Macro-restes végétaux

Études des fruits et les graines archéologiques : la carpologie

 

Définition

Le terme KARPOS signifie « fruit » en grec. Plus largement la carpologique étudie les semences (carpo-restes, diaspores) conservés dans les sédiments archéologiques. Ces éléments comprennent tous les organes liés à la reproduction sexuée des plantes (fruits, graines, infrutescences) mais aussi asexuée (bulbes, rhizomes, tubercules) ainsi que toutes les parties « molles » des végétaux (tiges, feuilles, balle de grain).

 

Bref historique

Le terme est d’utilisation courante. Jusqu’aux années début des 1980, on qualifiait les restes carpologiques comme des macro-restes végétaux tandis que l’étude des charbons et des pollens avait déjà leur propre terme (anthracologie et palynologie).

Si la 1ère mention d’une découverte de graines en France remonte au début du XVIIe siècle (fouille d’un tumulus breton), les premières études apparaissent timidement au XIXe siècle, en Égypte tout d’abord (graines desséchées retrouvées dans les tombes pharaoniques) puis en Europe (mines autrichiennes et habitats palafittes suisses).

 

Découvertes égyptiennes : pain et panicule de sorgho non carbonisés, Ancien Empire (source : site du muséum Agropolis Montpellier)

Découvertes égyptiennes : pain et panicule de sorgho non carbonisés, Ancien Empire (source : site du muséum Agropolis Montpellier)

Découvertes égyptiennes : pain et panicule de sorgho non carbonisés, Ancien Empire  - source : site du muséum Agropolis Montpellier)

Découvertes égyptiennes : pain et panicule de sorgho non carbonisés, Ancien Empire – source : site du muséum Agropolis Montpellier)

 

Mais il faut attendre le milieu du XXe siècle pour que cette discipline prenne un réel essor. En 1968 est créé l’International Work Group for Palaeoethnobotany (IWGP) qui regroupe l’ensemble des carpologues étudiant l’Ancien Monde. En France, les études sont majoritairement menées par J. Erroux (ingénieur agronome montpelliérain) qui s’intéresse au Néolithique et aux Âges des métaux languedociens. Mais la discipline ne s’inscrit dans la recherche archéologique française qu’à partir des années 1980-90 grâce aux travaux de quelques chercheurs qui vont intégrer le CNRS : K. Lundström-Baudais (Lac de Clairvaux, Jura), P. Marinval (alimentation végétale du Mésolithique à l’âge du Fer) et M.-P. Ruas (grenier castral de Durfort, Tarn).

 

Aujourd’hui la carpologie est de moins en moins considérée comme une discipline annexe de l’archéologie. Les chercheurs sont plus nombreux grâce au développement de l’archéologie préventive. Toutefois, les carpologues forment encore une petite. Le Master Archéologie et Environnement de Paris I en collaboration avec les Universités Paris VI et Paris X et le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris forme la majorité des étudiants. Il n’y a toutefois pas de voie spécifique. Chaque carpologue a son propre parcours universitaire (archéologie, biologie végétale, histoire). Si les études ne sont pas nécessairement plus longues que pour les autres disciplines archéologiques (Bac +5 à Bac +8), la formation aux techniques même de la carpologie reste une étape longue et fastidieuse en raison de la diversité du matériel qui demande minutie, patience et mémoire visuelle. De nombreux stages sont nécessaires et chaque étude offre son lot d’inconnus.

 

Le travail sur le terrain : choix et méthode d’enregistrement

Étant peu nombreux, les carpologues ne peuvent pas être présents sur tous les chantiers susceptibles de livrer des carpo-restes. Les archéologues doivent donc être formés (ou sensibilisés) aux techniques de l’échantillonnage, aux modes de traitement des prélèvements et plus largement à la manière dont le carpologue travaille (depuis les choix opérés sur le terrain à l’analyse en laboratoire).

(Crédits photos : Charlotte Hallavent)

L’analyse carpologiques se fonde sur des assemblages carpologiques. Un échantillonnage sédimentaire réfléchi est donc à la base de ce travail (graines prélevées à l’œil nu ne sont pas pertinentes).

Les quantités de sédiments prélevés varient en fonction de la richesse du contexte (de 1 litre à plusieurs dizaines de litres). Il dépend du type de structure (grenier, maison incendié, foyer, fosse-silo, dépotoir, puits, etc.), fait l’objet d’un enregistrement minutieux (localisation spatiale et stratigraphique) et le conditionnement doit être rigoureux  (solidité du contenant, étiquetage).

 

Source : Ph. Marinval, 1999

Source : Ph. Marinval, 1999

 

Modes de conservation

Les semences sont d’ordinaire des matériaux organiques périssables qui se dégradent rapidement, aussi requièrent-elles des conditions de préservation exceptionnelles. La carbonisation (substitution de la matière organique par du carbone), l’imbibition (graines gorgées d’eau dans un milieu anaérobie) et la minéralisation (remplacement progressif de la matière organique par des substances minérales lors d’un asséchement du milieu) sont les plus courantes sous nos latitudes. La dessiccation (desséchement de la matière organique) et les impressions (ou empreintes) y sont plus rares.

 

A. fragment de coque de noix carbonisé, Moyen Âge B. graine de gourde calebasse, Moderne C. germe minéralisé de céréale, Moyen Âge  clichés C. Hallavant ; D. cliché E. Bonnaire ; E. Agropolis

A. fragment de coque de noix carbonisé, Moyen Âge B. graine de gourde calebasse, Moderne C. germe minéralisé de céréale, Moyen Âge
clichés C. Hallavant ; D. cliché E. Bonnaire ; E. Agropolis

Modes de récupérations des vestiges carpologiques

La première étape consiste à tamiser les échantillons. Le procédé le plus fréquemment utilisé est le tamisage sous eau. Il peut être manuel ou aidé d’une machine. La technique diffère en fonction du mode de préservation des vestiges mais les principes de bases restent les mêmes, à savoir l’utilisation d’une colonne de deux tamis en inox indéformable à maille de 2, parfois 1mm et 0,5 mm. Pour la récupération de vestiges carbonisés, on pratique la flottation (en raison de la faible densité des restes carbonisés ils remontent à la surface) et les refus sont mis à sécher (cf. figure ci-dessous). Afin de limiter les déformations, les graines gorgées d’eau sont conservées dans l’eau et la flottation n’est pas nécessaire pour les graines minéralisées.

 

DAO : C. Hallavant

DAO : C. Hallavant

Le travail en laboratoire

Après le tamisage fait ou non par le carpologue mais pour lequel un suivi scientifique est hautement recommandé, le travail en laboratoire peut commencer. Il se décompose en une série d’étape :

– le tri des refus se fait sous loupe binoculaire dont le grossissement peut varier de 5,6 à 80 fois. Cette étape est la plus longue.

– le temps imparti aux identifications varie en fonction de la diversité et de l’état de conservation. L’objectif est d’attribuer aux vestiges un rang taxinomique (famille, genre, espèce). La technique d’identification est basée sur l’anatomie comparée. Le matériel carpologique archéologique est confronté à des semences actuelles (conservées dans une carpothèque) et à des photos/dessins consignées dans des atlas de comparaison.

– le dénombrement s’opère par taxon, par type de reste et par état (entiers/fragmentés).

– l’état de conservation est noté (déformation, présence/absence d’éléments anatomiques, etc.)

– des mesures peuvent être faites pour préciser les diagnoses, mettre en évidence des anomalies, etc.

– des photos ou des dessins peuvent compléter cette étape.

 

Cliché : C. Hallavant

Cliché : C. Hallavant

Les axes de recherche

La carpologie permet d’aborder deux grands domaines, qui parfois se rencontrent : le paléoenvironnement et la paléoethnobotanique.
Le paléoenvironnement contribue de manière générale à la connaissance de l’histoire des plantes (évolution des associations végétales, histoire et gestion du paysage).

 

La paléoethnobotanique est plus spécifique à l’archéologie. Le but principal est de restituer des activités humaines liées à l’exploitation des plantes. Il s’agit de retracer les interactions qu’entretenaient les hommes avec le monde végétal. Il existe plusieurs grands domaines :

– impact des activités humaines sur l’environnement et les espèces végétales (domestication, croisements génétiques, déforestation, etc.) ;

– place des ressources végétales dans l’économie d’une population (production, commerce, cueillette) ;

– régime alimentaire et pratiques culinaires ;

– productions agricoles (semailles, entretien, localisation des champs, moissons) ;

– stockage (traitement après récolte, chaîne opératoire, outillage, mode de stockage, etc.) ;

– alimentation et entretien des animaux ;

– place du monde végétal dans l’imaginaire, l’industriel, le social et la médecine (pratiques funéraires, savoir médicinal, techniques industrielles et agricoles, etc) ;

– etc.

 

Les indices livrés par les paléo-semences offrent une vision à différentes échelles. Si ils peuvent aider à identifier la fonction de certaines structures et à discuter de la signification de certaines strates archéologiques, ils contribuent également à une meilleure compréhension de la nature et de l’importance économique d’un site à l’échelle micro-régionale ou nationale et rendent accessible la notion de terroir et de gestion de ce territoire.

 

Toutefois, tous les contextes n’ont pas le même niveau d’information. Le potentiel informatif dépend du contexte de découverte :

– dépotoirs (fosses, latrines, puits) : alimentation, nettoyage des récoltes

– structures de réserves : plantes exploites, pratiques agricoles, modes de stockage

– trous de poteaux : fonction du bâtiment, plantes exploités

– structures de combustion : pratiques culinaires, plantes exploitées, nettoyage des récoltes, combustible

– niveau d’occupation : plantes exploitées, environnement végétal proche

– contextes cultuels : pratiques funéraires, offrandes végétales

 

Orientations bibliographiques

 BEIJERINCK W., Zadenatlas des Nederlandsche Flora, Amsterdam, Backuys et Meeters, 1976, 316 p. (http://seeds.eldoc.ub.rug.nl/root/)

 

BOUBY L., « La très longue durée. Restituer les pratiques agraires par la carpologie », Etudes Rurales, 153-154, 2000, p. 177-194. http://etudesrurales.revues.org/document10.html

 

DELHON C., THÉRY-PARISOT I. et THIÉBAULT S. (dir.), Des hommes et des plantes. Exploitation et gestion des ressources végétales de la Préhistoire à nos jours, XXXe Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, Antibes. Anthropobotanica 01, Éditions ADPCA, 2010 http://www.mnhn.fr/museum/foffice/science/science/DocScientifique/publications/presentation/listeParution/ficheParution.xsp?PARUTION_ID=2366&PUBLICATION_ID=313&THEMPUB_ID=82&idx=0&nav=tableau1

 

GREEN F.-J., « Phosphatic mineralization of seeds from archaeological sites », JAS, 6, 1979, p. 279-284.

 

MARINVAL P., « Les graines et les fruits : la carpologie », dans La botanique, Paris, Errance, 1999, p. 105-137.

 

MARINVAL P., L’alimentation végétale en France, du Mésolithique jusqu’à l’Age du Fer, Paris, CNRS, 1988, 192 p.

 

RUAS M.-P., « Des grains, des fruits et des pratiques : la carpologie historique en France », dans CHAPELOT J. (dir.), 30 ans d’archéologie médiévale en France, Paris, CRAHM, 2010, p. 55-70.

 

RUAS M.-P., Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale, DAF 93, Paris, MSH, 2002, 231 p.

 

RUAS M.-P., « Les plantes consommées au Moyen Age en France méridionale d’après les semences archéologiques », AMM, 15-16, 1998, p. 179-204.

 

ZECH-MATTERNE V., DERREUMAUX M. ET PREISS S. (dir.), Archéologie des textiles et teintures végétales, Actes de la Table Ronde Archéobotanique 2006, Compiègne (28-30 juin), Dossier spécial Les Nouvelles de l’Archéologie, 114, 2008.

http://www.revues.msh-paris.fr/modele2/nospebook2.asp?id_nospe=403&id_perio=38

 

Liens internet

 

  • Présentation du métier (source INRAP) :

http://www.cc-roissyportedefrance.fr/layout/set/print/Mediatheque/Archea/Videos/Carpologie-Veronique-Matterne

http://www.inrap.fr/archeologie-preventive/Ressources-multimedias/Audiovisuels/Les-sciences-de-l-archeologie/p-13585-Marie-France-Dietsch-Sellami-carpologue.htm

 

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