Revue des doctorants du laboratoire LLA-Créatis (UT2J)

Étiquette : photographie

À la croisée des chemins : la représentation du territoire chez les artistes marcheurs

Bridget Sheridan
Doctorante – Université Toulouse Jean Jaurès, laboratoire LLA-Créatis

Pour citer cet article : Sheridan, Bridget, « À la croisée des chemins : la représentation du territoire chez les artistes marcheurs. », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°7 « Territoire et intermédialité », automne 2016, mis en ligne en 2016, disponible sur <https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2018/01/09/la-ville-contemp…ite-au-generique/>.

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Résumé

Dans cet article nous analyserons la pratique des artistes marcheurs en regard de la notion de territoire. Dès lors que nous nous mettons à marcher, la question du territoire se pose. Ainsi, nous pouvons constater que leur pratique questionne cette notion. Nous nous interrogerons également sur l’intermédialité de leurs œuvres. Lorsque l’artiste marcheur utilise plusieurs médiums artistiques – la marche incluse – il semble qu’il ouvre de nouveaux territoires. Si la cartographie est intimement liée au territoire, peut-on en conclure que la pratique de ces artistes soulève irrémédiablement la question de la cartographie ? Et si oui, quelles formes prend-elle ? Nous tenterons de démontrer que cette cartographie résulte des traces des artistes marcheurs – des traces qui s’articulent entre elles autour de charnières. Aussi, en quoi ces pratiques intermédiales ouvrent-elles de nouveaux territoires qui permettent de repenser notre mobilité dans le monde contemporain ?

Mots clés : marche – artiste marcheur – territoire – intermédialité – cartographie -mobilité

Abstract

In this article we shall consider walking artists in relation to the notion of territory. Walking and territory are closely linked. Hence, this is why walking art specifically raises the question of territory. We shall also acknowledge intermediality in their artwork. When simultaneously using several artistic mediums – including walking – they appear to create new territories. Could we conclude that walking art is bound to be linked to cartography, the latter being closely knit to the idea of territory? And if so, what kind of form does it take? We shall try to show how this cartography is the result of traces the walking artist leaves behind – traces, which articulate around charnières (meaning “hinge” or “pivot”). How do these intermedial art forms explore new territories, which enable us to reconsider our mobility in the contemporary world?

Keywords: walking artist – walking – territory – intermediality – photography – cartography – charnière


Sommaire :

Introduction
1. Marche et territoire
2. Marche et cartographie
3. De nouveaux territoires
Notes
Bibliographie sélective

Car tel est, dans le domaine de l’art, le destin de la déambulation : elle est capable de produire une attitude ou une forme, de conduire à une réalisation plastique à partir du mouvement qu’elle incarne, et cela en dehors ou en complément de la pure et simple représentation de la marche (iconographie du déplacement), ou bien elle est tout simplement elle-même l’attitude, la forme.1

Introduction

Au cours du siècle dernier, il a été démontré à plusieurs reprises que le simple fait de marcher peut être perçu comme une pratique esthétique en soi. Des fameux Flux-Tours en 1976 – promenades collectives dans la ville de New York à l’initiative de George Maciunas – à la fameuse phrase d’Hamish Fulton, « No walk, no work »2, la marche est devenue une expérience. Au 21e siècle, la figure de l’artiste en marche est encore présente et l’on doit reconnaître qu’il existe peu d’artistes contemporains qui n’aient pas expérimenté une pratique déambulatoire à un moment ou à un autre de leur parcours artistique.

Or, il est rare que ces pratiques existent sans traces, sans document ou sans traduction quelconque. Ainsi, on trouvera chez les principaux artistes-marcheurs des dispositifs qui interrogent le concept d’intermédialité en convoquant plusieurs médiums à la fois que ce soit la photographie, la vidéo, la cartographie, l’écriture, etc. Chaque artiste tente de traduire son expérience pour ainsi donner au spectateur l’impression de traverser le territoire en sa compagnie. Nous prendrons en considération des travaux artistiques actuels qui se fondent avant tout sur l’expérience de la marche. Ceci nous permettra de penser en quoi ces pratiques intermédiales soulèvent la question du territoire.

Il s’agira tout d’abord d’éclaircir en quoi la marche est liée à la notion de territoire. De Richard Long à Tim Knowles, en passant par la théorie de la dérive de Guy Debord, nous nous intéresserons en particulier à l’entrée de l’artiste-marcheur dans un territoire donné.

Si la cartographie est souvent rattachée à la question du territoire, peut-on émettre l’hypothèse qu’elle est omniprésente chez les artistes-marcheurs ? Nous verrons que l’utilisation de la carte n’est pas le seul moyen d’évoquer la cartographie. Retracer la marche par la photographie, l’écriture ou la vidéo permet à l’artiste de recréer le cheminement. Il est possible d’envisager les dispositifs, parfois complexes, utilisés par les artistes-marcheurs comme une forme de cartographie qui s’ouvre dans la profondeur des charnières qui s’articulent entre elles dans les œuvres intermédiales.

Le besoin de cartographier la marche, de rendre compte de son cheminement dans l’espace nourrit-il notre envie de posséder, de s’approprier, de maîtriser le territoire qui à l’ère du numérique et de la mobilité exaspérée semble nous échapper en permanence ? Il est tout aussi légitime de soutenir que l’intermédialité permet aux artistes-marcheurs d’inventer de nouveaux territoires en tissant des liens dans le temps et dans l’espace grâce aux différents dispositifs utilisés.

1. Marche et territoire

Avant de nous immerger dans la pratique des artistes-marcheurs et de constater de quelle manière leur pratique est liée au territoire, regardons la définition du territoire et essayons de comprendre en quoi cette notion s’associe à la marche.

S’il est couramment admis que le territoire se rattache à l’idée d’autorité et de délimitation, il ne faut pas omettre que cette notion soulève d’autre part la question de l’usage. On peut noter que le territoire soit une « étendue de pays qui ressortit à une autorité, à une juridiction quelconque » ou bien qu’elle soit une « étendue dont un individu ou une famille d’animaux se réserve l’usage », mais encore, il s’entend comme un « espace relativement bien délimité que quelqu’un s’attribue et sur lequel il veut garder toute son autorité3. Si le territoire nécessite un usage spécifique d’un espace délimité ou d’une étendue, il est alors possible d’envisager que la pratique de la marche puisse participer à définir celui-ci.

En effet, la marche permet d’explorer ou de traverser des territoires, mais surtout de se mouvoir dans l’espace. Depuis que l’Homme s’est dressé, il y a de cela des millions d’années, il n’a fait qu’étendre l’occupation de l’espace qui s’offre à lui. Du berceau de l’humanité en Afrique, il a conquis la planète entière. Alors que les voyages pédestres de nos ancêtres se soient interrompu et que l’Homme se soit sédentarisé, nous continuons de marcher (mais en réalité beaucoup moins, nous le verrons plus loin) que ce soit pour le loisir, que nous y soyons contraints – c’est le cas des migrants – ou que cela fasse partie de notre quotidien lorsque la marche reste notre principal moyen de nous déplacer.

La marche est donc liée au territoire et elle est un des principaux moyens qui permettent de l’occuper, de l’habiter4 en quelque sorte. Ainsi, l’artiste-marcheur qui se déplace dans un espace donné va faire usage du territoire. Depuis que Richard Long a tracé sa ligne d’herbe écrasée dans sa fameuse œuvre, A Line made by Walking (1967), où l’artiste explore une parcelle d’un champ par des va-et-vient jusqu’à ce que le soleil donne du relief à la trace laissée par sa déambulation, de nombreux artistes-marcheurs ont questionné la traversée d’un territoire de façon similaire, qu’elle soit minimale comme ce fut le cas avec Long ou qu’elle soit une épreuve d’endurance comme ce fut le cas avec Marina Abramovic et Ulay qui ont parcouru la Grande Muraille de Chine en quatre-vingt-dix jours en 1988 dans une performance intitulée The Lovers. Quant à Laurent Malone et Dennis Adams, ils ont réalisé ensemble une pièce intitulée JFK, en 1997, où ils marchent sans effectuer d’arrêt depuis l’intersection de Center Street et Kenmare Street à Manhattan jusqu’à l’aéroport JFK. Ces trois œuvres qui ne se ressemblent pas dans la forme ont en commun la volonté de traverser un territoire donné, de s’immiscer dans ce territoire, que ce soit une parcelle, une ville ou le long de la frontière d’un immense pays.

Pour illustrer cette immersion volontaire dans un territoire donné regardons la performance Kielder Forest Walk de l’artiste britannique Tim Knowles qui décide de suivre une ligne droite dans la forêt en marchant pendant une durée de huit heures et en se servant d’un compas comme outil de repérage. Knowles ne se contente pas uniquement de réaliser une simple performance dans la forêt de Kielder. Tout comme Richard Long le fit une quarantaine d’années auparavant, Knowles décide d’utiliser l’image pour rendre compte de son passage sur le territoire. Si Long a toujours été ambigu à propos de l’ « après marche » et s’il a toujours semé le doute autour des photographies prises pendant la marche (la photographie est-elle un document, une trace, la représentation de la marche elle-même ?), Knowles va plus loin et filme la traversée entière par une petite caméra. Lors de l’exposition de cette performance à la galerie de Kielder Castle, il a été non seulement possible de suivre la traversée intégrale de Knowles, mais aussi de contempler certains agrandissements des six mille images qu’il a également glanées pendant la marche.

Pour Knowles, il est évident que cette marche est une forme de désobéissance à la Thoreau5, une volonté de ne pas suivre le chemin tracé, mais de partir à la conquête d’un territoire dans lequel il trace de nouveaux chemins. En ce sens il rejoint le travail du collectif italien Stalker qui franchit murs et barrières dans la ville de Rome afin de se déplacer et de cartographier une nouvelle ville faite de terrains vagues et de nouveaux espaces. Chez Knowles, il s’agit aussi d’ouvrir une voie inconnue et de se sentir pleinement acteur dans ce territoire.

Pour des raisons de sécurité l’artiste inscrit son passage sur le sol en notant l’heure de son passage et sa direction. Si ces indications se retrouvent dans la vidéo et dans les images fixes qui retracent le parcours de Knowles dans l’espace, elles nous indiquent que cette marche est avant tout une progression sur une étendue de terre donnée et que l’artiste s’est fixé comme but d’en faire usage en marchant. Ces indications ne sont pas sans nous rappeler la cartographie. De plus, Knowles se sert de boussoles qui lui permettent de se localiser sur le territoire, un dispositif qui le rapproche de la cartographie. Il est aussi intéressant de noter que dans d’autres travaux artistiques de Knowles on retrouve des tracés cartographiques grâce à la géolocalisation (par GPS), ce qui confirme l’intérêt de l’artiste pour la cartographie.

Il est sans doute raisonné de soutenir qu’aucun artiste-marcheur ne se lance à l’assaut d’un territoire inconnu, c’est-à-dire qui n’a pas été repéré au préalable. Même lors des dérives des situationnistes la marche a lieu dans un cadre bien précis. Guy Debord déclare dans sa théorie de la dérive que :

Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent.6

S’il existe chez les adeptes de la dérive un terrain ou ce que Debord appelle un « champ spatial » plus ou moins précis selon ses mots,  la pratique de la dérive a énormément à voir avec la carte et la cartographie.  En effet, Debord soutient que :

L’exploration d’un champ spatial fixé suppose donc l’établissement de bases, et le calcul des directions de pénétration. C’est ici qu’intervient l’étude des cartes, tant courantes qu’écologiques ou psycho-géographiques, la rectification et l’amélioration de ces cartes.7

Ce que dit Guy Debord de manière très claire est que l’exploration d’un territoire est étroitement liée à la cartographie. Nous allons donc nous interroger sur la cartographie et les artistes-marcheurs. Est-elle présente dans toutes leurs œuvres ?

2. Marche et cartographie

Le Larousse définit la carte comme une « représentation conventionnelle, généralement plane, de phénomènes concrets ou même abstraits, mais toujours localisables dans l’espace »8. De cette définition qui tend à réduire la carte à une surface plane et qui ne satisfera nullement notre étude, on peut retenir le fait que la carte est, à quelques exceptions près (je pense aux cartes à l’échelle : 1/1), une représentation et qu’elle est étroitement liée à la notion d’espace. Dans les arts plastiques et notamment chez les artistes-marcheurs la carte va permettre de représenter les phénomènes liés à la marche : le déplacement, le trajet, les perceptions, etc.

La carte constitue souvent une entrée dans l’espace pour l’artiste-marcheur. Il suffit de regarder les cartes de Richard Long qui se fixe, tout comme son ami Hamish Fulton, un parcours avant d’entamer la marche. A plusieurs reprises Richard Long a tracé le chemin à suivre sur une carte. Ce tracé est en général suivi de manière rigoureuse, sauf si l’artiste rencontre des obstacles. Vue de cet angle, la carte est une entrée dans le territoire. Elle fait partie intégrante de la marche, tout comme la boussole de Tim Knowles et les annotations sur le sol qu’il laisse sur son passage. En ce qui concerne Long, la carte est exposée après la marche avec un texte et une photographie comme dans sa pièce One Hundred Mile Walk. C’est une œuvre intermédiale dans laquelle photographie, texte et carte dialoguent ensemble pour former, selon Gilles A. Tiberghien, la marche elle-même :

Les cartes de Long ne sont pas les métaphores d’un trajet ou d’une marche ; elles sont la marche elle-même, mais dans un autre espace.9

Il y a donc changement d’espace dans le travail exposé – une transposition en quelque sorte. Long visualise son futur trajet dans l’espace cartographique. Si ce repérage est avant tout virtuel, l’artiste se projette déjà dans un territoire par le biais de la carte. Il faut ajouter que cette carte l’accompagne pendant le déplacement, et qu’il sera exposé suite à la marche. Elle joue un rôle de transition entre le tracé, le traçage et la trace de la marche. Ainsi, elle est l’articulation entre l’avant, le pendant et l’après de la marche, et elle invite le spectateur à parcourir le territoire. Si nous revenons au travail de Knowles et à sa tentative d’ouvrir un chemin dans l’espace d’exposition à l’aide de la photographie et de la vidéo, il est possible de considérer ce dispositif comme une cartographie. Certes, il ne s’agirait plus d’une cartographie plane, mais d’une cartographie qui ouvre l’espace d’exposition, avec une certaine profondeur. Et cette profondeur se trouve justement dans cet espace charnière entre la marche et l’image, ou, pour d’autres artistes-marcheurs, entre la marche et le texte, ou entre la marche et le livre d’artiste, etc.

Une charnière est, selon Daphné Le Sergent, « l’écart qui se creuse entre les éléments du dispositif mais qui en même temps les unit. Elle est ce qui relie l’hétérogène et se constitue en matière du dispositif. »10 Elle s’interroge sur ce qu’elle pense être le lieu d’associations : la charnière, qui vient du latin cardo, signifiant « gond ». Si cette charnière existe dans les dispositifs où dialoguent ensemble plusieurs images ou plusieurs médiums, il est possible d’envisager qu’elle soit perceptible entre la marche et le travail qui s’en suit. Les dispositifs utilisés par les artistes-marcheurs sont reliés à la marche par ce « gond », par ce va-et-vient, qui permet de retranscrire la marche, de la cartographier en quelque sorte.

Ce qui peut différer entre des pratiques qui utilisent une cartographie plane et celles qui retracent le chemin par l’image, c’est l’orientation du regard. La carte traditionnelle nous offre un point de vue vertical ; c’est-à-dire que nous surplombons un territoire donné, tandis que la photographie nous impose la plupart du temps un point de vue horizontal. Néanmoins, la photographie peut nous offrir un point de vue en plongée lorsque l’artiste photographie le chemin, comme c’est le cas dans Tracking Shots (2013), une autre œuvre de Tim Knowles. Il part à la recherche  du passage d’un individu ayant traversé le même territoire que lui en relevant ses traces. Il en résulte une installation photographique de vingt-neuf prises épinglées au mur de la galerie. On peut suivre le déplacement de Knowles puisque notre regard emprunte chaque charnière pour circuler d’une photographie à l’autre, comme s’il passait de pièce en pièce. Knowles nous indique la direction à suivre en installant ses photographies dans une ligne horizontale. Il est tout à fait plausible d’émettre l’hypothèse que cette installation interroge la notion de cartographie. A ce propos et d’un point de vue philosophique Christine Buci-Glucksman nous rappelle que la carte :

Comme tout index, tel le doigt pointé, […] désigne et institue un jeu de tracés, de directions, organisant la place virtuelle du spectateur. Place toute prosaïque du voyageur, place impériale ou royale du Pouvoir, ou place militaire des objectifs stratégiques.11

Elle ne s’arrête pas à la direction et au tracé puisqu’elle soulève également l’écart instauré par l’utilisation de la cartographie :

Matérielle ou numérique, la carte est donc un artefact visuel et langagier qui engendre comme tout artefact des opérations et des effets, puisqu’il montre une cause absente ou partiellement présente, le monde.12

Buci-Glucksman permet de s’interroger sur l’écart entre la marche et le travail qui en résulte. Certes, le monde s’absente partiellement, mais c’est également le marcheur qui se soustrait au regard. On n’en perçoit que ses traces. De cette manière il disparaît au profit du spectateur. En abandonnant son territoire qu’il a découvert par la marche, il en crée un nouveau par le biais de l’intermédialité.

3. De nouveaux territoires

Revenons un instant à la cartographie qui est parfois considérée comme un outil politique. A ce propos, Buci-Glucksman souligne que « ce n’est sans doute pas par hasard si le regard à vol d’oiseau est dit perspective cavalière ou “perspective militaire ».13 Ce regard « icarien » que l’on retrouve dans la pratique de certains artistes-marcheurs pourrait être interprété comme une volonté de s’approprier le territoire traversé.

Augustin Berque qui s’interroge sur le point de vue lorsqu’on contemple le paysage évoque le « regard souverain ». C’est ainsi qu’il engage une réflexion sur le kunimi japonais qui est le fait de regarder le territoire depuis le sommet. De plus, cet acte, pratiqué par l’empereur, prend la forme d’un rite qui permettait de s’approprier le territoire de manière symbolique. En conséquence, le kunimi peut être rapproché du mirador militaire ou de la simple table d’orientation placée sur les hauteurs d’une montagne ou surplombant une vallée. Et à Berque de préciser que :

Maîtriser le territoire par le regard semble être une motivation beaucoup plus générale, inséparable en fait de l’habiter humain. Cette symbolique peut être partiellement éclairée, ici encore, par l’étymologie. Celle-ci en effet, du moins dans les langues dérivées du latin, apparente l’idée d’habiter à celle de posséder, de s’approprier : habitare est un fréquentatif de habere.14

Berque esquisse un parallèle entre l’ « habiter » et le « posséder ». Ce rapprochement n’est pas surprenant lorsque l’on regarde le sens d’habere qui signifie « tenir », « se tenir », « posséder » ou même « occuper »15. De surcroît, occupare en latin prend racine dans le latin capere, signifiant « prendre » et dont découle le terme « chasser ». Occupare désigne « prendre avant les autres, le premier, d’avance », « prévenir, devancer », « se rendre maître de »16.

Si l’habiter humain semble réduit à la simple envie de maîtriser et d’occuper le territoire, c’est que nous vivons à l’époque de la mobilité exaspérée. C’est-à-dire que nous ne sommes pas seulement amenés à nous déplacer par le biais de moyens de transport de plus en plus rapides et de plus en plus nombreux et sophistiqués, nous nous déplaçons aussi par le biais de la toile. Nos pensées se trouvent instantanément à l’autre bout du monde en un simple clic. De surcroît, des applications telles que Google Earth ou des sites comme geoportail.gouv.fr nous permettent de survoler la terre de manière virtuelle, de nous rapprocher ou de nous éloigner de la surface de la terre en quelques mouvements de la main. Qui n’a jamais rêvé de voler ? Pour alimenter ce vieux rêve on peut visiter le site de la NASA, il est désormais possible de voyager dans l’espace en temps réel. A l’heure où Big Brother devient réalité, l’homme contemporain se retrouve pris dans le filet du panoptique17. Chaque homme assis derrière son écran d’ordinateur, ou confortablement installé dans son siège à bord d’un airbus ou d’un TGV croit tout voir, tout maîtriser. La réalité en est tout autre.

À ce titre l’artiste-marcheur reste tout à fait conscient de cette société qui impose « une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque »18. Nous avons déjà souligné la désobéissance de Knowles et de Stalker qui empruntent des voies non accoutumées. C’est à David Henry Thoreau de nous croquer le visage de la désobéissance lorsqu’il nous conseille d’aller nous perdre dans les bois tel le sauvage qui sommeille en chacun de nous :

Car tel est le secret d’une promenade réussie. Celui qui demeure assis dans une maison tout le temps peut bien être le plus grand des chemineaux, mais l’authentique Promeneur n’est pas plus vagabond que la rivière sinueuse qui ne cesse de chercher opiniâtrement le plus court chemin jusqu’à la mer.19

Et avec deux cents ans d’avance, il ajoute :

Je voudrais dire un mot de la Nature, de la Liberté absolue et de la Vie sauvage, par opposition avec une Liberté et une Culture simplement policées – afin de considérer l’homme comme un habitant ou bien une partie intégrante de la Nature, plutôt que comme un membre de la société.20

Thoreau voit l’habiter d’une toute autre manière que Berque, puisque habiter pour cet insoumis consiste à être en harmonie avec l’environnement.

Si nous devions chercher un artiste qui entretienne une telle relation avec la nature qu’il arpente quotidiennement depuis son enfance, ce serait l’écrivain et photographe Jean-Loup Trassard. Territoire : tel est le nom de l’ensemble de photographies noir et blanc qu’il réalise depuis les années quatre-vingt. Le titre de la série n’est pas anodin et suppose une implication affective, une familiarité et une expérience qui permettent d’habiter un territoire. La campagne qu’il photographie dans cet ensemble de tirages est celle de la Mayenne – un territoire qui porte la trace des activités agricoles que l’homme pratique depuis la nuit des temps. Jean-Loup Trassard arpente ce territoire, son appareil à la main, à la recherche des traces que l’homme a laissées derrière lui. Il a arpenté les chemins de la Mayenne dès ses premiers pas, il a parcouru chaque recoin de ces champs et de ces bois, et le sol porte autant l’empreinte de ses pas que Jean-Loup Trassard porte l’empreinte de ce territoire au fond de lui-même. Si ces photographies nous semblent si vraies, si palpables et si proches, c’est aussi parce qu’il habite ce territoire : il avoue l’arpenter comme un animal.

Aussi, pouvons-nous ajouter qu’arpenter le territoire de cette manière, c’est l’habiter au sens heideggérien du terme. Selon le philosophe allemand, « la façon dont tu es et dont je suis, la manière dont nous autres hommes sommes sur terre est le buan, l’habitation. Être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-à-dire : habiter. »21 Et si nous revenions à l’étymologie du terme habere ? Si Berque s’est attaché à retenir le sens de « posséder » et de « maîtriser », il est possible de s’arrêter sur celui de « tenir », de « se tenir ». Et si habiter le territoire était tout simplement se mouvoir, se déplacer, tisser les fils du maillage22 ?

Il semble évident que la marche soit un moyen d’explorer de nouveaux territoires dans un monde où le corps humain devient de plus en plus sédentaire, c’est-à-dire que, pris dans le flux de la mobilité virtuelle, et habitué aux multiples modes de transport, nous ne posons que rarement notre pied sur le sol. De nouvelles portes s’ouvrent via les charnières des travaux des artistes-marcheurs.

Jean-Christophe Norman, quant à lui, tisse un maillage d’écritures à travers le monde, dans différentes villes  (Metz, Montevideo, Paris, New York, Istanbul) – un maillage qu’il réalise en marchant et que la critique nomme « dromographie ». Accroupi sur les voies, au plus près du sol, l’artiste français réécrit l’Ulysse de James Joyce en inscrivant le texte de l’écrivain irlandais dans un nouveau territoire. Dans Ulysses, A Long Way, Norman inscrit son texte sur le bitume des villes – une réécriture lente et fastidieuse, et sans aucun doute éprouvante pour un corps voûté sur le trottoir. Les longues journées que passe l’artiste à recopier les errances de l’esprit de Joyce sont ponctuées d’arrêts, de lectures et de discussions, autant d’actes qui inscrivent sa marche dans un maillage et qui permettent à l’artiste mais également aux passants d’habiter le territoire de la ville d’une autre manière. La charnière entre marche, lectures, réécritures ouvre un nouveau territoire que l’artiste traverse en compagnie de ceux qu’il croise au gré de ses « dromographies » à travers le monde.

Les artistes marcheurs renversent les codes : ils photographient le sol, ils utilisent ce dernier pour écrire, ils découpent les cartes ou y inscrivent leurs parcours pour inverser le lissage de la surface cartographique et créer de la profondeur. Ils empruntent des voies inattendues en traversant des forêts denses ou en franchissant les frontières banales de nos espaces urbains.

Par ailleurs, ces mêmes artistes nous apprennent qu’il existe un moyen de s’immiscer dans le monde où notre corps se suffit à lui-même : la marche. D’une certaine manière, ils réconcilient la plante de nos pieds avec l’esprit. C’est qu’il faut dire qu’en ville nous oublions nos pieds tant notre esprit est préoccupé par la foule, les panneaux, les vitrines et les lumières qui nous éblouissent. De plus, devant nos écrans, nous voyageons sans avoir besoin de nous déplacer. Enfin, en avion, en train, en bateau et en voiture on nous transporte vers un ailleurs, mais sans avoir besoin de sentir le sol sous nos pieds. En revanche, les artistes-marcheurs démontrent l’importance de s’ancrer dans le sol et dans le territoire par le mouvement déambulatoire.

Renouer le corps et l’esprit : telle est leur priorité. L’intermédialité joue un rôle primordial dans la pratique de ces artistes de la déambulation : elle permet d’inventer de nouveaux territoires que puisse parcourir notre esprit. Elle ouvre cet espace interstitiel, cette charnière qui nous éloigne de la sédentarité du monde contemporain et qui nous emporte dans les profondeurs de la « Liberté absolue »23.


Notes

1 – T. Davila, Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard, 2002, p15.

2 – « Pas de marche, pas de travail ».

3 – Le Larousse en ligne, consulté le 29 septembre 2015.

4 – Au sens heideggerien du terme. M. Heidegger, « Bâtir, Habiter, Penser »,  Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, pp170-173.

5 -Philosophe américain du 19e siècle, issu du mouvement transcendantaliste, Henry David Thoreau luttait contre les injustices sociales du gouvernement. Il prônait une forme de résistance passive. Ceci consistait à faire ce qui lui semblait juste et de ne pas soutenir le gouvernement américain (en refusant de payer ses impôts par exemple). Cette résistance a pris la forme d’un retrait dans les bois, dans une cabane à Walden. Cette vie avec un retour à la nature et à ce qu’il appelle le sauvage se ponctue de marches journalières.

6 – G. Debord, « Théorie de la dérive » in Internationale Situationniste n° 2, décembre 1958, p19.

7Idem, pp21, 22.

8Larousse.fr, consulté le 29 septembre 2015.

9 – G. A. Tiberghien, Nature, Art, Paysage, Arles, Actes Sud, 2001, p66.

10 – D. Le Sergent, L’image-charnière ou le récit d’un regard, Paris, L’Harmattan, 2009, p24.

11 – C. Buci-Glucksman, L’œil cartographique de l’art, Paris, Editions Galilée, 1996, p23.

12 – Idem, p52.

13 – C. Buci-Glucksman, op. cit., p23.

14 – A. Berque, Les raisons du paysage, Paris, Ed. Hazan, 1995, pp 44, 45.

15 – J. Picoche, Dictionnaire étymologique du français, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2002, p33.

16 – A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Tome 2, Paris, Le Robert, 2012, p2296.

17 – Dans son ouvrage Surveiller et punir, Michel Foucault fait état du système de contrôle qui régit notre société. Il fait référence au panoptique de Jérémy Bentham, une prison circulaire qui permet au surveillant de voir chaque cellule sans jamais être vu. Il étend ce concept au reste de notre système qui applique des méthodes carcérales aux écoles, aux casernes, aux pensionnats. Les méthodes utilisées sont de plus en plus strictes et rigides. Cette vision de Foucault fait écho à la société contemporaine dans laquelle la liberté de se mouvoir dans l’espace virtuel ou réel est constamment grignotée par un dispositif de contrôle extrême et puissant. M. Foucault,  Surveiller et punir : Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1993.

18 – G. Deleuze, Foucault, Paris, Ed. De Minuit, 2004, p41.

19 – H. D. Thoreau, De la marche, Paris, Mille et une nuits, 2003, p8.

20Ibid., p7.

21 – M. Heidegger, « Bâtir, Habiter, Penser », in Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, p173.

22 – A ce propos et d’un point de vue anthropologique, Tim Ingold perçoit notre manière d’investir le monde comme un maillage fait de lignes qui s’entremêlent. T. Ingold, Une brève histoire des lignes, Paris, Zones sensibles, 2013.

23 – Expression empruntée à H. D. Thoreau, op. cit. p7.


Bibliographie sélective

BERQUE Augustin. Les raisons du paysage. Paris : Ed. Hazan, 1995, 192p.

BUCI-GLUCKSMAN Christine. L’œil cartographique de l’art. Paris : Éditions Galilée, 1996, 177p.

DAVILA Thierry. Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle. Paris : Éditions du Regard, 2002, 200p.

DEBORD Guy. « Théorie de la dérive » in Internationale Situationniste, n° 2, décembre 1958.

DELEUZE Gilles. Foucault. Paris : Ed. De Minuit, 2004, 144p.

FOUCAULT Michel. Surveiller et punir : Naissance de la prison. Paris : Gallimard, 1993, 424p.

HEIDEGGER Martin. « Bâtir, Habiter, Penser »,  Essais et conférences. Paris : Gallimard, 1958, 378p.

INGLOD Tim. Une brève histoire des lignes. Paris : Zones sensibles, 2013, 256p.

LE SERGENT Daphné. L’image-charnière ou le récit d’un regard. Paris : L’Harmattan, 2009, 198p.

THOREAU Henry David. De la marche. Paris : Mille et une nuits, 2003, 79p.

TIBERGHIEN Gilles A. Nature, Art, Paysage. Arles : Actes Sud, 2001, 232p.

Images et nostalgie de l’in-vu

Michèle Galéa
Doctorante en Arts plastiques – Laboratoire LLA CREATIS, E.D. Allph@, Université Toulouse – Jean Jaurès
michele-galea@wanadoo.fr

Pour citer cet article : Galéa, Michèle, « Images et nostalgie de l’in-vu. », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°5 « Image mise en trope(s) », 2013, mis en ligne en 2013, disponible sur <https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2018/01/09/la-ville-contemp…ite-au-generique/>.

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Résumé

À partir de l’étude de deux œuvres photographiques contemporaines, il s’agira d’interroger la notion de trope, puis de déceler dans les images les figures de torsion qui peuvent faire dire que le discours iconique manifeste en vient à être déplacé, voire contredit pour déporter le regard en direction d’un in-vu semblant se dérober à toute forme de discours.

Mots-clés : trope – identité – in-vu – photographie – réthorique – tropisme

Abstract

From the study of two contemporary photographic works, we will question the notion of trope, then reveal in the images the figures of twisting which can make say that the iconic obvious speech comes there to be moved, and even contradicts to deport the glance in the direction of one un-seen seeming to shy away from any form of speech.

Keywords: trope – identity – un-seen – photograph – rethoric – tropism


Sommaire

Images et nostalgie de l’in-vu
Notes
Bibliographie

Le trope est un terme de rhétorique, plus précisément, c’est une figure de mots, ce qui le distingue par exemple de l’ellipse, de la litote ou de la répétition qui sont des figures de phrases. Son étymologie nous dit que c’est une figure du langage s’employant à détourner le sens premier ou le sens propre d’un mot, reposant sur des associations visant à révéler un sens nouveau au sein d’une phrase ou d’une expression. Un trope abrite toujours son propre détournement et sa propre surprise. Son sens ne peut se figer puisqu’il est une figure de mouvement agissant sur le sens sur lequel il se greffe. Cela signifie qu’en se figeant, un trope tend à devenir un cliché ou un stéréotype.

Si l’on transpose ces premières indications à la notion d’image, on peut avancer que le tropisme d’une image, c’est-à-dire l’orientation particulière de certains de ses signes dans une direction visant à modifier le sens de ces mêmes signes, tendrait à se condenser dans un élément ou une conjonction d’éléments, qui, dans l’image, a la capacité de retenir l’attention par sa façon de dévier le sens des signes et d’énoncer les lois de sa propre singularité. Le trope attire indirectement l’attention sans pour autant contrarier ou contrefaire la saisie de l’image, il interpelle le regard par une sorte d’efficacité qui se révèle peu à peu comme un point de fixation singulier dans l’image. La notion d’efficacité pourrait donc être la chaîne de sens du tropisme, ce vers quoi ce dernier se tend et s’oriente pour s’installer dans un système de signes et y faire signe lui-même. Or, en prenant la notion de trope sous cet angle consistant à repérer l’axe de son efficacité dans une image, on n’adapte pas la rhétorique au domaine particulier des images, on retourne au contraire aux fondements de la rhétorique classique. Parce qu’en effet, la rhétorique est d’abord l’art de bien parler en public, « bien » renvoyant ici à des critères d’efficacité et non de morale. La rhétorique classique vise la persuasion et pour reprendre les mots de Todorov, « il ne s’agit pas d’établir une vérité (ce qui est impossible) mais de l’approcher, d’en donner l’impression.1»
Dans l’ensemble des figures que la rhétorique met en œuvre, le trope apparaît comme une figure de style relevant davantage du vraisemblable que du vrai. Todorov poursuit par une citation extraite du Phèdre de Platon :

Dans les tribunaux, on ne s’inquiète pas le moins du monde de dire la vérité, mais de persuader, et la persuasion relève de la vraisemblance [….] La vraisemblance, soutenue d’un bout à l’autre du discours, voilà ce qui constitue tout l’art oratoire2.

Si le trope est originairement une figure de rhétorique déjà connue des présocratiques puisque le classement de ses sous-catégories nous vient des Anciens Sceptiques Grecs, et si, par ailleurs, l’emploi du terme-même a migré de son champ initial de référence — le langage, l’art du discours — en direction de celui de l’image, nous devons alors admettre deux choses :

Nous devons d’abord admettre que l’image n’est pas une représentation analogique en dépit de ses apparences mais que sa « manière d’être », autrement dit son apparence, est une forme de discours, c’est-à-dire une forme produisant un système de signes. Ceci signifie que la transparence des signes iconiques est aussi illusoire que celle des signes linguistiques. Avant d’être en relation avec son référent, une image est d’abord en relation avec ses propres lois, dont la marque est de se rendre aussi imperceptibles que les lois régissant tout autre discours. C’est précisément dans cet imperceptible que se loge la loi de vraisemblance qui semble fonder l’efficacité du tropisme d’une image.

Nous devons ensuite admettre qu’avec cette forme de discours constituant et informant l’image, se sont également déplacées des ambivalences provenant de la fonction attribuée au discours. En effet, le discours est toujours tiraillé entre ce que l’on peut appeler l’art de convaincre et l’art de toucher ou d’étreindre. Dans un tel contexte, le vraisemblable est alors l’opérateur de la persuasion ou celui de l’émotion. Or le vraisemblable n’est pas le vrai ni même le réel, c’est une mise en conformité, qui, selon les mots de Todorov, « […] comble le vide entre les lois du langage — la rhétorique — et ce que l’on croit être la propriété du langage, la référence au réel3.

Le vraisemblable est donc une relation de conformité entre un discours, un récit ou une image et une attente de réalité de la part de l’auditeur, du lecteur ou du spectateur. Entre persuasion et émotion, c’est au cœur de cette tension que s’installe la rhétorique de l’image, dont le trope est une figure et peut-être même la figure.

Mais de même que le trope agit localement sur un mot ou une expression et détourne ou transforme le sens de la phrase, la mise en œuvre discursive du trope dans une image opère parfois localement, comme un détail inutile dirait Roland Barthes, un îlot formel échappant à la structure narrative de l’image tout en apparaissant comme une authentique et paradoxale référence au réel. Quand elle se manifeste de cette manière dans une image ou une série d’images, la figure de style semble alors opérer une transgression de la loi de vraisemblance. Quelque chose se brise en silence, ou du moins, se défait et se désarticule en prenant une autre tournure. La loi de vraisemblance comme attente de réalité ne semble plus agir sur la structure de l’image qui énonce alors un autre discours que l’on tient d’abord pour vrai, avant de percevoir en lui, une autre loi de vraisemblance s’exerçant à un autre niveau et dont le trope — ou le tropisme — semble être l’orientation originaire. La question qui se pose alors, est celle de savoir si une image « mise en tropes » n’est pas toujours une image dont le tropisme défie et oblitère le sens premier de l’élément qu’il détourne, parce que ce dernier nous apparaît soudain comme la part la plus efficace de l’image, au sens de la plus vibrante, la plus mobile. Sa part insaisissable pour tout dire et qui, dans le trouble qu’elle provoque, atteint un effet de réel par sa manière de s’adresser au spectateur dans l’impensé de sa perception. Et là, nous arrivons à une contradiction, au moins en apparence. En remplaçant une loi de vraisemblance par une autre, le tropisme de certaines images semble court-circuiter sa relation à l’idée même de discours, il semble ouvrir une faille pour le moins suspecte que j’appellerai pour l’instant une faille du hors-langage avant d’en proposer une lecture possible. C’est à quelques-unes de ces images que la réflexion va maintenant s’intéresser.

La première série d’images photographiques se rapporte à ce que l’on pourrait hâtivement appeler la photographie documentaire. Leur auteur, Juul Hondius4, est un photographe néerlandais dont le travail a principalement été montré aux Pays-Bas et en Allemagne. Ses œuvres sont assorties de titres et fonctionnent indépendamment les unes des autres, ce qui n’empêche pas Hondius de les montrer comme des séries, notamment lors de l’exposition consacrée à la photographie néerlandaise que la Maison Européenne de la Photographie a organisée en juin 2006.

Lien vers le site Internet de Juul Hondius.

Ces œuvres dont les tirages sont de moyen format (150 cm x 125 cm pour la plupart), s’apparentent de prime abord au portrait documentaire, ce sont des images que l’on pourrait ranger au registre du photojournalisme et donc du support de communication. Par ailleurs, ce sont des images mille fois vues, des images de plus s’ajoutant au flux ininterrompu des images de presse qui inondent les médias. Il y a dans ces images une sorte d’effort pour coller à l’image-document. Le cadrage est serré, les visages ne regardent pas l’objectif et semblent penser à autre chose qu’à celui qui les prend en photo. Les personnages sont saisis dans leur seule présence corporelle et semblent avoir été prélevés de leur milieu environnant. Il est en effet impossible de dire où ils se trouvent précisément. Ils ne sont pas seuls, mais paraissent curieusement isolés. Isolés dans un groupe ou isolés dans un groupe lui-même confiné dans un espace. Ils pourraient être en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient, rien ne permet de les géo-localiser. La seule chose qui soit sûre, c’est qu’ils se trouvaient dans une voiture ou un bus quand le photographe les a rencontrés. Les vitres embuées des véhicules, le siège arrière de la voiture, les places dans l’autocar, ces vêtements de tous les jours que l’on devine fripés par les contraintes du voyage, tous ces différents éléments prennent alors leur signification et guident le regard du spectateur pour y trouver de quoi esquisser un embryon de récit. Or les images demeurent mutiques. Portant leur regard au loin, les personnages perdus dans leurs pensées sont retirés au fond d’eux-mêmes, en transit et transportant avec eux un monde privé réduit à l’espace de leur propre corps. De ce point de vue, ce sont des portraits de voyageurs comme il en existe partout, et peut-être pouvons-nous déceler dans ces regards qui s’échappent hors du cadre des images, une manière d’inclure le spectateur dans l’espace de l’image et de le forcer à en faire partie.

L’angle de la démarche artistique du photographe se situe sur cette brèche, sur le déjà-vu des images de presse et le déjà-vu de ces visages coincés derrière des vitres, voyageurs anonymes dont l’errance se délite dans un espace sans territoire ou plutôt, entre deux territoires dont les frontières étanches imposent le déplacement permanent. Ce sont des voyageurs qui pourraient être des immigrants illégaux ou non, des réfugiés, des déplacés ou des demandeurs d’asile. Juul Hondius en appelle à notre mémoire de l’imagerie médiatique dont la rhétorique agence ici les signes d’une mémoire collective de l’idée de déracinement et de clandestinité. Ses images sont de subtiles mécaniques esthétiques dont les arrière-plans flous et écrasés par une probable prise de vue au téléobjectif, s’avèrent être des discours visuels tendus entre persuasion et émotion. Ils comblent en effet l’attente de réalité et le désir d’empathie du spectateur par une vraisemblance qui s’appuie principalement sur notre mémoire collective des images-documents, en tant que ces dernières se fondent sur la reconnaissance implicite de leurs stéréotypes. Cela signifie qu’à travers cette mémoire collective, circulent des schèmes perceptifs, mais également des constructions mentales élaborées à partir des cadres spatio-temporels d’une culture commune de l’image, des événements et des rapports sociaux.

C’est là que les images de Juul Hondius basculent et substituent à cette loi de vraisemblance, une autre loi de vraisemblance qui ne nous apparaît pas immédiatement comme telle, mais qui, au contraire, s’insinue par des signes a priori superflus et s’applique à déplacer le discours de l’image pour le situer dans une vérité qui échappe à la vraisemblance qu’elle avait affichée. Quand on s’attarde sur ces images, on remarque en effet des petits détails, des incisions dans l’agencement formel homogène des images. Le doigt posé sur la gorge, la tranche de la vitre séparant curieusement les têtes du reste du corps, semblant répondre au bord rouge du tee-shirt du troisième personnage assis, une séparation que l’on retrouve également dans le portrait de la jeune fille pensive, les deux étiquettes collées sur l’envers de la vitre embuée… Tous ces détails apparemment inutiles, en tout cas secondaires, ramènent invariablement aux visages qui ne nous regardent pas, qui regardent de côté et qui, du fond de leurs consciences repliées sur elles-mêmes, regardent ce qui est derrière nous ou sur le côté et qu’en tout cas, nous ne pouvons pas voir depuis la place que nous occupons. Leur façon de regarder en évitant le contact direct apparaît alors comme l’expression insidieuse d’une menace, l’expression mutique d’un non-identifié qui refuse de livrer son sens et qui donc, devient l’expression d’une forme de menace de l’incontrôlable.

On peut noter par ailleurs que les titres des photographies ne lèvent en rien l’ambiguïté de ce contexte menaçant de l’incontrôlable, parce qu’ils ne divulguent aucune information et ne fonctionnent donc pas comme une légende de photographie de presse. Sans contenu légendé explicite, ces images obligent donc le spectateur à regarder et à s’interroger sur sa manière de regarder. Au fond, la vraisemblance dont il s’agit et que le tropisme des images révèle à partir de ses signes secondaires, n’est plus tout à fait celle que l’on attend et que l’on re-connaît par son insistance à puiser dans le répertoire iconique de la mémoire collective. Une autre loi de vraisemblance semble s’exercer sur le discours affiché des images, à un niveau qui touche des strates plus profondes que celles des comportements sociaux et que l’on peut situer dans des zones de comportements archaïques entre congénères de la même espèce. Ne pas renvoyer le regard, se détourner de l’objectif et se refuser à la réciprocité, se reçoivent peu à peu comme l’expression d’une peur inavouable et irrationnelle du nomade et de l’incertain, du non-identifié et du déracinement de l’exil forcé et surtout de sa version actualisée : la peur instrumentalisée par les médias du déferlement des réfugiés en Europe Occidentale. La loi de vraisemblance sous-jacente au discours des images en vient alors à transformer la tension inhérente à tout discours, entre persuasion et émotion. La persuasion demeure intacte, mais l’émotion n’est plus empathique ; elle s’imprègne de répulsion ou de fascination, ce qui revient au même. S’il fallait résumer d’un mot la torsion opérée par les signes secondaires dans ces images, ce pourrait être : tropisme de l’inavouable. Pour toutes sortes de raisons, ces images sont ancrées à des préoccupations contemporaines mais au fond, elles actualisent une figure très ancienne de la culture occidentale, celle de Dionysos, celui qui vient du dehors, l’étranger à la cité mettant la stabilité sociale en péril et constituant par là-même une clé de la dialectique entre identité et altérité.

Ajoutons pour finir que les images de Juul Hondius sont des photographies mises en scène. Elles n’ont pas été prises sur le vif et résultent au contraire d’agencements pensés dans leurs moindres articulations, du casting des acteurs au choix du décor et de l’éclairage, toujours artificiel. Ce sont des théâtres du réel et comme au théâtre, c’est par le corps de l’acteur que les tropismes instaurent une autre vraisemblance du discours, parce que, nous dit Arnaud Rykner, « l’acteur est un perpétuel créateur de tropismes, qui se projette dans les profondeurs de son intériorité pour provoquer en lui ce bouillonnement de sensations primitives qui seules commandent l’action théâtrale »5.

Une autre série d’images photographiques semble travailler encore plus profondément ce rapport « tropismique » selon le mot d’Arnaud Rykner, entre l’acteur et le personnage, refusant tous deux « de prendre le mot au mot et devinant que derrière eux se cachent des zones troubles »6. Il s’y ajoute cependant un lien plus explicite à la corporéité du personnage et une allusion au silence et à la parole.

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Anne-Line Bessou, « Introspection » de la série Décadences. (40 cm x130 cm), 2009.

Comme les images de Juul Hondius, le polyptyque d’Anne-Line Bessou relève de ce que l’on appelle la photographie mise en scène. Cette œuvre datée de 2009 et intitulée Introspection7 est constituée de deux portraits identiques et de deux scènes d’intérieur disposées en alternance. Comme chez Juul Hondius, on retrouve l’effet insidieux des regards qui se détournent et qui fixent une zone hors-champ, invisible depuis la place que nous occupons. Et comme chez Juul Hondius, il y a une circulation entre l’expression des visages rétractés sur leur intériorité et les éléments de décor, dont les signes affichent le caractère anodin de l’image documentaire. La comparaison s’arrête là, mais elle permet cependant de relever ce qui fait la vraisemblance de ce discours iconique. En effet, la répétition des deux portraits identiques ne parvient pas à enrayer la narration implicite de l’alignement des images. Elle la freine tout au plus en contrariant le désir d’image du spectateur et en l’obligeant par là-même à déchiffrer les signes secondaires disséminés autour du personnage assis sur la chaise. Ainsi, en se promenant du visage au décor et du décor au visage, on comprend peu à peu que ce personnage tassé sur lui-même se trouve dans la salle d’attente du cabinet d’un psychologue. L’affichette mentionnant « ticket psy » semble signifier qu’il s’agit d’une consultation prise en charge par une entreprise ou un organisme quelconque. Ce que l’on aurait pu prendre pour des portes donnant sur des pièces séparées, derrière le personnage, sont en fait des portes de placard sur lesquelles sont punaisées une photographie et un diagramme dont les informations sont a priori sans conséquence directe sur le discours de l’image. L’effet de narration est ténu et se limite aux signes de l’anxiété précédant la rencontre frontale avec un représentant de l’institution médicale. Mais en revanche, il y a incontestablement une référence explicite à la rhétorique de l’image. À la manière de One and three chairs de Joseph Kossuth, les trois modes d’énonciation de l’icone cohabitent dans cette image en prenant pour ainsi dire le personnage en otage. L’installation de Kossuth laisse entrevoir que l’objet demeure insaisissable malgré la multiplicité de ses définitions. Référent, indice et symbole se conjuguent en une triple représentation qui échoue à signifier l’objet en soi et qui ne fait que le désigner à divers degrés d’abstraction. Nous ne communiquons pas avec les objets mais avec leurs significations. C’est ce que semble également signifier la photographie du polyptyque d’Anne-Line Bessou : le personnage est cerné par trois représentations qui s’avèrent être les trois modalités de l’icône : le diagramme, l’image et une image numérique reproduite dans le magazine entr’ouvert, figurant un jeune homme pendu à un rail de néon. Une métaphore donc. Un trope s’exposant comme tel, figé à l’état de stéréotype, stade latent du psychisme du personnage qui s’en détourne. Or, la distribution alternée du polyptyque invite en quelque sorte le spectateur à aller chercher le sens de cette métaphore dans les autres images, parce qu’un polyptyque est d’abord un ensemble de panneaux dont les signes dialoguent entre eux d’une représentation à l’autre. Et c’est précisément par le personnage que la loi de vraisemblance de ce discours iconique manifeste en vient à se briser pour laisser place à un autre discours sous-jacent, dont la loi de vraisemblance singulière émerge de ce rapport « tropismique » entre l’acteur et le personnage. Les « zones troubles » dont parle Arnaud Rykner prennent des allures de soudaine clarté dans l’image de la pièce vide. Le personnage a déserté le lieu et les pages du magazine ont été tournées. À la place de l’image de pendaison qui signifiait la métaphore, on distingue deux formes laiteuses sur un fond noir. Deux ovales effilés rappelant curieusement les deux visages en gros plan, dont la prise de vue a pour principal effet d’hypertrophier le haut du crâne et de faire glisser le menton et la bouche dans le col boutonné comme dans un entonnoir. Ce parallélisme formel entre deux portraits identiques et deux formes jumelles indéchiffrables depuis la place que l’on occupe, c’est-à-dire depuis cette même place qui nous empêchait tout-à -’heure de voir ce que les personnages de Juul Hondius regardaient, apparaît alors comme le trope qui détourne le sens du discours manifeste de l’image, en le situant dans une zone troublante. Celle d’un rapport douloureux à l’organique et d’un tourment sur lequel les mots ne parviennent pas à se poser. Depuis la place que j’occupe, ces deux formes indéterminées sont des échographies. L’ovale irrégulier de leur découpe évoque l’imagerie médicale et là encore, l’image n’en finit pas de se dérober en semant d’autres sens possibles, puisque l’échographie est une image indiciaire résultant d’un transcodage d’ondes sonores. De l’échographie au visage mutique étranglé par le col de la chemise, du personnage contracté sur ses angoisses au fauteuil vide, tous ces signes s’entremêlent dans la linéarité d’un récit qui, s’il fallait le qualifier d’un mot, pourrait être le récit d’une expulsion. Mise au placard, expulsion de l’image. Expulsion d’autant plus impossible qu’elle se non-formule par un signe masqué, le cou rentré dans les épaules ou le cou serré par un col de chemise ou une corde. Si le cou est ce qui sépare la tête du reste du corps, le cou est aussi l’enveloppe du larynx et des cordes vocales. C’est le siège organique de la résonance des mots et dans ce polyptyque, l’expulsion du corps semble fonctionner comme un acte se substituant à l’expulsion des mots. C’est finalement par l’image de l’échographie que le tropisme de cet ensemble iconique fusionne l’acteur et le personnage pour faire émerger une autre loi de vraisemblance, plus ténébreuse que celle de son discours manifeste.

De l’inavouable des images de Juul Hondius à l’expulsion impossible du polyptyque d’Anne-Line Bessou, il y a plus que des récurrences formelles, passant principalement par le refus de regarder le spectateur et l’insistance à désigner en creux, une partie du corps dans laquelle circulent tous les fluides vitaux. De l’inavouable à l’expulsion impossible, il y a aussi deux mises en œuvre de tropismes dont les retournements s’appliquent à esquiver toute forme de discours univoque, en commençant par refuser de donner au spectateur de qu’il attend au-delà de son attente de réalité, et en lui donnant finalement ce dont il ne veut pas. Entre ne pas avoir ce que l’on attend et avoir ce que l’on ne veut pas, ces deux œuvres, par une fusion de l’acteur et du personnage, suggèrent au spectateur que ce qu’il attend d’une image et ce dont il ne veut pas, sont peut-être une seule et même chose, qui se reçoit d’abord comme l’expression d’une frustration, et qui se manifeste invisiblement au contact de l’image comme la perception intériorisée d’un manque ou d’un manquement de sa part. Entre l’image et le spectateur, quelque chose ne peut ni ne veut se dire, quelque chose a défailli et s’est perdu en route.

Comment le trope qui est au départ une figure de mots, parvient-il dans l’image à se fonder sur des signes bavards et conduire à une telle perception de ce qui ne peut ni ne veut se dire ? En d’autres termes, comment le trope peut-il à la fois marquer sa présence par des signes visibles, et opacifier l’image en déplaçant son discours sur le registre de ce qui n’est pas physiologiquement vu, mais autrement perçu par le regard de l’esprit ? Le trope nous apparaît dans un premier temps comme une manière d’assagir l’image, en ramenant sa mutité à une autre forme de discours. Mais très vite, il nous apparaît comme une suppléance à l’in-vu, un moyen formel de vaincre le silence de la forme, et d’accéder au corps étranger qu’est l’image, depuis les signes inoffensifs de son discours déclaratif. Mais malgré cela, depuis la place que nous occupons, le trope est précisément ce qui atteste dans l’image, que le spectateur est à sa place et l’image est à la sienne. Parce que dans l’agencement d’ensemble de l’image, il est le lien à la chose qu’il a fallu faire disparaître pour qu’il soit justement un trope et autre chose qu’un stéréotype ou un cliché. Dans l’image et par les signes sur lesquels il opère un retournement, le trope pourrait donc être le lien à la chose disparue qui est au fond des images, ce qui le donnerait au regard comme un objet nostalgique au sens étymologique du terme, c’est-à-dire un retour de la douleur, que l’on assimile trop souvent au regret du passé mais qui se rapporte primitivement au mal du pays8.


Notes

1 –  Tzvetan Todorov. Dossier « Recherches sémiologiques, Le vraisemblable », revue Communications, n°11, Seuil, 1968, pp. 1-4.

2 –  Platon. Phèdre, 272d-273c, Paris Garnier Flammarion, 1964.

3 –  Tzvetan Todorov. Op. Cit., p. 1.

4 –  Œuvres consultables sur le site de l’artiste : http://www.juulhondius.com/juulhondius.html

5 –  Arnaud Rykner. « Des tropismes de l’acteur à l’acteur des tropismes », Revue des sciences humaines, n°217, 1990, pp.141-142.

6 –  Ibid., p. 144.

7 –  Introspection (40 cm x130 cm), 2009, de la série Décadences.

8 –  Du Grec nostos, retour et algos, mal, souffrance. Nostalgia apparaît d’abord pour qualifier le « mal du pays » des suisses alémaniques partis à l’étranger pour y être mercenaires. Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, 2004, p. 2394


Bibliographie

PLATON. Phèdre, 272d-273c, Paris : Garnier Flammarion, 1964.

Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, 2004.

RYKNER Arnaud. « Des tropismes de l’acteur à l’acteur des tropismes », Revue des sciences humaines, n°217, 1990, pp.141-142.

TODOROV Tzvetan, Dossier « Recherches sémiologiques, Le vraisemblable », revue Communications, n°11, Seuil, 1968, pp.


Pour citer cet article :

Michèle Galéa , « Images et nostalgie de l’in-vu », Litter@incognita, n°5 (2012-2013) – Numéro 2012, p. 1 – 7, mis en ligne le 20/05/2013.
URL : https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2016/02/16/images-et-nostalgie-de-l-in-vu-galea-numero-5-2012/#n1

La relation texte-image dans l’œuvre de Raymond Hains

Jérôme Carrié
Artiste-chercheur, Docteur en Arts Plastiques, Université Toulouse – Jean Jaurès, Université Bordeaux – Montaigne
jerome.carrie/@/wanadoo.fr

Pour citer cet article : Carrié, Jérôme, « La relation texte-image dans l’œuvre de Raymond Hains. », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°2 « Les Interactions I », 2007, mis en ligne en 2007, disponible sur <https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2018/01/09/la-ville-contemp…ite-au-generique/>.

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Résumé

Les artistes du Nouveau Réalisme ont intégré à leurs œuvres les matériaux, les déchets et les rebuts de la ville moderne. Cet article s’attache dans un premier temps à définir le Nouveau Réalisme comme une « archéologie du présent ». À cette fin, nous précisons notre propos sur l’œuvre de Raymond Hains qui, dès 1949, collecte les affiches lacérées qui ornent les murs de Paris, à la manière d’un archéologue-archiviste. Cinquante ans après, on peut voir dans ces affiches des signes, des traces, des empreintes fossiles d’une actualité devenue lointaine. Mais les recherches de l’artiste sur l’image abstraite et la déformation de la lettre exercent une influence déterminante sur sa démarche appropriative qu’il convient de prendre en considération. Dans son activité d’affichiste comme dans celle de photographe, Raymond Hains cherche à construire une relation fictionnelle et poétique à la réalité qui rend à la platitude des apparences une épaisseur de sens. Loin de la prétendue objectivité du Nouveau Réalisme, cet article tente de redéfinir cette œuvre majeure de la seconde moitié du XXe siècle comme une « archéologie de la fiction », selon les termes employés par Jean-Marc Poinsot.

Mots-clés : affichisme – arts plastiques – langage – lettrisme – photographie – Nouveau Réalisme.

Abstract

The Artists of Nouveau Réalisme mixed in their works waste materials of modern town life. I shall manage to define the Nouveau Réalisme as an archeology of present time. I shall rely on the works of Raymond Hains who collected since 1949 torn posters decorating the walls of Paris, akin to an archeologist and an archivist. Fifty years later, one can see through these posters the signs, the traces and the fossilized tracks of an actuality that became remote. But the experiments of the artist in matter of abstract image and letter distortion acted heavily upon his overtaking process. In the field of posters as photography, Raymond Hains looked forward to the making of a fictional and poetic link to reality, which enhances the flatness of aspects with a semantic thickness. Far from the so called objectivity of the Nouveau Réalisme, this major artistic production of the second half of the 20th century stands as an “archeology of fiction”, according to the words of Jean-Marc Poinsot.

Key-words: affichisme – visual arts – language – lettrisme – photograph – Nouveau Réalisme.


FRIZOT Michel (sous la dir. de), La Nouvelle Histoire de la photographie. Paris, Éditions Larousse, 2001, 775p.

FOREST Philippe, Raymond Hains, uns romans, Paris, Gallimard, 2004, 251p.

GIROUD Michel, « Entretien avec Raymond Hains », Hors limites, l’art et la vie, 1952-1994, Paris, Centre Georges Pompidou, 1994, p84-95.

HAINS Raymond, « Graphisme en photographie. Quand la photographie devient l’objet », Almana et Prisma, 1952, numéro 5.

JOUFFROY Alain, « L’aventure extraordinaire de Raymond Hains et de ses compagnons Jacques de la Villeglé et François Dufrêne », Opus International, juin 1970, n°18, p36-41.

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