La revue Littera Incognita, initiée et dirigée par des doctorant-e-s du laboratoire LLA-CRÉATIS de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, publie à l’été 2019 un numéro spécial dédié à la représentation du désir féminin entre texte et image.

Trop souvent définie comme étant du côté des instincts et de la nature, la sexualité humaine est entourée de contraintes et d’interdits socialement construits. Trop souvent également, le désir sexuel exprimé et représenté est celui des hommes, principaux producteurs et premiers destinataires de ces écrits et de ces images. Le désir féminin a longtemps été construit en miroir par les hommes pour répondre à leurs propres fantasmes : le masochisme féminin faisant pendant au sadisme masculin ; l’exhibitionnisme féminin répondant au voyeurisme masculin ; le désir de violer, auquel correspondrait celui d’être violée, etc. La femme est ainsi traditionnellement un objet du désir et l’instrument de la jouissance masculine plutôt qu’un sujet qui parle, voit, agit et désire de façon autonome. En ce sens, le désir féminin semble d’une certaine manière invisibilisé, au mieux suggéré. Il resterait dans l’ombre non seulement de son pendant masculin, mais également des conventions sociales, littéraires, ou artistiques.

En 1975, Hélène Cixous écrit dans Le Rire de la Méduse : « [i]l faut que la femme s’écrive » (Cixous : p. 37). Pour elle, cet acte « marquera [entre autres] la Prise de la Parole par la femme, donc son entrée fracassante dans l’Histoire qui s’est toujours constituée sur son refoulement » (Cixous : p. 46). Mais qu’en est-il depuis cet appel lancé aux femmes à se « fraye[r] [leur] voie dans le symbolique » (Cixous : p. 59) ?

Le développement de nouvelles pratiques artistiques ainsi que l’essor des adaptations cinématographiques et télévisuelles de romans ces dernières décennies ont fait naître de nouvelles problématiques mais ont aussi permis l’émergence de nouveaux discours. Ainsi, l’écriture peut s’enrichir en s’articulant avec les images. Cette relation texte-image ne se limite pas au champ de la transmédialité ; elle est également au cœur de dynamiques intermédiales, si nous entendons l’intermédialité comme « l’ensemble des conditions qui rendent possibles les croisements et la concurrence des médias, l’ensemble possible des figures que les médias produisent en se croisant » (Marinielllo : p. 48). Certaines productions culturelles intermédiales et transmédiales peuvent alors déjouer, significativement ou partiellement, les représentations textuelles, visuelles ou psychiques conventionnelles pour mieux interroger les modalités complexes de représentation du désir sexuel féminin. Les modalités d’articulation entre les images et les textes ne relèvent pas uniquement d’un procédé réducteur de traduction “à la lettre” de l’image en texte, ou du texte en image. Les relations qui s’établissent entre ces deux éléments sont plus complexes, elles jouent fréquemment avec un écart volontaire entre ce que l’un et l’autre suggèrent. Ce décalage permet de fissurer la représentation, de créer des brèches à travers lesquels s’engouffre l’imagination du·de la lecteur·trice. Ce·tte dernier·ère se projette intimement dans ces failles qui ménagent un espace marginal, alternatif et ambigu, propice au développement du désir féminin.

Ce numéro a donc invité les auteurs et artistes à étudier ce que l’articulation entre le texte (écrit ou oral) et l’image (visuelle ou mentale) permet dans la représentation et l’expression des désirs sexuels des femmes à la lumière de leurs champs de recherche et de création, dans une optique interdisciplinaire et intermédiale. Ainsi, les différents articles de ce n°10 s’intéressent aux imbrications entre les textes et les images qui se répondent imparfaitement, se contredisent, s’opposent, créent des blancs et des silences, ménageant ainsi une multitude d’interstices désirants.

C’est précisément à partir des « interstices », des creux, des implicites et des métaphores que le désir féminin est exprimé dans le roman du second XIXe siècle – ou les « paravents transparents » que nous fait découvrir Lucie Nizard. Par ailleurs, il sera question de l’expression et la réappropriation plus entière et explicite du désir – ou du regard désirant émancipateur – féminin(s) dans les articles de Chloé Fleury Turcas et de Biliana Vassileva, « L’onomatopée du désir, confrontations et réconciliations graphiques et textuelles du désir entre les univers féminins et masculins  dessinés par Claire Braud » et « Cartographies de désir féminin : ‘On being an Angel’… » qui aborde le désir comme mouvement et met en lien photographie et danse contemporaine. Proposé par Sandrine de Pas, le dossier artistique qui enrichit ce numéro fait dialoguer photographies de corps d’hommes dénudés et témoignages de femmes désirantes – l’idée étant que ces textes viennent guider la réception des photographies, et inciter à la reconsidération et réappropriation du regard féminin désirant. A contrario, il sera également question de l’expression empêchée du désir ou de la récupération de cette expression par le regard masculin – et ce, dans les articles de Gabriella Serban, Marie désirante, à propos de la pièce de Fabio Rubiano ; Maud Cazaux, « Représentation du désir féminin : une écriture de la rupture dans Gentle. Down the Stream de Su Friedrich » ; de Caroline Hogue, « Le désir-asymptote dans Sur le champ d’Annie Le Brun et Toyen » ; et de Sophie Chadelle, « Séries, sexualité féminine et traduction : une impossible reconquête du pouvoir ? » qui passe au crible de l’analyse critique la traduction pour le doublage et le sous-titre VF de séries télévisées bien connues.

Nous vous souhaitons une bonne lecture.

– Marion Caudebec, Sarah Conil, Chloé Dubost, Marion Le Torrivellec, Julie Martin, Agatha Mohring –