Magali VION
Université Grenoble Alpes, doctorante.
Enseignante dans le secondaire à la Cité scolaire internationale de Lyon, Magali Vion vient d’achever la rédaction de sa thèse de Doctorat réalisée au sein du laboratoire ILCEA 4, qui porte sur les nouvelles modalités de l’écriture réaliste et notamment sur l’écriture de la ville et l’intermédialité dans le roman espagnol contemporain. Elle sera soutenue à L’Université Stendhal de Grenoble le 20 octobre 2017.
magalivion@hotmail.com
Pour citer cet article : Vion, Magali, « Generación X : une genèse de l’intermédialité », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°8 « Entre-deux : Rupture, passage, altérité », automne 2017, mis en ligne le 19/10/2017, disponible sur <https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2017/09/17/generacion-x-une-genese-de-lintermedialite/>.
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Résumé
Les auteurs de la Generación X apportent dans les années 1990 un renouveau dans le panorama littéraire en traitant dans leurs romans des thématiques nouvelles et en façonnant pour cela de nouvelles modalités discursives dans lesquelles l’intermédialité occupe une place essentielle. Leur pratique narrative entérine la désacralisation de l’écriture et incarne l’omniprésence des mass media dans l’époque contemporaine et son influence sur la façon de percevoir et d’écrire le monde. Cet article se donne pour objectif d’éclairer les ressorts d’une littérature dans laquelle le rapport entre l’écriture et les autres médias tels que la musique, le cinéma, la publicité ou l’oralité va de l’allusion et de la citation à l’appropriation.
Mots-clés : réalisme – intermédialité – musique – visualité – cinéma- oralité- mass media – citation – appropriation.
Abstract
Generación X’s authors bring in the 1990’s a revival in literature by dealing in their novels with new subjects and by shaping in this purpose new discursive modalities in wich intermediality occupies an essential place. Their narrative practice confirms the desecration of the writing and embodies the omnipresence of mass media in contemporary period and its influence on the way of perceiving and represent the world. This article’s objective is to enlighten the apparatus of a literature wich relation with other media such as music, cinema, advertising or orality goes from the allusion and borrowing to the appropriation.
Keywords: realism- intermediality – music- visuality – cinema – orality – mass media – borrowing – appropriation.
Sommaire
Introduction
1. Una hornada especial
2. L’icône verbale brisée : « Tales of an accelerated culture »
3. Précisions terminologiques
4. L’intermédialité X : mode d’emploi
5. Les manifestations de l’intermedialité
5.1. L’art de faire du bruit
5.2. Du lisible au visible
5.3. « Original soundtrack » de la Generación X
6. Des media en masse
Conclusion
Notes
Bibliographie
Introduction
Le panorama littéraire espagnol s’est vu bouleversé dans les années 1990 par l’irruption d’une cohorte de jeunes auteurs qui publièrent une série de romans aux thématiques et tendances esthétiques plus ou moins communes, qui amenèrent la critique à les regrouper quelque peu artificiellement sous le nom de Generación X. La publication en 1994 de Historias del Kronen de José Ángel Mañas est généralement considérée comme le déclencheur de cette vague de romans dont les auteurs les plus emblématiques seront Francisco Casavella avec El triunfo (1992), Ray Loriga avec Lo peor de todo (1992) et Héroes (1993), Ismael Grasa avec De Madrid al cielo (1994), Benjamín Prado avec Raro (1995) et Nunca le des la mano a un pistolero zurdo (1996), Roger Wolfe avec El índice de Dios (1995) ou encore Lucía Etxebarria avec Beatriz y los cuerpos celestes (1998) et José Ángel Mañas lui-même avec sa Tetralogía Kronen publiée entre 1994 et 19991.
Ces écrivains ont coïncidé par ces quelques romans dans la représentation d’une frange de la jeunesse espagnole contemporaine et dans la création pour ce faire d’un style nouveau et singulier, avant de disparaître de la scène littéraire ou de se tourner vers d’autres horizons thématiques et esthétiques. Si l’étiquette de Generación X (inspirée du roman éponyme de Douglas Coupland publié en 19922) s’avère pratique, elle n’en est pas moins problématique : les critères biographiques et historiques sont insuffisants à la catégorisation en matière d’écriture. Certes, l’approche synchronique présente l’intérêt de rendre compte de la brièveté de cette mouvance et de faire référence dans le domaine linguistique à un état de la langue à un moment donné, aspect fondamental dans les romans. Mais si génération il y a, c’est selon nous davantage une génération (au sens de générer) de textes publiés sur une dizaine d’années et présentant des caractéristiques communes. Plus qu’un groupe d’auteurs, c’est donc une partie de leur production qu’il convient de considérer puisqu’elle constitue une éruption, un phénomène littéraire et un jalon dans une tendance plus générale de retour au réel de la littérature. C’est dans leurs pages que se nichent les raisons de leur regroupement.
1. Una hornada especial3
Pour ce qui est de la thématique, les romans dressent le portrait d’une jeunesse désenchantée, en rupture avec la génération antérieure qui a connu les grands idéaux et l’euphorie de la Movida dans une Espagne fraîchement revenue à la démocratie et déjà rattrapée par les problèmes inhérents à la société de consommation. Cette jeunesse s’incarne dans des personnages atteints du syndrome de Peter Pan qui évoluent dans un décor éminemment urbain – généralement Madrid ― et dans des univers le plus souvent restreints à leur petit groupe d’amis et à quelques bars. Ils se caractérisent par leur absence de valeurs et d’ambitions autres que la satisfaction de leurs désirs immédiats, et par leur sentiment d’incompréhension et d’inadéquation avec leur époque. Pour échapper à l’angoisse générée par cette situation, ils s’abrutissent de télévision, s’assourdissent de musique, se réfugient dans la drogue, l’alcool, ou des comportements sexuels marginaux, recherchent constamment les limites ou se replient sur eux-mêmes.
Imprégnés par les mass media et la culture de l’image propres à une époque marquée par la vitesse, les personnages comme les auteurs possèdent une culture éclectique et underground qui se manifeste dans les romans à travers de multiples références littéraires, cinématographiques et surtout musicales, mais également dans le langage lui-même et jusque dans les techniques d’écritures. Leur style a de ce fait été affublé de nombreuses appellations, des moins flatteuses (literatura tetrabrik ou encore littérature « jetable ») aux mieux choisies : realismo sucio, neorealismo, neo costumbrismo, escritura cinematográfica ou literatura magnetofón Les deux dernières mettent en évidence un aspect central de ces textes : l’intermédialité qui s’y opère et y domine.
Bien sûr, à l’époque de leur parution internet n’en était qu’à ses balbutiements, personne n’écrivait de SMS ni ne se déplaçait armé d’une caméra embarquée ou d’une canne à selfie pour saisir l’instant et le partager immédiatement. Il était encore banal d’écrire une lettre ou de se rendre à la cabine téléphonique pour laisser un message sur un répondeur à cassette, et les vidéos se regardaient sur des magnétoscopes au format VHS. Néanmoins, la culture des mass media imprégnait déjà les pages des romans, tant du point de vue thématique qu’esthétique.
2. L’icône verbale brisée : « Tales of an accelerated culture4 »
Pour « capturer » – si l’on nous passe l’anachronisme du terme ― la réalité de cet univers juvénile et le zeitgeist5 de l’Espagne des années 1990, les auteurs convoquent un répertoire culturel nouveau. Dans un contexte de globalisation et de culture des mass media leurs pages sont le lieu du mélange de divers codes sémiotiques et de l’incursion dans la littérature de la culture populaire. Héritiers en cela de la postmodernité, leurs romans profondément hétérarchiques entérinent la désacralisation de l’écrit et montrent une infinie capacité d’absorption en explorant les frontières entre les différents domaines pour les rendre fécondes. L’image, le cinéma et la musique y sont omniprésents. L’oralité domine et les parlures de tout genre sont reproduites de façon mimétique, déconcertant les codes du discours traditionnels. Ainsi, la transgression sociale s’incarne dans la transgression discursive. Car il est bien question de transgression et de surgissement de formes alors inédites. Loin de leur actuel état « digéré » et assimilé du fait de l’omniprésence des TIC, l’intégration d’une saturation de références à des programmes télévisuels, des publicités, des vidéoclips, des films, ou encore des chansons et surtout l’emprunt de techniques cinématographiques ou musicales et l’expérimentation linguistique constituent une forme de revendication de la nouvelle culture, de sa valeur et de sa légitimité au même titre que la culture écrite. En cela, les romans de la Generación X sont la manifestation directe de ce que Gonzalo Navajas nomme alors « la culture de l’icône verbale brisée6 ». La stricte littérarité est abandonnée au profit de l’intermédialité, l’oralité et la visualité s’imposent à l’écrit et le transforment pour mieux atteindre le but esthétique que José Ángel Mañas résume en trois mots : « Autenticidad, velocidad y crudeza7 » et qui caractérisent le zeitgeist dont les romans qui nous occupent constituent un instantané. Ces auteurs pour qui le roman possède une capacité d’absorption illimitée écrivent « sans crainte du présent comme matière racontable8 » et, par l’introduction dans l’écriture d’autres codes et d’autres media et matériaux discursifs, ils renforcent sa capacité à rendre compte de la réalité tout en lui apportant un nouveau souffle.
C’est ce qui fait selon nous de ces romans une mouvance charnière dans la littérature réaliste espagnole entre le postérieur roman mutant9 et une époque à laquelle, aux dires de Ray Loriga, « Aquí la gente sigue escribiendo como si no existiera la televisión10 ».
3. Précisions terminologiques
Rappelons succinctement ce que recouvrent les termes que nous manierons ici même si notre époque nous les a rendus familiers. Nous entendons au sens large le terme de media généralement utilisé pour faire référence aux moyens de communication de masse (mass media) caractérisés par leur capacité à diffuser simultanément tous types d’informations à un public aussi vaste qu’hétérogène. Ces mass media créent ainsi un répertoire, une « banque de données » partagée par une grande majorité, à plus forte raison au sein d’une même frange de la population d’âge et de catégorie socio-économique similaires comme c’est le cas de nos auteurs et de la plupart des personnages de nos romans. Parmi les principaux media on compte bien sûr la télévision, la radio, la presse écrite (alors seulement véhiculée par les journaux et revues papier, parfois sous la forme de fanzines), le cinéma, le livre, les supports audio et vidéo (désormais numériques mais à cette époque révolue les CD, DVD et dans les premiers romans des cassettes et vidéocassettes au format Betamax11), mais aussi les affichages, enseignes, panneaux et autres media tactiques, les jeux vidéo et depuis vingt ans le géant internet. À cette liste nous ajouterons un autre media : le langage, essentiel dans nos romans en tant que dispositif de communication.
Parmi les trois catégories d’intermédialité qu’établit Irina Rawjeski12 nous n’en retiendrons qu’une : l’intermédialité comme référentialité à un autre media. Par exemple la référence dans un texte littéraire à un film, ou bien l’évocation de certaine techniques cinématographiques dans l’écriture ou encore l’adoption par l’écrit du langage médiatique. Dans cette catégorie un media évoque, thématise ou imite des éléments ou des structures d’un autre media.
L’intermédialité en littérature, entendue « comme transgression des frontières entre les media, comme hétérogénéité, comme conjonction de divers systèmes de communication et de représentation, comme recyclage dans un media (le livre) d’autres moyens de communication (le cinéma par exemple), comme interaction entre divers media et/ou supports, comme emprunt, comme adaptation et comme assimilation13 » est en résumé l’intégration d’un ou plusieurs media dans une autre forme de communication. Dans notre objet d’étude ce dernier est le roman.
Le préfixe « inter » qui signifie à la fois « entre », « au milieu » et « entre plusieurs » nous amène à mettre en exergue un aspect qu’implique la notion d’intermédialité : l’influence mutuelle, la corrélation ou l’interaction entre plusieurs pratiques signifiantes, la disparition de la hiérarchie entre elles, la redéfinition de chacune d’elles et les conséquences que cela peut avoir sur le champ de la réception. Il ne s’agit pas ici pour un media d’en coloniser un autre, mais de faire émerger par le dialogue qui s’établit entre eux de nouvelles formes de représentation de la réalité ou de poétisation du réel qui concordent avec une nouvelle façon d’habiter le monde et de l’appréhender : le « roman multimédia14 ».
4. L’intermédialité X : mode d’emploi
Au-delà de la culture et de la vision du monde auxquelles les éléments extra-littéraires rattachent les romans, il apparaît essentiel d’étudier les modalités selon lesquelles s’établit le dialogue entre l’écriture et les autres media Celles-ci vont du simple procédé allusif à la citation voire l’appropriation. En observer les coutures nous permet d’éclairer les ressorts de ces textes qui réaffirment la désacralisation de l’écrit et revendiquent la réhabilitation de la culture populaire comme l’explique Ruth Cubillo Paniagua:
Nous pourrions affirmer, avec Jacques Derrida, que la proposition théorique de l’intermédialité passe par la déconstruction des modèles de connaissance existants, ce qui implique de mettre entre parenthèse les hiérarchies qui opèrent dans les divers domaines de notre vie sociale et culturelle. Dans notre cas particulier cette remise en question des hiérarchies pourrait impliquer de cesser de considérer le texte littéraire comme centre et point de départ, pour le situer sur un même plan que d’autres manifestations artistiques15.
Nos auteurs placent les paroles de chanson de David Bowie et les répliques de Johnny Guitar sur un pied d’égalité avec des références plus érudites à Hemingway ou Balzac. Ils n’hésitent pas à inclure dans le noble genre romanesque des conversations téléphoniques creuses et des images de vidéoclips de MTV. Tous ces éléments ne font-ils pas partie intégrante du réel ? Support unique, le roman accueille en ses pages les autres media qui franchissent ses contours perméables et mouvants de telle sorte que par les stimuli qu’il engendre et l’empreinte qu’il laisse chez le lecteur, il devient presque un support audiovisuel16. Cette perception pluri sensorielle découle parfois d’une description très visuelle, mais parfois de la simple mention d’éléments qui déclenchent une série de « réponses », de résonnances, d’images chez le lecteur (des mots comme « Héroes », « Orange Mécanique », « Pepsi », « Nirvana ») et l’immergent dans une ambiance, un univers et une culture. Voilà ce qui se produit pour ce qui est du système référentiel. Mais les romans vont plus loin.
L’intermédialité s’y manifeste très fréquemment à travers un procédé mimétique : y sont reproduits textuellement l’écriture journalistique, des dialogues de film, le ton d’un locuteur de radio, le refrain d’une chanson, le slogan d’une publicité, une conversation entre des locuteurs affublés de tics de prononciation ou d’accents régionaux, des bruits d’appareils électroménager, des images, souvent sans les introduire dans la narration mais comme des greffes directes. Les romans ne font pas de simples allusions aux autres media mais ils les adoptent, les digèrent jusqu’à se les approprier dans une transcription qui dissimule parfois la présence de la médiation de l’auteur. Les nouvelles technologies deviennent des outils narratifs. À la pure écriture verbale se superpose un complément auditif et visuel contenu dans le texte, qui convoque un nouveau répertoire et génère des sensations pluri sensorielles chez le lecteur dont l’activité « fictionnalisante » ne se base plus seulement sur le verbal. Par l’inclusion des media dans ses pages le roman correspond au nouveau modèle de lecteur façonné par l’ère de l’image et des mass media : le lecteur-spectateur.
Si de nos jours il est possible d’envoyer instantanément des sons, des photos et même des vidéos en complément d’un SMS ou d’un courrier électronique, et si les romans récents intègrent ces possibilités (a fortiori lorsqu’ils sont « publiés » en format numérique), nos romans constituent les prémices de ce phénomène. Les auteurs, pour faire passer un message et présenter une réalité, ne se contentent pas de décrire les images et les sons : ils les incluent, les reproduisent, les donnent à voir et à entendre de façon directe. La différence réside en ce qu’ils ne colonisent pas d’autres domaines ni ne les annexent à l’écriture ; ils ouvrent celle-ci à de nouveaux possibles textuels. Comme on capte la réalité avec les cinq sens, ils tentent de la restituer au lecteur dans toutes ses dimensions.
5. Les manifestations de l’intermedialité
L’une des manifestations de l’intermédialité est l’oralité qui domine les romans. Nous l’avons expliqué, le terme media comme « moyen de diffusion » de données (quelle que soit sa forme) inclut un élément fondamental : le langage. Dans les romans de la Generación X ses deux supports de diffusion (l’oral et l’écrit) semblent se superposer.
5.1 L’art de faire du bruit
L’omniprésence de l’oralité et la reproduction textuelle de toutes sortes de parlers sont un agent fondamental du réalisme déjà mis en œuvre par Céline qui affirmait vouloir « retrouver l’émotion du « parlé » à travers l’écrit17 ». C’est en partie grâce à elle que, comme l’affirme German Gullón, le roman de la Generación X réinsère ses jeunes protagonistes dans la vie réelle18. Les dialogues et les monologues pullulent dans les romans, composant parfois le fil même du récit. L’essentiel de l’action y est contenu, réduisant souvent la narration à une valeur didascalique. Cela a valu à l’écriture d’être qualifiée de « scénaristique ». Les verbes dicendi y sont rares et les répliques s’enchaînent sans transition quand elles ne se superposent pas. Comme si la scène était filmée ou enregistrée par un mouchard posé dans un coin, ce qui donne à l’écriture une apparence d’immédiateté et parvient à feindre une simultanéité normalement impossible à atteindre par l’écriture. Les auteurs introduisent (à divers degrés) dans les pages de cette littérature « magnétophone » ce que le langage écrit exclut d’ordinaire. Benjamín Prado reproduit les silences marqueurs d’hésitations (« Ésa era una de las cosas… aquella forma extraña de quedarse callado, con una especie de… bueno, era algo que estaba de repente entre tú y él19 »), le lexique familier, les tournures oralisantes. Francisco Casavella utilise les régionalismes catalans et José Angel Mañas les tics de prononciation, les tendances articulatoires et les accents : en remplaçant les « s » par des « z » il imite le zozotement ; en amputant les mots de leur « s » final, il imite l’accent andalou, et il reproduit phonétiquement les intonations efféminées (« ¡HOLA ? CHICAAAAAAZ ! ¡BORJIÑA ? CARIÑIIIÍN !20 » et les accents étrangers comme dans ce passage imitatif d’un locuteur de radio d’origine grecque s’exprimant en anglais : « So ujier wi jaf dis woderful niu zong21 ». Les dialogues reproduisent la mosaïque linguistique des différents sociolectes et participent à la caractérisation des personnages. Pour Dominique Viart le principe du montage, celui de la variété des tons et des voix à l’œuvre dans certains romans récents « affiche combien la saisie kaléidoscopique est désormais la seule possible d’un monde privé de tout système d’intellection22 ».
José Ángel Mañas est l’auteur qui utilise le plus ce procédé, et dans certaines scènes il confronte le lecteur à un brouillage énonciatif qui reproduit de façon mimétique la confusion et la cacophonie qui règnent dans les bars et les discothèques. De même que dans un bar il est nécessaire de se concentrer et de tendre l’oreille pour suivre une conversation malgré la musique et le brouhaha, le lecteur doit « tendre l’œil » pour ne pas se perdre. D’autant plus que l’usage parfois anarchique d’une ponctuation visant à reproduire la confusion ne lui est pas d’une grande aide. Ce procédé est poussé à des extrêmes dans Sonko 9523, un roman à lire « à voix haute24 » qui renverse ainsi la barrière qui séparait l’écriture, refuge de la lenteur, du flux de la parole et du bruissement de la vie moderne. Cette technique dite « de l’enregistreur25 » est littéralement mise en scène dans Caídos del cielo où un personnage enregistre les passants dans la rue et retranscrit sa « collecte26 ».
Par leur écriture imitative qui multiplie les onomatopées et les altérations orthographiques et syntaxiques les auteurs des romans de la Generación X donnent textuellement à entendre les sons émis par les personnages : « El Borja se ríe, jeje27 » mais aussi par toute sorte d’objets et de machines de la vie moderne : « agarro el Ventolín que anda rodando por la esquina y, flus, flus, me siento un poco mejor28 », « el calentador hace BLOF y el agua empieza a correr por las cañerías29 ». Absolument tout ce qui produit du bruit dans la vie et dans la société moderne en produit également dans les romans. Le bruit des téléphones, d’un Tamagotchi, ou d’un fax sont retranscrits avec efficacité : « asdñfjahõñhoioh hiñhohoihio hhñ iohhñiohñio hñhldnbk, rblklwrb úbpb30 ». L’effet produit est fort, et le lecteur se représente si bien les sons qu’il en subit les effets. Ainsi par exemple le son du violon reproduit et répété sur trois pages finit-il par l’irriter autant qu’il insupporte le personnage du roman : « IOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUUIOUUIOU. Si por lo menos el hijoputa tocara bien31 ». Outre l’effet de réel produit par la dimension référentielle de ces bruits, l’effet musical est efficace et les bruits reproduits cadencent l’écriture. C’est le cas, notamment dans le chapitre 25, où l’écriture est rythmée par le bruit d’un clavier d’ordinateur (« tacatacatac, tacatacatac32 »), puis par la musique (« PUMPUM PUM PUM33 »). Ce procédé permet souvent de faire l’économie d’une description et de donner un véritable complément auditif au récit. La typographie est largement mise à contribution et la visualité de la page est altérée par l’utilisation de majuscules, d’italiques, de caractères en gras pour refléter l’insistance (« El tijuana tiene pinta de ser MUY malo34 »), la colère, ou pour reproduire l’intensité sonore (« Su madre no le llama, le GRITA35 »).
Cela nous amène à un autre aspect central dans les romans : leur caractère visuel. Celui-ci s’impose à travers les images suscitées par la narration, mais également par des références omniprésentes et par l’utilisation de techniques que l’écriture s’approprie.
5.2 Du lisible au visible
Le cinéma, la télévision et l’image en général ont forgé l’imaginaire des auteurs, des lecteurs et des personnages. Ils marquent de leur empreinte leur vision du monde et des évènements, leur façon de les appréhender. Il est donc logique qu’ils envahissent les textes comme thématiques mais également comme codes esthétiques. Les personnages sont plus souvent comparés à des acteurs célèbres que décrits minutieusement36. L’influence de l’image est telle pour certains que la frontière entre réalité et fiction devient parfois floue. D’un côté les personnages, ardents pratiquants de la religion cathodique et cinéphiles, tendent à croire tout ce qu’ils voient sur un écran, et d’autre part ils savent que tout peut être spectacle, même leur vie quotidienne. Ils semblent considérer leur propre existence comme un film ou une fiction : « yo puse la tele en stanby y volví a mi vida y mi ficción37 ». Ceux qui les entourent en sont les personnages: « [m]e fijé en Israel y Sara y, no sé, pero juraría que no se miraban como los protagonistas de una historia que ha terminado para no volver a empezar38 ». Ils établissent également des parallèles entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils voient dans leurs films fétiches que la récente invention du magnétoscope leur permet de voir et revoir à l’envi. Dans Historias del Kronen le protagoniste imite même lors de ses ébats les images qui défilent en fond sur l’écran de télévision, et le récit reproduit cette superposition par un enchevêtrement des plans, jusqu’à la confusion de la scène « réelle » et de la scène du film visionné. Tout absorbé qu’il est par les images il en oublie de prêter attention aux plaintes de sa partenaire qu’il violente sous l’influence des images d’Orange mécanique39.
Leur culture cinématographique et télévisuelle leur donne des clés d’interprétation de leur existence et non plus l’inverse.
Les images sont omniprésentes dans les romans, qu’elles soient suggérées par la grande capacité descriptive de la langue utilisée ou bien projetées à travers différents filtres (des écrans de télévision, des caméras, des photos, des hallucinations produites par la drogue). Souvent plus suggestives que les mots, plus facilement et directement assimilables, elles font déjà partie intégrante dans les années 1990 d’un répertoire partagé par les auteurs et les lecteurs, plus habitués à penser par succession d’images qu’avec des mots. Les romans de la Generación X éliminent la frontière et la médiation qui séparaient ces deux codes discursifs.
Cette incursion des images dans le texte ― symptomatique de leur envahissement de la vie quotidienne ― s’incarne dans l’usage déjà normalisé de vocables appartenant aux media. C’est le cas de certains mots et expressions (« mis muvis40 », « hacerse una peli41 ») mais aussi de concepts entièrement transposés de l’univers des media à celui de l’humain : « no dices que lo sabías, ¿Que tienes interferencias y no sabes en qué canal estás42? ».
Le cinéma influence également l’écriture (et sa réception) sur le plan technique : celle-ci lui emprunte des procédés qui façonnent parfois la construction même du récit. L’influence du cinéma américain est plus évidente dans les romans de Benjamín Prado : la construction de Caídos del cielo (d’ailleurs rebaptisé plus tard La pistola de mi hermano43 du nom de son adaptation cinématographique) s’apparente à celle d’un road movie, et son roman Nunca le des la mano a un pistolero zurdo44 (dont le titre est tiré d’une réplique du film Johnny Guitar45) présente des scènes qui semblent tout droit sorties de films policiers ou de westerns mythiques.
Les auteurs adoptent également les techniques fragmentaires du cinéma comme celle du collage narratif. Ray Loriga l’utilise dans Héroes et Caídos del cielo46, Lucia Etxebarria dans Amor, curiosidad, prozac y dudas47. Elle consiste en un fil conducteur qui unit plusieurs histoires entremêlées qui se succèdent comme une série de flashs « projetés » grâce à une langue percutante et une expression concise. Les variations subies par l’extension des fragments jouent en outre un effet de rythme semblable à celui que l’on retrouve dans la succession de plans plus ou moins longs : qui s’accélère ou ralentit au contraire en fonction de l’importance d’un évènement et de la tension narrative. La technique du montage est également transposée dans des récits qui banalisent les ellipses spatiales et temporelles pour enchaîner deux scènes en s’épargnant le récit des déplacements et moments insignifiants.
De même l’écriture reproduit la simultanéité des plans, tentant de déjouer la successivité inhérente à sa pratique même. C’est le cas dans ce passage de Raro de Benjamín Prado où le lecteur apprend un adultère au détour d’un changement de plan :
– Qué vergüenza – dijo su hermana –, qué manera de engañarse, qué tristeza, qué degradación.
– Ja, ja – dijo el marido de su hermana. Estaba tumbado en una cama, viendo la película de Danny Kaye.
– Ja, ja – dijo la mujer que había a su lado48.
Si l’on ajoute à cela la saturation de dialogues déjà évoquée, les pages des romans ont parfois des allures de scripts.
Cet empiètement des techniques scripturales et cinématographiques est enfin et surtout manifeste dans la restitution prétendument simultanée et non filtrée de certaines scènes comme si le narrateur disposait d’une caméra subjective. L’effacement de la fonction de communication et de régie de l’instance narratrice49 est à l’origine de cette impression de « capture » de la réalité qui se distingue d’une représentation littéraire classique.
5.3 « Original soundtrack » de la Generación X
Comme tout film qui se respecte, les romans disposent également d’une bande originale. Au « bruit » généré par l’oralité vient s’ajouter une présence imposante de la musique. Omniprésente dans tous les romans, elle constitue un véritable complément auditif au texte qui l’inscrit dans une culture mais participe aussi directement au récit. Elle est essentielle pour les personnages qui en écoutent à longueur de temps et en tous lieux. Elle est souvent au cœur de leurs conversations, ils les associent à leurs souvenirs et à leur vécu, comme le protagoniste de Raro qui affirme: « todas las canciones terminan por ser tristes, por ser la banda sonora de algo que has perdido50 », quand ils ne les assimilent pas à des tranches de vie : « ¿Qué hacías tú después de satisfaction51? », s’interroge le protagoniste de Héroes dans une auto-interview. La musique s’impose dans l’écriture par divers procédés. On la devine dans la construction de certains passages qui semblent influencés par la composition des chansons. La syntaxe, les variations, la répétition d’idées et de locutions, et la brièveté des phrases rappellent des paroles de chanson rock :
[m]i hermano perdió una oreja. Mi hermano perdió una oreja y yo tuve que salir del cuarto para ir a buscarla o para ver por lo menos cómo quedaban las cosas después de eso. Mi hermano se quedó sin oreja y esa es básicamente toda la historia. Nunca hubiera salido si no hubiese sido por su oreja. No hay gran cosa que contar. Yo estaba en mi cuarto y mi hermano perdió una oreja. Eso es lo que pasó. Ni más ni menos52.
José Ángel Mañas revendiquait d’ailleurs dans son manifeste El legado de los Ramones53 l’imitation du rythme des chansons punk dans son écriture. L’alternance de locutions brèves et d’autres plus longues et dénuées de ponctuation, la langue utilisée, rappellent leurs variations rythmiques, le retour à la simplicité dont se réclamaient les punks et que l’on retrouve nettement dans la logique simple et la syntaxe simplifiée à outrance de Lo peor de todo54.
Les indications musicales, omniprésentes, ne constituent pas seulement un élément esthétique ou thématique. Elles servent bien sûr de point d’ancrage aux récits, mais elles embrassent aussi la trame narrative comme partie intégrante de la description en tant que fond sonore des dialogues ou de la narration. Les mentions de groupes de musique ou de chansons remplissent diverses fonctions décrites par Eva Navarro Martínez55 : la fonction rythmique, la fonction dramatique (quand la musique évoquée influence le comportement d’un personnage ou son état d’esprit, voire ses actes, et qu’elle suggère des émotions au lecteur) et la fonction lyrique (quand les paroles des chansons se substituent aux dialogues ou aux pensées des personnages où s’y entremêlent). La présence ou l’absence de musique ainsi que le style de musique choisi sont fréquemment déterminés par l’action en cours et par son rythme. À l’inverse, il semble souvent que l’action s’accélère ou ralentisse, que la tension monte ou décroisse en fonction de la musique qui l’accompagne. Lorsque ces différentes fonctions de la musique s’entremêlent, elle remplit alors la même fonction qu’au cinéma. Le mode d’inclusion des chansons au texte est variable : il peut être explicite, le narrateur signifiant quelle musique passe au moment des évènements relatés, mais en d’autres occasions les chansons sont fondues dans le texte, traduites, ce qui les rend indécelables pour un lecteur non averti. C’est le cas de ce passage de Héroes qui renvoie à la chanson de David Bowie et Mick Jagger Dancing in the street : « Ellos siguen en casa y tú estás bailando en la calle. El mundo se derrumba y el papa se la toca pero a ti no te importa. Tú estás bailando en la calle56 ».
Le chapitre 3 de Sonko 95 est particulièrement digne d’intérêt : il constitue une véritable symphonie dont la musique cumule les fonctions dramatiques et descriptives. La session musicale débute avec l’ouverture du bar au public, et terminera à la fermeture. La musique commence, interrompant la conversation de façon abrupte :
¡Y Gustavo que dice que la múzica cañera no guzta Sonríe desdeñoso. Heavy. Por mucho que curre en una multinacional no tiene ni puta idea de. ROCKS OFF (ROLLING STONES) ― Rythm & Blues de primera hora.― MR CAB DRIVER (LENNY KRAVITZ) ― Lenny tan revival como siempre.―DIRTY Boulevard (LOU REED) ― Radiografía musical, cruda y realista, de NY.―MOTORCYCLE EMPTINESS (MANIC STREET PREACHERS)― Rock nostálgico57.
Grâce aux majuscules et à l’écriture en italiques ces parenthèses sont différenciées visuellement du récit et constituent une sorte d’action parallèle au récit de la soirée. Loin d’être anodines, elles permettent au lecteur d’avoir une notion plus claire du type de lieu et de l’ambiance dans laquelle se déroule l’action, et de son évolution au cours de la soirée. La fonction dramatique de la musique se fait surtout sentir quand, en plus de son rôle d’élément de description de l’ambiance, le titre diffusé coïncide avec l’action et sa portée psychologique. Par exemple quand le narrateur, ivre et le nez bien poudré, entreprend une jeune fille et que celle-ci s’enfuit après lui avoir donné de faux espoirs, les Red Hot Chili Peppers chantent Suck my kiss58. On pourrait citer bien d’autres exemples de ce procédé comme la préparation d’une dose de drogue sur Born to rise hell de Motorhead59, ou encore l’arrivée de Gustavo (haï par le narrateur et Borja) sur une chanson de Primus intitulée Here comes the Bastards60. L’omniprésence de ces parenthèses musicales qui alternent avec l’action en l’interrompant parfois et l’abondance des références produisent un effet de saturation sur les dix-huit pages qu’elles ponctuent.
Les références utilisées dans les romans appartiennent pour la plupart à un répertoire éclectique mais partagé par tous les auteurs et par une grande partie de leur génération. De ce fait la simple allusion à tel groupe ou à telle chanson informe sur une ambiance et un milieu. Un bémol serait peut-être à ajouter à cette présence invasive de la musique : si celle-ci immerge le lecteur qui partage les références dans un univers avec une efficacité renforcée, l’ampleur du phénomène peut s’avérer contre-productif et rébarbatif pour un lecteur non informé dont la lecture se verrait parasitée par une saturation de références ne lui permettant pas d’accéder à ce qu’elles suggèrent.
6. Des media en masse
Pour finir nous citerons brièvement les autres media qui apparaissent de façon plus discrète mais récurrente dans les romans. La publicité d’abord dont les slogans font partie d’un registre collectif, et prennent naturellement leur place dans une écriture qui prétend revitaliser le genre romanesque. Ces références convoquent des images et se substituent aux descriptions. Elles sont parfois annoncées comme telles : « Cat, la chica gato, podría ser una de tantas chicas que salen en las revistas anunciando cremas hidratantes: Tu piel se merece protección61 ». Mais elles apparaissent également fondues dans l’énonciation, démontrant leur degré d’assimilation : « Elia tampoco dudaría ni un segundo en dejarlo todo y venirse conmigo y con su Peugeot al fin del mundo62 ».
Les romans reproduisent également des articles de presse et leurs gros titres, des graffitis aperçus par les personnages, des panneaux indicateurs. Souvent leur introduction n’entraîne pas de rupture narrative car ils apparaissent textualisés. L’information dont ils sont porteurs est rendue mais leur support s’efface et ils s’inscrivent dans la continuité du récit qu’ils viennent complémenter. Mais en de rares occasions leur matérialité est celle qu’ils présentent dans la réalité, ou son simulacre. C’est essentiellement le cas dans El índice de Dios63 mais également dans De Madrid al cielo qui s’ouvre sur la reproduction d’un graffiti d’un mur de Madrid64. Cette inclusion de documents factuels ou pseudo factuels dans leur matérialité ici balbutiante deviendra dans des romans postérieurs une caractéristique essentielle.
Conclusion
La prégnance des media dans les romans de la Generación X les distingue à leur parution au sein d’un panorama littéraire jugé « arthritique » par leurs auteurs. Par les licences que ceux-ci s’octroient vis-à-vis du canon littéraire sans pour autant renoncer à une nature exclusivement textuelle, et par leur capacité d’absorption d’autres codes sémiotiques davantage en accord avec leur époque, ils parviennent à capturer la réalité d’un univers. Par le dialogue qu’ils établissent entre l’écriture et les autres media ils constituent une forme de genèse de l’intermédialité qui caractérise désormais notre société et la littérature qui prétend la dévoiler.
Notes
1 – Cette tétralogie se compose des romans Historias del Kronen (1994), Mensaka (1995), Ciudad Rayada (1998) et Sonko 95 (1999).
2 – Coupland, Douglas, Génération X, Paris, 10-18, [1994] 2004, traduction de Léon Mercadet.
3 – Nous reprenons ici le terme de “hornada” (littéralement “fournée”) proposé par le critique Constantino Bértolo en alternative à celui de génération. L’approche synchronique qu’elle permet nous semble de loin la plus pertinente (Bértolo, Constantino, « Introducción a la narrativa española actual », Revista de Occidente, n° 98-99, Juillet- août 1989).
4 – C’est ainsi que Douglas Coupland sous-titrait en 1991 son roman Generation X, pointant d’emblée la vitesse qui marquait l’époque qui s’ouvrait alors et dont les mass media émergents étaient déjà une compostante significative.
5 – Cette notion empruntée à la philosophie allemande signifie « l’esprit du temps ». Utilisée principalement en philosophie de l’historie et en psychologie elle désigne le climat ou paradigme intellectuel et culturel d’une époque.
6 – Navajas, Gonzalo, La narrativa española en la era global, Barcelone, EUB, 2002, p. 105 ss.
7 – Note de fin de l’auteur au roman Sonko 95, le dernier de la Tetralogía Kronen. Mañas, José Ángel, Sonko 95, Barcelone, Destino, 1999, p.283. Ces trois mots signifient « vitesse, authenticité, crudité ».
8 – Cette expression constitue le titre d’un article de German Gullón paru dès les premières manifestations de l’esthétique de la Generación X dans lequel le critique loue la grande capacité représentative, la prise de liberté formelle et le renouveau que constituent les romans que nous étudions.
9 – Les romans mutants sont apparus sur la scène littéraire espagnole au début des années 2000 : Eloy Fernández Porta, Agustín Fernández Mallo et Vicente Luis Mora comptent parmi les principaux représentants de cette nouvelle modalité romanesque profondément marquée par l’intermédialité qui l’amène à briser l’horizontalité du récit en y incluant des documents allogènes textuels ou non textuels (photographies, cartes, etc.), factuels ou pseudo factuels dans leur matérialité originelle.
10 – « Ici les gens continuent à écrire comme si la télévision n’existait pas ». Extrait d’une interview accordée par Ray Loriga à la revue Ajoblanco. Martinez, Gabriel, « Ray Loriga, un púgil a ritmo de zapping », Revista Ajoblanco, N°58, Décembre 1993, p.34-38.
11 – Ces supports et appareils désormais tombés en désuétudes constituent à l’époque de nos romans une nouveauté non négligeable : pour la première fois il est possible d’enregistrer et de reproduire à l’envi des productions culturelles mais aussi des moments de la vie personnelle. Cela a un effet sur nos personnages qui visionnent encore et encore leurs films cultes, écoutent les mêmes chansons en boucle et filment en quelques occasions des épisodes de leur vie dont ils font un spectacle. Ils incarnent en cela ce que Guy Debord annonçait comme La société du spectacle.
12 – Rajewski, Irina, « Intermediality, Intertextuality, and Remediation: A Literary Perspective on Intermediality », Revue Intermédialités, Numéro 6, Automne 2005, p. 44 ss. L’auteure identifie également l’intermédialité en tant que transposition médiale (par exemple les adaptations cinématographiques de romans) : la transformation d’un produit médiatique en un autre. Il y a ici un texte (au sens large du terme) qui est l’original et la source du nouveau media ; il s’agit d’un processus de transformation. Les adaptations cinématographiques des romans Historias del Kronen (Montxo Arméndariz, 1995), Caídos del cielo (adaptée par l’auteur lui-même sous le titre La pistola de mi hermano en 1997) et El triunfo (Mireira Ros, 2006) en sont des manifestations. La troisème catégorie est celle de l’intermédialité comme combinaison de media aboutissant à un nouveau « produit ». Il n’y a pas ici combinaison à proprement parler puisque le « produit fini » conserve une nature textuelle. En effet les romans n’intègrent pas les autres media dans leur matérialité mais les fondent dans l’écriture.
13 – Mariniello, Silvestra, « Médiation et intermédialité », Actes du colloque du Centre de Recherche sur l’Intermédialité, Université de Montréal, 1999.
14 – C’est ainsi que Germán Gullón intitulait en 1999 sa critique de Ciudad Rayada (Gullón, Germán, « La novela multimediática: Ciudad rayada, de José Ángel Mañas ». Ínsula 625-626 (1999) : 33-34).
15 – « Podríamos decir, con Jacques Derrida, que la propuesta teórica de la intermedialidad pasa por deconstruir los modelos de conocimiento existentes, lo cual implica al mismo tiempo poner en entredicho las jerarquías que operan en los diversos ámbitos de nuestra vida social y cultural. En nuestro caso particular, ese cuestionamiento de las jerarquías podría implicar dejar de plantearse el texto literario como centro y punto de partida, para ubicarlo en el mismo nivel jerárquico que otras manifestaciones artísticas ». (Cubillo Paniagua, Ruth, «La intermedialidad en el siglo XXI », Diálogos, Revista electrónica de historia, Vol.14, N°2, septembre 2013-février 2014, p.174)
16 – Un exemple en est Héroes, roman de Ray Loriga qui une fois refermé laisse dans l’esprit du lecteur la figure du protagoniste mais aussi la mélodie de Space Oditty de David Bowie et l’image de Ziggy vêtu de sa veste de cuir rouge.
17 – L’auteur français prétendait également, à l’instar de nos auteurs, laisser une trace d’une langue qui ne vit que si on l’emploie. Il expliquait ainsi l’emploi d’une langue familière et parfois argotique : « Pourquoi je fais tant d’emprunts à la langue, au « jargon », à la syntaxe argotique, pourquoi je la forme moi-même si tel est mon besoin de l’instant ? Parce que vous l’avez dit, elle meurt vite, cette langue, donc elle a vécu, elle vit tant que je l’emploie » (Céline, Ferdinand, « Lettre à André Rousseaux »,Le Figaro, n°151, 30 mai 1936.
18 – Gullón, Germán, introduction critique à Historias del Kronen, Barcelone, Destino, 1998.
19 – Prado, 1996 : 9. « C’était une des choses… cette façon étrange de rester silencieux, avec une espèce de… enfin, c’était quelque chose qui s’installait soudain entre toi et lui ».
20 – «Coucou! les fiiiiiiiiiilles!!! Borja? Mon chériiiiiii!». Mañas, José Ángel, Sonko 95, Barcelone, Destino, 1999, p. 118-119.
21 – Mañas, José Ángel, Sonko 95, Barcelone, Destino, 1999, p.86.
22 – Viart, Dominique, Mercier, Bruno, La littérature française au présent, Paris, Bordas, 2008, p. 231.
23 – Mañas, José Ángel, Sonko 95, Barcelone, Destino, 1999.
24 – Germán Gullón, El miedo al presente como material novelable, Ínsula n°634 (1999), p. 15-17
25 – « Técnica de la grabadora » (Navarro Martínez, Eva, « Novelas con banda sonora : la música como recurso técnico en algunas obras de la narrativa española actual », Revista electrónica de estudios filológicos, N°5, Avril 2003).
26 – Loriga, Ray, Caídos del cielo, Barcelone, Destino, 1995 : 57-58.
27 – Mañas, José Ángel, op. cit. 1999, p. 82, « Borja rit, ha ha ».
28 – Mañas, José Ángel, op. cit. 1999, p. 138, « J’attrape la ventoline qui traîne dans le coin et flus, flus, je me sens déjà mieux ».
29 – Wolfe, Roger, El índice de Dios, Madrid, Espasa Calpe, 1993, p. 60, « Le radiateur fait Blof et l’eau commence à couler dans les canalisations ».
30 – Mañas, José Ángel, op. cit. 1999, p. 58, « Borja rit, ha ha ».
31 – Mañas, José Ángel, op. cit. 1999, p. 121, « IOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUIOUUIOUUIOU. Si au moins ce connard jouait bien ».
32 – Mañas, José Ángel, op. cit. 1999, p.262.
33 – Mañas, José Ángel, op. cit. 1999, p.263.
34 – Mañas, José Ángel, Historias del Kronen, 1998, p. 49, «Tijuana a l’air d’être TRÈS méchant » (Nous traduisons).
35 – Mañas, José Ángel, Sonko 95, 1999, p. 17, « Sa mère ne l’appelle pas, elle CRIE ».
36 – En voici un exemple: « (…) me cruzo con mi vecina (…). Hoy, en vaqueros y con esa camisetita blanca debajo de la torera de cuero, es que es la mismisima Withney Houston ». Mañas, op. cit. 1999, p. 58. « (…) Je croise ma voisine. (…) Aujourd’hui, en jean et avec ce petit top blanc sous sa veste en cuir, c’est Withney Houston tout craché ».
37 – Wolfe, Roger, El índice de Dios, 1993, p. 77, « J’ai mis la télé en stand by et je suis revenu à ma vie et à ma fiction ».
38 – Prado, Benjamín, Nunca le des la mano a un pistolero zurdo, Barcelone, Santillana, [1996] 2008 : 68. « J’ai regardé Israel et Sara et, je ne sais pas, mais je jurerais qu’ils ne se regardaient pas comme les personnages d’une histoire qui s’est terminée pour ne plus recommencer ».
39 – Mañas, José Ángel, Historias del Kronen, Barcelone, Destino, 1994, p. 34-35.
40 – Dans nos romans c’est souvent le mot anglais movie qui est repris sous sa forme hispanisée.
41 – Si une suite d’évennements est désormais appellée scénario, le fait de se l’imaginer revient à « se faire un film ».
42 – «T’as des interférences et tu sais pas sur quelle chaîne tu es ?». Maestre, Pedro, Matando dinosaurios con tirachinas, Barcelone, Destino, 1996, p. 127.
43 – Loriga, Ray, La pistola de mi hermano (Caídos del cielo), Plaza y Janés, Barcelona, 1999.
44 – Prado, Benjamín, Nunca le des la mano a un pistolero zurdo, Barcelone, Santillana, 2008.
45 – Ray, Nicholas, Johnny Guitare, 1954.
46 – Loriga, Ray, Héroes, Madrid, Punto de lectura, [1993] 2008 et La pistola de mi hermano (Caídos del cielo), Plaza y Janés, Barcelona, 1999.
47 – Etxebarria, Lucía, Amor, curiosidad, prozac y dudas, Madrid, Ediciones Martínez Roca, 2009.
48 – Prado, Benjamín, Raro, Barcelone, Plaza & Janés, 1995, p.54. « – Quelle honte – dit sa sœur –, quelle façon de se tromper, quelle tristesse, quelle dégradation.
– Ha ha – dit le mari de sa sœur. Il était couché sur un lit, en train de regarder le film de Danny Kaye.
– Ha ha – dit la femme qui se trouvait à ses côtés ».
49 – Ces fonctions du narrateur ont été décrites par Gérard Genette dans Dans Figures III (Paris, Seuil, 1972 : 261-263). La première consiste à « marquer les articulations, les connexions, les inter-relations, bref, l’organisation interne. ». La seconde est inhérente à la situation narrative et traduit le souci du narrateur de maintenir le contact avec le narrataire.
50 – Benjamín Prado, Raro, Barcelona, Plaza & Janes, 1995, p. 15. « Toutes les chansons finissent par être tristes puisqu’elles sont la bande-son de quelque chose que l’on a perdu ».
51 – « Que faisais-tu après « Satisfaction » ? » (Loriga, Ray, Héroes, Punto de lectura, 2008, p.22-23). La situation du protagoniste de ce roman, enfermé dans sa chambre avec ses disques et ses rêves, est particulièrement propice à l’invasion du texte par un nombre incalculable de références musicales et d’emprunts techniques parfois difficilement décelables pour le lecteur.
52 – Loriga, Ray, Héroes, Madrid, Punto de lectura, 2008, p. 56. « Mon frère a perdu une oreille. Mon frère a perdu une oreille et moi j’ai dû sortir de ma chambre pour aller la chercher ou au moins pour voir comment iraient les choses après cela. Mon frère s’est retrouvé sans oreille et voilà à peu près toute l’histoire. Je ne serais jamais sorti si ça n’avait pas été pour son oreille. Il n’y a pas grand-chose à raconter. J’étais dans ma chambre et mon frère a perdu une oreille. C’est ce qui s’est passé. Ni plus ni moins ».
53 – Mañas, José Ángel, “El legado de los Ramones”, Ajoblanco N°108, juin 1998 p. 38-43.
54 – Loriga, Ray, Lo peor de todo, Barcelone, Plaza & Janés, [1992]1999.
55 – Navarro Martínez, Eva, op. cit.
56 – Loriga, Ray, op. cit. p. 167. « Ils sont toujours chez eux et toi tu es en train de danser dans la rue. Le monde s’écroule et le pape se la touche mais toit tu t’en fiches. Toi tu es en train de danser dans la rue ».
57 – Mañas, op. cit. 1999, p. 28. « Et Gustavo qui dit que cette musique ne plait pas ! Il sourit, dédaigneux. Heavy. Même s’il bosse dans une multinationale il n’a pas la moindre idée de. ROCKS OFF (ROLLING STONES) ― Rythm & Blues de primera hora.― MR CAB DRIVER (LENNY KRAVITZ) ― Lenny tan revival como siempre.―DIRTY Boulevard (LOU REED) ― Radiografía musical, cruda y realista, de NY.―MOTORCYCLE EMPTINESS (MANIC STREET PREACHERS)― Rock nostálgico ».
58 – Mañas, op. cit. 1999, p. 42.
59 – Mañas, op. cit. 1999, p. 41.
60 – Mañas, op. cit. 1999, p. 41.
61 – Etxebarria, Lucía, Beatriz y los cuerpos celestes, Barcelone, Destino, 1998, p. 26. « Cat, la fille chat, pourrait être une de ces filles qui apparaissent dans les revues pour fair la pub des crèmes hidratantes : Ta peau mérite une protection ».
62 – Maestre, Pedro, op. cit., p. 78. « Elia non plus n’hésiterait pas une seconde à tout abandonner pour venir avec moi et sa Peaugeot au bout du monde ».
63 – Wolfe, Roger, El índice de Dios, 1993, p. 15, 104 et 115
64 – Grasa, Ismael, De Madrid al cielo, Barcelone, Anagrama, 1994, p. 9.
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