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Rapport du Jury

Benoît PETIT

Habilitation à diriger des recherches en sociologie A l’université Toulouse 2 – Le Mirail

5, allées Antonio Macchado – TOULOUSE

le vendredi 12 février 2010 – 14 heures, salle D 29

« La construction sociologique des valeurs entre l’économie et la religion: laïcité et relations entre les Eglises et l’Etat en France et en Allemagne »

Mots clés :

Laïcité / idéologies ; religion séculière / religion civile ; Eglises – Etat ; écologie et non violence ; croyances / identités nationale et religieuse ; Discrimination et intégration citoyenne.

Jury :

Angelina PERALVA, Professeure de sociologie à l’Université Toulouse 2, ( coordinatrice ) François DUBET, Professeur de sociologie à l’Université Victor Segalen, Bordeaux 2 – EHESS ( 1er rapporteur ) Bruno DURIEZ, Directeur de recherche au CNRS, CLERSE, Université Lille 1 ( 2ème rapporteur ) Dominique CROZAT, Professeur de géographie, Université Montpellier 3 Peter HEINE, Professeur émérite à la Humboldt-Universität, Berlin (Institut d’Asie et d’Afrique) Hervé TERRAL, professeur de sociologie à l’Université Toulouse II

La scéance commence à 14 heures. Benoît PETIT est invité par Hervé TERRAL, président du jury, à présenter les grandes lignes de son dossier en vingt minutes. Ce qu’il fait de façon fort synthétique et correcte en indiquant :

«L’approche de la construction sociologique des valeurs pose diverses questions de méthode que retrace un parcours de recherches : l’observation des solidarités et conflits dans la société rurale de la seconde moitié du XXème siècle spécialement en France, en Allemagne de l’est et en Pologne, permet d’analyser le marxisme comme religion séculière et de comprendre les relations entre Eglises et Etats, avant, après la chute du mur de Berlin et dans les sociétés occidentales contemporaines.

Les doctrines et les partis s’opposent sur la manière d’évaluer le prix des marchandises, sur la valeur du travail, comme sur la propriété des moyens de production. L’appréciation diverse des comportements licites, valorisés ou interdits, repose sur des croyances et des échelles de valeurs ; les comportements, jugés magiques ou rationnels, sont interprétés, justifiés avec des arguments d’ordre scientifique, religieux ou culturel. L’engagement patriotique, l’intégration citoyenne, les solidarités, entraînent aussi des promotions ou discriminations politiques et professionnelles.

La construction du sujet, de l’acteur, peut être abordée à partir des contraintes structurelles macrosociologiques qui dépendent des époques, des régimes politiques : la fin de la RDA est alors un bon observatoire pour éclairer les mutations des sociétés postmodernes. Les institutions sont aussi le champ méso-sociologique où se construisent les liens sociaux fondés sur des valeurs transmises ou refusées. Les opposants et déviants, prophètes de nouveaux comportements, ouvrent des espaces de liberté alors que déclassements et promotion sociale manifestent les priorités des groupes sociaux.

L’individu au sein de sa famille, de ses groupes d’appartenance et communautés construit son identité dans une dynamique qui reste fidèle à certains comportements intergénérationnels ou s’en affranchit dans les quêtes d’autonomie et de réalisation de soi.

L’imbrication de ces trois niveaux actualise les questions posées par les fondateurs de la sociologie ; divers outils méthodologiques dont la qualité heuristique des typologies permettent de situer la place des individus dans les sociétés en mutation, confrontés autant par le relativisme que par des pensées totalisantes. Le chercheur s’appuie sur de nombreuses enquêtes de terrain et sur les échanges avec des sociologues, experts du fait religieux et collègues d’autres disciplines, pour poser les conditions d’un dialogue argumenté mobilisant raison et convictions. »

Le professeur HEINE, ne pouvant se déplacer depuis Berlin pour des raisons de santé, est joint en premier par visio-conférence. Voici l’essentiel de sa déclaration : «

Tout d’abord permettez-moi de préciser que c’est pour moi un honneur particulier de participer au déroulement de cette habilitation ; en même temps je regrette que des raisons de santé m’empêchent actuellement de participer personnellement à ce jury. Je connais personnellement monsieur Petit depuis environ 5 ans. Dans le cadre de séjours auprès du Centre Marc Bloch de Berlin et d’échanges Erasmus et Socrates, il s’est à plusieurs reprises tourné vers moi, recherchant un dialogue scientifique et il a également pu communiquer en allemand les résultats de ses recherches aux étudiants.

Lors de ces rencontres, la situation de l’islam en France était au centre de nos discussions et des séminaires. Monsieur Petit a apporté un point de vue général sur les structures des

organisations musulmanes, leurs rapports avec la société civile française et sur les relations de l‘administration publique avec les groupes de musulmans. Ses exposés ont donné aux auditeurs un aperçu vivant de la situation française et ont été l’occasion de débats au cours desquels nous avons pu comparer la situation des musulmans et des organisations musulmanes avec celle de la France. En outre, Monsieur Petit a fait connaître lors de ses présentations les problèmes concernant la construction de mosquées dans plusieurs localités de France. Ici aussi, nous avons pu faire la comparaison avec des situations similaires dans des villes allemandes. Ses sujets étaient donc bien choisis et ont fourni à l’auditoire non seulement des informations apportant un éclaircissement réciproque, mais aussi des connaissances qui nourrissaient la réflexion future. Ils étaient méthodiques, riches de contenu, maîtrisés et permettant l’approfondissement.

M. Petit propose un travail scientifique riche et varié. Toutes ses publications sont empreintes d’une grande honnêteté scientifique. Comme Allemand de l’Ouest venu à Berlin Est à la chute du mur et maintenant installé dans le Brandebourg, j’ai été très intéressé par son travail concernant les relations entre l’Etat et les Eglises en RDA et les changements des fonctions sociales de l’Eglise après 1989. Ses présentations sont lucides, riches de connaissances et d’une grande sensibilité pour les décisionnaires responsables des Eglises.

Les conflits autour de « l’Eglise dans le socialisme » comme problème fondamental du comportement et de l’action ecclésiale dans l’Etat du « socialisme réel » sont à mon avis présentés de manière convaincante. Comme je me suis depuis peu intéressé, pour des raisons personnelles et biographiques, à l’histoire des socialistes religieux en Allemagne avant et après la seconde guerre, les recherches de M Petit m’ont été d’une grande utilité.

En résumé, je peux dire que l’œuvre scientifique de M. Petit ainsi que ses compétences à faire partager ses résultats de recherche aux étudiants sont convaincantes ; ceci m’amène à soutenir volontiers sa demande en vue de l’obtention du diplôme de l’habilitation à diriger des recherches et je recommande au jury d’accéder à sa requête. »

Benoît PETIT répond de manière satisfaisante

Premier rapporteur, François DUBET prend ensuite la parole pour souligner la somme de travail, de courage, de convictions et d’habileté qu’il a fallu à Benoît Petit pour travailler en RDA. Les sociologues « occidentaux » qui ont mené des enquêtes empiriques dans des sociétés communistes sont extrêmement rares et Benoît Petit est l’un d’eux, ce qui confère à ses travaux un intérêt exceptionnel. Le livre présenté comme mémoire d’HDR est une synthèse de cette très longue recherche sur le monde rural et sur les relations entre l’Etat et la religion en RDA. Ce long document extrêmement érudit « met de l’ordre » dans un dossier foisonnant, constitué de textes et d’articles jusque là relativement dispersés dans une multitude de supports, ce qui a pu nuire à la visibilité et la reconnaissance du travail de Benoît Petit. Le livre à paraître sera un document indispensable à tous les chercheurs qui voudront comprendre ce qui fut le communisme réel. Il démontre à l’évidence que Benoît Petit est un excellent sociologue et qu’il mérite d’être habilité à diriger des recherches. Non

seulement, c’est un spécialiste parfaitement informé sur son domaine de spécialité, mais c’est aussi un homme de très grande culture réfléchissant sans cesse sur ses propres démarches.

Peut-être est-ce parce que le livre proposé est une somme synthétisant plusieurs dizaines d’années de recherches, mais on peut noter que, en dépit de la qualité de l’écriture, l’organisation générale du texte n’est pas toujours parfaitement limpide. Ainsi, le plan chronologique est parfois abandonné au profit de longs passages sur la paysannerie en RDA, ce qui rompt l’unité du propos sur les rapports de la religion et de l’Etat communiste. De même, l’annexe portant sur les relations des Eglises et du nazisme aurait pu se trouver en début de texte afin de montrer que le problème n’est pas aussi nouveau qu’on aurait pu le penser. Il est un peu dommage que le livre ne soit pas mieux centré sur un seul objet, quitte à ce que Benoît Petit consacre un nouvel ouvrage à la question paysanne.

Sur le fond, deux points méritent d’être discutés. Le premier concerne la notion de « dictature participative » que Benoît Petit propose de substituer à celle de totalitarisme. Il peut y avoir là une confusion car le propre du totalitarisme, quand on le compare à la simple tyrannie, c’est qu’il s’efforce de conquérir les esprits et les consciences afin de plier la vie sociale aux catégories de l’Etat et du pouvoir, alors que la tyrannie, se « borne » à monopoliser le pouvoir par la violence sans chercher pour autant le consentement des acteurs. La dictature participative n’est que l’autre nom du totalitarisme car elle repose sur le monopole du pouvoir, la violence, la répression et, en RDA, le projet de contrôler totalement les mouvements et les pensées. Ce qu’elle cède à la société n’est pas une part de liberté, mais un outil de la domination comme le manifeste la présence continue de la répression et du contrôle policier. Le fait que jamais ce projet n’aboutit totalement ne signifie pas que l’on soit dans une dictature participative. De même, s’il est vraisemblable que la CIA a joué un rôle dans la chute du mur, il n’est pas possible de réduire les médias occidentaux à cette dimension de la guerre froide : le rock, la presse et les films occidentaux captés à l’Est n’étaient pas réductibles à la CIA, sauf à adopter le point de vue du Parti si j’en crois les Polonais qui me disaient que ces médias leur laissaient entrevoir un monde « normal ».

Le second point de discussion concerne le parallélisme établi entre le communisme comme religion sécularisée et athée et les religions protestante et catholique en RDA. S’il est peu discutable que le marxisme se soit présenté comme une religion proposant un ensemble de croyances et de dispositifs rituels, il n’est pas certain qu’il s’agisse là d’une « véritable » religion puisqu’elle ne répond pas exactement aux mêmes questions que les autres qui ont une part « hors du monde » et qui postulent le divin dans l’homme. La religion se définit partiellement comme non sociale et non historique alors que le marxisme d’Etat était totalement social et totalement historique. D’ailleurs, je ne crois pas que les chrétiens marxistes aient jamais établi une véritable équivalence entre les deux systèmes de croyance et la métaphore religieuse ne fait pas similitude ; ils étaient marxistes sur la question sociale et chrétiens pour les questions plus « existentielles ». Ce parallélisme affaiblit considérablement la définition-même du fait religieux comme postulat de transcendance et clivage du profane et du sacré. Les passages de l’une à l’autre, les compromissions réciproques et politiques entre le Parti et les Eglises, les ressemblances rituelles comme les serments et les fêtes, ne peuvent pas conduire à mettre les deux systèmes de croyance sur le même plan.

Il reste que malgré ces interrogations, auxquelles Benoît PETIT répond de manière précise et convaincue, le travail présenté au jury est de très grande qualité. François DUBET renouvelle ses félicitations à Benoît PETIT en souhaitant que le livre présenté aura tout le succès qu’il mérite et que cette HDR lui permette de diriger des thèses dans un domaine où ses compétences ne sauraient être contestées.

Prenant la parole à son tour en tant que second rapporteur, Bruno DURIEZ dit tout l’intérêt qu’il a trouvé en prenant connaissance du dossier présenté par Benoît PETIT. Dans son mémoire (tome 1), Benoît PETIT nous présente à la fois son parcours personnel et son parcours de recherche. On voit bien comment ses engagements personnels ont marqué le choix de ses objets de recherche. L’agriculture et la religion : il y a une continuité depuis le MRJC. On trouve aussi la marque de ses engagements dans sa façon de faire de la sociologie.

Depuis les débuts, Benoît PETIT s’est intéressé à l’Allemagne de l’Est, d’abord sur l’agriculture (les coopératives agricoles), puis sur d’autres aspects de la vie de ce pays, tout particulièrement la situation religieuse. Il a le grand mérite d’avoir pu aborder cette société. Il a fait preuve d’habileté pour surmonter les difficultés à y accéder. Il était particulièrement bien placé pour étudier ensuite les transformations de cette société depuis la chute du mur et la réunification allemande. L’Allemagne réunifiée est un terrain particulièrement intéressant pour le sociologue. Sa bonne connaissance de la culture allemande, de sa langue tout particulièrement, lui permet de jouer le rôle de passeur entre la France et l’Allemagne. Il fait connaître en France ce qui se passe dans ce pays étranger et il est en mesure d’expliquer aux Allemands certains aspects de la réalité française.

Benoît PETIT a publié une série d’articles dont la lecture est particulièrement aisée et qui, au-delà de la diversité des objets retenus, montrent l’unité de sa démarche. Bruno Duriez dit avoir lu notamment avec un intérêt tout particulier l’article sur la pêche à la ligne qui permet de comprendre ce que celle-ci dit des rapports entre ville et campagne ou entre pratique individuelle et vie associative, ou encore des transformations de l’organisation sociale du pays.

A travers ces travaux l’auteur montre une culture sociologique étendue et bien maîtrisée. Benoît PETIT a construit une démarche originale et productive. Benoît PETIT réunit dans le manuscrit d’un prochain ouvrage les résultats des travaux qu’il a menés depuis les années 1980 sur l’Allemagne de l’Est. Bruno DURIEZ dit s’être instruit à la lecture de cet ouvrage qui fait apparaître la réalité est-allemande comme plus complexe qu’on ne le pense souvent. C’est le cas notamment pour ce qui concerne la place du religieux dans un pays dont l’État professe un athéisme militant. La répression de la vie religieuse s’accompagne de certaines formes de reconnaissance des institutions religieuses. Comme en Allemagne de l’Ouest, le clergé est rémunéré grâce à la perception d’un impôt religieux ; il existe des organisations religieuses d’action sociale, etc. Mais Benoît Petit montre aussi que la situation change au fil des décennies. On découvre, quoique pas toujours très clairement, l’évolution de ce que Benoît PETIT se risque à nommer une dictature participative. La portée de cette analyse de Benoît PETIT, globalement convaincante, dépasse le cas de la seule Allemagne. Ceci dit, il paraît nécessaire de travailler encore à l’amélioration du manuscrit pour le rendre tout à fait publiable, tant dans l’organisation de son propos que dans sa forme.

Benoît Petit se montre assez discret sur les méthodes qu’il a utilisées. Dans le mémoire (tome1), sont évoquées successivement plusieurs enquêtes sans qu’on sache bien ce dont il s’agit. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises l’auteur affirme procéder par observation participante. Il donne l’impression d’une conception assez extensive de cette méthode. On comprend bien qu’à la suite des ethnologues, il l’utilise pour connaître un groupe étranger, en Allemagne par exemple. Mais on ne voit pas bien ce qu’il fait quand il dit utiliser cette méthode pour observer un groupe dont lui-même fait partie.

Puis Bruno DURIEZ retient quelques questions pour engager la discussion avec Benoît PETIT. Dans le cas de la République démocratique d’Allemagne, la reprise par Benoît PETIT de la thèse de la sécularisation est convaincante. Mais ne peut-on pas aller plus loin au sujet d’un pays où l’État mène une politique anti-religieuse, une sécularisation à marche forcée si l’on peut dire ? Dans une thèse qui sera prochainement soutenue à Toulouse et qui porte sur un autre pays communiste, l’auteur parle de sécularisme pour caractériser cette politique. Ne pourrait-on pas en dire davantage également sur ces organisations de chrétiens acquis au pouvoir étatique et au Parti, telles que Pacem in Terris en RDA ou Pax en Pologne ? On pourrait être intéressé aussi de mieux connaître quels ont été les conflits éventuels au sein des Églises. Par exemple, avant la chute du mur et après, entre ceux qui ont frayé avec le régime et ceux qui se sont opposés à celui-ci. Et avant cela, après guerre, entre ceux qui, sous le nazisme, avaient fait partie des confessants et les chrétiens allemands. Benoît Petit évoque des conflits de générations mais il n’en dit pas beaucoup à leur sujet.

Après d’autres, Benoît PETIT présente le communisme comme une religion séculière. C’est un point essentiel de son analyse. Avec leur doctrine, leur foi en la raison scientifique, leurs rites, l’État et le Parti sont présentés comme une religion voulant se substituer aux autres religions. On peut se demander si parler de ladite religion séculière est davantage qu’un procédé métaphorique. N’est-ce pas ce qui est suggéré par exemple lorsqu’il est dit que « l’idéologie marxiste fonctionne comme une religion » ? Benoît PETIT a raison de dire que le communisme a été pour les peuples de l’Europe de l’Est plus que la soumission à une dictature, qu’il a suscité chez ceux-ci la croyance en un avenir meilleur. L’analogie avec la religion peut avoir une certaine efficacité. Mais n’a-t-elle pas ses limites ? Par exemple, certains rites, comme la Jugendweihe, sont bien créés pour concurrencer les rites religieux. Peuvent-ils pour autant être considérés comme religieux ? Il aurait sans doute été utile à ce sujet d’utiliser davantage la recherche de Marina CHAULIAC sur la question. On aimerait d’ailleurs savoir un peu plus quels sont été les effets de cette politique d’inculcation de la religion nouvelle que serait le communisme chez les Allemands, notamment sur leurs croyances. L’auteur donne quelques indices mais ils sont parfois contradictoires.

Cette interrogation ne réduit pas l’intérêt de l’analyse de Benoît PETIT qui montre notamment comment l’incroyance religieuse, suscitée par l’État, s’est retournée contre l’État lui-même. Dans son mémoire, Benoît PETIT indique qu’un rapport de forces s’établit entre la religion dite séculière et les religions dans la RDA. Que peut-on dire de l’évolution de ce rapport de forces qui, pour l’auteur, est un des éléments de la fin du régime, qui a été présentée notamment comme le résultat de la « révolution des pasteurs » ?

A plusieurs reprises, Benoît PETIT évoque la sociologie en RDA, notamment à l’occasion d’un congrès de sociologie marxiste-léniniste. Il a connu certains de ces sociologues. Qu’a-t-il tiré de ces rencontres ? En quoi cette sociologie fournit-elle des appuis à l’idéologie de l’État ? Qu’est-ce que ces sociologues sont devenus ? Il serait bien que Benoît PETIT partage la connaissance qu’il a de cette sociologie. Dans une prochaine publication ?

Ces interrogations, parmi d’autres, ne mettent pas en question l’intérêt du travail de Benoît PETIT. Bruno DURIEZ espère que l’occasion lui sera donnée de poursuivre la discussion avec lui. Pour terminer, il exprime le souhait que Benoît PETIT, grâce à son habilitation, pourra engager d’autres sociologues, plus jeunes, dans les voies qu’il a tracées et qu’il pourra les faire bénéficier de son expérience.

Dominique CROZAT, professeur de Géographie culturelle et sociale à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, considère que Benoît PETIT présente un travail ambitieux, sympathique et riche par la diversité des pistes qu’il balise, sans oublier celles qui apparaissent en filigrane au détour d’une citation ou d’une référence. On comprendra donc que Dominique CROZAT ait pu être au départ un peu perturbé par ces écarts : les pêcheurs à la ligne en RDA des années 1980 apparaissent ainsi difficiles à placer dans le contexte des recherches présentées aujourd’hui.

De fait, l’HDR est un exercice qui a pour vocation implicite de remettre un peu d’ordre dans des parcours de recherches dont on sait bien qu’ils ne sont pas linéaires, parfois même chaotiques : nous sommes en effet souvent amenés à bifurquer sur des voies inattendues au gré de rencontres de laboratoire, d’opportunités induites par l’association à un programme ou, de plus en plus, un appel d’offre. Il est alors certain que, lorsqu’on a une carrière un peu plus longue, cette remise en ordre n’est pas toujours très facile. D’une certaine manière, les étapes successives de ce projet d’HDR ont rythmé cet effort de mise en cohérence et il faut saluer l’effort.

En même temps, cela amène à s’interroger : n’aurait pas mieux valu, sous certains aspects, jouer sur une construction de la présentation en plusieurs temps – ceux d’une vie de recherches – qui articuleraient mieux le propos, sans empêcher pour autant les transversalités. Cela aurait peut-être permis une approche plus ouverte à des travaux qui n’ont pu trouver leur place ici.

De fait, ce patchwork qu’on devine à travers des citations et références est escamoté par le propos unificateur de l’ouvrage présenté ici. Dans mon propos, je n’ai cependant pas pu oublier de tenir

compte d’autres travaux, en particulier le bon texte sur « La fête des peuples chez les catholiques romains à Toulouse » que nous avons publié l’an dernier. Quel fil garder ? Celui de la modestie d’une approche intime du quotidien, modestie du discours quand les sujets abordés sont pourtant d’un sérieux et d’une gravité qui aurait pu donner des lectures beaucoup plus pesantes et indigestes. C’est la qualité majeure de l’approche du candidat.

D. CROZAT a conservé comme problématique centrale l’idée du projet initial : « évaluer les valeurs » pour donner sens à ce propos car, aujourd’hui, le contexte de la RDA apparaît d’un exotisme intéressant pour proposer quelques réponses à des questions plus larges restées d’actualité : comment la relation entre Etat et religion peut-elle se construire dans le quotidien, dans l’intimité d’une pratique et de la vie au jour-le jour dans des espaces banalisés (à tous les sens de ce terme) ? J’ai toujours un peu d’admiration pour la nature même de ces recherches qui tentent de concilier l’exigence de la qualité scientifique avec l’inscription engagée dans la cité.

C’est donc la première question : quelles sont les limites à cette ambition d’évaluer les valeurs dans un monde mis en spectacle en permanence, une médiaculture dirait Maigret ? Comment le chercheur se positionne-t-il face à la nécessité d’appréhender ce débat ? La notion de valeur n’a-t-elle pas elle- même évolué ? Proclamer le passage à une économie sociale de marché, malgré les réserves qu’on peut avoir sur la réalité profonde de l’expression, implique-t-il seulement «une inversion de valeurs » ? Cette évolution n’est-elle pas plus complexe ? C’est l’implicite qui ressort de la lecture mais me paraît devoir être explicité et revendiqué plus clairement.

Le second niveau de réflexion à la lecture de ce texte tient à des rapprochements entre des termes parfois surprenants tels que démocratie participative (voir Dubet) ou religion et idéologie. A l’abord, c’est troublant, gênant. La démocratie participative est une expression qui évoque la langue de bois et réfère à une démocratie totalitaire ; si ce régime parvient à susciter une participation, à défaut de l’adhésion dont on rêvait, c’est parce qu’il peut compter sur la menace de la Stasi et de l’appareil d’Etat. Mais c’est aussi parce que l’efficacité de la propagande lui permet d’infiltrer les âmes : la démocratie participative, c’est au final une dictature totalitaire (voir les propos de François Dubet).

Au second regard, on peut trouver intéressant de questionner le doublet un peu figé religion/idéologie parce que, depuis un siècle, cet outil intellectuel délimite précisément la frontière entre deux types de discours et deux modes de construction du monde. Or, ce doublet est historiquement daté alors même que nos sociétés postmodernes transgressent allègrement les frontières et jouent souvent de la confusion entre l’une et l’autre. Sans même aller chercher les fondamentalistes de tous crins dont le discours est souvent mis en avant, le jeu des apparences dans la médiaculture amène aussi à orchestrer de manière ambiguë cette confusion entre les deux termes. Il serait donc utile d’en revisiter la délimitation et les définitions.

Mais Benoît PETIT ne se positionne ni dans l’un ni dans l’autre de ces registres, sans non plus étayer beaucoup le propos. On reste donc un peu perturbé, avec une sensation d’excès de langage ou de provocation calculée car l’explication proposée apparaît un peu limitée. La seconde question porte donc sur ce point : le candidat peut-il expliciter un peu ce rapprochement, sans bien sûr entrer dans les détails puisque cette remise en cause d’un des postulats majeurs de la pensée occidentale justifierait un débat beaucoup plus long que cette présentation ; il s’agit plutôt de préciser les logiques et l’intérêt de ce positionnement décalé.

Ensuite, Dominique CROZAT insiste un peu au niveau des points forts et signale que c’est dans des développements moins attendus que l’analyse, toute en finesse, emporte l’adhésion pas sa capacité à cerner la complexité des processus sociaux ; on pense par exemple en particulier à l’étude de la privatisation des terres et l’action de la THA. Cette façon d’aborder la construction du sens se révèle roborative en ce qu’elle incite à un regard au plus près tant des politiques que des pratiques usuelles de production des espaces sociaux.

Pour terminer, Dominique CROZAT aborde les questions spatiales : quand l’Eglise de RDA se présente comme diaspora alors même qu’elle est dans une situation d’enfermement national sans précédent, cela surprend et met en valeur les nombreux paradoxes d’une Eglise en résistance mais qui ne refusait pas les prébendes de l’Etat… Ces convergences avec le régime se retrouvaient quand l’un et l’autre, pour des raisons différentes, s’opposaient à l’avortement et l’IVG… Dans la même approche comparative, quelles différences en terme de symbolique peut-on constater entre la position des Eglises de Pologne et de RDA, toutes deux intégrées mais en opposition au pouvoir ?

Les évolutions actuelles sont aussi à l’origine de mutations profondes dans la construction des territorialités telles que le glissement contemporain de la ligne Oder/Neisse alors que, paradoxalement, c’est l’ouverture vers les « pays frères » qui était réputée avoir été confortée par le pacte de Varsovie ou le Comecon. Dominique Crozat demande au candidat s’il envisage à l’avenir de développer ces aspects : quelle place pour l’Eglise et plus largement une action chrétienne dans la reconfiguration territoriale allemande et européenne tant du côté des länder (à nouveau en pleine mutation après celle des années 1990) que de ces porosités de certaines frontières (à l’Est) alors que d’autres se révèlent persistantes ? La « frontière » avec les länder de l’ex-RFA, réputée abolie, est devenue frontière sociale ; elle est mise en scène et culturisée afin de s’ancrer sur la durée.

Enfin, on peut développer à partir de la question de notre collègue allemand sur les différences entre laïcité et sécularisation : quelle pertinence ont encore ces distinctions quand aujourd’hui se construit une double échelle qui articule l’individu et son univers paroissial micro-local face au monde et à la globalisation culturelle ?

Pour conclure, par ses écornures, ce travail riche doit nous sortir de la banalisation et de l’aseptisation du quotidien, tout en questionnant quelques paradoxes. Dominique CROZAT adresse ses félicitations et remerciements au candidat pour le plaisir apporté par sa lecture et sa présentation de soutenance.

Le président a alors passé la parole à Angelina Peralva, référente. Celle-ci a commencé par dire sa satisfaction à voir venir à soutenance le dossier présenté pour l’obtention de la HDR par Monsieur Benoît Petit – un dossier, il fallait le dire d’emblée, à l’écriture élégante et agréable. Composé d’un long mémoire qui retrace la trajectoire du candidat dans les domaines de l’enseignement et de la recherche (« De l’économie à la religion. Evaluer les valeurs. » Laïcité et systèmes politiques : quelles relations Eglises-Etats ?, 197 pages) , d’un ouvrage manuscrit (L’Allemagne de l’Est, 1949- 1989. Religion et politique en mutation, 313 pages, plus 33 illustrations) qui doit bientôt paraître aux Presses Universitaires de la Méditerranée et d’une liste de publications, ce dossier témoigne d’un parcours original dans un domaine – la connaissance des anciennes démocraties populaires de l’est européen – où la recherche en sciences humaines reste encore à construire. Benoît Petit a été un observateur privilégié de cette région de l’Europe – l’ancienne RDA, principalement, mais aussi la Pologne – à une époque où ces pays n’étaient pas particulièrement enclins à accueillir des chercheurs en sciences humaines, et surtout pas des sociologues. Parti d’une sociologie du travail agricole, portant un intérêt particulier aux coopératives paysannes (objet de sa thèse pour le doctorat, soutenue en 1982 sous la direction de Placide Rambaud à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales), Benoît Petit découvre progressivement, dans ces pays placés sous l’autorité d’un marxisme agnostique d’Etat, l’importance du fait religieux et des églises en tant que lieu de résistance silencieuse de la société civile. Officiellement engagé dans des recherches qui portaient sur un objet acceptable et légitime du point de vue du régime en place, il a pu dès lors développer pendant plusieurs années de longues observations parallèles sur le dialogue Eglises-Etat en RDA, dont son ouvrage nous propose aujourd’hui une fine analyse. Car c’est bien de dialogue et négociations, et non pas seulement de rapports de pouvoir et de résistance, dont il est question. Pour expliquer l’existence d’un tel espace de dialogue, Benoît Petit entreprend une visite cultivée et informée du paysage religieux de la République démocratique allemande, revenant sur la présence historique des églises évangéliques, sur celle de l’Eglise catholique et les Concordats, ainsi que sur l’action développée à leur égard par le régime communiste naissant – une action qui trouve ses limites dans le fait que le régime, quelles qu’aient été ses intentions, ne pouvait pas se permettre de faire table rase du passé.

Une « religion d’Etat », le marxisme, se retrouve alors en situation de face à face avec des religions civiles… Le jury s’est interrogé sur la pertinence d’une telle analogie. Peut-on assimiler le marxisme d’Etat à un fait social de nature religieuse ? Pour Angelina Peralva, l’analogie apparaît tout à fait utile, dans la mesure où elle rappelle à la fois la force historique de l’engagement militant que le marxisme a su rallier derrière lui et la transcendance de l’avenir révolutionnaire qu’il opposait à la banalité du quotidien et du temps présent. D’un côté comme de l’autre de ces religions, Benoît Petit perçoit, et il a raison de le souligner, la mobilisation de valeurs et de convictions profondes. L’analogie qu’il nous propose n’est par ailleurs pas nouvelle. On la retrouve au cœur des débats sur la formation, en France, de la 3ème République : ne s’agissait-il pas alors, justement, de donner naissance à une religion laïque, capable de relier derrière elle l’ensemble de la collectivité nationale ?

De la lecture que nous propose Benoît Petit de quarante ans d’histoire d’une partie de l’Allemagne de l’après-guerre émerge une dynamique sociale insoupçonnée, car le plus souvent occultée par l’approche politique habituelle du communisme. Ne serait-ce que pour cette raison-là, son travail mérite largement l’Habilitation à diriger des recherches en sociologie à laquelle il postule. Mais ce dossier présente bien d’autres qualités, quelques unes déjà évoquées, d’autres pas. Parmi ces dernières, soulignons pour terminer la parfaite maîtrise de la langue allemande dont a fait preuve le candidat, une langue encore peu fréquentée dans notre milieu académique. Ayant accompagné tout le processus d’élaboration de ce dossier, en tant que référente du candidat, Angelina Peralva explique au président et à ses collègues du jury qu’elle ne lui posera pas de questions, mais lui adressera quand même un reproche : pourquoi avoir autant tardé à rédiger ce livre ? Les commentaires en réponse de Benoît Petit lui ont donné entière satisfaction.

Hervé TERRAL, président, se réjouit de voir son collègue Benoît PETIT parvenir, dans le cursus universitaire, à l’étape de « l’habilitation à diriger des recherches » – fut-ce à une date tardive – ce qui n’enlève rien à la qualité globale de ses travaux, tant s’en faut. Ayant été remercié par Benoît PETIT pour la relecture d’une précédente version du manuscrit, particulièrement pour ce qui concerne la « ponctuation », il regrette la présence, ici ou là, de quelques coquilles, de petites erreurs de date, qui n’oblitèrent pas la lecture de l’ensemble.

Le tome premier présente les grandes étapes de sa carrière d’enseignant-chercheur et, principalement comme il se doit, celles de sa production scientifique (illustrée ensuite par les tomes 2 et 3 sur l ‘économie rurale en RDA d’une part et les relations entre Etat socialiste et Eglises d’autre part). Ce disant, allant des études rurales aux études sur la religion, B. PETIT inscrit ses pas dans ceux d’un des plus éminents sociologues, Max WEBER en l’occurrence, qui commença ses travaux par une « enquête sur la situation des ouvriers agricoles à l’est de l’Elbe » (1892) sur un territoire où la question sociale se doublait d’une question nationale entre les hobereaux prussiens et leurs ouvriers slaves. Ce premier tome contient une part d’ego-histoire manifeste, un peu trop étendue sans doute, quoique permettant par là même de mieux saisir l’itinéraire du chercheur jusque dans ses aspects les plus concrets (on ne peut rester insensible par exemple à ses ballades en moto sur les confins de la ligne Oder-Neisse !). L’auteur n’en pose pas moins une série de questions qui trouve largement leurs réponses dans les deux volumes d’articles et surtout dans le texte 340 p. devant être publié aux Presses universitaires de la Méditerranée (Montpellier), L’Allemagne de l’Est (1949-1989) : religion et politique en mutation – cet ouvrage constituant presque une nouvelle thèse…

Ce disant, Hervé TERRAL note dès le premier tome des interrogations qui rejoignent les siennes. Il en retient essentiellement deux (le texte de B. PETIT est néanmoins suffisamment riche pour en poser d’autres !) : – sur les Eglises protestantes (p. 185 et sq.). B. PETIT souligne bien évidemment leur convergence mais aussi leur diversité, eu égard à leurs références doctrinales (tout particulièrement par rapport à la thèse de la double prédestination, ossature du luthérianisme). Celle-ci induit-elle, hier dans la RDA, aujourd’hui dans la RFA réunifiée, des comportements spécifiques par rapport aux Etats ?

– sur la question des identités régionales et nationales, déjà pointée par M. WEBER précité. B. PETIT convoque ainsi (p. 152) M. WIEVORKA citant « les identités régionales occitane, bretonne » en France, la plus grande « visibilité » des Juifs et, lui-même, évoque l’existence de « noyaux de vie communautaire », par exemple en « banlieues ». Au regard de la conception allemande de la nation (sensiblement différente de la conception française) d’une part, au regard d’une histoire frontalière conflictuelle, lourde et douloureuse (l’actuelle WROCLAW fut ainsi des siècles durant BRESLAU – où vécut N. ELIAS, minoritaire s’il en est sans trop s’en rendre compte) d’autre part, qu’advient-il des minorités linguistiques plus ou moins reconnues (Slaves du pays sorabe, voire Slaves du pays kachoube proche de Dantzig) ? Par ailleurs, si l’on se rappelle la définition de l’étranger donnée par G. SIMMEL dans son petit Excursus sur l’étranger (1908) – l’étranger est celui qui vient et ne part pas, quelle place demeure pour les anciens « frères socialistes » (Vietnamiens, Angolais, etc.) ?

Pour Hervé TERRAL, B. PETIT répond de façon concise et pertinente aux dernières questions posées.

Après avoir délibéré, le jury accorde à l’unanimité à Benoît PETIT l’habilitation à diriger des recherches.