Revue des doctorants du laboratoire LLA-Créatis (UT2J)

Étiquette : marche

À la croisée des chemins : la représentation du territoire chez les artistes marcheurs

Bridget Sheridan
Doctorante – Université Toulouse Jean Jaurès, laboratoire LLA-Créatis

Pour citer cet article : Sheridan, Bridget, « À la croisée des chemins : la représentation du territoire chez les artistes marcheurs. », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°7 « Territoire et intermédialité », automne 2016, mis en ligne en 2016, disponible sur <https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2018/01/09/la-ville-contemp…ite-au-generique/>.

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Résumé

Dans cet article nous analyserons la pratique des artistes marcheurs en regard de la notion de territoire. Dès lors que nous nous mettons à marcher, la question du territoire se pose. Ainsi, nous pouvons constater que leur pratique questionne cette notion. Nous nous interrogerons également sur l’intermédialité de leurs œuvres. Lorsque l’artiste marcheur utilise plusieurs médiums artistiques – la marche incluse – il semble qu’il ouvre de nouveaux territoires. Si la cartographie est intimement liée au territoire, peut-on en conclure que la pratique de ces artistes soulève irrémédiablement la question de la cartographie ? Et si oui, quelles formes prend-elle ? Nous tenterons de démontrer que cette cartographie résulte des traces des artistes marcheurs – des traces qui s’articulent entre elles autour de charnières. Aussi, en quoi ces pratiques intermédiales ouvrent-elles de nouveaux territoires qui permettent de repenser notre mobilité dans le monde contemporain ?

Mots clés : marche – artiste marcheur – territoire – intermédialité – cartographie -mobilité

Abstract

In this article we shall consider walking artists in relation to the notion of territory. Walking and territory are closely linked. Hence, this is why walking art specifically raises the question of territory. We shall also acknowledge intermediality in their artwork. When simultaneously using several artistic mediums – including walking – they appear to create new territories. Could we conclude that walking art is bound to be linked to cartography, the latter being closely knit to the idea of territory? And if so, what kind of form does it take? We shall try to show how this cartography is the result of traces the walking artist leaves behind – traces, which articulate around charnières (meaning “hinge” or “pivot”). How do these intermedial art forms explore new territories, which enable us to reconsider our mobility in the contemporary world?

Keywords: walking artist – walking – territory – intermediality – photography – cartography – charnière


Sommaire :

Introduction
1. Marche et territoire
2. Marche et cartographie
3. De nouveaux territoires
Notes
Bibliographie sélective

Car tel est, dans le domaine de l’art, le destin de la déambulation : elle est capable de produire une attitude ou une forme, de conduire à une réalisation plastique à partir du mouvement qu’elle incarne, et cela en dehors ou en complément de la pure et simple représentation de la marche (iconographie du déplacement), ou bien elle est tout simplement elle-même l’attitude, la forme.1

Introduction

Au cours du siècle dernier, il a été démontré à plusieurs reprises que le simple fait de marcher peut être perçu comme une pratique esthétique en soi. Des fameux Flux-Tours en 1976 – promenades collectives dans la ville de New York à l’initiative de George Maciunas – à la fameuse phrase d’Hamish Fulton, « No walk, no work »2, la marche est devenue une expérience. Au 21e siècle, la figure de l’artiste en marche est encore présente et l’on doit reconnaître qu’il existe peu d’artistes contemporains qui n’aient pas expérimenté une pratique déambulatoire à un moment ou à un autre de leur parcours artistique.

Or, il est rare que ces pratiques existent sans traces, sans document ou sans traduction quelconque. Ainsi, on trouvera chez les principaux artistes-marcheurs des dispositifs qui interrogent le concept d’intermédialité en convoquant plusieurs médiums à la fois que ce soit la photographie, la vidéo, la cartographie, l’écriture, etc. Chaque artiste tente de traduire son expérience pour ainsi donner au spectateur l’impression de traverser le territoire en sa compagnie. Nous prendrons en considération des travaux artistiques actuels qui se fondent avant tout sur l’expérience de la marche. Ceci nous permettra de penser en quoi ces pratiques intermédiales soulèvent la question du territoire.

Il s’agira tout d’abord d’éclaircir en quoi la marche est liée à la notion de territoire. De Richard Long à Tim Knowles, en passant par la théorie de la dérive de Guy Debord, nous nous intéresserons en particulier à l’entrée de l’artiste-marcheur dans un territoire donné.

Si la cartographie est souvent rattachée à la question du territoire, peut-on émettre l’hypothèse qu’elle est omniprésente chez les artistes-marcheurs ? Nous verrons que l’utilisation de la carte n’est pas le seul moyen d’évoquer la cartographie. Retracer la marche par la photographie, l’écriture ou la vidéo permet à l’artiste de recréer le cheminement. Il est possible d’envisager les dispositifs, parfois complexes, utilisés par les artistes-marcheurs comme une forme de cartographie qui s’ouvre dans la profondeur des charnières qui s’articulent entre elles dans les œuvres intermédiales.

Le besoin de cartographier la marche, de rendre compte de son cheminement dans l’espace nourrit-il notre envie de posséder, de s’approprier, de maîtriser le territoire qui à l’ère du numérique et de la mobilité exaspérée semble nous échapper en permanence ? Il est tout aussi légitime de soutenir que l’intermédialité permet aux artistes-marcheurs d’inventer de nouveaux territoires en tissant des liens dans le temps et dans l’espace grâce aux différents dispositifs utilisés.

1. Marche et territoire

Avant de nous immerger dans la pratique des artistes-marcheurs et de constater de quelle manière leur pratique est liée au territoire, regardons la définition du territoire et essayons de comprendre en quoi cette notion s’associe à la marche.

S’il est couramment admis que le territoire se rattache à l’idée d’autorité et de délimitation, il ne faut pas omettre que cette notion soulève d’autre part la question de l’usage. On peut noter que le territoire soit une « étendue de pays qui ressortit à une autorité, à une juridiction quelconque » ou bien qu’elle soit une « étendue dont un individu ou une famille d’animaux se réserve l’usage », mais encore, il s’entend comme un « espace relativement bien délimité que quelqu’un s’attribue et sur lequel il veut garder toute son autorité3. Si le territoire nécessite un usage spécifique d’un espace délimité ou d’une étendue, il est alors possible d’envisager que la pratique de la marche puisse participer à définir celui-ci.

En effet, la marche permet d’explorer ou de traverser des territoires, mais surtout de se mouvoir dans l’espace. Depuis que l’Homme s’est dressé, il y a de cela des millions d’années, il n’a fait qu’étendre l’occupation de l’espace qui s’offre à lui. Du berceau de l’humanité en Afrique, il a conquis la planète entière. Alors que les voyages pédestres de nos ancêtres se soient interrompu et que l’Homme se soit sédentarisé, nous continuons de marcher (mais en réalité beaucoup moins, nous le verrons plus loin) que ce soit pour le loisir, que nous y soyons contraints – c’est le cas des migrants – ou que cela fasse partie de notre quotidien lorsque la marche reste notre principal moyen de nous déplacer.

La marche est donc liée au territoire et elle est un des principaux moyens qui permettent de l’occuper, de l’habiter4 en quelque sorte. Ainsi, l’artiste-marcheur qui se déplace dans un espace donné va faire usage du territoire. Depuis que Richard Long a tracé sa ligne d’herbe écrasée dans sa fameuse œuvre, A Line made by Walking (1967), où l’artiste explore une parcelle d’un champ par des va-et-vient jusqu’à ce que le soleil donne du relief à la trace laissée par sa déambulation, de nombreux artistes-marcheurs ont questionné la traversée d’un territoire de façon similaire, qu’elle soit minimale comme ce fut le cas avec Long ou qu’elle soit une épreuve d’endurance comme ce fut le cas avec Marina Abramovic et Ulay qui ont parcouru la Grande Muraille de Chine en quatre-vingt-dix jours en 1988 dans une performance intitulée The Lovers. Quant à Laurent Malone et Dennis Adams, ils ont réalisé ensemble une pièce intitulée JFK, en 1997, où ils marchent sans effectuer d’arrêt depuis l’intersection de Center Street et Kenmare Street à Manhattan jusqu’à l’aéroport JFK. Ces trois œuvres qui ne se ressemblent pas dans la forme ont en commun la volonté de traverser un territoire donné, de s’immiscer dans ce territoire, que ce soit une parcelle, une ville ou le long de la frontière d’un immense pays.

Pour illustrer cette immersion volontaire dans un territoire donné regardons la performance Kielder Forest Walk de l’artiste britannique Tim Knowles qui décide de suivre une ligne droite dans la forêt en marchant pendant une durée de huit heures et en se servant d’un compas comme outil de repérage. Knowles ne se contente pas uniquement de réaliser une simple performance dans la forêt de Kielder. Tout comme Richard Long le fit une quarantaine d’années auparavant, Knowles décide d’utiliser l’image pour rendre compte de son passage sur le territoire. Si Long a toujours été ambigu à propos de l’ « après marche » et s’il a toujours semé le doute autour des photographies prises pendant la marche (la photographie est-elle un document, une trace, la représentation de la marche elle-même ?), Knowles va plus loin et filme la traversée entière par une petite caméra. Lors de l’exposition de cette performance à la galerie de Kielder Castle, il a été non seulement possible de suivre la traversée intégrale de Knowles, mais aussi de contempler certains agrandissements des six mille images qu’il a également glanées pendant la marche.

Pour Knowles, il est évident que cette marche est une forme de désobéissance à la Thoreau5, une volonté de ne pas suivre le chemin tracé, mais de partir à la conquête d’un territoire dans lequel il trace de nouveaux chemins. En ce sens il rejoint le travail du collectif italien Stalker qui franchit murs et barrières dans la ville de Rome afin de se déplacer et de cartographier une nouvelle ville faite de terrains vagues et de nouveaux espaces. Chez Knowles, il s’agit aussi d’ouvrir une voie inconnue et de se sentir pleinement acteur dans ce territoire.

Pour des raisons de sécurité l’artiste inscrit son passage sur le sol en notant l’heure de son passage et sa direction. Si ces indications se retrouvent dans la vidéo et dans les images fixes qui retracent le parcours de Knowles dans l’espace, elles nous indiquent que cette marche est avant tout une progression sur une étendue de terre donnée et que l’artiste s’est fixé comme but d’en faire usage en marchant. Ces indications ne sont pas sans nous rappeler la cartographie. De plus, Knowles se sert de boussoles qui lui permettent de se localiser sur le territoire, un dispositif qui le rapproche de la cartographie. Il est aussi intéressant de noter que dans d’autres travaux artistiques de Knowles on retrouve des tracés cartographiques grâce à la géolocalisation (par GPS), ce qui confirme l’intérêt de l’artiste pour la cartographie.

Il est sans doute raisonné de soutenir qu’aucun artiste-marcheur ne se lance à l’assaut d’un territoire inconnu, c’est-à-dire qui n’a pas été repéré au préalable. Même lors des dérives des situationnistes la marche a lieu dans un cadre bien précis. Guy Debord déclare dans sa théorie de la dérive que :

Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent.6

S’il existe chez les adeptes de la dérive un terrain ou ce que Debord appelle un « champ spatial » plus ou moins précis selon ses mots,  la pratique de la dérive a énormément à voir avec la carte et la cartographie.  En effet, Debord soutient que :

L’exploration d’un champ spatial fixé suppose donc l’établissement de bases, et le calcul des directions de pénétration. C’est ici qu’intervient l’étude des cartes, tant courantes qu’écologiques ou psycho-géographiques, la rectification et l’amélioration de ces cartes.7

Ce que dit Guy Debord de manière très claire est que l’exploration d’un territoire est étroitement liée à la cartographie. Nous allons donc nous interroger sur la cartographie et les artistes-marcheurs. Est-elle présente dans toutes leurs œuvres ?

2. Marche et cartographie

Le Larousse définit la carte comme une « représentation conventionnelle, généralement plane, de phénomènes concrets ou même abstraits, mais toujours localisables dans l’espace »8. De cette définition qui tend à réduire la carte à une surface plane et qui ne satisfera nullement notre étude, on peut retenir le fait que la carte est, à quelques exceptions près (je pense aux cartes à l’échelle : 1/1), une représentation et qu’elle est étroitement liée à la notion d’espace. Dans les arts plastiques et notamment chez les artistes-marcheurs la carte va permettre de représenter les phénomènes liés à la marche : le déplacement, le trajet, les perceptions, etc.

La carte constitue souvent une entrée dans l’espace pour l’artiste-marcheur. Il suffit de regarder les cartes de Richard Long qui se fixe, tout comme son ami Hamish Fulton, un parcours avant d’entamer la marche. A plusieurs reprises Richard Long a tracé le chemin à suivre sur une carte. Ce tracé est en général suivi de manière rigoureuse, sauf si l’artiste rencontre des obstacles. Vue de cet angle, la carte est une entrée dans le territoire. Elle fait partie intégrante de la marche, tout comme la boussole de Tim Knowles et les annotations sur le sol qu’il laisse sur son passage. En ce qui concerne Long, la carte est exposée après la marche avec un texte et une photographie comme dans sa pièce One Hundred Mile Walk. C’est une œuvre intermédiale dans laquelle photographie, texte et carte dialoguent ensemble pour former, selon Gilles A. Tiberghien, la marche elle-même :

Les cartes de Long ne sont pas les métaphores d’un trajet ou d’une marche ; elles sont la marche elle-même, mais dans un autre espace.9

Il y a donc changement d’espace dans le travail exposé – une transposition en quelque sorte. Long visualise son futur trajet dans l’espace cartographique. Si ce repérage est avant tout virtuel, l’artiste se projette déjà dans un territoire par le biais de la carte. Il faut ajouter que cette carte l’accompagne pendant le déplacement, et qu’il sera exposé suite à la marche. Elle joue un rôle de transition entre le tracé, le traçage et la trace de la marche. Ainsi, elle est l’articulation entre l’avant, le pendant et l’après de la marche, et elle invite le spectateur à parcourir le territoire. Si nous revenons au travail de Knowles et à sa tentative d’ouvrir un chemin dans l’espace d’exposition à l’aide de la photographie et de la vidéo, il est possible de considérer ce dispositif comme une cartographie. Certes, il ne s’agirait plus d’une cartographie plane, mais d’une cartographie qui ouvre l’espace d’exposition, avec une certaine profondeur. Et cette profondeur se trouve justement dans cet espace charnière entre la marche et l’image, ou, pour d’autres artistes-marcheurs, entre la marche et le texte, ou entre la marche et le livre d’artiste, etc.

Une charnière est, selon Daphné Le Sergent, « l’écart qui se creuse entre les éléments du dispositif mais qui en même temps les unit. Elle est ce qui relie l’hétérogène et se constitue en matière du dispositif. »10 Elle s’interroge sur ce qu’elle pense être le lieu d’associations : la charnière, qui vient du latin cardo, signifiant « gond ». Si cette charnière existe dans les dispositifs où dialoguent ensemble plusieurs images ou plusieurs médiums, il est possible d’envisager qu’elle soit perceptible entre la marche et le travail qui s’en suit. Les dispositifs utilisés par les artistes-marcheurs sont reliés à la marche par ce « gond », par ce va-et-vient, qui permet de retranscrire la marche, de la cartographier en quelque sorte.

Ce qui peut différer entre des pratiques qui utilisent une cartographie plane et celles qui retracent le chemin par l’image, c’est l’orientation du regard. La carte traditionnelle nous offre un point de vue vertical ; c’est-à-dire que nous surplombons un territoire donné, tandis que la photographie nous impose la plupart du temps un point de vue horizontal. Néanmoins, la photographie peut nous offrir un point de vue en plongée lorsque l’artiste photographie le chemin, comme c’est le cas dans Tracking Shots (2013), une autre œuvre de Tim Knowles. Il part à la recherche  du passage d’un individu ayant traversé le même territoire que lui en relevant ses traces. Il en résulte une installation photographique de vingt-neuf prises épinglées au mur de la galerie. On peut suivre le déplacement de Knowles puisque notre regard emprunte chaque charnière pour circuler d’une photographie à l’autre, comme s’il passait de pièce en pièce. Knowles nous indique la direction à suivre en installant ses photographies dans une ligne horizontale. Il est tout à fait plausible d’émettre l’hypothèse que cette installation interroge la notion de cartographie. A ce propos et d’un point de vue philosophique Christine Buci-Glucksman nous rappelle que la carte :

Comme tout index, tel le doigt pointé, […] désigne et institue un jeu de tracés, de directions, organisant la place virtuelle du spectateur. Place toute prosaïque du voyageur, place impériale ou royale du Pouvoir, ou place militaire des objectifs stratégiques.11

Elle ne s’arrête pas à la direction et au tracé puisqu’elle soulève également l’écart instauré par l’utilisation de la cartographie :

Matérielle ou numérique, la carte est donc un artefact visuel et langagier qui engendre comme tout artefact des opérations et des effets, puisqu’il montre une cause absente ou partiellement présente, le monde.12

Buci-Glucksman permet de s’interroger sur l’écart entre la marche et le travail qui en résulte. Certes, le monde s’absente partiellement, mais c’est également le marcheur qui se soustrait au regard. On n’en perçoit que ses traces. De cette manière il disparaît au profit du spectateur. En abandonnant son territoire qu’il a découvert par la marche, il en crée un nouveau par le biais de l’intermédialité.

3. De nouveaux territoires

Revenons un instant à la cartographie qui est parfois considérée comme un outil politique. A ce propos, Buci-Glucksman souligne que « ce n’est sans doute pas par hasard si le regard à vol d’oiseau est dit perspective cavalière ou “perspective militaire ».13 Ce regard « icarien » que l’on retrouve dans la pratique de certains artistes-marcheurs pourrait être interprété comme une volonté de s’approprier le territoire traversé.

Augustin Berque qui s’interroge sur le point de vue lorsqu’on contemple le paysage évoque le « regard souverain ». C’est ainsi qu’il engage une réflexion sur le kunimi japonais qui est le fait de regarder le territoire depuis le sommet. De plus, cet acte, pratiqué par l’empereur, prend la forme d’un rite qui permettait de s’approprier le territoire de manière symbolique. En conséquence, le kunimi peut être rapproché du mirador militaire ou de la simple table d’orientation placée sur les hauteurs d’une montagne ou surplombant une vallée. Et à Berque de préciser que :

Maîtriser le territoire par le regard semble être une motivation beaucoup plus générale, inséparable en fait de l’habiter humain. Cette symbolique peut être partiellement éclairée, ici encore, par l’étymologie. Celle-ci en effet, du moins dans les langues dérivées du latin, apparente l’idée d’habiter à celle de posséder, de s’approprier : habitare est un fréquentatif de habere.14

Berque esquisse un parallèle entre l’ « habiter » et le « posséder ». Ce rapprochement n’est pas surprenant lorsque l’on regarde le sens d’habere qui signifie « tenir », « se tenir », « posséder » ou même « occuper »15. De surcroît, occupare en latin prend racine dans le latin capere, signifiant « prendre » et dont découle le terme « chasser ». Occupare désigne « prendre avant les autres, le premier, d’avance », « prévenir, devancer », « se rendre maître de »16.

Si l’habiter humain semble réduit à la simple envie de maîtriser et d’occuper le territoire, c’est que nous vivons à l’époque de la mobilité exaspérée. C’est-à-dire que nous ne sommes pas seulement amenés à nous déplacer par le biais de moyens de transport de plus en plus rapides et de plus en plus nombreux et sophistiqués, nous nous déplaçons aussi par le biais de la toile. Nos pensées se trouvent instantanément à l’autre bout du monde en un simple clic. De surcroît, des applications telles que Google Earth ou des sites comme geoportail.gouv.fr nous permettent de survoler la terre de manière virtuelle, de nous rapprocher ou de nous éloigner de la surface de la terre en quelques mouvements de la main. Qui n’a jamais rêvé de voler ? Pour alimenter ce vieux rêve on peut visiter le site de la NASA, il est désormais possible de voyager dans l’espace en temps réel. A l’heure où Big Brother devient réalité, l’homme contemporain se retrouve pris dans le filet du panoptique17. Chaque homme assis derrière son écran d’ordinateur, ou confortablement installé dans son siège à bord d’un airbus ou d’un TGV croit tout voir, tout maîtriser. La réalité en est tout autre.

À ce titre l’artiste-marcheur reste tout à fait conscient de cette société qui impose « une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque »18. Nous avons déjà souligné la désobéissance de Knowles et de Stalker qui empruntent des voies non accoutumées. C’est à David Henry Thoreau de nous croquer le visage de la désobéissance lorsqu’il nous conseille d’aller nous perdre dans les bois tel le sauvage qui sommeille en chacun de nous :

Car tel est le secret d’une promenade réussie. Celui qui demeure assis dans une maison tout le temps peut bien être le plus grand des chemineaux, mais l’authentique Promeneur n’est pas plus vagabond que la rivière sinueuse qui ne cesse de chercher opiniâtrement le plus court chemin jusqu’à la mer.19

Et avec deux cents ans d’avance, il ajoute :

Je voudrais dire un mot de la Nature, de la Liberté absolue et de la Vie sauvage, par opposition avec une Liberté et une Culture simplement policées – afin de considérer l’homme comme un habitant ou bien une partie intégrante de la Nature, plutôt que comme un membre de la société.20

Thoreau voit l’habiter d’une toute autre manière que Berque, puisque habiter pour cet insoumis consiste à être en harmonie avec l’environnement.

Si nous devions chercher un artiste qui entretienne une telle relation avec la nature qu’il arpente quotidiennement depuis son enfance, ce serait l’écrivain et photographe Jean-Loup Trassard. Territoire : tel est le nom de l’ensemble de photographies noir et blanc qu’il réalise depuis les années quatre-vingt. Le titre de la série n’est pas anodin et suppose une implication affective, une familiarité et une expérience qui permettent d’habiter un territoire. La campagne qu’il photographie dans cet ensemble de tirages est celle de la Mayenne – un territoire qui porte la trace des activités agricoles que l’homme pratique depuis la nuit des temps. Jean-Loup Trassard arpente ce territoire, son appareil à la main, à la recherche des traces que l’homme a laissées derrière lui. Il a arpenté les chemins de la Mayenne dès ses premiers pas, il a parcouru chaque recoin de ces champs et de ces bois, et le sol porte autant l’empreinte de ses pas que Jean-Loup Trassard porte l’empreinte de ce territoire au fond de lui-même. Si ces photographies nous semblent si vraies, si palpables et si proches, c’est aussi parce qu’il habite ce territoire : il avoue l’arpenter comme un animal.

Aussi, pouvons-nous ajouter qu’arpenter le territoire de cette manière, c’est l’habiter au sens heideggérien du terme. Selon le philosophe allemand, « la façon dont tu es et dont je suis, la manière dont nous autres hommes sommes sur terre est le buan, l’habitation. Être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-à-dire : habiter. »21 Et si nous revenions à l’étymologie du terme habere ? Si Berque s’est attaché à retenir le sens de « posséder » et de « maîtriser », il est possible de s’arrêter sur celui de « tenir », de « se tenir ». Et si habiter le territoire était tout simplement se mouvoir, se déplacer, tisser les fils du maillage22 ?

Il semble évident que la marche soit un moyen d’explorer de nouveaux territoires dans un monde où le corps humain devient de plus en plus sédentaire, c’est-à-dire que, pris dans le flux de la mobilité virtuelle, et habitué aux multiples modes de transport, nous ne posons que rarement notre pied sur le sol. De nouvelles portes s’ouvrent via les charnières des travaux des artistes-marcheurs.

Jean-Christophe Norman, quant à lui, tisse un maillage d’écritures à travers le monde, dans différentes villes  (Metz, Montevideo, Paris, New York, Istanbul) – un maillage qu’il réalise en marchant et que la critique nomme « dromographie ». Accroupi sur les voies, au plus près du sol, l’artiste français réécrit l’Ulysse de James Joyce en inscrivant le texte de l’écrivain irlandais dans un nouveau territoire. Dans Ulysses, A Long Way, Norman inscrit son texte sur le bitume des villes – une réécriture lente et fastidieuse, et sans aucun doute éprouvante pour un corps voûté sur le trottoir. Les longues journées que passe l’artiste à recopier les errances de l’esprit de Joyce sont ponctuées d’arrêts, de lectures et de discussions, autant d’actes qui inscrivent sa marche dans un maillage et qui permettent à l’artiste mais également aux passants d’habiter le territoire de la ville d’une autre manière. La charnière entre marche, lectures, réécritures ouvre un nouveau territoire que l’artiste traverse en compagnie de ceux qu’il croise au gré de ses « dromographies » à travers le monde.

Les artistes marcheurs renversent les codes : ils photographient le sol, ils utilisent ce dernier pour écrire, ils découpent les cartes ou y inscrivent leurs parcours pour inverser le lissage de la surface cartographique et créer de la profondeur. Ils empruntent des voies inattendues en traversant des forêts denses ou en franchissant les frontières banales de nos espaces urbains.

Par ailleurs, ces mêmes artistes nous apprennent qu’il existe un moyen de s’immiscer dans le monde où notre corps se suffit à lui-même : la marche. D’une certaine manière, ils réconcilient la plante de nos pieds avec l’esprit. C’est qu’il faut dire qu’en ville nous oublions nos pieds tant notre esprit est préoccupé par la foule, les panneaux, les vitrines et les lumières qui nous éblouissent. De plus, devant nos écrans, nous voyageons sans avoir besoin de nous déplacer. Enfin, en avion, en train, en bateau et en voiture on nous transporte vers un ailleurs, mais sans avoir besoin de sentir le sol sous nos pieds. En revanche, les artistes-marcheurs démontrent l’importance de s’ancrer dans le sol et dans le territoire par le mouvement déambulatoire.

Renouer le corps et l’esprit : telle est leur priorité. L’intermédialité joue un rôle primordial dans la pratique de ces artistes de la déambulation : elle permet d’inventer de nouveaux territoires que puisse parcourir notre esprit. Elle ouvre cet espace interstitiel, cette charnière qui nous éloigne de la sédentarité du monde contemporain et qui nous emporte dans les profondeurs de la « Liberté absolue »23.


Notes

1 – T. Davila, Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard, 2002, p15.

2 – « Pas de marche, pas de travail ».

3 – Le Larousse en ligne, consulté le 29 septembre 2015.

4 – Au sens heideggerien du terme. M. Heidegger, « Bâtir, Habiter, Penser »,  Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, pp170-173.

5 -Philosophe américain du 19e siècle, issu du mouvement transcendantaliste, Henry David Thoreau luttait contre les injustices sociales du gouvernement. Il prônait une forme de résistance passive. Ceci consistait à faire ce qui lui semblait juste et de ne pas soutenir le gouvernement américain (en refusant de payer ses impôts par exemple). Cette résistance a pris la forme d’un retrait dans les bois, dans une cabane à Walden. Cette vie avec un retour à la nature et à ce qu’il appelle le sauvage se ponctue de marches journalières.

6 – G. Debord, « Théorie de la dérive » in Internationale Situationniste n° 2, décembre 1958, p19.

7Idem, pp21, 22.

8Larousse.fr, consulté le 29 septembre 2015.

9 – G. A. Tiberghien, Nature, Art, Paysage, Arles, Actes Sud, 2001, p66.

10 – D. Le Sergent, L’image-charnière ou le récit d’un regard, Paris, L’Harmattan, 2009, p24.

11 – C. Buci-Glucksman, L’œil cartographique de l’art, Paris, Editions Galilée, 1996, p23.

12 – Idem, p52.

13 – C. Buci-Glucksman, op. cit., p23.

14 – A. Berque, Les raisons du paysage, Paris, Ed. Hazan, 1995, pp 44, 45.

15 – J. Picoche, Dictionnaire étymologique du français, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2002, p33.

16 – A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Tome 2, Paris, Le Robert, 2012, p2296.

17 – Dans son ouvrage Surveiller et punir, Michel Foucault fait état du système de contrôle qui régit notre société. Il fait référence au panoptique de Jérémy Bentham, une prison circulaire qui permet au surveillant de voir chaque cellule sans jamais être vu. Il étend ce concept au reste de notre système qui applique des méthodes carcérales aux écoles, aux casernes, aux pensionnats. Les méthodes utilisées sont de plus en plus strictes et rigides. Cette vision de Foucault fait écho à la société contemporaine dans laquelle la liberté de se mouvoir dans l’espace virtuel ou réel est constamment grignotée par un dispositif de contrôle extrême et puissant. M. Foucault,  Surveiller et punir : Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1993.

18 – G. Deleuze, Foucault, Paris, Ed. De Minuit, 2004, p41.

19 – H. D. Thoreau, De la marche, Paris, Mille et une nuits, 2003, p8.

20Ibid., p7.

21 – M. Heidegger, « Bâtir, Habiter, Penser », in Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, p173.

22 – A ce propos et d’un point de vue anthropologique, Tim Ingold perçoit notre manière d’investir le monde comme un maillage fait de lignes qui s’entremêlent. T. Ingold, Une brève histoire des lignes, Paris, Zones sensibles, 2013.

23 – Expression empruntée à H. D. Thoreau, op. cit. p7.


Bibliographie sélective

BERQUE Augustin. Les raisons du paysage. Paris : Ed. Hazan, 1995, 192p.

BUCI-GLUCKSMAN Christine. L’œil cartographique de l’art. Paris : Éditions Galilée, 1996, 177p.

DAVILA Thierry. Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle. Paris : Éditions du Regard, 2002, 200p.

DEBORD Guy. « Théorie de la dérive » in Internationale Situationniste, n° 2, décembre 1958.

DELEUZE Gilles. Foucault. Paris : Ed. De Minuit, 2004, 144p.

FOUCAULT Michel. Surveiller et punir : Naissance de la prison. Paris : Gallimard, 1993, 424p.

HEIDEGGER Martin. « Bâtir, Habiter, Penser »,  Essais et conférences. Paris : Gallimard, 1958, 378p.

INGLOD Tim. Une brève histoire des lignes. Paris : Zones sensibles, 2013, 256p.

LE SERGENT Daphné. L’image-charnière ou le récit d’un regard. Paris : L’Harmattan, 2009, 198p.

THOREAU Henry David. De la marche. Paris : Mille et une nuits, 2003, 79p.

TIBERGHIEN Gilles A. Nature, Art, Paysage. Arles : Actes Sud, 2001, 232p.

Corps en marche

Bridget Sheridan
Doctorante en arts plastiques, Université Toulouse – Jean Jaurès
bridgetsheridan@hotmail.fr

Pour citer cet article : Sheridan, Bridget, « Corps en marche. », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°6 « Jeux et enjeux du corps : entre poïétique et perception », été 2016, mis en ligne en 2016, disponible sur <https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2018/01/09/la-ville-contemp…ite-au-generique/>.

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Résumé

Suivons les pas des artistes-marcheurs qui sillonnent les chemins de l’art contemporain. Chacun de ces arpenteurs cherche à traduire l’expérience de leurs déambulations par un dispositif différent. Il appartient à ces artistes de créer un jeu de déplacements de corps – celui de l’artiste, de son œuvre et du spectateur – interrogeant les relations qui se tissent entre ces derniers.

Mots-clés : art contemporain – marche – cartographie – sound walks

Abstract

If we follow the trails of walking-artists through Contemporary Art, we shall see that they each attempt to translate their nomadic experience through a different device. These artists choose to create a stratagem in which bodies are displaced – that of the artist, that of his work of art, and that of the spectator – thus, considering the relationship between them.

Key-words: contemporary arts – walk – mapping – sound walks

 


Sommaire

1. Cartographier la marche
2. Cheminer dans le livre
3. Du corps au regard – du regard au corps
Notes
Bibliographie

Dans la célèbre fresque de Masaccio, peinte en 1425, figurent les deux corps en marche d’Adam et Eve quittant le paradis. La figure de l’homme qui marche entamera ainsi une longue marche à travers l’histoire de l’art en figurant dans de nombreuses peintures, puis en devenant le sujet de sculpteurs tels que Rodin ou Giacometti. Si les figures de nos musées se mettent en marche comme si elles s’apprêtaient à quitter les lieux, ce sont les artistes eux-mêmes qui, dans les années soixante, ouvrent les portes de l’espace muséal pour déplacer l’œuvre et leur propre corps dans la nature. Ces artistes, que l’on qualifiera de land-artistes choisiront différents dispositifs qui vont marquer les artistes-marcheurs contemporains, et qui vont également engager le corps du spectateur de différentes manières. Parmi ces dispositifs, on trouve une abondante utilisation de la carte qui permet de localiser sur un territoire donné le tracé de la marche. Si le regard du spectateur est engagé avec la carte, il l’est pareillement lorsque ces artistes choisissent de documenter leur marche par le dispositif du livre en utilisant la photographie et l’écriture. Un tout autre rapport se crée entre l’œuvre et le lecteur qui chemine et qui parfois se perd dans les pages du livre. D’autres dispositifs engagent davantage le corps du spectateur. Nous pouvons citer ici certaines installations qui sont de véritables parcours, les fameux sound walks, des marches sonores qui sollicitent la participation du spectateur ou les marches participatives.

1. Cartographier la marche

Commençons notre pérégrination avec une marche Richard Long de cent milles sur les landes de Dartmoor en Angleterre. Cette marche sera effectuée sur une période de sept jours et sera documentée par une carte, de l’écriture et une photographie. Nous pourrions penser que la carte devient la métaphore de la marche ici, mais ce n’est pas le cas. Pour Long, comme pour son ami Hamish Fulton d’ailleurs, la marche est l’œuvre. Souvenons-nous que la marche était devenue, pour les land-artistes, une expérience esthétique en soi. Nous pouvons retenir ces quelques mots d’Hamish Fulton qui résument l’attitude pionnière de ces artistes :

Ma façon de faire de l’art est un bref voyage à pied dans le paysage […]. Les photos sont la seule chose que l’on doit prélever du paysage. Les seules choses qu’on doit laisser sont les empreintes de nos pieds.1

Ainsi Long ou Fulton semblent délivrer l’œuvre d’art de sa qualité de produit puisque la marche elle-même devient l’œuvre, une expérience en soi qui ne sollicite que l’artiste-marcheur. Or, nous pourrions discuter de cette hypothèse, puisque l’œuvre retourne de nouveau dans l’espace muséal lors de la production de livres d’artistes ou de cartes comme c’est le cas ici. Cependant, Gilles A. Tiberghien remarque que dans l’œuvre de Richard Long les cartes sont la marche elle-même. Il note que :

La carte peut […] fonctionner […] comme un système d’équivalence permettant d’ « accrocher » des images qui ont un statut de « signifiant flottant » à l’intérieur d’un système de coordonnées capable de garantir la signification de l’ensemble.2

Le titre, l’écriture et la photographie constituent la marche elle-même qui a d’ailleurs été soigneusement repérée auparavant sur la carte. Notre regard se déplace sur la carte de Long et nous permet de nous situer par rapport à cette marche. Tiberghien nous rappelle qu’il s’agit d’une question d’échelle3. Ici le titre nous permet de réaliser la longueur et l’effort de la marche : une marche d’une distance de cent milles à travers les landes du Dartmoor. Ainsi, grâce à cet ensemble de données que sont la carte et son tracé, la photographie, l’écriture et le titre, Long nous permet de nous confronter à l’expérience de sa marche ; il engage le spectateur et plus précisément son regard. C’est une expérience qui permet à notre corps de ressentir toute l’envergure de la marche de Long.

Si les tracés des marches de Long précèdent la marche elle-même, ce n’est pas le cas du tracé de Planisfero Roma, une œuvre du collectif d’artistes italiens STALKER qui traverse ici les terrains vagues de Rome. Le tracé apparaît ici de manière beaucoup plus anarchique. Il illustre les corps de ces artistes qui ne se limitent plus aux voies et aux signalisations qui guident notre déplacement en milieu urbain. Ce sont des corps libres, des corps qui s’affranchissent des flux qui nous aspirent en ville. Bien qu’Henry David Thoreau ait fait l’éloge de la marche dans la nature, nous pourrions retrouver chez STALKER cette même désobéissance qui apparaît dans la volonté de marcher de Thoreau : une volonté de quitter les lieux qui nous conditionnent et qui conditionnent pareillement notre corps tout entier. Dans son court essai De la marche, cet écrivain rebelle fait référence aux saunterers, aux vagabonds du Moyen Âge qui allaient de maison en maison et qui demandaient charité. Selon leurs dires, ils cherchaient la Sainte Terre. En réalité, les saunterers – ou pourrait-on dire les sans-terre – cherchaient l’aventure, une expérience corporelle inédite où leurs corps échapperaient à l’emprise du système. Selon Thoreau, ces hommes étaient de véritables marcheurs4. Cette philosophie se rapproche du travail de STALKER, et d’autant plus lorsqu’ils se réfèrent dans leur manifeste au célèbre film d’Andreï Tarkovski, Stalker, et à la chambre des secrets qui se trouve à l’intérieur de la zone5. Les corps des artistes du collectif STALKER déambulent dans une ville en évolution sans véritables repères, à la recherche de quelque chose d’insaisissable, tout comme les saunterers, et tout comme les protagonistes de Stalker. De retour de leur aventure ils proposent une nouvelle cartographie de la ville romaine dans laquelle apparaissent en bleu ces espaces abandonnés de tout usage. Cette carte résulte de cette marche ou performance dans laquelle le corps se déplace librement et découvre des espaces en mutation. Les artistes de STALKER ont franchi de nombreux grillages, de nombreuses barrières, et de nombreux portails pour évoluer à travers l’espace intermédiaire de la ville. La carte de STALKER livre au spectateur deux mouvements, deux devenirs : celui du groupe d’artistes qui se déplace à travers un milieu urbain, représenté par un tracé blanc, et celui d’espaces qui se renouvellent sans cesse, illustré par la couleur bleue. La carte de STALKER n’est pas sans nous rappeler celle de Deleuze et Guattari, qui, contrairement au calque est en mutation permanente. Selon ces philosophes la carte n’est pas figée :

La carte est ouverte, elle est connectable dans toutes ses dimensions, démontable, renversable, susceptible de recevoir constamment des modifications. Elle peut être déchirée, renversée, s’adapter à des montages de toute nature, être mise en chantier par un individu, un groupe, une formation sociale.6

Ce devenir, ce mouvement de la carte transparaît dans l’œuvre de Christian Nold, Greenwich Emotion Map, de 20066. Cette carte, qui est toujours éditée, est le résultat d’une commande de la ville de Greenwich pour améliorer le quotidien de la ville. Nold a pris un échantillon de quatre-vingts résidents de la ville et a enregistré leurs émotions grâce à un dispositif mis en place par l’artiste lui-même, le G.S.R. (Galvanic Skin Response). Grâce à des capteurs situés sur la peau des participants, Nold a pu relever les émotions de ces personnes lorsqu’ils ont marché à travers la ville et lorsqu’ils ont interagi avec leur environnement quotidien. La carte de Nold est un ensemble de quatre-vingts courbes d’émotion, un ensemble qui vibre, un ensemble en mouvement, en devenir. La carte de Nold traduit à la fois le déplacement du corps des participants, mais également le mouvement de leurs émotions. Le concept de Nold trouve ses origines dans les cartes situationnistes que Guy Debord a théorisé dans les années cinquante. Les corps en dérive des personnes qui se lancent dans les déplacements situationnistes se retrouvent dans une situation ludo-constructive, selon Debord, une situation qui a pour effet de lui faire prendre conscience de la nature psycho-géographique de l’expérience7. Nold est conscient du lien entre le corps de l’individu et son environnement, cependant le laisser-aller que les situationnistes mettaient en avant est ici absent puisque les corps des habitants de Greenwich évoluent dans leur environnement quotidien. Nous pouvons tout de même souligner une certaine parenté entre les cartes de Nold et leurs ancêtres situationnistes. Devant la Greenwich Emotion Map, le spectateur se trouve confronté à la ville en mouvement, il perçoit aussi les interactions des corps des habitants de Greenwich avec leur environnement, avec les lieux qu’ils traversent et avec les autres individus qu’ils rencontrent. L’enchevêtrement des courbes d’émotion illustre l’idée de Deleuze, de sa carte en mouvement.

Ce ne sont pas des courbes qui s’enchevêtrent dans le travail de Jean-Luc Moulène, Fénautrigues, mais des photographies. Pendant quinze ans, de 1991 à 2006, Moulène est retourné sur les chemins de son enfance à Fénautrigues où il a parcouru et photographié le territoire. Ainsi, il a constitué une immense archive de plus de 5000 photographies et négatifs. Les cinq cents photographies qu’il a choisies sont ici agrafées au support en bois. Il a déployé sa collection de photographies où apparaissent champs et chemins sur cette carte qui témoigne de ses multiples passages sur les chemins de Fénautrigues. De plus, l’enchevêtrement que nous avons relevé, souligne les multiples allers et retours que le photographe a effectués pendant ces quinze années. Selon Tiberghien :

La carte joue un rôle de « traduction », comme celle de La Pérouse, […] : la traduction du chaos des données empiriques en un système homogène exprimé en termes de position et de distance.8

Certes, en cartographiant ses marches, Moulène nous présente un ensemble homogène, mais il permet également à notre regard de pénétrer dans le territoire de Fénautrigues par de nombreuses entrées et de suivre les chemins photographiés.

2. Cheminer dans le livre

L’œuvre de Fénautrigues n’est pas seulement une carte. Un livre, commandé par le Ministère de la Culture avait précédé cette carte, et avait été édité en 2010. C’est un livre qui est constitué des mêmes photographies que la carte. On peut le voir sous la forme d’un labyrinthe constitué de ces trois chemins dans lequel on se perd d’une page à l’autre entre les différents formats, l’alternance entre le noir et blanc et la couleur, le changement entre le paysage et les gros plans. Ce sont des plans rapprochés d’une nature que le corps de l’artiste rencontre, son appareil tenu au niveau de sa taille. En procédant ainsi, l’artiste témoigne de la rencontre intime entre son corps et la nature qu’il traverse. C’est la photographie qui va donc révéler ce rapport intime. Quant à nous, notre regard pénètre également dans le territoire de Fénautrigues et circule sur ces chemins que Moulène a maintes et maintes fois foulés. Mais surtout, notre regard circule dans ce dispositif page après page, et parfois il retourne sur ses pas pour se perdre à nouveau.

Si Richard Long a décidé de nommer son livre d’artiste Labyrinth, ce n’est pas sans raison. Au moment où nous ouvrons ce recueil de cent photographies en noir et blanc, nous nous perdons dans les méandres des chemins ruraux de l’Angleterre. Nous pouvons souligner l’effet produit par la présence de virages interminables. Dès lors, nous perdons tout repère et notre sens de l’orientation, puisqu’il nous est impossible de nous créer des liens entre chaque photographie. Labyrinth porte bien son titre puisque ce livre nous apparaît davantage comme une collection de voies sans issue que comme un simple cheminement. Nous sommes prévenus dès l’ouverture du livre, dès la lecture du titre de son caractère labyrinthique. Il semblerait que Long essaye de nous faire réfléchir à la forme du livre et au rapprochement que nous faisons entre le livre et la marche. Le livre traditionnel comporte une temporalité particulière que nous construisons nous-mêmes lorsque nous parcourons page après page, avec parfois des retours en arrière, le cheminement de l’artiste. Or, ici Long nous retire la possibilité de reconstruire sa marche, mais également la possibilité de construire quelque cheminement que ce soit.

Si le livre traditionnel nous permet généralement de reconstruire une temporalité de la marche en découvrant le livre page après page avec parfois des retours en arrière, ce n’est pas le cas du leporello, plus couramment appelé livre en accordéon, que l’ami de Long, Hamish Fulton, explore avec Ajawaan. En août 1985, il effectue une marche dans le Saskatchewan au Canada autour du Lac Ajawaan. A son retour il crée ce leporello dans lequel nous découvrons dès son ouverture une photographie en panoramique du lac et des colonnes de mots de quatre lettres. Contrairement au livre traditionnel, nous percevons le livre dans sa totalité dès l’ouverture. Moeglin-Delcroix note que chez Fulton, le leporello est utilisé « pour donner à voir l’unité du panorama ou la continuité du chemin parcouru »9. Il nous autorise à parcourir l’intégralité de sa marche d’un regard continu. La succession des colonnes de mots et la régularité des mots à quatre lettres pourraient nous faire penser au rythme de la marche ; elle pourrait correspondre à la succession des pas de l’artiste. Rebecca Solnit a relevé l’analogie que nous faisons si souvent entre la marche et l’écriture. Elle dira qu’ « écrire, c’est ouvrir une route dans le territoire de l’imaginaire » et plus loin elle ajoute que « lire c’est voyager dans ce territoire en acceptant l’auteur pour guide »10.

Long et Fulton se servent tous les deux d’une écriture textuelle pour traduire leurs marches. Les mots cheminent à travers les pages et nous situent poétiquement dans l’œuvre. Ce sont souvent des phrases nominales qui évoquent les sons, la lumière, la température ou tout ce qui se réfère à l’environnement de l’artiste-marcheur11. L’écriture de Long, de Fulton, mais aussi d’autres artistes-marcheurs comme Chris Drury peut être textuelle mais ils utilisent également une écriture photographique. Les deux écritures se complètent dans le livre d’artiste et ces artistes-marcheurs disposent de ces deux formes plastiques afin de nous intégrer dans leur marche.

3. Du corps au regard – du regard au corps

Parfois les photographies de l’artiste-marcheur sont disposées autrement que dans la forme d’un livre. Prenons par exemple le travail de Renée Lavaillante. Lors de son Grand Tour en Italie, elle a photographié les sols des ruines romaines. Dans Promenades romaines nous pouvons également apercevoir dans ces photographies les pieds de l’artiste. Elle a fait le choix d’assembler ces images en les juxtaposant afin de laisser filer une ligne entre chaque photographie. Ainsi, notre regard suit les circonvolutions labyrinthiques de cet assemblage. Le support sur lequel sont imprimées les photographies de Renée Lavaillante devient la surface sur laquelle le regard du spectateur chemine tout comme l’artiste elle-même. De ce travail ressort un va-et-vient entre les pieds de Lavaillante qui marchent, entre son regard qui passe par le viseur de l’appareil photo, et entre le regard du spectateur. Lavaillante se tient debout pour marcher, et pourtant son regard n’embrasse plus l’horizon comme celui de Long ou de Fulton. Le regard qu’elle nous livre est un regard vertical, qu’elle nous propose ici à l’horizontal. Nous regardons devant et pourtant nous regardons le sol. En tant que spectateur, nous sommes aux prises avec un certain vertige, une instabilité qui nous renvoie immédiatement à la place de l’artiste-marcheur.

Dans une installation intitulée Graphie du déplacement Mathias Poisson nous permet aussi de réfléchir au rapport entre l’artiste-marcheur, l’œuvre et le spectateur. Installées côte à côte sur des supports en bois au centre de la pièce, ses photographies décrivent un parcours. Nous déambulons autour de ces images reliées entre elles par une ligne d’horizon. Tout à la fois, notre regard suit cette ligne d’horizon et notre corps circule autour de l’installation. Ainsi nous imitons le déplacement du corps de l’artiste à travers les villes méditerranéennes qu’il a parcourues et qu’il a photographiées. Si Mathias Poisson révèle son intérêt pour le corps du spectateur dans ce travail, il utilise aussi ce corps comme matière principale dans des marches qu’il met en œuvre où nous découvrons l’espace les yeux fermés ou bien avec des lunettes floues. Parfois nous sommes guidés par sa voix. Parfois nous sommes guidés par un partenaire qui reçoit lui-même les directives comme ce fut le cas lors de son exposition à l’Espace Écureuil à Toulouse, début 2013. Il va de soi que nos sens sont pleinement engagés lorsque l’on nous ôte la vue : notre corps devient attentif aux sons, aux odeurs, et surtout au contact avec le sol. Les Marches Blanches qu’il a organisées avec Alain Michard à Bruxelles en 2010 invitent le spectateur à participer à une expérience collective où nous devenons à la fois conscients de notre propre corps, du mouvement, du déplacement de ce dernier, mais aussi de l’environnement dans lequel notre corps évolue.

S’abandonner à la voix de l’artiste et se laisser guider par elle est aussi central dans l’œuvre de Janet Cardiff. Cette artiste canadienne reste connue du grand public pour ses Sound Walks : des marches effectuées par Cardiff elle-même et qu’elle enregistre avec un son binaural, un procédé complexe qui a pour effet de nous placer précisément à la place du marcheur. Dans Wånas Walk, Cardiff nous guide à travers une forêt grâce à des directions précises. Nous entendons à la fois ses pensées, ses pas et les sons environnants. Mais surtout, nous recevons les paroles de Cardiff à la manière d’un mythe qui se projette directement sur le paysage que notre corps traverse. Les deux marches, celle de l’artiste et celle du spectateur se superposent, créant ainsi une fusion entre les deux corps. Lorsque le spectateur se met en marche, lorsqu’il devient participant, l’œuvre se crée.

À ce propos nous pouvons citer une autre artiste, Johanna Hällsten, dont l’un des travaux s’apparente aux Sound walks de Cardiff et qui maintient que son art « ne se suffit pas à lui-même, il n’existe qu’à travers sa relation avec le participant »12. En 2012 elle a effectué un parcours sonore, Every Day Material, dans lequel nous nous déplaçons en écoutant un enregistrement binaural qui nous situe dans la ruralité et le passé de Covas do Monte, un petit village situé au cœur des montagnes Gralheira au Portugal. Hällsten tient compte de l’interdépendance entre le participant et les lieux qu’il traverse. Ainsi elle avance que :

L’installation comprend l’expérience du participant à travers son interaction avec l’espace et avec l’intervention qui a pris forme par le mouvement. L’expérience se déploie et change lorsque le participant marche à travers l’installation et le lieu.13

Lorsque le corps du spectateur, cette matière qu’a choisi Hällsten pour son œuvre, se met en marche, c’est l’ensemble de l’œuvre qui se crée. La déambulation devient ainsi l’œuvre. Par ailleurs, Thierry Davila soutient que :

Tel est, dans le domaine de l’art, le destin de la déambulation : elle est capable de produire une attitude ou une forme, de conduire à une réalisation plastique à partir du mouvement qu’elle incarne, et cela en dehors ou en complément de la pure et simple représentation de la marche (iconographie du déplacement), ou bien elle est tout simplement elle-même l’attitude, la forme.14

Plus loin, il ajoute que « marcher devient le moyen privilégié pour écouter le monde, y prêter attention, parce que se déplacer est aussi une façon de se mettre à entendre »15. C’est précisément ce que Poisson, Cardiff et Hällsten permettent dans leurs dispositifs respectifs. Poisson nous ôte un sens, la vue, ou bien, il nous la modifie. Cardiff et Hällsten, quant à elles, nous imposent des sons qu’elles ont enregistrés et qui dirigent notre marche. Le monde est remodelé par la marche de ces artistes, mais également par la nôtre lorsque notre corps s’immisce dans leur œuvre. C’est notre propre corps qui entre en jeu.

La marche serait un jeu selon Davila, un entre-deux, où l’individu se situe entre un monde géographique et un monde psychique, un entre-deux où il se découvre en tant que sujet. Et au théoricien d’ajouter que :

Ainsi va la cinéplastique qu’il (l’artiste) met en œuvre : elle participe d’un mouvement oscillatoire capable d’œuvrer entre intérieur et extérieur, elle se développe comme un mouvement dialectique, comme une dialectisation.16

L’œuvre qui résulte de ces marches demeure la marche elle-même que les cartes, livres et installations viennent traduire chacun à sa manière. Les dispositifs utilisés par les artistes-marcheurs sont eux-mêmes la marche dans lesquels notre regard se promène, effectuant ainsi le trajet de l’artiste-marcheur lui-même. Notre regard est ainsi entièrement engagé et nous pourrions ajouter que notre corps l’est également. Ceci est d’autant plus vrai dans le cas des marches participatives dans lesquels les corps se déplacent : les corps des artistes, les corps des spectateurs et le corps de l’œuvre lui-même. Nous pouvons aussi souligner que les œuvres que sont les marches participatives ont aussi une part d’aléatoire puisque l’artiste laisse au spectateur une grande part de la poïétique de l’œuvre, son corps et son ressenti étant la matière principale. Ainsi, le corps de l’œuvre vit, il respire, il marche. Ce sont des œuvres en marche, des œuvres qui cheminent, des œuvres en devenir permanent.

 


Notes

1 – H. Fulton, cité das F. Careri, Walkscapes, Walking as an Aesthetic Practice, Barcelone, Ed. Gustavo Gili, 2005, p. 145.

2 – G.A. Tiberghien, Nature, Art, Paysage, Arles, Actes Sud Paysage, 2001, p. 64.

3Ibidem, p66.

4 – H.D. Thoreau, De la marche, Paris, Mille et une nuits, 2003, p.7-8.

5 –  stalkerlab.org

6 –  emotionmap.net

7 – G. Debord, Théorie de la dérive, publié dans Les Lèvres nues n° 9, décembre 1956 et Internationale Situationniste n° 2, décembre 1958, consulté sur http://www.larevuedesressources.org/theorie-de-la-derive,038.html, le 18/04/2013.

8 – G.A. Tiberghien, Op.cit., p. 64.

9 – A. Moeglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste, 1960-1980 : une introduction à l’art contemporain, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2012, p. 256.

10 – R. Solnit, L’art de marcher, Arles, actes Sud, 2002, p. 100.

11 – Nous pourrions nous référer ici aux haïkus, ces célèbres poèmes japonais qui ont pour particularité de nous situer précisément dans un environnement. Au XVIIème siècle, lors de son ascension du Mont Fuji, le moine Bashô entreprend l’écriture de plusieurs journaux de voyage contenant des haïkus.

12 – Johanna Hällsten, « Movement and Participation: Journeys within Everyday Environments », in Contemporary Aesthetics, hors série, « Aesthetics and Mobility », 2005.

13 – J. Hällsten, ibidem.

14 – T. Davila, Marcher, créer, flâneries dans l’art de la fin du XXème siècle, Paris, Ed. du Regard, 2007, p. 15.

15 – T. Davila, Op.cit., p. 16.

16 – T. Davila, Op.cit., p. 23.


Bibliographie

CARERI Francesco. Walkscapes, Walking as an Aesthetic Practice. Barcelone : Ed. Gustavo Gili, 2005, 216p.

DAVILA Thierry. Marcher, créer, flâneries dans l’art de la fin du XXème siècle. Paris : Éditions du Regard, 2007, 200p.

DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix. Mille Plateaux, Capitalisme et schizophrénie. Paris : Minuit (collection Critique), 1980, 648p.

HÄLLSTEN Johanna. « Movement and Participation : Journeys within Everyday Environments » in Contemporary Aesthetics, hors série « Aesthetics and Mobility ».

MOEGLIN-DELCROIX Esthétique du livre d’artiste, 1960-1980 : une introduction à l’art contemporain. Paris : Bibliothèque Nationale de France, 2012, 443p.

SOLNIT Rebecca. L’art de marcher. Arles : Actes Sud – Babel, 2002, 400p.

THOREAU Henry David. De la marche. Paris : Mille et une Nuits, 2003, 79p.

TIBERGHIEN Gilles A. Nature, Art, Paysage. Arles : Actes Sud – Nature, 2001, 232p.

 

Sites internet des artistes cités

CARDIFF Janet : cardiffmiller.com

FULTON Hamish : hamish-fulton.com

HÄLLSTEN Johanna : johannahallsten.com

LAVAILLANTE Renée : reneelavaillante.net

LONG Richard : richardlong.org

NOLD Christian : christiannold.com

POISSON Mathias : poissom.free.fr

STALKER (collectif) : stalkerlab.org

 

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