Appel à contribution
Numéro 8 : “Entre-deux : Rupture, passage, altérité”
(automne 2017)
Arts du spectacle, arts plastiques, musicologie, littérature, linguistique, traductologie… les questions qui animent ces champs d’études sont multiples et, pour certains, communes. Ils sont traversés par les notions de l’entre-deux et de la rupture, du passage et de l’altérité. La nature des productions appartenant à ces disciplines incite à une perpétuelle remise en question et à une multiplication des angles d’approche originaux. L’entre-deux reste ainsi un concept particulièrement pertinent, quelle que soit l’époque de l’objet de recherche, à la lumière de l’actualité.
Les XXe et XXIe siècles se caractérisent par le transit des données dématérialisées, des marchandises et des hommes. Si Nicholas Mirzoeff, théoricien des visual studies, rappelle que la question des flux au voyage triangulaire est bien plus ancienne, il convient de souligner le fait qu’ils sont aujourd’hui plus intenses, plus rapides, et surtout au cœur des enjeux politiques, économiques et sociaux. De ce moment charnière se dégage une remise en cause accélérée des modèles établis (sociaux, familiaux, identitaires, religieux, etc.). En ce sens, questionner l’entre-deux en tant que passage, rupture, et relation à l’altérité semble plus que jamais d’actualité.
Un langage spécifique s’élabore-t-il à travers ces mouvements ? Voit-on apparaître un nouveau régime de visibilité, de nouvelles modalités du sensible ? Les auteurs et les artistes rendent-ils compte, esthétiquement, éthiquement mais aussi politiquement, dans les formes qui leur sont propres ou étrangères, des déplacements, des changements d’allure, des déracinements qui déterminent notre monde… et inversement ?
Dès lors, l’entre-deux constituerait-il un concept nous permettant d’appréhender la dynamique de la création contemporaine ? L’entre-deux, qui n’est ni l’un, ni l’autre mais aussi l’un et l’autre à la fois, est un moment en suspens, une attente, un basculement, un espace-temps souvent fugitif qui sépare tout autant qu’il réunit. C’est un moment de passage, de transition, situé à la frontière, au seuil, à l’intersection. Il touche à l’inachevé et à l’indéfini, mais aussi à la mue, la mutation et la métamorphose.
L’autre trouve son origine dans le latin alter. Les substantifs altérité et altération en découlent et si le premier terme désigne une essence, un état établi - celui d’être l’autre -, l’altération sous-tend une dimension temporelle, le passage d’un état à un autre et le mouvement qu’il induit. Pour Le trésor de la langue française informatisé, une rupture est la « fracture d’une chose solide […] sous l’effet de l’effort ou de contraintes trop intenses ». La rupture met donc fin à l’état établi mais aussi au mouvement d’un changement, fractionnant et forçant la transition. L’entre-deux est la relation, la tension qui naît d’un rapport entre deux éléments. L’entre-deux est l’altération. C’est aussi l’ouverture, l’espace qui permet le mouvement, le pas vers l’autre, le compromis : l’entre-deux met tout le monde d’accord. L’entre-deux est tiède, encore un peu mou, juste assez pour garder la forme du précédent en disant au prochain qu’il peut y imprimer la sienne. L’entre deux est matière, médium de passage et de transition, il invite à prendre forme : l’entre deux est plastique.
AXES DE RÉFLEXION
Nous invitons les chercheurs et jeunes chercheurs de toute discipline à interroger la notion d’entre-deux, sans restriction de corpus, d’époque ni de méthode. Nous proposons quelques axes de réflexion non exhaustifs.
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Personnages liminaires et médiateurs de l’entre-deux
Dans la littérature, le personnage liminaire, pour construire son identité, passe par « l’exploration des limites, des frontières » mais « ne parvient pas à revenir de cette altérité » (Marie Scarpa, 2009). Situé dans un entre-deux permanent, il franchit constamment les limites entre les vivants et les morts, le masculin et le féminin, le visible et l’invisible, le civilisé et le sauvage, etc. Certains personnages ou lieux peuvent incarner l’entre-deux et même favoriser le passage. Ces médiateurs, ces intermédiaires, sont dans/sur la frontière : les seuils, les portes, les fenêtres, les ponts, les gares, la barque du batelier, le Purgatoire ; mais sont aussi les prêtres, les chamans, les sages-femmes, les « faiseuses d’ange », les passeurs, etc. Tous ces personnages mettent en évidence la porosité des frontières. Il serait intéressant d’étudier les modalités des passages, leurs réussites ou leurs échecs, ainsi que leurs effets sur l’identité des personnages, la mise en intrigue du récit et leur aptitude à repenser certains dualismes traditionnels.
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Seuils, rythmes, ruptures
Dans les arts vivants (musique, théâtre, cirque, danse, performance, etc.), l’entre-deux peut apparaître dans la temporalité de l’œuvre. L’improvisation au sein d’une pièce écrite, la distanciation comme rupture de l’illusion fictionnelle, le passage d’un langage artistique à un autre dans une même œuvre, sont par exemple des mouvements qui peuvent situer le récepteur dans un entre-deux, l’engageant dans l’inattendu. Il pourra ainsi être également question des franchissements de seuils, de variation de langages, des jeux d’hybridation comme autant de territoires de l’entre-deux.
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Rupture, altérité, fusion : les enjeux du médium
Matière du devenir, tant pour les problématiques existentielles que soulève leur regard sur le monde que pour la plasticité formelle qu’ils convoquent, les arts plastiques ont vu se succéder différents mouvements artistiques entrant en rupture avec les modèles précédents et proposant de nouvelles formes, de nouveaux modes de représentation. Ces dernières années ont plus particulièrement interrogé les limites des territoires disciplinaires et la notion de médium, intrinsèquement ambigu puisqu’il s’agit d’une surface offerte à nos projections. Le médium est moyen, moyen de donner corps aux idées mais aussi par la place qu’il occupe : entre-deux, entre récepteur et émetteur, offert aux regards. Il serait ainsi intéressant de repenser la question de l’altérité à travers celle du médium et des rapports au monde qu’il induit.
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Intermédialité et remédiation, “entre-deux” médiatiques
Le contexte de création artistique contemporain se caractérise par une certaine porosité et une forte interaction entre les médias. En effet, les médias constituent « des processus où il y a des interactions permanentes entre des concepts médiatiques qui ne peuvent être confondus avec une simple addition ou juxtaposition » (Müller : 2006, 100). Ces perpétuelles influences installent les médias dans un “entre-deux” complexe et changeant. En ce sens, nous vous proposons de vous intéresser à la dynamique de l’entre-deux médiatique dans les productions contemporaines, les œuvres hybrides. Nous invitons à repenser le statut problématique des “nouveaux médias” et des emprunts de dispositifs médiatiques entre les différents médias, en utilisant notamment les outils critiques de l’intermédialité (Besson : 2014, Müller : 2006, Mariniello : 2003, Méchoulan : 2003, Gaudreault et Marion 2013 et 2016) et de la remédiation (Bolter et Grusin : 1999).
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Langues et langages de l’entre-deux
La traduction est un entre-deux linguistique où le traducteur est un intermédiaire qui favorise le passage d’une langue à l’autre. Mais il peut être tout particulièrement intéressant d’étudier l’entre-deux linguistique lorsqu’il est soumis à des enjeux politiques et identitaires. On pense bien entendu à la créolisation qui, avec violence, confronte la langue des colons à celle des colonisés et crée des métissages imprévisibles (Glissant, 1997). La transformation de la langue peut également permettre une évolution sociétale. Ainsi en est-il de la remise en cause de “l’accord au genre le plus noble”, ou de l’adage célèbre “le masculin l’emporte sur le féminin”, qui fait émerger de nouvelles orthographes et morphologies pour mettre au jour la présence du féminin. Il pourra donc être intéressant de questionner ces langues de l’entre-deux qui donnent à voir l’altérité : du créole aux expérimentations de graphies non-sexistes et incluantes (ille au lieu de il et elle, celleux au lieu de ceux et celles, etc.).
MOTS-CLÉS
Entre-deux, altérité, identité, transition, passage, déplacement, transit, cheminement, carrefour, intersection, croisement, seuil, interstice, fugitif, éphémère, suspens, attente, accélération, métamorphose, mue, mutation, transformation, porosité, perméabilité, marge, frontière, limite, inachevé, indéfini, incertitude, plasticité, hybridité, transgression, rupture, basculement, déracinement, altération, émergence, médium, medium, médias, média, médiateurs, intermédialité, passeurs, intermédiaires, compromis, négociation
MODALITÉS DE SOUMISSION
Les propositions de contributions en français (titre et résumé de 300 mots, accompagnés d’une brève notice biographique indiquant les sujets et laboratoire de recherche, et si possible une courte bibliographie) sont à envoyer à l’adresse électronique de la revue Litter@ Incognita : litterai@univ-tlse2.fr
Les propositions de contribution et les articles sont soumis de manière anonyme à l’évaluation d’un comité scientifique composé d’enseignants-chercheurs de l’Université Toulouse – Jean Jaurès.
- Date limite de soumission des propositions : 1er mars 2017
- Annonce des résultats de la sélection des propositions : fin mars 2017
- Soumission des articles complets sélectionnés : juin 2017
- Publication des articles évalués : automne 2017