The Mediterranean and its Hinterlands: Le Pays en Profondeur
28-30 September 2016
CAS / Axe 2 DEMA, UFR Lettres Langues
Université Toulouse II – Jean Jaurès
NB La date limite pour nous envoyer une proposition est le 8 mai 2016.
En tant qu’objet de recherche en sciences humaines, la Méditerranée constitue un topos majeur : « un monde énorme […], disloqué, contradictoire, et surabondamment étudié par les archéologues et les historiens, […] une masse de connaissance qui défie toute synthèse raisonnable » selon F. Braudel, le père des études méditerranéennes. C’est pourquoi notre approche se limitera à un aspect précis du monde méditerranéen, tel qu’il s’exprime dans les productions scientifiques, littéraires et artistiques issues du monde anglophone.
La Méditerranée est un espace qui se définit par ses paradoxes : elle est, pour reprendre les mots d’Yves Bonnefoy, « moins une mer que des rives», à la fois espace maritime et espace terrestre, mais aussi site géographique, économique, historique et paysage littéraire, pictural, poétique… A ce titre, elle le lieu d’une double projection : celle d’un savoir et d’un imaginaire collectif et intime qui investissent simultanément le discours dont on se doit d’interroger les modalités pour comprendre comment il modèle ce que Michel Collot appelle « les espaces de l’avenir ». Comment les écrivains et artistes anglophones ont-ils contribué à une habitation particulière de la Méditerranée, à une poéthique du lieu qui, dans le passage du réel à sa représentation, a façonné l’espace pour en faire “le lieu d’exercice d’une pensée dans l’espace, qui remet en cause la distinction entre la res cogitans et la res extensa”? C’est donc aussi la question du rapport entre la terre et le paysage, ou, pour reprendre la dichotomie analysée par l’anthropologue Tim Ingold, entre « land » et « landscape » qui se trouve soulevée dans la mesure où le regard qui se pose (qu’il s’agisse de celui de l’historien, du géographe ou de l’artiste) ne saurait atteindre la terre, entité abstraite, mais seulement ce qui entoure le sujet et que Tim Ingold définit comme « le domaine familier de notre habitation ».
Lieu par excellence de la projection et du déploiement de la sensibilité, la Méditerranée relève, chez les romanciers et poètes romantiques anglais (Byron, Shelley, Keats) et, plus tard, les poètes modernes tels que W.H. Auden, Stephen Spender, Lawrence Durrell, mais également chez les auteurs américains (F. Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Henry Miller, Edith Wharton, Ezra Pound, entre autres) à la fois d’un ailleurset d’un ici et se constitue dans cette tension entre dépaysement et exploration de l’intime. On peut alors s’interroger sur ce que le regard perd et gagne dans un tel rapport à l’espace et si la construction imaginaire de la Méditerranée nous éloigne ou nous rapproche de son essence. Cette question ouvre la réflexion aux multiples objets qui disent la Méditerranée : textes et cartes, écrits ethnologiques, historiques et littéraires, poèmes et fictions, lettres et journaux, clichés littéraires et photographiques, carnets de voyages d’écrivains anglophones qui, à partir de croquis, de notes de botanique, de géologie ou de zoologie reconstruisent la Méditerranée pour en faire cette terre onirique affranchie des contraintes temporelles et spatiales. Quelle place tiennent, en particulier, les îles de la Méditerranée qui constituent cet espace arraché à l’espace, cette terre flottante, à la fois lieu d’ancrage et de fascinante dérive, comme chez Shakespeare, Defoe ou Stevenson ? Faut-il y déceler une échappée hors de l’espace ou un creusement de cet espace dans l’approfondissement de l’être qui s’y joue ?
De même, comment comprendre les relations linguistiques qui se nouent dans cet espace privilégié des passages et des rencontres, où l’homme, de tout temps, a dû apprendre à « parler avec tout de suite à côté de soi la langue des autres» ? Ainsi, la poésie anglophone de la Méditerranée opère à la fois une traduction et une dérivation des langues et des mythes du bassin méditerranéen, ménageant ces interstices au cœur desquels les langues se croisent et se répondent dans une relation linguistique et humaine faite à la fois de « continuité et [de] distance» qui pose inlassablement la question du langage. On pourra ainsi s’interroger sur les romanciers, poètes et traducteurs anglophones de la Méditerranée qui à travers la pratique des multiples formes de translation, d’emprunt et d’échange « réparerai[en]t le désastre de Babel ». Il ne s’agirait alors plus d’écrire avec la langue des autres « à côté de soi » mais en soi, dans une habitation du monde qui se fait proprement poétique et par laquelle l’être renoue avec la conscience d’un monde qui est, selon Jean-Marc Besse, « le produit contingent de cette coadaptation entre les sensations venues de l’extérieur et les projections venues de l’intérieur de notre cerveau », la conscience d’une réalité « trajective».
A travers une parole qui, selon Y. Bonnefoy, « permet à l’esprit d’outrepasser les frontières » la littérature anglophone fait de la Méditerranée le lieu d’un questionnement épistémologique qui refonde notre rapport à l’ici et à l’ailleurs. Le regard littéraire restitue ainsi à la Méditerranée cette part d’humanité dont la cartographie seule ne saurait rendre compte mais dont la géographie, en s’ouvrant depuis les années 60 aux travaux de la phénoménologie, et la géographie critique ont progressivement pris conscience. En intégrant non seulement les coordonnées spatiales, mais aussi les déplacements de populations et les multiples formes d’habitation et de traversée de l’espace (réelles, symboliques, mythiques et imaginaires) le discours géographique propose une réflexion sur un espace qui, en dépit de coordonnées stables, demeure résolument mouvante, et qui renouvelle « l’intérêt pour les perceptions, les représentations, les conduites vis-à-vis de l’espace ».
Il semble alors que la littérature a toute sa place dans l’invention au quotidien de ce que Jean-Marc Besse appelle un « espace du sentir», un espace qui interroge notre être au monde et qui pourrait bien constituer, comme pour les réfugiés vu par le poète L. MacNeice, « the hinterland of their own future ». La Méditerranée, creuset culturel, ethnologique et mythique, apparaît comme ce lieu commun qui fonde notre modernité en bouleversant notre rapport à l’espace et à la conscience, en nous engageant dans une relation sensible à l’autre et au monde, en retournant notre regard.
Les études proposées partiront de la proposition qu’une bonne partie de ce qui donne vie à la Méditerranée, qu’il s’agisse d’un monde réel ou d’un monde imaginé, vient des chemins qui y mènent. Le regard porté sur cette région tant étudiée se renouvelle si on l’inverse, si on part non pas d’une mer intérieure mais des terres intérieures, d’un arrière-pays, de ces marges floues qui la caractérisent sans jamais la délimiter. Il s’agira d’examiner de plus près les parcours de ceux qui voyagent vers et depuis la Méditerranée, de ceux qui sont venus chercher, parfois loin de ses rives, un ailleurs que la culture classique leur rendait familier mais dont la singulière étrangeté les a cependant profondément marqués.
En adoptant cette perspective inversée, nous ne faisons qu’emboîter le pas au poète, lui qui voit dans la Méditerranée « un pays en profondeur, […] scellé comme l’inconscient » et dont les différents réseaux de routes et de voies d’eau ouvrent l’errance de l’esprit autant que du corps et constituent autant d’appels au lointain. Ainsi, le colloque sera l’occasion de rendre hommage à l’œuvre d’Yves Bonnefoy en réfléchissant aux relations poétiques et politiques entre la Méditerranée et son arrière-pays, toutes les régions non-riveraines d’où partent tous ceux attirés par une certaine idée qu’ils se font du monde méditerranéen, et plus particulièrement ceux venus des îles britanniques, de l’Amérique du Nord et des pays du Commonwealth. Si de telles préoccupations émanent en première instance de chercheurs en études anglophones, elles n’excluent pas ceux d’autres disciplines telles qu’études hispaniques, études du monde arabe, lettres modernes et classiques, histoire et géographie, sociologie et anthropologie.
La publication d’articles choisis, en français et en anglais, est prévue en juin 2017 au sein d’un ouvrage collectif dans la revue Caliban, French Journal of English Studies.
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