Ce numéro rassemble les actes de la journée d’études des doctorant.e.s du laboratoire LLA-CRÉATIS du 29 Octobre 2021, intitulée “Les personnages féminins dans les réécritures féministes : esthétique et politique des classiques à la scène”. Les chercheuses rassemblées pour cette journée se sont intéressées aux différents procédés (esthétiques, dramaturgiques et scéniques) permettant de ré(é)crire les pièces et spectacles « classiques » (européens et extra-européens) à partir de perspectives féministes. Définis comme des « données reconnues instituées en valeurs[1] » , lesquelles font consensus dans un contexte de réception spécifique, les classiques sont en effet des récits dominants qui peuvent légitimer un système patriarcal, lui-même fondé, entre autres, sur la normalisation du genre « féminin[2] ». La ré(é)criture[3] supposerait donc l’intention de produire de nouveaux discours – fondés ou non sur une matrice textuelle, dans sa capacité à décentrer, déconstruire, « dérégler[4] » et réinventer ces représentations.

Les ré(é)critures peuvent ainsi utiliser les mêmes « structures thématiques » que les classiques, et des récits culturels dominants que ces derniers peuvent reconduire, en y apportant toutefois « de nouveaux matériaux, de nouveaux contenus, de nouveaux personnages […], de nouvelles questions et de nouveaux thèmes tirés du monde contemporain et de ses aménagements sociaux[5] ». Une attention particulière est accordée à la manière dont les critères esthétiques et dramaturgiques (rôles, discours, action, occupation de l’espace scénique) sont corrélés aux normes politiques et sociales, que les classiques peuvent entériner ou reconduire. Dans cette perspective, la subversion de ces critères esthétiques peut aider à la formulation d’un contre-discours – afin de critiquer et de déconstruire les attributs, injonctions, et déterminations assignées aux personnages considérés comme « féminins ».

Dans la continuité des études esthétiques et des études de genre menées par le laboratoire LLA-CRÉATIS, ce numéro explore les stratégies esthétiques et dramaturgiques qui peuvent être convoquées pour remettre en cause la « légitimité » et « l’évidence » de ces normes sociales, pour s’affranchir des définitions qui cloisonnent les genres, et pour inventer ainsi de nouveaux « devenirs individuels et collectifs[6] ».

Différentes perspectives féministes sont mobilisées ici, le genre étant construit à l’intersection de différents rapports de domination (telle que « la race » et « la classe »), et parce que les outils de lutte et d’émancipation divergent selon les différentes situations et expériences. D’autre part, cette hétérogénéité des points de vue s’offre comme une richesse permettant d’éviter de circonscrire notre réflexion à un féminisme « blanc », aux portées universalisantes. Nous vous invitons donc à découvrir de quelle manière les autrices de ce numéro ont constitué cette hétérogénéité et nous vous souhaitons une bonne lecture.

Laurence Schnitzler, Lîlâ Bisiaux, Chloé Dubost, Andréa Leri, et Pauline Boschiero pour le Comité d’organisation de la Journée d’études “Les personnages féminins dans les réécritures féministes : esthétique et politique des classiques à la scène”.

Camille Migeon-Lambert, Sarah Conil, Lucie Dumas, Andréa Leri, et Pauline Boschiero pour le Comité de rédaction de Litter@ Incognita.

Notes

[1]Alain Viala, « Qu’est-ce qu’un classique ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1992, n° 1, p. 6-15. En ligne : https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1992-01-0006-001 ISSN 1292-8399.

[2] Le terme « féminin » est compris ici comme une construction sociale, et non dans un sens ontologique.

[3] Nous faisons le choix d’utiliser un concept défini issu du domaine de la stylistique, en l’appliquant aux domaines des Arts du spectacle. En effet, Anne-Claire Gignoux fait la distinction entre la réécriture, définie comme « la somme de préparations, de corrections et de ratures, de variantes successives d’un même texte que l’auteur écrit – et que, la plupart du temps, il ne montre pas au lecteur » – de la récriture qui, selon Georges Molinié, s’établit sur une « corrélation suivie entre deux éléments » : le premier est un « discours littéraire stable » ; le deuxième est « l’écriture d’un nouveau texte, ou la mise en exercice d’un nouveau style », qui fait intervenir des variantes. De plus, la récriture n’est pas une « simple allusion ou réminiscence » d’un autre texte, mais nécessite au contraire « tout un ensemble de marques matérielles, tangibles et probantes » qui « doivent former un ensemble s’étendant tout au long d’un texte ». À ce sujet, voir Anne-Claire Gignoux dans « De l’intertextualité à la récriture », Cahiers de Narratologie [En ligne], 13 | 2006, mis en ligne le 25 septembre 2016, http://journals.openedition.org/narratologie/329

[4]Geneviève Fraisse, La Suite de l’Histoire – Actrices, créatrices, Paris, La Couleur des idées, 2019.

[5]Teresa De Lauretis, Théorie queer et Cultures populaires. De Foucault à Cronenberg, Paris, La dispute, 2007, p. 132. « J’entends […] par fantasmes publics les récits culturels dominants et les scénarios de l’imagination populaire qui s’expriment dans les mythes, ⟦…⟧ et d’autres formes de récits visuels, écrits et oraux qui racontent l’histoire d’un peuple, d’une nation ou de tout un chacun et qui en reconstruisent les origines, les luttes et les accomplissements. »

[6] Muriel Plana, « Introduction », dans Esthétique(s) queer dans la littérature et les arts. Sexualités et politiques du trouble, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2015.