisation du régime de Téhéran précipitent la détérioration des relations bilatérales. L’accueil réservé au souverain déchu par Washington achève de façonner son image d’empereur fantoche inféodé aux intérêts occidentaux. La présence régionale des forces américaines apparaît plus que jamais inacceptable à l’heure où, du Koweït à Dubaï et de Bahreïn au Hasa, l’expansionnisme chiite cherche à déstabiliser les royaumes sunnites pro-occidentaux et pro-iraqiens rassemblés, à partir de 1981, dans le Conseil de coopération du Golfe. Enfin, le déclenchement par Israël de l’opération « paix en Galilée » au Liban, où l’action du hezbollah est pilotée depuis Téhéran, achève de mettre en relief la solidarité américaine envers l’ennemi sioniste.
L’affrontement américano-iranien s’exerce ainsi plus particulièrement dans le cadre compliqué de la guerre civile libanaise. L’attentat suicide du 13 novembre 1983, faisant plus de 200 victimes américaines membres de la force multinationale, alourdit le contentieux. Le « grand satan » américain est contraint de sortir la tête basse du bourbier libanais, où demeurent toujours comme otages certains de ses ressortissants. De l’Egypte au Golfe, l’islamisme, perçu à tord ou à raison comme une cinquième colonne iranienne, avance ses pions contre des régimes alliés. La radicalisation du conflit Iran-Iraq menace la libre circulation des tankers dans le golfe. Last but not least, à travers les témoignages de la diaspora perse ou de récits comme Jamais sans ma fille (1986) de B. Mahmoody, l’opinion publique américaine est sensibilisée à la brutalité de la théocratie khomeinyste.

La réponse de l’administration Reagan à la menace iranienne présente deux volets. Dés 1984, l’Iran est classée parmi les Etats soutenant le terrorisme, ce qui se traduit par une batterie de mesures répressives. Le boycott du pétrole iranien est décrété en 1987, des pressions exercées simultanément sur les institutions financières internationales. D’autre part, les risques pesant sur la sécurité du Golfe, la tentative d’internationalisation du conflit par Téhéran et son refus obstiné d’une médiation internationale décident Reagan à engager l’US Navy. La flotte iranienne en ressort décimée. Deux ans plus tard, le croiseur Vincennes abat par erreur un airbus d’Iran Air. Le Bilan est de 290 victimes. Evénement important, qui ancre dans l’opinion iranienne l’image d’une Amérique n’hésitant pas à sacrifier des civils sur l’autel de ses ambitions de domination du Golfe. Mais les rancœurs qui se cristallisent alors sont partagées. Les autorités de la République islamique n’ont-elles pas révélé avoir reçu clandestinement des armes destinées à financer les contras nicaraguayens ? R. Mc Farlane, conseiller de sécurité du président, a lui-même fait le voyage en Iran, dans un avion au contenu suspect, misant sur une possible libération des otages. Ces révélations précipitent le déclenchement de l’Irangate assombrit la fin du deuxième mandat présidentiel. Par un effet de miroir, elles renvoient à l’Amérique profonde l’image dissimulée d’une politique extérieure peu glorieuse.
La mort de Khomeiny en 1989, remplacée par Rafsandjani, plus pragmatique, peu après que l’Iran, exsangue, ait été forcée d’accepter la résolution 598 du Conseil de sécurité mettant fin à la guerre contre l’Iraq, semble être propice à une désescalade. Lors de la guerre du Golfe, Téhéran se conforme aux injonctions de l’ONU et, fin 1991, les derniers otages détenus au Liban sont libérés. La Révolution islamique a alors atteint sa phase thermidorienne. Rafsanjani lance un double programme de libéralisation économique et de décrispation idéologique. La CEE saisit la balle au bond et, fin 1992, en dépit de la fatwa lancée trois ans plus tôt par Khomeiny contre l’écrivain indo-britannique S. Rushdie, annonce la mise en œuvre d’un « dialogue critique », formule elliptique qui permet aux entreprises européennes de reprendre pied sur le sol iranien.
A la veille de l’élection de B. Clinton, l’opinion américaine, soucieuse de toucher les dividendes de la fin de la Guerre froide et de mettre fin à la « surexpansion impériale » (P. Kennedy), n’a pourtant guère modifié sa perception sans nuance de l’Iran révolutionnaire, dernier obstacle, depuis la défaite iraqienne, à un monde pacifié par les vertus conjuguées de la démocratie et du « doux commerce ». La nouvelle administration présidentielle reste elle aussi conditionné une décennie de diabolisation réciproque.

« Rogue state » et « dual containment »
P. Mélandri et J. Vaïsse ont récemment avancé le terme de « régence » pour caractériser la conduite de la politique étrangère américaine au cours des deux premières années de la présidence Clinton. G. Bush, peu charitable, avait cru bon de relever que la culture internationale de son challenger se limitait à la maison internationale des pancakes de Littlerock. Les régents désignés se signalent a contrario par leur expérience. Nombre d’entre eux étaient déjà aux affaires sous Jimmy Carter. Warren Christopher, placé à la tête du Département d’Etat, avait alors vainement tenté, depuis Alger, de trouver une issue à la crise des otages. Anthony Lake, nommé à la tête du Conseil national de sécurité, conseillait à l’époque Z. Brzezinski. Quant à Martin Indyk, responsable de la politique moyen-orientale, père du « dual containment », il a longtemps figuré parmi les leaders du tout-puissant AIPAC, l’American Israel Public Affairs Committee, fer de lance de six millions de Juifs-Américains. Les responsables démocrates qui, à l’heure de la moralisation proclamée des relations internationale, vont déterminer la politique iranienne des Etats-Unis sont donc peu suspects de complaisance envers Téhéran.
La victoire de la coalition rassemblée contre S. Hussein est alors comprise comme la première étape vers l’avènement, trop longtemps différé, de la sécurité collective, vieux rêve, de Wilson à Roosevelt, des présidents démocrates. Les espoirs mis dans l’ONU ne sont certes pas exclusifs d’arrière-pensée ; M. Albright, ambassadeur auprès de l’Organisation, l’affirme sans équivoque : « le multilatéralisme est un moyen, non une fin. Et il n’est justifié que lorsqu’il sert l’objectif central de notre politique étrangère : protéger les intérêts américains ». Ainsi doit-il permettre d’identifier et d’isoler les « Etats voyous », trublions du nouvel ordre mondial, agents de prolifération nucléaire et balistique.
A l’échelle régionale du Golfe, la lutte contre les « rogue states » prend la forme d’une politique de double endiguement de l’Iraq et de l’Iran, énoncée par M. Indyk devant le Congrès en mai 1993, puis exposée par A. Lake dans la livraison du printemps 1994 de Foreign affairs. Les griefs exprimés à l’encontre du régime de Téhéran sont déjà ceux qui feront écho à l’élection de Khatami. Indyk évoque un « quintuple défi lancé [par l’Iran] aux Etats-Unis et à la communauté internationale ». Dans l’ordre : le soutien au terrorisme et les assassinats politiques, le torpillage du processus de paix à l’heure des accords d’Oslo, la déstabilisation, en partenariat avec le Soudan, des pays arabes alliés, un réarmement dangereux pour la sécurité du Golfe, la mise en œuvre d’un programme nucléaire et balistique. Les deux premiers et le dernier points seront progressivement seuls retenus ; Non sans fondement il est vrai, puisque l’élimination des opposants en exil se poursuit, tandis qu’en août 1991, en riposte à la Conférence de Madrid, initiative américaine pour régler la question palestinienne, se tient à Téhéran une « Conférence de solidarité avec le peuple musulman de Palestine ». Les accords d’Oslo y sont vilipendés, en liaison organique avec le Hamas palestinien. Enfin, à la faveur de l’implosion de l’URSS, l’Iran entame la reconstruction d’un potentiel militaire réduit à néant par dix années de guerre, sans pour autant prétendre officiellement au rang de puissance nucléaire.
Les deux victimes de la Dual Containment Policy ne peuvent pourtant être placées sur le même plan aux yeux d’une communauté internationale que Washington espère convertir à ses vues.
L’Iraq, soumis aux résolutions draconiennes du Conseil de sécurité, fait face au front encore intact de ses ennemis de la veille. L’Iran, qui s’offre le luxe d’exprimer sa sympathie au peuple iraqien, « victime à la fois de la dictature et des Etats-Unis », est rapidement insérée dans une dynamique de normalisation, à la faveur de la fin de l’ère Khomeyni et des leçons de la guerre du Golfe. Ses relations avec les Etats du monde arabes sont peu à peu rétablies et l’activité diplomatique sort de sa torpeur. Toute la difficulté de l’administration américaine va consister à briser cette dynamique et à mettre en exergue le péril perse. Christopher s’emploie à convaincre ses homologues de la CEE, qu’il rencontre le 9 juin 1993. Son but : faire de l’Iran « un paria sur la scène internationale » ; Gageure placée au service d’un objectif dérivé : le contraindre à se conformer aux exigences américaines, censées se confondre avec celles de la communauté internationale. « Nous ne cherchons pas l’affrontement, déclare Indyk, mais nous ne rétablirons pas nous relations tant que l’Iran ne modifiera pas sa politique ». Parallèlement, alors que vient de paraître Clash of civilisations de S. Huntington, les déclarations officielles se veulent rassurantes : l’Amérique ne cherche en rien à renverser la République islamique.
La rhétorique de combat se révèle cependant de peu d’effet, conduisant Washington à se lancer, à partir de 1995, dans une fuite en avant.
Deux événements font en l’espèce office de catalyseur : d’une part, les élections de la mi-course de 1994 amènent au Congrès une majorité républicaine très critique à l’égard du multilatéralisme onusien. Composite, elle se retrouve autour du speaker de la Chambre, N. Gingricht, et du puissant président de la commission des relations extérieures du Sénat, Jesse Helms, pour exiger une politique résolument offensive à l’encontre des « rogue states ». Le programme de la droite chrétienne rejoint ainsi les préoccupations des congressmen soumis, spécialement par le biais des experts et des fonds de l’AIPAC, aux pressions de l’électorat juif. C’est le cas d’Alphonse d’Amato, sénateur de l’Etat de New York. Nombre de démocrates, revenus ou non des espoirs placés dans l’ONU, campent sur des positions proches ; Les pressions pour un durcissement de la politique iranienne sont donc bipartisanes. Une deuxième série d’événements achève de donner une traduction législative aux menaces d’isolement : alors que le processus de paix est sur les rails, la vague islamiste déferle sur le monde arabe, mêlant terrorisme à grande échelle et mobilisation idéologique des exclus de la modernité. Un an après l’attentat d’Oklahoma City, un peu vite attribué au fanatisme musulman, c’est en Arabie Saoudite que frappent les ennemis de l’Amérique : le 25 juin 1996, les 19 morts de l’attentat de Khorbar, en Arabie Saoudite, achèvent, malgré le flou sur l’identité des commanditaires, de lever les dernières réticences à une politique de force.
La mise en place de la législation anti-iranienne est alors achevée. Il n’est pas inutile d’en retracer le genèse. Le 29 avril 1995, 10 jours après Oklahoma City, Bill Clinton, prenant la parole devant le World Jewish Congress, a annoncé l’interdiction totale de tout commerce ou investissement avec l’Iran ; En somme, un embargo, doublé d’un boycott.

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