Le partenariat avec le Festival Polars du Sud se poursuit… Le Centre de ressources des langues a accueilli le 6 octobre Carlo Lucarelli, pour présenter son dernier roman traduit en français, Albergo Italia. La rencontre était animée par Antonella Capra et Giovanna Montermini.
Pourquoi avez-vous choisi cette époque si spécifique, celle du colonialisme italien du XIXème siècle, pour votre roman?
En Italie l’époque coloniale n’est pas enseignée à l’école, donc la plupart des Italiens grandissent sans en savoir rien. Moi-même, pendant toute ma vie, j’ai vu la Place Vittorio Bottego, à Parma, et je ne savais pas de qui il s’agissait. C’est pour cette raison que j’ai décidé de commencer à étudier cette époque, avec des livres mais aussi allant en Afrique, et des collègues écrivains ont fait la même chose. Aujourd’hui, c’est encore plus important de combler les lacunes sur le sujet, parce que nous sommes dans une période d’immigration de l’Afrique et il faut connaître et faire connaître les raisons de ces mouvements migratoires.
En plus, chaque livre nait d’une occasion. Cette fois, l’occasion a été le 200ème anniversaire de «L’Arma dei Carabinieri», pour lequel on a demandé à quatre écrivains italiens d’écrire un roman avec un Carabiniere comme personnage principal. J’ai décidé de reprendre un personnage sur lequel j’avais déjà écrit, le Captain Colaprico, et de lui donner un livre pour lui tout seul. Mais c’était aussi nécessaire de lui donner un personnage secondaire, comme demandé par le genre policier. En parlant avec ma femme, qui est érythréenne, j’ai découvert l’histoire de son grand-père, qui était un «zaptié», un Carabiniere africain, et j’ai décidé qu’il deviendrait le soutien de Colaprico. Finalement, il a tellement grandi qu’il est devenu le personnage principal.
Le roman policier, grâce à l’intrigue, peut expliquer les mystères de l’histoire. Est-ce que nous pouvons dire la même chose pour votre livre?
Bien sur. Le romain policier est caractérisé par un mécanisme narratif, très efficace: il suscite des attentes et nous fait retenir notre souffle. Il n’explique pas seulement le délit, mais aussi tout ce qui est autour. mais aussi tout ce qui est autour.
Dans ce cas, mon livre traite d’un établissement financier qui finance des actions illégales, couvertes par la mafia et les services secrets, mais il pourrait aussi se passer aujourd’hui, ou demain. Albergo Italia raconte la façon d’être italien au XIXème siècle, mais c’est la même chose qu’aujourd’hui.
La relation entre Colaprico et Ogbà renvoie à celle entre Sherlock Holmes et Watson. Quelle est l’influence de ces deux personnages crées par Conan Doyle sur votre œuvre?
Un roman est un jeu littéraire, et dans mon livre ce jeu est présent dans la relation entre les deux protagonistes; mais ils sont différents de Holmes et Watson. Pour créer le personnage d’Ogbà j’avais besoin d’entrer dans la tête de quelqu’un d’incroyablement différent de moi, que je ne connaissais pas.
Pour le faire, j’ai décidé d’utiliser le langage: «Mediante le parole possiamo conoscere le persone» («Grâce aux mots nous pouvons connaître les personnes»).
Il y a une phrase d’un auteur russe qui dit «les Italiens, vous faites toujours des choses inutiles» et je voulais la faire prononcer par Ogba, donc j’ai essayé de faire la traduire par ma femme. Mais la traduction était toujours trop littérale: il ne pouvait pas s’adresser à Colaprico de cette façon, parce qu’il est toujours son supérieur. Ma femme m’a finalement conseillé un dicton érythréen: «quand un Italien rit et quand il se fâche, ne t’en veux pas», pour indiquer qu’il ne faut pas les prendre au sérieux.
Cela représente parfaitement la relation entre Italiens et Africains pendant cette période. Ce dicton a ouvert une multitude de possibilités pour la relation Colaprico-Ogbà et le zaptié est devenu le vrai Sherlock Holmes, le premier qui comprend les choses, mais qui est obligé de les indiquer à Colaprico en lui faisant croire qui c’est lui que les a découvertes. Les deux personnages sont amis jusqu’à ce qu’ils aient un but en commun, découvrir la vérité.
Vous avez introduit un plurilinguisme très développé dans ce roman, ce choix était-il une nécessité?
Il s’agissait plutôt d’une opportunité pour continuer à développer le sujet du plurilinguisme dans mes livres. J’avais déjà commencé avec «Almost Blue», l’histoire d’un investigateur aveugle, et alors que j’écrivais je m’étais aperçu de toutes les nuances linguistiques qu’il y a dans chaque langue. Cette symphonie linguistique a continué dans «L’Ottava Vibrazione», avec tous les dialectes parlés par les personnages. Finalement, Albergo Italia présente une autre logique: les nuances des mots permettent de comprendre ce que les personnages pensent.
Comment a été accueilli le roman à l’étranger?
L’accueil a été positif, mais j’ai remarqué des ventes inférieures à celles des autres livres. Je crois qu’il y a deux raisons à cela: il est situé dans l’époque coloniale méconnue et j’ai introduit beaucoup de mots en Tigrigna, une langue africaine, qui crée une difficulté de lecture.
Est-ce que vous aimeriez voir votre roman adapté en film?
Plutôt pour une série de télévision, parce que ce format s’adapterait parfaitement à la structure narrative d’un roman policier. Mais la difficulté principale est qu’il s’agirait d’une série avec un scénario historique, très couteux en termes de costumes et de scénographie.
Ce type de romans peut-il aider à changer la vision actuelle des réfugiés?
Bien sûr, si nous connaissons l’Histoire il serait plus facile de comprendre les migrations et, peut-être, nous pourrions trouver une solution aux problèmes contemporains.
Pourquoi l’Histoire coloniale italienne est-elle tabou?
Parce qu’il s’agit d’une période gênante pour nous. Nous connaissons le colonialisme fasciste du début du XXème siècle et toute la violence qu’il a suscité. Mais l’attitude a été la même pendant les colonisations du XIXème siècle et des années 50 post fascisme. Il vaut mieux éviter de nous souvenir de nos erreurs.