Programme Collectif de Recherches – « Dynamiques sociales, spatiales et environnementales dans les Pyrénées centrales »
(Dir. Ch. Rendu -Laboratoire Framespa (UMR 5136) et D. Galop – Laboratoire Geode)
Ce PCR succède aux deux années d’études préalables entreprises en 2004 et 2005 sur les vallées de Béarn et Bigorre. Il vise à poursuivre ces recherches dans un cadre pluriannuel et avec un véritable croisement des données acquises sur les différents chantiers. L’ensemble des travaux se place dans une perspective résolument interdisciplinaire et a pour objectif, à partir de transects réalisés à des échelles spatio-temporelles adaptées à chaque source (archéologique, historique, paléoenvironnementale), d’appréhender les processus et les logiques de transformation des paysages et des systèmes d’exploitation montagnards dans la longue durée. Le PCR repose sur 3 ateliers thématiques : paléoenvironnement et dynamiques de l’anthropisation (sous la direction de D. Galop) ; archéologie pastorale et systèmes d’estivage (C. Rendu, C. Calastrenc et M. Le Couédic) ; archéologie minière et métallurgique (A. Beyrie et E. Kammenthaler). Le quatrième atelier est un atelier de confrontation des données, dont la première session est programmée à Pau en juin 2007.
Les questions communes à l’ensemble de ces ateliers concernent en premier lieu les rythmes d’exploitation des ressources agro-sylvo-pastorales et minières, qu’il faut établir et dont il faut mesurer la généralité ou la singularité par des comparaisons entre vallées. Une fois ces rythmes identifiés, la démarche consiste à détecter les seuils, chronologiques et spatiaux, susceptibles d’indiquer un basculement d’un système à un autre : où et quand ces basculements se produisent-ils, quelles nouvelles formes de complémentarités mettent-ils en place ? En d’autres termes, de quelles trajectoires, singulières ou globales, résulte l’étagement que les géographes du début du XXe siècle ont appréhendé dans les termes d’une conquête progressive des versants ? Passer de ces rythmes et de ces seuils à une vision spatiale et sociale est l’enjeu final du programme. C’est ici que le croisement des sources s’impose plus particulièrement. Mais il faut procéder par étapes, ou en tout cas de façon sectorielle, c’est-à-dire construire d’abord des séquences autonomes par discipline. Les relations à interroger sont alors celles qui unissent formes de l’impact anthropique sur les paysages, systèmes agro-sylvo-pastoraux d’exploitation, réseaux de peuplement, organisations territoriales et hiérarchies sociales (autour de la question clé des formes d’accès aux ressources collectives).
Les recherches paléoenvironnementales, d’archéologie pastorale et d’archéologie minière s’effectuent selon des logiques de terrain différentes, qui entraînent des calendriers décalés. Pour prendre les deux extrêmes, les temps de terrain et de laboratoire sont à peu près inverses en paléoenvironnement et en archéologie pastorale. Si la prospection des tourbières est assez rapide et permet à court terme l’enregistrement des principales archives sédimentaires au long de plusieurs transects valléens, en archéologie, la prospection systématique, la nécessité d’une approche systémique pour une compréhension des relations entre sites, enfin les impératifs d’un raisonnement chronotypologique et fonctionnel, imposent des interventions plus longues sur des espaces plus réduits. L’un des objectifs de l’atelier 4 est de parvenir à combiner ces différentes échelles.
D’un point de vue paléoenvironnemental, deux transects auront été réalisés au terme du programme, qui documenteront sur toute leur étendue les vallées d’Ossau et du Gave de Pau. Ils s’appuient en vallée d’Ossau sur les tourbières de Gabarn (300 m d’altitude), Benou (881 m), Piet (1150 m), Portalet et Anéou (2000 m) ; et pour le Gave de Pau sur les tourbières de Lourdes et Col d’Ech en piémont, du col de Bordères (1170 m) en Val d’Azun , de Saugué (1600 m), La Holle (1545 m, dans une zone de granges) et Troumouse (2120 m).
En archéologie pastorale, l’essentiel des recherches s’est centré sur l’estive d’Anéou en haut Ossau, avec pour objectif fin 2007 l’achèvement des prospections – relevés systématiques et la réalisation d’une série de sondages suffisante (une vingtaine) pour permettre un premier tri chronologique des sites à partir de leur image de surface. C’est sur la base de ces diagnostics que l’on passera aux fouilles en extension.
En archéologie minière, les deux premières années ayant permis la prospection et l’inventaire de 28 sites sur la vallée d’Ossau, les recherches de cette première année de PCR se sont consacrées à la vallée d’Aspe.
Résultats
Les premiers résultats paléoenvironnementaux concernent les tourbières de Gabarn et de Piet en vallée d’Ossau, et de Saugué et Troumouse en vallée du Gave.
L’enregistrement de Piet remonte aux premiers stades de la déglaciation de la vallée et documente d’une manière fine les étapes successives de la reconstitution végétale depuis le Dryas ancien (14000 BP). Du fait de la compacité du sédiment, il est par contre encore difficile d’y déceler avec précision les dynamiques d’anthropisation. Toutefois, les premières manifestations d’activités agro-pastorales y sont notées discrètement vers 2500 av. J.-C. Elles s’intensifient considérablement durant la période médiévale (vers le X° s.) où combinées à des incendies importants, elles occasionnent une déforestation importante de la hêtraie sapinière tandis que l’exploitation de la forêt aux abords de la tourbière semble localement atteindre son apogée durant les XVI-XVII° siècles.
C’est sans aucun doute la séquence de Gabarn qui, en raison de sa dilatation, livre les informations les plus pertinentes sur les principales étapes de l’anthropisation de la vallée d’Ossau. Si les premières manifestations locales d’activité humaine, enregistrées vers 5800 av. J.-C., méritent des vérifications en raison de leur précocité, la tourbière révèle, selon des rythmes impossibles à détailler ici, une anthropisation de plus en plus nette à partir de 4300 av. J.-C. avec des signaux récurrents d’essartages ou de cultures sur abattis-brûlis. Ces pratiques connaissent une intensification durant le Bronze ancien et le Bronze moyen. Le développement des forêts secondaires post-culturales indique alors un système forestier à jachères longues, qui perdure jusque vers 1100 av. J.-C. Il s’efface durant l’Âge du Fer, mais sans disparition complète des essartages, au profit d’un système à jachères herbeuses voire à prairies permanentes. Après un épisode antique relativement atone, les IV°-V° siècle de notre ère marquent un redémarrage qui se poursuit durant le haut Moyen-Âge et jusqu’aux IX-X° siècles. Dès lors, l’augmentation constante des marqueurs polliniques de l’anthropisation indique une pression agro-pastorale continue et croissante jusqu’au XVI° siècle. A partir du XVII° siècle, les taxons forestier et en particulier le hêtre sont éliminés des environs du plateau. La disparition du signal incendie au même moment indique un arrêt des défrichement dans une espace désormais totalement anthropisé.
Les enregistrements sédimentaires étudiés en vallée du Gave — Saugué et Troumouse — constitueront, avec les séquences à venir de Bordères, du Col d’Ech, de la Holle et du lac de Lourdes, le transect paléoécologique le plus pertinent acquis sur la chaîne pyrénéenne.
Saugué et Troumouse ne couvrent pas en continu les mêmes périodes. Le début de Troumouse est daté de 2130 av. J.-C. et seul Saugué documente le Néolithique. Un hiatus de près d’un millénaire interrompt en revanche cette dernière séquence, entre le 5e s. av. J.-C. et le début du 6e s. de notre ère. Les données livrées par ces deux tourbières permettent néanmoins, sur de longues plages temporelles communes, une lecture étagée des processus d’anthropisation. Elles mettent en évidence l’existence d’une construction progressive des paysages agro-pastoraux démarrant dès l’Âge du bronze par un déboisement et une utilisation avant tout pastorale des zones intermédiaires et par la création des estives d’altitudes. Ce processus s’amplifiera graduellement par paliers successifs jusqu’au IXe siècle, mais cette dynamique est entrecoupée de périodes de replis durant l’Âge du fer et les VII-VIIIe siècles, périodes pour lesquelles les données paléoenvironnementales reflètent des épisodes de ralentissement des activités, d’enfrichement, voire de reforestation, dont les causes pour le plus ancien de ces évènements semblent reposer sur l’installation de conditions climatiques défavorables.
Les résultats des ateliers archéologiques sont présentés dans ce Bilan Scientifique aux communes d’Accous pour l’archéologie minière et de Laruns pour l’archéologie pastorale. Nous y renvoyons le lecteur.
Concernant l’exploitation pastorale de l’estive d’Anéou, les données se concentrent pour l’instant sur les deux périodes du Bronze final et de l’Antiquité tardive. Pour le Bronze final, les trois structures datées, qui participent d’un ensemble visiblement important, s’inscrivent dans un schéma très général d’intensification du pastoralisme à haute altitude, que l’on observe désormais à l’échelle de toutes les Pyrénées ainsi que dans le massif alpin. Le caractère très structuré des occupations de l’Antiquité tardive, qui correspondent toutes deux à des sites de plan complexe, est plus inattendu mais s’accorde au redémarrage précoce des activités agro-pastorales dont témoignent les données polliniques, pour l’instant un peu lointaines toutefois, de la séquence de Gabarn. Au regard de la documentation écrite de la vallée d’Ossau, comme des enregistrements sédimentaires de Piet et de Gabarn, la difficulté à saisir les implantations du plein Moyen Âge est en revanche étonnante, aucun sondage n’ayant pour l’instant documenté cette période. Ce sera l’un des objectifs prioritaires de la dernière campagne de sondages, en 2007, que de tenter de l’appréhender.
Les prospections minières et métallurgiques sur la vallée d’Aspe ont mis en évidence, à partir de la recension de 26 sites et de la documentation précise de 12 d’entre eux, une exploitation variée (cuivre, argent, plomb, manganèse, fer…), mais sans mines de grande envergure, et qui repose plutôt sur une kyrielle de recherches et de travaux faiblement développés sur des gisements métallifères peu étendus. Comme pour l’Ossau, les seules phases d’exploitation datables par la prospection et le relevé se concentrent sur les périodes moderne et contemporaine. La nécessité de combiner cette approche qualitative fine des derniers siècles avec une perspective de plus longue durée conduit à s’orienter, en 2007, vers des sondages à visée chronologique sur les sites présentant des indices d’exploitations potentiellement plus anciennes. C’est le cas de Baburet en vallée d’Ossau, où des traces d’ouverture au feu sont associées des ferriers situés à l’écart des cours d’eau, et de Cauziat en vallée d’Aspe, où l’exploitation du 18e s. semble avoir recoupé des travaux antérieurs, ouverts au feu et démarrés à l’affleurement. Ces données pourront être corrélées avec les résultats des mesures géochimiques effectuées sur la tourbière de Gabarn, dans le but d’évaluer, grâce aux concentrations et aux variations des signaux isotopiques de plomb, les paléopollutions atmosphériques liées aux activités minières et/ou métallurgiques.
La deuxième année du PCR permettra d’engager les premières comparaisons entre ces nouvelles données acquises sur la montagne et les données archéologiques et historiques disponibles à l’échelle régionale. Elle devrait aboutir à la mise en place d’ateliers transversaux, centrés sur des corpus documentaires restreints, visant à affiner la question des modèles sociaux et territoriaux envisageables pour chaque période.
Christine Rendu, Didier Galop, Argitxu Beyrie, Carine Calastrenc, Carole Cugny, Eric Kammenthaler, Mélanie Le Couédic.