Arts du spectacle, arts plastiques, musicologie, littérature, linguistique, traductologie… les questions qui animent ces champs d’études sont multiples et, pour certains, communes. Ils sont traversés par les notions de l’entre-deux et de la rupture, du passage et de l’altérité. La nature des productions appartenant à ces disciplines incite à une perpétuelle remise en question et à une multiplication des angles d’approche originaux, qui incite précisément à l’éclatement des frontières disciplinaires et à l’adoption d’une approche intermédiale, capable de cerner la nuance de l’espace de l’entre, de l’inter. Dès lors, l’entre-deux constituerait-il un concept nous permettant d’appréhender la dynamique de la création contemporaine ?

L’entre-deux, qui n’est ni l’un, ni l’autre mais aussi l’un et l’autre à la fois, est un moment en suspens, une attente, un basculement, un espace-temps souvent fugitif qui sépare tout autant qu’il réunit. C’est un moment de passage, de transition, situé à la frontière, au seuil, à l’intersection. Il touche à l’inachevé et à l’indéfini, mais aussi à la mue, la mutation et la métamorphose.  L’entre-deux est aussi la relation, la tension qui naît d’un rapport entre deux éléments. L’entredeux est l’altération. C’est aussi l’ouverture, l’espace qui permet le mouvement, le pas vers l’autre, le compromis : l’entre-deux met tout le monde d’accord. L’entre-deux est tiède, encore un peu mou, juste assez pour garder la forme du précédent en disant au prochain qu’il peut y imprimer la sienne. L’entre deux est matière, médium de passage et de transition, il invite à prendre forme : l’entre deux est plastique.

La revue Littera Incognita, initiée et dirigée par des doctorant-e-s du laboratoire LLA-CRÉATIS de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, publie à l’automne 2017 un numéro spécial dédié au concept de l’entre-deux. Ce numéro invitait les auteurs et artistes à explorer l’entre-deux à la lumière de leurs champs de recherche et de création, dans une optique interdisciplinaire et intermédiale.

Il réunit des contributions portant sur la littérature, les arts plastiques et numériques, le cinéma, les séries télévisées, le théâtre ou encore la photographie. Les corpus d’étude, variés et internationaux, s’étendent  du XVème siècle à l’ultra-contemporain, permettant ainsi de prendre la pleine mesure de l’ambivalence et de l’évolution de l’entre-deux comme dynamique de création, mais démontrant également sa pertinence en tant qu’outil d’analyse.

Le dossier thématique qui ouvre ce numéro présente le personnage liminaire, une figure dont la nature même repose précisément sur le concept d’entre-deux. Être marginal permanent, toujours à la frontière, il incarne parfaitement la thématique de ce numéro. Issu de l’ethnocritique, une approche critique récente, la lecture du personnage liminaire se fait à la croisée, entre autres, de la micro-histoire, de la sociologie des pratiques culturelles et de l’ethnologie (plus de détails sur le site ethnocritique.com). Pour ce dossier, nous avons invité Sophie Ménard afin d’éclaircir la notion de personnage liminaire et de mettre en évidence ses apports pour la critique littéraire en faisant l’analyse d’un roman contemporain, La Classe de neige d’Emmanuel Carrère.

Le dossier artistique de ce numéro est en deux temps. Dans la première partie, Emmanuelle Halgand propose, à la lumière de la thématique de l’entre-deux, une analyse d’un album jeunesse dont elle est l’autrice, Baya l’étrangère. La seconde partie du dossier est une vidéo de l’interview de l’artiste plasticienne Lou-Andréa Lassalle. Elle nous parle de son travail où elle fait  cohabiter mythologie et réalité en une sorte de cosmogonie nourrie d’un perpétuel va et vient entre monde sacré et profane. Les médiums investis sont pluriels, la sculpture et la performance côtoient la perfection surnaturelle d’images de synthèse et ses univers fantasques se font monde de l’entre-deux, nourrissant par l’image le cœur de ce dossier .

Nous vous invitons donc à vous plonger dans les méandres de l’entre-deux, et vous souhaitons une bonne lecture.

 

Marion Caudebec, Sarah Conil, Marion Le Torrivellec, Julie Martin , Agatha Mohring, Virginie Peyramayou.