Revue des doctorants du laboratoire LLA-Créatis (UT2J)

Étiquette : Lucie

L’indétermination du temps dans le Nouveau Roman : du temps chronologique à l’instantanéité de l’écriture dans Portrait d’un inconnu (1948) de Nathalie Sarraute

Célestine Dibor Sarr

SARR Célestine Dibor est docteur en littérature française, plus précisément sur l’esthétique de Nathalie Sarraute. Elle est l’auteur de plusieurs publications scientifiques dont les plus récentes sont : «  Le récit d’enfance : un dialogisme entre réalité et fiction dans Enfance (1983) de Nathalie Sarraute », Revue de la Faculté des Sciences et Technologie de l’éducation et de la formation, Liens, Nouvelle série, n°29- volume 2, juillet 2020, pp. 302-316 et « La prégnance de l’objet dans Le Planétarium (1959) de Nathalie Sarraute, entre réflexion et projection existentielle », Poétiques de l’objet, Travaux de littérature XXXIII, publiés par l’ADIREL, Genève, 2020, pp. 253-265.

Pour citer cet article : SARR Célestine Dibor, « L’indétermination du temps dans le Nouveau Roman : du temps chronologique à l’instantanéité de l’écriture dans Portrait d’un inconnu (1948) de Nathalie Sarraute », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse-Jean Jaurès, n°13, « Temps à l’oeuvre, temps des oeuvres », saison automne 2023, mis en ligne le 13 octobre 2023, disponible sur https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2023/05/31/lindetermination-du-temps-dans-le-nouveau-roman-du-temps-chronologique-a-linstantaneite-de-lecriture-dans-portrait-dun-inconnu-1948-de-nathalie-sarraute//

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Résumé

Après les deux guerres, l’homme moderne s’est vu assailli par un doute existentiel. Le passé a été désastreux, le présent est angoissant et l’avenir incertain. Dans ces conditions, comment s’orienter ou s’identifier par rapport à une quelconque temporalité ? Dans le Nouveau Roman, nul ne s’intéresse alors à une quelconque évolution du personnage et de la narration, seuls importent l’Ici et le Maintenant. Ces derniers, chez Nathalie Sarraute en particulier dans son roman Portrait d’un inconnu, voient naître, se développer ou disparaitre le tropisme et la sensation sous-jacente. La représentation de cet instant présent, à travers l’écriture de la sensation, participe, dès lors, à une transcription de la simultanéité. Et c’est par le présent que Sarraute tente et cherche à rendre compte de ce qui ne se perçoit qu’au présent. Ce présent se joue à trois niveaux : présent de la parole pour le personnage, présent de l’écriture pour le romancier et présent de la lecture pour le lecteur.

Mots clés : temps – représentation – durée – indétermination – présent – tropisme– instantanéité – écriture.

Abstract

After the two wars, modern man was facing an existential doubt. The past is disastrous, the present is distressing and the future is uncertain. In these conditions, how to guide or identify oneself towards any temporality? In the New Novel, no one is interested in any evolution of both character and the narration, only the Here and the Now matter. Nathalie Sarraute’s novel, Portrait d’un inconnu, the latter see the tropism and the underlying sensation coming to life, growing and disappearing. Since then, the representation of this current moment contributes to the transcription of simultaneity. And it is with the present that Sarraute tries to make people realize what is only perceived in the present. The present is perceived on three levels: the present of word for the character, the present of writing for the novelist and the present of reading for the reader.

Key-words : time– representation – duration – interdetermination – present – tropism – instantaneity – writing.


Sommaire

Introduction
1. Une dilatation du temps chronologique
2. L’Ici et le Maintenant
3. L’instantanéité de l’écriture
Notes
Bibliographie

Introduction

Les bouleversements socio-historiques du début du XXe siècle ont favorisé l’avènement d’une nouvelle esthétique qui se fonde essentiellement sur la négation des structures du roman traditionnel. Toutefois, ce procédé de déconstruction va de pair avec une reconstruction de tout ce qui pouvait être considéré comme les fondements du roman. Ainsi, à la désarticulation des structures du roman dont font montre les néo-romanciers, sera opposée une nouvelle esthétique qui accorde une place de choix aux mutations chronologiques et stylistiques. Cette révision remet en question tout le système énonciatif du roman et avec lui tout ce qui faisait sa stabilité.

Avec Sarraute, ces mutations apparaissent dans la déconstruction de la chronologie du récit. Dès lors, créant une simultanéité plus qu’un écoulement du temps, la juxtaposition, la contiguïté et le parallélisme participent de l’errance du personnage dans un espace mal défini qui correspond à un temps mal reconnu. Une méconnaissance qui inscrit Portrait d’un inconnu[1] dans une temporalité qui brille par son indétermination. Aussi, le lecteur est-il mis en présence d’un récit qui passe du temps chronologique à l’instantanéité de l’écriture. Cette présente étude permettra d’analyser, d’une part, les facteurs qui favorisent une dilatation du temps chronologique chez Nathalie Sarraute. D’autre part, considérant son premier roman, nous montrerons comment elle cherche à représenter l’Ici et le Maintenant. Par ailleurs, il s’agira de montrer comment l’instantanéité de l’écriture participe de la saisie du tropisme, caractéristique de l’écriture sarrautienne.

1. Une dilatation du temps chronologique

Livré à lui-même, l’homme moderne a perdu tous ses repères quant à la perception du temps. En effet, la désagrégation du monde au lendemain des deux guerres transparaît dans l’univers néo-romanesque par une remise en question des piliers du roman. À l’instar du personnage et de l’intrigue, le temps s’est désarticulé pour suggérer les méandres de la réalité. Aussi, dans ces conditions, comment s’orienter ou s’identifier par rapport à une quelconque temporalité ? Ou comme s’interroge Robbe-Grillet, « pourquoi chercher à reconstituer le temps des horloges dans un récit qui ne s’inquiète que de temps humain ? N’est-il pas plus sage de penser à notre mémoire qui n’est « jamais » chronologique ?[2] ».

L’absence de chronologie est telle que le lecteur lui-même se perd. Il n’y a plus de passé mais un présent actualisé par la lecture ou encore par l’écriture. Michel Butor, dans La Modification, met en scène un personnage qui évoque, dans le train qui le ramène de Paris, ses autres parcours du même itinéraire. Il explore ainsi le passé et y trouve des raisons de décider de son avenir. Sous une géométrie méticuleuse, Butor veut reconquérir, dans l’enchevêtrement des souvenirs, les cheminements linéaires de la pensée et dominer ainsi le temps. Comme pour rappeler le « temps humain » dont parle Robbe-Grillet, cette linéarité des souvenirs du personnage de Butor participe, à plus d’un égard, à l’indétermination du temps qui se dilate.

Heureusement, le lendemain, hier jeudi, cela s’était apaisé, et les repas se sont passés calmement, par ce temps froid désespérant qui continue et qui s’aggrave, en cette journée de hâte et d’énervement où il vous fallait avoir réglé, pour ces courtes vacances que vous avez eu l’audace de vous octroyer jusqu’à Mercredi[3].

Le lecteur non averti se voit, dans cet extrait, confondu par les déictiques temporels qui se caractérisent par leur incohérence. La succession des jours de la semaine n’entre pas en adéquation avec le récit qu’en donne le narrateur. Ce bouleversement témoigne de l’indétermination du temps dans le Nouveau Roman.

Car pour les écrivains d’alors, « l’effort consistait à remplacer le temps conceptuel du récit par la suggestion d’une durée vécue[4]». Cette ambition oriente les personnages vers un avenir incertain qu’ils découvriront peu à peu et en même temps que le lecteur. Aussi, Jean-Paul Sartre a-t-il raison lorsqu’il constate qu’avec le Nouveau Roman, « le roman se déroule au présent comme la vie[5] ». La temporalité ne souffre plus de la cohésion et de la cohérence d’un processus narratif qui évolue. Au contraire, il annihile toute progression vers un objectif donné. C’est dans cette logique que des critiques, analysant l’évolution de la littérature au XXe siècle, défendront l’idée selon laquelle, « créé par le récit lui-même, le temps n’est plus linéaire, […] il n’accomplit plus rien[6] ». Ce temps, chez Sarraute, est devenu subjectif car ne se souciant plus du référentiel. Le récit n’est plus axé sur une réalité historique situable et datable, mais sur une réalité subjective.

Le temps n’est plus le temps universel mesurable sur le méridien e Greenwich, mais il a été personnalisé. C’est de cette personnalisation que découle toute l’indétermination du temps chronologique dans le Nouveau Roman. C’est ainsi que Claude Simon, dans Le Vent, fait dire à son narrateur qu’il recherchait son personnage dans « l’épaisseur du temps », ce temps « semblable à une sorte d’épais magma où l’instant serait comme le coup de bêche dans la sombre terre, mettant à nu l’indénombrable grouillement des vers[7] ». Chez Sarraute, la subjectivité du temps semble passer par la personnification de ce temps qui jouit d’une pluralité de conception selon le personnage-narrateur en prise avec lui. Dans Le Planétarium, on est mis en présence d’un « temps oublié, délivré, [qui] a fait un bond…[8] », ou encore dans Portrait d’un inconnu, où l’on est en présence d’« un temps qui se replie sur lui-même et guette[9] ».

Ces états du temps sont tributaires de la naissance ou de la disparition d’un tropisme[10]. Dès lors, sous la pression ou encore la tension du tropisme, « le temps plein de déférence s’écarte[11] ». L’indétermination du temps chronologique dépend, à plus d’un égard, de la personnalisation du temps selon le personnage en puissance. En effet, le temps est perçu selon les rapports que le personnage entretient avec lui mais aussi avec les autres. D’où la conception que le personnage-narrateur de Portrait d’un inconnu en donne : « le temps, comme l’eau qui se fend sous la proue d’un navire, s’ouvrait docilement, s’élargissait sans fin sous la poussée de mes espoirs, de mes désirs[12] ». Alors, le temps n’est plus un temps universel, il s’est métamorphosé pour devenir illimité puisque n’ayant pas de quantifiant. Il est devenu un temps capricieux, tributaire des sentiments et des sensations de ceux qui en font l’expérience.

Les caprices du temps transparaissent dans l’esthétique sarrautienne dans les anachronies assez fréquentes dans les romans de Sarraute. En effet, la fréquence des anticipations et des retours en arrière transgresse la durée de la narration. Le temps du récit est ponctué de souvenirs et n’est qu’un tissu de moments et d’instants relatifs à un événement ayant concouru à la naissance d’un tropisme. Une personnalisation du temps qui varie d’un personnage à un autre. Dans Portrait d’un inconnu, le personnage-narrateur partage au lecteur sa perception du temps et surtout la crainte voire l’angoisse qui l’accompagne :

Il y a au début des après-midis, je l’ai déjà dit, des moments dangereux. […] C’est l’heure de la sieste, du repos ; le moment, après l’excitation du déjeuner, où ceux qui restent seuls dans les appartements silencieux éprouvent tout à coup comme une sensation de froid, une crampe au cœur, un vertige, l’impression que le sol se dérobe soudain sous eux et qu’ils glissent, sans pouvoir se retenir, dans le vide[13].

La comparaison dans la perception de ce temps permet au lecteur de saisir la sensation éprouvée par le personnage et de comprendre son impact sur son imaginaire. Ainsi, à cause de son incidence sur le personnage, le temps, chez Sarraute, est un temps éclaté qui semble se répéter dans la pensée. Cette répétition est accentuée par l’absence de repères temporels, la décomposition de la durée qui donne une impression de dilatation du temps chronologique.

La dilatation du temps chronologique transparait également dans les « anachronies narratives[14] » qui brouillent l’évolution du récit pour le lecteur traditionnel. À cet effet, on peut déceler, dans Portrait d’un inconnu, deux types majeurs : les anachronies par anticipation et les anachronies par rétrospection. Celles par anticipation, encore appelées prolepses, consistant « à raconter ou à évoquer un événement avant le moment où il se situe normalement dans la fiction[15] », peuvent être considérées comme une constituante majeure de l’esthétique sarrautienne. Dans cette optique, nous nous appesantirons sur deux exemples tirés du roman et qui semblent être illustratifs à cet égard sans pour autant être les seuls. Ainsi, les tourments du « vieux », la nuit où il a découvert « la barre de savon fraîchement coupée[16] », sont annoncés par les ragots des vieilles femmes tout au début de l’œuvre : « On m’a dit que le vieux se lève la nuit… il ne dort jamais la nuit… il l’a fait venir… il la soupçonne toujours[17] ».

Ce même procédé est notable dans la scène de la dispute entre le « vieux » et sa fille. Ce passage peut être mis en corrélation avec la prolepse suivante : « Elle se tient dans la porte… et cela commence presque tout de suite entre eux (…) Cela porte sûrement sur des questions d’argent…[18] ». Cette dispute, qui n’était qu’ébauchée avec l’anachronie par anticipation, se développera pour donner plus d’une trentaine de pages. Tout compte fait, il est indispensable de souligner que ces « anachronies narratives » témoignent de l’évolution du personnage-narrateur entre deux états : la phase de novice dans cette exploration du monde intérieur (avant la visite au musée) et la phase d’expert en la matière car mis en état de grâce par le Portrait d’un Inconnu[19].

À l’instar de ces cataphores qui parsèment le récit sarrautien, les anachronies par rétrospection sont fréquentes bien que Nathalie Sarraute ait en aversion les souvenirs sous toutes leurs formes. En effet, son personnage, à l’image de l’homme moderne, est un corps sans âme, ballotté par des forces hostiles et n’est rien d’autre que ce qu’il paraît au dehors. Ce n’est ainsi qu’un personnage de surface car il n’y a plus de réminiscence : « On sent partout des enfances mortes. Aucun souvenir d’enfance ici. Personne n’en a. Ils se flétrissent à peine formés et meurent[20]». Toutefois, ces souvenirs peuvent subsister et ceux-ci n’existent que pour perdre davantage le lecteur déjà brouillé par l’absence de repères chronologiques. Ainsi, cette anachronie narrative, encore appelée analepse, peut, dans une certaine mesure, trouver sa validité dans les souvenirs du personnage-narrateur : « comme autrefois dans mon enfance, quand j’avais peur (c’était un sentiment d’angoisse, de désarroi), lorsque des étrangers prenaient mon parti contre mes parents, cherchaient à me consoler d’avoir été injustement grondé, […][21]».

Ces anachronies, étant des perturbations dans l’ordre préétabli, peuvent aussi mimer les tribulations d’un parcours psychique au gré des réminiscences ou contester l’objectivité du réel et la chronologie du roman. Pour Nathalie Sarraute, l’indétermination du temps constitue une démarche logique. Etant donné qu’elle s’est détournée de l’intrigue et du personnage conventionnels, le temps ne lui est d’aucune utilité pratique. Puisqu’elle travaille dans le tréfonds de l’être humain, dans cette zone ombreuse, anonyme, sans nom ni contours où notre vie psychologique prend sa source, le temps chronologique même dans son indétermination n’entame en rien la visée de l’écriture sarrautienne : saisir le tropisme et le faire ressentir au lecteur à l’instant présent.

2. L’Ici et le Maintenant

Dans l’écriture néo-romanesque, le temps des horloges est remis en question. Aucune chronologie ne semble régir les récits. Et à l’instar de la réalité historique qui brille par son incohérence suite au traumatisme de la guerre, le narrateur ne s’intéresse qu’au présent, un hic et nunc qui ralentit la narration afin de rendre compte au mieux de la sensation qui sous-tend l’avènement ou la disparition d’un tropisme. Une quête dans l’écriture sarrautienne qui rappelle, à plus d’un égard, le point de vue de Minkowski qui soutient qu’avec le roman moderne, « il n’y a que le maintenant qui existe[22]». Dans Portrait d’un inconnu, Sarraute s’attache à rendre compte de l’immédiat dans une narration qui ralentit au gré des comparaisons. Le ralentissement de la narration n’est pertinent qu’à partir du moment où le lecteur arrive à s’approprier la sensation que le personnage-narrateur cherche à lui communiquer. C’est, dès lors, « une sorte de sens spécial, pareil au sien, qui lui permettait de percevoir immédiatement, dissimulée partout, cette menace connue d’eux seuls, ce danger niché dans chaque objet en apparence inoffensif, comme une guêpe au cœur d’un fruit[23]».

Ainsi, le personnage-narrateur ne s’inscrit plus dans une logique de progression mais bien de pertinence. Il cherche à rendre perceptibles au lecteur les sensations qu’il a vécues. Aussi n’hésite-t-il pas à se répéter, à revenir sur des moments propices au tropisme. À sa suite, le lecteur doit se défaire de sa quiétude traditionnelle devant un roman pour faire sienne l’écriture qui en appelle à sa participation active. Pour arriver à ses fins, le narrateur ralentit le récit à sa guise, hésite, avance par à coup comme pour s’assurer que le lecteur arrive à le suivre. Et tant que la sensation ne sera pas rendue communicable, tout sera à refaire. « Du coup, perdant son universalité, il [le temps] se laisse apprivoiser par chacun des personnages qui, en fonction de sa compréhension des choses, le manipule : il se suspend dans un éternel présent qui nie toute progression[24]». Le narrateur suspend lui-même le récit pour s’intéresser au ressenti du personnage ou même au sien.

La suspension de la narration est le lieu pour Nathalie Sarraute d’œuvrer à rendre communicable la sensation dans l’immédiateté de l’écriture et de la lecture. Et à chaque fois, elle cherche un référent dans l’imaginaire du lecteur qui lui permettrait de faire un rapprochement entre la réalité décrite et une réalité familière. Par le recours aux analogies, la sensation est rendue communicable, au risque de ralentir le récit. La narration apparait dans un ralenti qui est, par ailleurs, suggéré par la répétition de scènes dans l’attente du tropisme. Les anachronies, au-delà de la dilatation du temps chronologique, participent à l’enlisement de la narration. Loin de favoriser une quelconque progression de l’action, le récit se répète afin de mieux saisir l’instant présent. Ce qui importe c’est alors le hic et nunc où se déploie le tropisme.

Aussi, le personnage-narrateur, dans son ambition de saisir la naissance du tropisme entre le « vieux » et sa fille, met en garde le lecteur et suggère toute la patience requise pour atteindre son objectif : « Prudence. Ils sont prudents. Ils ne se risquent jamais bien loin. Il faut les épier longtemps avant de percevoir en eux ces faibles tressaillements, ces mouvements toujours sur place comme le flux et le reflux d’une mer sans marées qui avance et recule à peine par petites vagues lécheuses[25] ». L’image de la mer stagnante favorise une analogie dans l’imaginaire du lecteur. Il est mis en présence d’un référent actualisable. À travers elle, il peut découvrir l’importance de l’instant présent qui ne se soucie plus de chronologie ou encore d’évolution. L’emploi de la comparaison est d’une grande importance dans la mesure où il permet le rapprochement avec une réalité connue du lecteur. Ce dernier est donc en mesure de saisir le lien entre ce qui est dit par le narrateur et ce qu’il a déjà vu ou vécu. L’analogie devient un canal privilégié afin de faire saisir au lecteur une sensation dans le présent de la lecture. Il cherche ainsi à rendre communicable une sensation en le rapprochant d’une réalité connue du lecteur.

À chaque lecture, la réalité est actualisée : passé, présent ou futur importent peu. Seul compte l’instant présent que tente de représenter l’écriture. Aussi, l’interruption de l’action est suivie de séquences descriptives qui tendent à se rapprocher de la réalité suggérée. Dans ces séquences, le présent est utilisé pour rendre compte au mieux de la suggestion. La description est actualisée à chaque fois que le lecteur se prête au récit et fait sienne la suggestion du personnage-narrateur. Car si « en écrivant au présent de l’indicatif, les auteurs du Nouveau Roman ont choisi sans se tromper le temps qui, dans la conjugaison, n’est chargé naturellement que de présence, mais qui est vide de signification[26] », c’est pour que le lecteur ajoute du sens au récit et participe ainsi à la construction de l’œuvre. Une construction qui passe par une pluralité d’analogie appelée à être actualisée en dehors de toute référence chronologique. Tout est à découvrir Ici et Maintenant : le sens, le tropisme comme la sensation qui l’a vu naître. La chronologie perd de son importance dans le récit et le temps est indéterminé. On ne se soucie plus de début ou de fin, encore moins de jour ou de mois, seul importe l’instant présent appelé à être actualisé par le lecteur afin de saisir le sens et de faire l’expérience de la sensation à l’origine de l’avènement ou de la disparition d’un tropisme.

L’usage des comparaisons dans Portrait d’un inconnu participe de cette construction du sens et surtout de la saisie de la sensation. Tout doit concourir à faire l’expérience du tropisme qui ne peut se dire et se faire ressentir que dans l’instant présent. Le passé et le futur sont considérés comme futiles car seuls l’Ici et le Maintenant sont dignes d’être pris en charge. Face à cette gageure du roman moderne, Pozzo, un personnage de Beckett, clame l’importance du présent de la parole qui seul importe : « Vous n’avez pas fini de m’empoisonner avec vos histoires de temps ? […] un jour nous sommes nés, un jour nous mourrons, le même jour, le même instant[27]». Ce présent se joue à trois niveaux : présent de la parole pour le personnage, présent de l’écriture pour le romancier et présent de la lecture pour le lecteur. Dans ces trois niveaux du temps se retrouve une temporalité indéterminée à volonté.

Dans cette expérience du temps, le lecteur peut être confronté à un problème de concordance des indices, des témoignages et des souvenirs qui ne lui permettent plus de se mouvoir aisément dans l’œuvre sarrautienne. En une fraction de seconde, tout peut arriver. Comme on peut aussi attendre longtemps sans qu’il ne se passe rien. En effet, l’important ce n’est plus le temps où se déploie le tropisme mais bien sa force. C’est cette ampleur que cherche à annihiler l’être sarrautien à tout prix, même s’il faut s’affubler d’un masque. Aussi, les relations entre les personnages sont-elles biaisées par un jeu de simulation et de dissimulation afin d’éviter le déferlement du tropisme. Les vieux amis du père, dans Portrait d’un inconnu, « ne savaient jamais prévoir ses réactions, inattendues pour eux, inexplicables[28]». Le personnage-narrateur doit donc chercher à suivre ses personnages sans se soucier du temps de l’horloge.

En ce sens, il s’évertue à rendre compte du mieux possible de la sensation qui prévaut dans l’immédiat. Les comparaisons dont il use sont essentielles dans la saisie du tropisme comme dans la communicabilité de la sensation au lecteur. Elles témoignent de la chute des masques et surtout de la saisie du monde intérieur du personnage. Les dissensions entre le « vieux » et sa fille laissent transparaître leur vrai caractère au-delà de toutes références chronologiques et chaque analogie dans la description rapproche un peu plus le lecteur de la réalité de ces personnages : de là toute l’urgence et la pertinence de saisir leur monde dans le présent de l’écriture.

3. L’instantanéité de l’écriture

Avec le roman moderne, nul ne s’intéresse à une quelconque évolution du personnage et de la narration. Chez Nathalie Sarraute, seuls importent l’Ici et le Maintenant qui voient naître, se développer ou disparaître le tropisme et la sensation sous-jacente. La représentation de cet instant présent ne se soucie plus du temps chronologique ni de la cohérence du récit. Seul importe l’instant présent. C’est en ce sens que Zeltner Neukomm affirme : « Nathalie Sarraute ne peut plus raconter ce qui s’est passé, mais seulement ce qui est en train de survenir[29]». Ce qui explique l’emploi du présent de l’indicatif dans la narration de préférence au passé simple et à l’imparfait. L’usage de ce temps se justifie dans l’esthétique sarrautienne par le fait que la sensation est présente aussi bien pour le personnage que pour le narrateur et le lecteur. Et c’est par le présent que Sarraute cherche à rendre compte de ce qui ne se perçoit qu’au présent.

Ainsi, analysant son emploi par Sarraute, Wang Xiaoxia estime, avec justesse, qu’avec elle, « dans l’enchainement du récit, le passé n’existe pas. C’est le présent qui se déploie[30]». Cette écriture de la sensation, du tropisme au présent, se perçoit dans un enlisement descriptif très significatif de l’esthétique sarrautienne. En effet, dans le souci de rendre compte le mieux possible de la sensation, Sarraute n’hésite pas à reprendre une même scène tant que l’objectif n’est pas atteint. Aussi, suggère-t-elle une décomposition de la durée et une indétermination du temps par une foule de détails qui peuvent se répéter à foison. On assiste, de ce fait, à une dilatation du temps référentiel qui entraîne avec lui l’espace. Il se crée une impression d’étirement du temps par le récit tant que la sensation n’a pas été rendue communicable. Et si l’Ici et le Maintenant restent importants dans cette logique, c’est que tout se joue dans l’instant présent. L’écriture ne se préoccupe que du temps qui permet l’expérience du tropisme. Le personnage-narrateur ne cherche, alors, qu’à dire et à faire ressentir ce qui ne se laisse saisir que dans l’instant présent.

Le temps indéterminé dans le Nouveau Roman peut être mis en relation avec les doutes de l’homme moderne face à son destin. Aussi, à la suite de Gérard Genette, pouvons-nous soutenir que « l’homme d’aujourd’hui éprouve sa durée comme « une angoisse », son intériorité comme une hantise, une nausée ; livré à l’« absurde » et au déchirement, il se rassure en projetant sa pensée sur les choses […][31]». Une telle projection est suggérée, dans Portrait d’un inconnu, dans la relation que le père entretient avec sa fille en lien étroit avec le matériel. La barre de savon qui s’épuise sans raison, les problèmes de santé nécessitant un traitement de la fille, la fuite d’eau qui coule sur le mur sont autant d’exemples pour montrer le « vieux » et sa fille sans les masques de l’apparence. Le présent dans la narration permet alors au lecteur d’actualiser la quête du narrateur dans la saisie du tropisme et d’éprouver la même sensation. La fugacité de l’instant est pertinente dans la quête du personnage-narrateur, d’autant plus que selon Rachel Boué « saisir la sensation au vol détermine donc deux orientations non contradictoires de l’écriture sarrautienne : le brouillage des distinctions temporelles entre le passé et le futur – visant un effet d’éternelle atemporalité – et l’affirmation d’un présent sensoriel fugitif[32]».

Ce présent dans la narration justifie, à plus d’un égard, une narration au présent. En effet, l’écriture, en niant toute chronologie, s’inscrit dans une certaine actualité voire une actualisation du tropisme afin de le garder vivant et de communiquer la sensation sous-jacente. Les déictiques temporels perdent de leur importance et participent à l’indétermination du temps chronologique. Car, si avec Nathalie Sarraute, nous faisons l’expérience du « temps de l’éternel possible, le temps du non définitif[33] », c’est que la chronologie traditionnelle a perdu de son ampleur pour céder la place à la subjectivité, à la sensation. Ce temps, pour indéterminé qu’il soit, présente parfois un décalage assez sensible entre les souvenirs des personnages sarrautiens et ce qu’ils voudraient avoir vécu.

Certains d’entre eux sont, de ce fait, incités à refuser toute remémoration. Seul le narrateur peut se permettre de naviguer dans le courant de ses pensées si cela peut lui permettre d’appréhender un tropisme ou la sensation qui l’a fait naitre. Ainsi, en narrant une situation donnée, il ne se préoccupe pas de la logique humaine. C’est sans doute pourquoi il se permet de revenir sur une scène plusieurs fois, l’important résidant dans la saisie de la sensation prise à sa source. Ayant fait l’expérience de la naissance ou de la disparition d’un tropisme avec tel ou tel autre personnage, le narrateur cherche à partager cette trouvaille avec le lecteur. C’est dans cette perspective qu’il ne se lasse pas de répéter une même scène tant qu’il n’aura pas fait ressentir la même sensation. Aussi, chez Sarraute se retrouve-t-il une nouvelle temporalité : celle du tropisme qui semble être personnel car étant une temporalité de situation où « l’expérience esthétique se fait ainsi trouver hors du temps utile, productif, pour une découverte d’une temporalité plus proche d’une durée subjective[34] ».

La subjectivité de cette durée transparaît, dans une large mesure, sur l’évolution du récit et sur la représentation du temps. Elle est aussi liée à l’avènement du tropisme qui influe sur le temps et de l’écriture et de la lecture. Car la durée et le temps sont dispersés par une secrète catastrophe intérieure en relation étroite avec les craintes et les angoisses de ces personnages qui évitent à tout prix le surgissement du tropisme. Marie Auclair soutient en ce sens qu’avec Sarraute,« un temps est ainsi rendu visible, audible qui présentifie le temps de la naissance du tropisme et en fait une durée sensible, un repère dramatique : il répond donc à une nécessité réelle et logique en ce qu’il décrit l’ordre du surgissement, intégré au temps de l’écriture[35] ». C’est ce caractère sensible de la durée sarrautienne qui favorise l’indétermination du temps. Cette dernière va participer sensiblement aux mutations chronologiques et stylistiques que l’on retrouve dans l’écriture sarrautienne.

Il n’existe plus une quelconque évolution dans l’action pouvant permettre de saisir le parcours d’un personnage. Seule importe la pertinence de la saisie de l’instant propice à l’avènement du tropisme. Aussi, le personnage-narrateur se complait-il dans des retours et des répétitions qui en disent long sur sa quête du tropisme. Sa recherche est, dès lors, motivée par son désir de découvrir ce qui se cache derrière les silences, les paroles et même les gestes des protagonistes du récit. Loin de se limiter aux « racontars[36] », il se construit lui-même sa pensée et tente de découvrir les personnages sans les masques de l’apparence. Chaque rencontre peut-être le lieu d’une découverte majeure malgré les jeux de simulation et de dissimulation. L’avarice du père dans Portrait d’un inconnu est ainsi mise en exergue par les conflits qui l’opposent à sa fille. Plusieurs épisodes dans le roman peuvent permettre de découvrir ce personnage sans masque. Au-delà du vol du savon, du traitement médical de la fille, de son voyage à venir et même de son projet de mariage, la scène au restaurant où Dumontet présente au « vieux » leur projet de réhabilitation d’une maison laisse transparaitre toute l’avarice de ce personnage :

Dumontet parle : Hé oui… Et vous savez, quand on y réfléchit, 150000 francs à 3%, ça ne fait guère qu’un loyer annuel de 4500 francs. » Il a un petit rire malicieux : « C’est encore mieux, vous ne pensez pas, que de manger son argent dans certaines affaires… »

Le vieux plisse à son tour les paupières, il a l’air de calculer : « 4500 francs de loyer… Il faudrait dire 4500 francs de supplément de loyer. C’est un peu différent. Ce n’est tout de même pas négligeable… On peut toujours se tromper, c’est évident, mais ne dites pas ça, même par le temps qui court il y a encore moyen de faire des placements qui rapportent mieux que du 3% »[37]

Toutefois, il arrive à ce même personnage, qui brille par son avarice, de se livrer à des scènes d’altruisme quand il se trouve entouré de ses amis ou quand il se retrouve au restaurant. Et pourtant, le personnage-narrateur arrive à déceler en lui d’infimes réactions à des instants précis, après un mot, un ton, un geste ou un silence, révélateurs de son monde intérieur. L’important n’est plus alors l’action elle-même mais bien l’instant précis qui a favorisé cette réaction. L’indétermination du temps est donc liée à la nature de la quête du personnage-narrateur. Il ne se soucie plus de temps chronologique, seul importe l’instant présent en mesure de découvrir et de faire découvrir l’autre sans masques. On peut, dès lors, assister à une perturbation de la lecture par l’absence de déictiques temporels. Ainsi, dans l’esprit du lecteur, le récit piétine et s’embourbe, l’accent étant mis essentiellement sur la tension du tropisme.

L’indétermination du temps dépasse alors les mutations chronologiques pour bouleverser la syntaxe. En effet, la recherche de l’expression adéquate contraint le personnage-narrateur à donner une suite de mots, d’expressions et/ou de propositions dans une seule phrase afin de rendre compte au mieux d’une sensation, de la rendre communicable. Cela explique, un tant soit peu, la particularité voire la singularité de la ponctuation dans l’esthétique sarrautienne et la longueur des phrases. Comme le temps, qui est caractérisé par son indétermination, la syntaxe singulière chez Sarraute met en évidence une inaptitude des mots à dire le tropisme, à dire la sensation. Aussi, le récit est-il parsemé de séquences où le sens hésite à se faire jour. Une impuissance du langage à dire le monde mise en exergue par une particularité de la ponctuation. Car « ponctuer c’est insister. C’est marquer, tenir un instant le vif prisonnier. […] Ponctuer c’est faire une pause, temporiser[38]». Une temporisation qui, chez Sarraute, passe par une actualisation du tropisme qui n’est possible que dans l’instantanéité de l’écriture et de la lecture en dehors de repères temporels.

Ce que le langage n’arrive pas ou plus à nommer est pris en charge par la ponctuation. Cette ponctuation se métamorphose au gré de la sensation qu’elle cherche à traduire. Et c’est ainsi qu’elle se multiplie, se prolonge, marquant l’impossibilité d’un horizon pour l’écrivain et pour le lecteur. C’est en ce sens que l’esthétique sarrautienne s’est vue accompagnée d’une ponctuation connotée. Ainsi, le point habituel se métamorphose en points de suspension, devenant l’expression d’une sensation ou la suggestion d’un tropisme. Ce symbolisme peut être perçu comme un déplacement sémantique qui donne un autre sens voire un sens nouveau à une expression usuelle. Une chose exprimée dans une certaine neutralité avec le point se transforme et se charge d’une autre signification avec les points de suspension. On en veut pour preuve l’affrontement entre le « vieux » et la bonne sur la fuite d’eau du robinet :

Bien sûr… Mais ce n’est pas d’aujourd’hui… il se met à trépigner… ce n’est pas d’aujourd’hui que cela a commencé. Ce n’est pas en une demi-heure que cela a pu prendre de pareilles proportions… on ne lui avait pas dit, on lui avait caché… la fissure, le trou dans le mur… le plombier l’avait déjà expliqué la dernière fois… on est obligé, ici, de le faire venir tous les deux jours… le trou ne s’est pas fait tout seul… ce n’est pas dans la conduite d’eau…ce n’est pas vrai… il crie, la bonne effrayée, recule… ce n’est pas vrai, vous le savez, c’est le robinet qui n’est jamais bien fermé… toute la nuit, j’entends le tuyau de la douche qui coule… je suis obligé de me lever au milieu de la nuit pour le fermer derrière eux… leurs bains, leurs ablutions… le genre anglais, les douches froides… leurs théories absurdes sur l’hygiène… leur manie de la propreté… cette habitude – mais je la leur ferai passer – de tremper dans l’eau pendant des heures, étendus là comme des souches…[39]

Dans ce passage où, sur la moitié d’une page, le « vieux » de Portrait d’un inconnu se livre à une effusion de sentiments, Nathalie Sarraute par l’usage abusif des points de suspension[40] suggère une sous-conservation[41] où transparaissent les craintes et les appréhensions du personnage. Face à la fuite du robinet, il ressasse un bon nombre d’évènements qui participent à la saisie du tropisme sans se soucier de la chronologie des événements. On y retrouve ses propres paroles, ses pensées, les paroles des autres et même la présence du lecteur. Les points de suspension permettent ainsi à Sarraute de marquer des silences, de signaler des désaccords, de suggérer des angoisses et de laisser affleurer des sensations dans le présent de la narration. Le même passage repris sans la plupart des points de suspension ne serait pas chargé d’une certaine connotation et pourrait être lu de manière plus ou moins neutre.

En définitive, l’indétermination du temps dans le Nouveau Roman sape toute cohésion dans l’univers romanesque pour se poser comme une remise en cause des piliers du roman traditionnel. Chez Sarraute, cette remise en question valorise une écriture qui tente de saisir l’instant considéré comme seul référent dans la volonté de rendre communicable la sensation à l’origine du tropisme. Portrait d’un inconnu se détourne donc du temps chronologique pour mettre l’accent sur la pertinence du présent dans la saisie du tropisme. Ce présent est perceptible dans l’écriture quand la romancière s’attache à rendre compte de la sensation et de la transmettre à travers des répétitions, des analogies et de la ponctuation. Le personnage fait l’expérience de ce présent dans la parole avec ces silences et ces gestes qui permettent de dire l’être sans les masques de l’apparence. La perception du présent se vit aussi chez le lecteur dans l’actualisation même la sensation puisque ce qui importe c’est l’Ici et le Maintenant afin de s’approprier la quête de Nathalie Sarraute : saisir le tropisme en dehors toute référence temporelle voire chronologique.

Notes

[1]Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, Paris, Minuit, 1948.

[2] Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, Paris, Minuit, 1963, p. 119.

[3] Butor Michel, La Modification, Paris, Minuit, 1957, p. 40.

[4] Raimond Michel, Le roman depuis la Révolution, Paris, Armand Colin, 1981, p. 232.

[5] Sartre Jean-Paul, Situations I, Paris, Gallimard, 1947, p. 16.

[6] Toursel Nadine et Vassevière Jacques, Littérature : Textes théoriques et critiques, Paris, Nathan, 2001, p. 166.

[7] Simon Claude, Le Vent, tentative de restitution d’un retable baroque, Paris, Minuit, p. 163.

[8] Sarraute Nathalie, Le Planétarium, Paris, Minuit, 1959, p. 77.

[9] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit., p. 138.

[10] Essentiels dans l’écriture sarrautienne, les tropismes sont définis comme « ces mouvements subtils, à peine perceptibles, fugitifs, contradictoires, évanescents de faibles tremblements, des ébauches d’appels timides et de reculs des ombres légères qui glissent, et dont le jeu incessant constitue la trame invisible de tous les rapports humains et la substance même de notre vie » (Sarraute Nathalie, L’Ere du soupçon, Paris, Gallimard, 1956, p. 29).

[11] Sarraute Nathalie, Entre la vie et la mort, Paris, Minuit, 1968, p. 87.

[12] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit., p. 85.

[13]Idem, p. 141-142.

[14] Reuter Yves, L’analyse du récit, Paris, Nathan, 2000, pp. 63-64.

[15] Ibidem.

[16] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit., pp. 120-123.

[17] Idem, p. 24.

[18] Idem, p. 35.

[19] Idem, p. 81.

[20] Idem, p. 27.

[21] Ibidem.

[22] Minkowski Eugène, Le temps vécu, Paris, PUF, 1965, p. 31.

[23] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit., p. 170.

[24] Coly Augustin, Poétique du Nouveau Roman : Les Gommes et La jalousie d’Alain Robbe-Grillet, Berlin, Editions universitaires européennes, 2011, p. 143.

[25] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit., p. 136.

[26] Bloch-Michel Jean, Le présent de l’indicatif. Essai sur le Nouveau Roman, Paris, Gallimard, 1963, p. 56.

[27] Beckett Samuel, En attendant Godot, Paris, Minuit, 1952, p. 126.

[28] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit., p. 91.

[29] Neukomm Zeltner , « Nathalie Sarraute, une nouvelle expérience de l’intime », in Médiations n°3, 1961, p. 52.

[30] Xiaoxia Wang,  « Instant présent dans Vous les entendez ? – La nouvelle réalité de Nathalie Sarraute », Synergies Chine N°4, 2009, p. 105.

[31] Genette Gérard, Figures I, Paris, Seuil, 1966, p. 101.

[32] Boué Rachel, Nathalie Sarraute, la sensation en quête de parole, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 24.

[33] Idem, p. 40

[34] Auclerc Benoit, « Arracher toute la toile peinte » : peinture et écriture du tropisme chez Nathalie Sarraute », in Gaubert, Serge, et Toma, Radu (dir.), Littérature et peinture, Bucarest, Editura Babel, 2003, p. 110.

[35] Auclair Marie, « Ultima Verba ou les silences du tropisme », Protée, vol 28, n0 2, 2000, p. 82.

[36] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit., p. 24.

[37] Idem, p. 204.

[38] Servière Michel, « Ponctuation de Nietzsche », Motifs et figures, Centre d’Art, Esthétique et Littérature, Paris, PUF, 1974, p. 275.

[39] Sarraute Nathalie, Portrait d’un inconnu, op. cit. p. 150.

[40] 22 points de suspension pour un seul point sur plus de 15 lignes.

[41] Nous faisons ici référence à l’essai de Nathalie Sarraute paru à la NRF en Janvier-février 1950 et repris dans L’Ere du Soupçon, op. cit.

Bibliographie

AUCLAIR Marie, « Ultima Verba ou les silences du tropisme », Protée, vol 28, n°2, 2000.

AUCLERC Benoit, « Arracher toute la toile peinte » : peinture et écriture du tropisme chez Nathalie Sarraute », in Gaubert, Serge, et Toma, Radu (dir.), Littérature et peinture, Bucarest, Editura Babel, 2003.

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XIAOXIA Wang, « Instant présent dans Vous les entendez ? – La nouvelle réalité de Nathalie Sarraute », Synergies Chine N°4, 2009.

Du cheval éternel à la mort du cheval : la figure équine dans les récits de Jean Giono et Claude Simon, fuite ou revanche du temps ?

Diane de Camproger

Diane de Camproger est docteure en langue et littérature françaises, professeure de lettres modernes au sein de l’établissement secondaire St Michel, à Annecy et co-fondatrice du réseau de recherche « Cheval et Sciences Humaines et Sociales ».

Pour citer cet article : DE CAMPROGER Diane, « Du cheval éternel à la mort du cheval : la figure équine dans les récits de Jean Giono et Claude Simon, fuite ou revanche du temps ? », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse-Jean Jaurès, n°13, « Temps à l’œuvre, temps des œuvres », saison automne 2023, mis en ligne le 13 octobre 2023, disponible sur https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2023/05/31/du-cheval-eternel-a-la-mort-du-cheval-la-figure-equine-dans-les-recits-de-jean-giono-et-claude-simon-fuite-ou-revanche-du-temps//

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Résumé

Cet article s’intéresse à comparer la présence de la figure équine dans les œuvres de deux romanciers français du XXe siècle, Jean Giono et Claude Simon, à la fois dans leur rapport aux mythes (indo-européens ou gréco-romains), mais aussi au temps. En effet, Jean Giono ou Claude Simon, en plus de réutiliser de nombreuses références aux figures équines mythiques (Pégase, les chevaux du vent, les Centaures), ont en commun d’utiliser le cheval pour suspendre le temps, tant dans l’histoire, pour évoquer des figures passées, que dans l’écriture. Si Jean Giono utilise l’animal comme véhicule des passions, matière vivante permettant de faire surgir l’épique, chez Claude Simon, il incarne la répétition d’un cycle guerrier mythique, tout en représentant différentes figures et personnages qui se chevauchent et se fondent dans le récit. En plus d’influencer la temporalité diégétique, la figure équine joue un rôle dans la construction du récit parfois interrompu par des scènes, ou des réminiscences qui, avec l’apparition d’images, créent un effet de surimpression ou d’emboîtement dans le tissu narratif. On peut alors se demander si la mort du cheval dans les récits gioniens ou simoniens ne signifie pas une victoire finale du temps sur l’animal, dont le corps se métamorphose pour se fondre à la matière qui l’entoure, le renvoyant à son statut mortel, comme un retour à la nature originelle dont il est pourtant le représentant, effaçant son existence, et questionnant la nôtre.

Mots-clés : Cheval-espace-temps-littérature-roman-mythes-centaures-hybrides-animal-humain-contemporain

Abstract

This article compares how the horses’ presence is represented in the work of two French novelists of the 20th century, Jean Giono and Claude Simon, in its relation with mythology, but also with Time. Indeed, Jean Giono or Claude Simon are not only using horses as a reference of mythical equine figures (Pegasus, horses of the wind, Centaurs), but also to suspend Time, in the story, especially to evocate past characters, and in the writing. If Jean Giono’s horses are a vehicle for passions, a live tissue allowing for the epic to emerge, Claude Simon’s are the incarnation of a mythic martial cycle, as well as representing different characters and faces that are impressing and merging together inside of the narrative. More than a simple influence on the narrative temporality, the horses play a role in the story construction, sometimes stopping it during equine scenes, or allowing a complex construction sometimes confusing the reader. Is it that the death of the horse, in Giono’s or Simon’s novels should mean a final victory of Time among the animal, which corpse will turn and shape into the elements surrounding it, returning to his mortal status, as a way back to the original nature of which he is yet the representative, erasing his existence, and questioning ours.

Keywords : Horse-space-time-literature-novel-myths-centauros-hybrids-animal-human-modern


Sommaire

Introduction

1. Le cheval comme fuite du temps
1.1. Une réutilisation des mythes équestres chez Jean Giono
1.2. La répétition d’un cycle guerrier éternel chez Claude Simon

2. La figure équine comme jeu entre le temps de l’histoire et celui du récit
2.1. Les « scènes équestres », des pauses dans la narration
2.2 De la chevauchée au chevauchement narratif

3. La mort du cheval, une revanche du temps ?
3.1. L’haruspice et le rituel dans Deux cavaliers de l’orage
3.2. La dissolution du corps équin, dans La Route des Flandres

Notes
Bibliographie

Introduction

Le cheval symbolise la conquête à la fois de l’espace géographique – il permet d’aller plus loin, et reste indépassé durant presque quatre millénaires, jusqu’à l’invention du moteur – et du temps – il permet d’aller plus vite. Cette victoire sur l’espace-temps se trouve figurée dans de nombreuses représentations équines mythologiques, comme Pégase, les chevaux d’Eole, dieu du vent, réputés indomptables, ou la licorne, plus rapide que le vent. Cet imaginaire autour de la figure du cheval a été longuement étudié, particulièrement par Gilbert Durand dans son livre Les Structures anthropologiques de l’imaginaire qui y voit la représentation de « la fuite du temps[1] », en raison de ses capacités de mouvement et sa rapidité, mais aussi de sa symbolique mythique.

Jean Giono ou Claude Simon, en plus de réutiliser de nombreuses références aux figures équines mythiques (Pégase, les chevaux du vent, les Centaures), ont en commun d’utiliser le cheval pour suspendre le temps, tant dans l’histoire, pour évoquer des figures passées, que dans l’écriture. Si Jean Giono utilise l’animal comme véhicule des passions, matière vivante permettant l’insertion de l’épique (« L’amour, c’est toujours emporter quelqu’un sur un cheval[2]»), chez Claude Simon, il incarne la répétition d’un cycle guerrier mythique, une « innombrable engeance sortie toute armée et casquée selon la légende[3] ».

Mais, comme personnage singulier du récit, l’apparition du cheval signifie la rupture du temps de la narration, par la concordance soudaine du temps diégétique et du temps du récit, ce qui définit la scène selon Gérard Genette[4]. Si Genette se focalise sur l’aspect temporel, il identifie aussi l’aspect fortement dramatique de la scène, « dont le rôle dans l’action est décisif[5] ». Nous pouvons ajouter que la scène obéit aussi à une concordance spatiale, dans le sens où elle se déroule souvent, dans la diégèse, en un seul endroit, ce qui contribue à sa dimension picturale ou cinématographique forte. Ce cadre spatio-temporel crée l’unité et l’effet d’ensemble de la scène, un « effet-scène[6] », aboutissant à son autonomie. Celle-ci apparait alors soit comme une pause dans le récit, dans une concordance soudaine du temps diégétique et du temps du récit, soit comme l’objet d’un chevauchement dans la narration. Parce que la figure du cheval renvoie à tout un imaginaire, les scènes équestres sont en effet parfois interrompues par des réminiscences ou l’apparition d’images, créant un effet de surimpression ou d’emboîtement dans le tissu narratif.

On peut alors se demander si la mort du cheval dans les récits gioniens ou simoniens – entre haruspice[7] et sacrifice[8] – ne signifie pas une victoire finale du temps sur l’animal, dont le corps se métamorphose pour se fondre à la matière qui l’entoure, le renvoyant à son statut mortel, comme un retour à la nature originelle dont il est pourtant le représentant, effaçant son existence, et questionnant la nôtre.

1. Le cheval comme fuite du temps

1.1. Une réutilisation des mythes équestres chez Jean Giono

Les chevaux de Giono ont une « beauté vive [qui] se prête aux images mythiques[9] ». Ils emplissent les récits par leurs hennissements et leur liberté affranchie, particulièrement les œuvres écrites entre 1936 et 1961 : Que ma Joie demeure (1936), Deux cavaliers de l’orage (1965), Les Récits de la demi-brigade (1972), Noé (1961). Ils sont une référence permanente aux mythes équestres gréco-romains, comme l’étalon de Que ma joie demeure, explicitement comparé à Pégase, dans une envolée prophétique de Bobi : « Ce qu’il a, ton cheval, […] c’est la graine des ailes. […] Il en sortira de grandes ailes blanches. Et ça sera un cheval avec des ailes, et il fera des enjambées comme d’ici au jas de l’Erable, et il galopera dix mètres au-dessus de terre et on ne pourra jamais plus l’atteler, ni lui, ni ses fils, ni les fils de ses fils[10]». Lorsque Bobi fait à Carle l’apologie de son cheval, il prend des allures de prédicateur, ou de Pythie antique, délivrant un oracle. L’homéotéleute « ra », provoquée par la répétition de verbes au futur simple, est un rappel inconscient de la divinité égyptienne solaire. L’oracle est à la fois une référence aux chevaux magiques et mythiques : Pégase évidemment, mais aussi les chevaux du soleil et des divinités (Apollon, Neptune), ou encore les chevaux du Ferghana, ces chevaux d’Asie centrale réputés plus rapides que le vent, aux couleurs flamboyantes, qu’on retrouve, peints, dans la chambre du narrateur de Noé[11]. Ces chevaux sont toujours des figures duelles, à la fois positives et négatives, rappelant tour à tour les chevaux mongols débonnaires ou ceux de l’Apocalypse, particulièrement par leurs couleurs (« le cheval rouge », « le cheval blanc », « le cheval noir »[12]).

Chez Giono, les chevaux, par leur nature libre et sauvage, permettent de reconstituer un « Éden » primitif. C’est la raison pour laquelle les personnages de Que ma joie demeure décident de les remettre en liberté, pendant la saison des amours (« j’ai une idée : si je lâchais mon étalon ? Et si vous lâchiez vos juments ? [13] »). Dans Deux cavaliers de l’Orage, Marceau est impressionné par le tableau à la fois pastoral et primitif qui s’offre à ses yeux, dans un haras de la Vallée du Rhône, où s’ébattent des chevaux en liberté :

On ne pouvait s’empêcher de jouir de tous les gestes des étalons flamboyants. Ils vivaient de frémissements, de voltes et de sauts dans les herbes luisantes. Le regard était saisi par une roue de jambes fines, de cuisses, de crinières qui tournaient sans cesse dans le vent et la frénésie de la joie à travers l’ombre et la lumière. Des éclairs pourpres clignotaient sur le doré des bêtes. Des poulains au poil encore collé allaient embarrasser leur tête de sauterelles et leurs pattes de fils dans les rocking-chairs et les robes. Les juments venaient les lécher jusqu’entre les mains des femmes, il y avait dans cette paix frénétique un fascinant repos[14].

L’isotopie de la lumière met en valeur l’aspect Ouranien et solaire du cheval (« flamboyants », « luisantes », « lumière », « éclairs », « doré »). L’animal est toujours en mouvement comme la vie elle-même, en proie à des « frémissements » ou à de la « frénésie » et exécutant des « voltes », des « sauts », des « roues ». Le mouvement cyclique, rappelant la forme ronde du soleil, est d’ailleurs exprimé à plusieurs reprises par les noms (volte, roue) ou les verbes (tourner). L’oxymore, renforcé par la structure chiasmique de la dernière phrase – « paix frénétique » / « fascinant repos » – appuie la figure double du cheval, animal pacifique, herbivore, et pourtant animal de proie en mouvements, vif et rapide. De même, les mouvements décrits (frémissements, voltes, sauts, clignoter…) sont tous brusques et de courte intensité : ils ne s’inscrivent pas dans la durée. Ils accentuent la comparaison de l’animal avec la flamme ou l’éclat de lumière dansante. Cette mise en valeur de l’éphémère s’oppose à la valeur durative de l’imparfait (« sans cesse ») et inchoative des verbes de mouvement (allaient embarrasser / venaient lécher). L’utilisation du regard, du point de vue de Marceau, et l’alternance de détails triviaux (« poil encore collé ») et de métaphores (« tête de sauterelle ») permettent l’hypotypose. C’est une scène de vie et de fertilité : les étalons, poulains et juments forment un retour à la nature originelle. L’humanité et l’animalité se confondent, les poulains à peine nés embarrassent leurs pattes dans les pattes des chaises longues où sont assises les dames. Les juments elles-mêmes les lèchent « entre les mains des femmes ». Cette confusion des corps, humains et animaux, trouve son apogée dans l’utilisation équivoque du mot « robe », antanaclase implicite dont on ne sait s’il désigne les robes des femmes ou celles des animaux, les deux termes possédant un sens différent. Si chez l’humain, le substantif s’applique à désigner le vêtement, chez le cheval il désigne la couleur du pelage. Dans les deux cas on l’imagine chatoyante et pleine de vie à l’image de cette scène. Par effet de miroir, cette euphorie est un état auquel aspire Jason Marceau, lui dont le surnom est justement L’entier, expression utilisée pour désigner un étalon, c’est-à-dire un cheval non castré : « entier » car possesseur de ses parties génitales. Le récit nous transporte dans une scène pastorale d’inspiration mythique, déjà préfigurée par les noms des personnages inspirés par la mythologie. Abstraction faite des rocking-chairs, la scène pourrait aussi bien se dérouler dans un monde d’avant l’humanité, ou illustrer la création du monde. Car le cheval, par son renvoi aux images mythiques, acquiert une valeur atemporelle, représentant un temps éternel.

La figure équine chez Giono permet ainsi d’insérer du merveilleux dans le récit, qu’elle soit une représentation symbolique d’une idée de nature, dotée de pouvoirs ou de qualités surnaturelles, ou un rappel explicite d’une figure équine mythique ou légendaire. Cette présence du merveilleux, combinée à la figure de héros dont le cheval est le véhicule implicite, permet de caractériser le récit gionien comme profondément épique, et donc d’échapper à la prise du temps, puisque, comme le suggère Claude Simon, l’épopée équestre n’a-t-elle pas quelque chose d’intemporel ?

1.2. La répétition d’un cycle guerrier éternel chez Claude Simon

Claude Simon met en effet en scène, dès l’incipit du court texte Le Cheval[15], publié en 1958, la répétition d’un cycle guerrier mythique dont les chevaux sont l’incarnation : « Tout était noir. On ne pouvait pas voir la tête de la colonne. […] seulement entendre le monotone, l’infini et multiple piétinement, le multiple martèlement des centaines de sabots sur l’asphalte de la route[16] ». Cette mise en scène d’une colonne équestre sans début ni fin est une personnification de la guerre elle-même qui traverse les différentes œuvres de Claude Simon par la suite, de La Route des Flandres (1960) au Jardin des Plantes (1997), en passant par L’Acacia (1975). La réutilisation itérative de ce motif suggère que cette chevauchée se répète depuis la nuit des temps, depuis la création des mythes et les premiers récits historiques (« innombrable piétinement des armées en marche, les innombrables noirs et lugubres chevaux hochant balançant tristement leurs têtes[17] »). Ces chevaux noirs et lugubres sont un rappel aussi bien des chevaux funèbres mythiques[18], ceux, psychopompes, des divinités nordiques dans les croyances germaniques, ou de l’Apocalypse, que des chevaux réels morts au fil des siècles, dans les combats ou les guerres dans lesquelles les hommes les ont entraînés. Selon Simon, les chevaux sont indissociables du récit épique depuis les premiers textes, antiques ou bibliques : ils représentent tous les chevaux de toutes les guerres et de tous les récits avant eux. C’est pour cela qu’on trouve aussi de nombreuses références à l’Apocalypse dans Le Cheval ou La Route des Flandres, comme un retour à l’un des premiers textes épiques chrétiens. La tête du cheval mourant occupe le centre du récit. À chaque fois l’animal prend des dimensions effrayantes[19], s’allongeant à l’extrême comme si ce corps n’était que la continuation dans le temps des chevaux morts depuis les premiers récits. Cet allongement de la matière équestre se retrouve dans le rythme lui-même du récit, grâce à des assonances et des allitérations qui scandent le pas et allongent la phrase de la même façon que la succession d’adjectifs, avec un nombre de syllabes croissant (hochant ; balançant ; tristement) et l’homéotéleute (« en » / « an »).

Le cheval permet à l’écrivain de dresser un lien entre les vivants et les morts, aussi bien entre les personnages de la diégèse (« il permet de superposer différentes époques, différents membres de la famille, d’évoquer une lignée sans inscrire la temporalité successive de la généalogie[20] ») qu’entre les personnages de la vie de l’auteur : ses ancêtres, en particulier les figures omniprésentes dans le récit que sont Jean-Pierre Lacombe Saint-Michel ou le propre père de l’écrivain, Louis Simon, mort dans la Grande guerre. En introduisant le cheval dans la fiction, Claude Simon interpelle les ressemblances et les liens qui existent entre les vivants et les morts. Le capitaine de Reixach, archétype de l’officier de cavalerie, est caractérisé par la fusion qui le lie à l’animal, devenant un « homme-cheval[21] ». Son origine aristocratique et son passif militaire l’ancrent lui aussi, comme l’auteur, dans une longue tradition familiale : « Se dessinant donc ainsi, […], et sans même que Georges ait eu besoin de les rencontrer, les de Reixach, la famille de Reixach, puis de Reixach lui-même, tout seul, avec, se pressant derrière lui, cette cohorte d’ancêtres, de fantômes[22] ». Le narrateur de La Route des Flandres n’est pas seulement marqué par la mort de son supérieur – à cheval – ou par la mort d’un cheval qui le renvoie à d’autres morts par chevauchements successifs, mais aussi par l’« interchangeabilité » qu’il ressent comme soldat, en raison de la désindividualisation causée par la guerre et illustrée par ses changements de monture successifs : il doit, plusieurs fois, monter les chevaux de soldats morts, comme si le cheval établissait alors une continuité entre ces morts et lui. Le cheval, porteur du soldat, est aussi celui par lequel la mort arrive, donnant au récit des allures de cycle infernal. Les chevaux de Claude Simon sont l’outil de la propagation du conflit depuis des siècles. Qualifiées d’ « immémoriales[23] » au sens latin du terme immemorialis, c’est-à-dire « sans mémoire », les « rosses » antiques évoquées par Simon semblent plus vieilles que le temps lui-même. La phrase est tout entière construite sur cette volonté de remonter le temps jusqu’à l’origine, en commençant par le sujet « les chevaux », répété aussitôt, amplifié par gradations successives (« les vieux chevaux d’armes »). Au fur et à mesure que la phrase se développe, elle semble ainsi remonter le temps, autant par la construction (les propositions s’allongeant progressivement) que par la gradation du vocabulaire utilisé (cheval/vieux cheval/rosse/animal héraldique) permettant au récit, grâce à l’atemporalité de la figure du cheval, de faire le lien entre le temps de l’histoire, passée et présente, et le temps de la narration.

Pourtant, paradoxalement, le cheval est à la fois le lien entre une temporalité passée et présente, ainsi qu’entre plusieurs niveaux de temporalité (temps de l’histoire et temps du récit), devenant une figure métadiégétique du temps, et une pause. Son apparition est en effet mise en scène et constitue à la fois une immobilisation de l’histoire dans le temps et l’espace, tout comme une pause dans le récit, qui s’interrompt pour permettre le surgissement de la figure animale et des représentations qui lui sont liées.

2. La figure équine comme jeu entre le temps de l’histoire et celui du récit

2.1. Les « scènes équestres », des pauses dans la narration

Les deux romans de Giono : Deux cavaliers de l’orage et Les Récits de la demi-brigade, nous offrent trois scènes équestres représentatives de cette influence du cheval sur les temporalités à la fois de l’histoire et du récit. Dans la première, construite comme une tragédie classique, les cinq scènes équestres, c’est-à-dire les passages « mettant en scène » des interactions précises entre chevaux et humains, et dans lesquels, tel que Gérard Genette le définit[24], le temps de l’histoire épouse le temps de la narration, sont autant de nœuds dramatiques menant au drame final : le fratricide. Ainsi, la première de ces interactions entre l’homme et le cheval[25] apparait dans le deuxième chapitre – le premier n’étant qu’un préambule racontant l’histoire des Jasons – et permet d’installer un décor pictural dont le texte s’éloigne ensuite, avec la mise en place progressive de la dimension tragique du texte. Comme l’indique le titre de l’œuvre, c’est un coup de tonnerre, un orage soudain qui s’abat sur les deux frères, par le biais d’un cheval, et surtout de sa mort, coup de théâtre précipitant la rencontre des protagonistes avec leur destin funeste.

En effet, au début de l’œuvre, Marceau décide de vendre des mulets à un propriétaire de haras sur les bords du fleuve, secondé d’Ange, son cadet. Le décor est verdoyant et pastoral, et permet d’installer une atmosphère de paix et de sérénité, à l’image de la relation unissant les deux frères en incipit. Les mulets y font figure de doubles des protagonistes, paysans endimanchés peu à leur place dans ce cadre riche et aisé, alors que des chevaux en liberté (étalons, juments et poulains) s’ébattent et renvoient une image de vie et de luxure, figurant les habitants oisifs du château. C’est dans ce même esprit de calme et de sérénité qu’Ange laisse apparaître ses qualités de cavalier, à la surprise de tous. Alors que le baron du château veut voir « ce jeune garçon monter cette mule folle », Ange fait « exécuter à sa bête, le plus naturellement du monde, un petit pas espagnol dont il avait le secret[26]», causant la surprise et l’admiration, non seulement du baron, mais de son propre frère. Cette scène d’apparente oisiveté, de repos, porte néanmoins une dimension plus prophétique, puisqu’elle permet de révéler un trait de la personnalité double d’Ange, qui était jusqu’alors encensé par son frère et érigé en symbole de pureté et d’innocence. Les manières du jeune garçon avec la mule, en plus de provoquer une pause dans l’histoire – puisque tous les personnages s’immobilisent pour l’observer – et dans le récit dans lequel le discours indirect surgit soudain, font naître le doute chez son frère aîné : « Marceau lui-même en était estomaqué ! Où diable ce garçon avait-il pris tout ça ? On ne pouvait pas savoir s’il s’arrangeait pour meurtrir la bête avec le mors ou s’il avait un sort pour dominer mais, monté sur la plus cabocharde des bêtes, il la fit papillonner et danser, et faire des grâces. » Cette pause du récit, permettant au lecteur de s’attarder sur le personnage d’Ange en épousant le point de vue de Marceau, exprimé au discours indirect libre, est aussi une révélation de l’aspect duel de la personnalité d’Ange, d’abord comparé à un dieu, puis renvoyé à la figure du diable (« où diable »). Sa propre technique équestre est interrogée de façon paradoxale, soit renvoyée à de la torture (« meurtrir la bête avec le mors »), soit à la magie (« un sort »), et devient, par glissement métonymique, une représentation du personnage lui-même dans toute son ambiguïté, car c’est Ange qui provoquera sa propre mort, en cherchant à affronter son frère à de multiples reprises, et en le battant, finalement, à la chute du récit.

La figure équine, en suspendant le temps de l’histoire et du récit, participe davantage, au fur et à mesure de la narration à la mise en place d’une tension dramatique. Dans une deuxième scène, très courte[27], narrant le départ des deux frères à la foire de Lachau où Marceau tuera un cheval, constituant l’élément déclencheur d’une série de péripéties conduisant au drame final, le récit s’arrête à nouveau, figeant ce départ dans le temps, comme une tentative du narrateur, en retardant l’action, de retarder la suite d’évènements conduisant à la mort des protagonistes.

Le départ des deux frères aux courses de Lachau, à cheval, est accompagné par l’inquiétude soudaine et incompréhensible d’Esther qui les observe par la fenêtre. Ce passage, au discours indirect libre, introduit une coupure dans le récit, marquée par l’emploi du présentatif « voilà », renvoyé à sa nature première de verbe défectif : « Et justement, voilà qu’on entend trotter des bêtes ». Le mot est en réalité, étymologiquement, une interjection verbale réduite à la forme unipersonnelle du présent de l’indicatif (« vois là »), interpellant l’interlocuteur. En l’utilisant, Esther attire l’attention sur la scène audible, qu’on pourrait qualifier de premier acte de la tragédie. Elle oblige aussi le lecteur à adopter sa focalisation en réutilisant le présentatif un peu plus loin (« les voilà là devant ») et à saisir l’objet scénique qui fait de cette scène un passage unique de l’histoire et annonciatrice du drame. Lorsqu’elle voit les deux cavaliers s’en aller, Esther développe un parallèle entre la violence de Marceau, qui transparaît dans sa façon de monter à cheval, et l’inquiétude qu’elle ressent. Derrière la scène émerge la vision prophétique, soulignée, à la fin de la scène, par une question au discours indirect libre à laquelle Marceau, qui ne l’entend pas, ne peut évidemment pas répondre : « qu’est-ce que tu veux donc faire avec tes bras ? [28] ».Ces bras sont les acteurs du drame, sans qu’elle le sache, puisque c’est grâce à eux que Marceau s’illustrera comme l’homme le plus fort du monde à la lutte ; c’est aussi eux qui tueront le cheval, à Lachau, et son propre frère, à la fin du récit. La scène s’achève sur cette question d’Esther, qui résonne dans le texte de manière forte, mise en exergue par le passage brutal au discours direct. L’inquiétude se trouve reflétée dans les éléments qui l’entourent et renforcent l’impression d’une suspension du temps : « Le jour ne se lève pas ce matin. Le jour se refuse à se lever[29] ».

Si on retrouve aussi ce jeu de mise en arrêt du temps chez Claude Simon autour de la figure équine, comme lors d’une scène de pause à l’abreuvoir dans La Route des Flandres, le cheval favorise aussi le chevauchement à la fois des temporalités et des voix de l’énonciation.

2.2. De la chevauchée au chevauchement narratif

Le chevauchement des motifs équestres chez Claude Simon permet de brouiller la limite entre présent et passé, réel et imaginaire. Par un renvoi à d’autres images, d’autres scènes ou visions qui se superposent, le narrateur se perd dans le récit et emmêle les différents niveaux de perception et d’imagination. Le « crépitement monotone des sabots », par exemple, se superposant au bruit de la pluie sur le toit de la grange, provoque d’autres visions[30], de même que l’image des courses de chevaux surgissant au sein des scènes de guerre. Lors de l’attaque allemande qui cause la mort de Wack, le narrateur superpose à la vision des cavaliers et des chevaux fuyant pour sauver leurs vies, « les petits chevaux-jupons et leurs cavaliers rejetés en désordre les uns sur les autres exactement comme des pièces d’échecs s’abattant en chaîne[31]». Pour dépeindre l’événement le narrateur renvoie aux jeux d’échec ou de domino grâce à la multiplicité des références liées aux chevaux (réels, mais aussi les petits chevaux du jeu de plateau). Les « chevaux-jupons » ou « à bascule » sont une référence aux jeux d’enfants dont parle Dumézil[32] dans son analyse du mythe du centaure, consistant à se déguiser en cheval, le corps de l’animal étant représenté par une jupe autour de la taille, parfois avec un autre camarade en dessous de la jupe pour figurer la longueur de l’animal et les membres postérieurs. C’est sur l’hippodrome que cette comparaison apparaît d’abord au narrateur[33], créant le lien entre les deux scènes, celle de la course hippique et celle de la course devant le feu allemand. La superposition des deux scènes met en exergue l’aspect tragi-comique de la guerre, « jeu » des hommes, et le peu de valeur de la vie des soldats, comparés à des pions d’échec ou à des pièces de domino. Le chevauchement de motifs a un fort pouvoir évocateur chez Simon, fonctionnant par la juxtaposition d’images qui sembleraient éloignées de prime abord mais dont la juxtaposition permet de saisir le sens de la scène à différents niveaux de lecture.

L’histoire de la nouvelle Le Cheval, racontant la mort d’un cheval dans l’étable d’une auberge où les cavaliers font étape, réapparaît dans La Route des Flandres mais aussi dans LAcacia. Il en est de même pour la scène représentant le brigadier aux prises avec une jument qui refuse de sauter, présente dans La Route des Flandres, L’Acacia et le Jardin des Plantes. Le malmenage d’un cheval de main par un cavalier terrorisé est aussi un motif récurrent du Cheval, de La Route des Flandres, ou du Jardin des Plantes, malgré des changements de noms propres ou de personnages (Iglésia devient, dans La Route des Flandres, un conducteur de chevaux anonyme). Les scènes équestres sont ainsi, chez Claude Simon, l’objet de superpositions du réel et de l’onirique, comme dans le cas de la mort de Reixach, introduite dès le début de La Route des Flandres et leitmotiv récurrent. Celle-ci n’apparaît, dès le départ, que comme le récit d’une action déjà passée, puisque la mort de Reixach, à cheval, est présentée tout de suite comme un fait établi. L’incipit de La Route des Flandres débute par la première rencontre entre le narrateur et Reixach, son capitaine. La scène de sa mort est annoncée : « par la suite » indique une succession dans le temps, ou l’alternance du présent, passé composé et plus-que-parfait. La scène est introduite par deux points, renforcée par le groupe nominal « un moment », qui provoque une pause de la durée. En obligeant la narration à s’interrompre, et en adoptant une énonciation à la première personne du singulier, le romancier attire l’attention du lecteur sur ce moment précis de l’histoire qui est la scène de la mort de Reixach. Là encore, la mort du capitaine semble le seul référent véritable dans un monde qui se désagrège, comme un fait auquel le narrateur se rattache pour se convaincre qu’il n’a pas rêvé. Au fur et à mesure que le récit avance, la précision de la narration s’estompe et des digressions apparaissent dans une phrase qui n’en finit pas. Le narrateur s’interroge sur la réalité du cadre diégétique, « le monde lui-même tout entier et non pas seulement dans sa réalité physique mais encore dans la représentation que peut s’en faire l’esprit[34]», blâmant le manque de sommeil et le fait de ne pas avoir dormi depuis dix jours, sauf à cheval. Cette référence au manque de sommeil et ces sauts temporels mettent en doute la réalité de l’expérience vécue, dans laquelle la mort de Reixach semble la seule certitude parmi les souvenirs de l’événement, un point fixe autour duquel s’articule la mémoire. Tous les souvenirs de la guerre semblent se ramener à cette scène absurde, mais factuelle, de suicide équestre. L’analepse, par le biais du souvenir et de la remémoration de faits réels ou de visions, donne à la scène équestre la forme d’une superposition de différentes époques, passé et présent, engendrant parfois la confusion au sein de la diégèse.

Seule la mort – celle du cheval, celle de Reixach – semble un point fixe et immuable autour duquel s’articule le récit, lui donnant une matérialité au sein même d’un processus de désagrégation de la matière, celle des corps, en lambeaux, qui se fondent dans la boue, et du récit lui-même, dans une phrase qui n’en finit pas de se dérouler.

C’est dans la mort que le temps prend sa revanche sur le cheval et sa valeur atemporelle. L’animal est en effet détaché peu à peu de toute la matière mythique qu’il véhicule et renvoyé à sa matérialité, et donc à sa finitude.

3. La mort du cheval, une revanche du temps ?

3.1. L’haruspice et le rituel dans Deux cavaliers de l’orage

Le chapitre central des Deux cavaliers de l’orage, construit autour des foires de Lachau et de la mort d’un cheval « fou » est en réalité une démythification progressive de l’animal qui devient le support du rituel et prend une dimension symbolique forte, proleptique, puisqu’il représente à la fois la naissance et la mort, un double du personnage et aussi sa mort annoncée. En cela le corps du cheval représente à la fois le passé et le présent de Marceau, alors même qu’il constitue une rupture, un coup de théâtre, dans le récit. On sait que le meurtre d’un cheval est quelque chose « d’impensable » chez Giono[35]. Le narrateur des Récits entame d’ailleurs la première nouvelle par cette mention : « je n’aime pas qu’on tue les chevaux[36]». On sait que l’œuvre de Giono comporte des résonnances narratives. D’un texte à l’autre, les personnages font retour. On retrouve des scènes communes dans différents récits. Or ce meurtre du cheval est un événement suffisamment important dans son univers fictif pour faire l’objet de deux récits identiques : un premier épisode radiophonique intitulé « Le cheval de Carpentras », enregistré en 1954, c’est-à-dire dix ans plus tôt[37] que celui des Deux cavaliers de l’orage, y fait déjà allusion. Cette permanence du cheval sacrifié en renforce encore la symbolique. Dans Deux cavaliers, Martial et Mon Cadet ne vont pas à Carpentras mais à Lachau ; un événement auquel, d’ailleurs, le lecteur n’a pas le droit d’assister puisqu’il ne lui sera délivré, ensuite, que par le discours rapporté des deux frères. Lorsque l’aîné revient, il ramène avec lui « un long fardeau sur son épaule. Un gros poids, quelque chose qui est dans un long sac, une chose molle et lourde qui pend de chaque côté de son épaule et qu’il porte en bombant le dos[38]». Alors que les personnages s’inquiètent de ne pas voir le cadet, cette peur préfigurant déjà la peur inconsciente, mais pourtant fondée, d’un fratricide constituant la seule issue possible de la relation fusionnelle des deux frères, Marceau révèle progressivement le contenu du sac sous le mode d’une devinette : « Ouvre-moi le sac et regarde-moi le beau tour de force qui est dedans[39]», « cette chose pleine de sang[40]», « la chose sanglante[41]», « un énorme morceau de viande de bête[42]». Au fur et à mesure du récit, le cadavre gagne en substance, « il doit y en avoir au moins cinquante kilos », « il y a encore la peau », « le poil est beau, lustré », et pourtant, jusqu’à la fin, personne ne comprend que ce sac contient un cheval mort. Comme si l’introduction de son corps, par des attributs triviaux, sanglants, propres à n’importe quelle bête de consommation humaine, empêchait les auditeurs – l’assemblée des quatre femmes, mais aussi le lecteur – d’associer l’image du cheval et cette chose sanguinolente au pied de Marceau. Il leur faut attendre les différentes allusions de Marceau, pourtant très explicites : « Viens manger une bonne tranche de cheval rôti[43]»; « il devrait venir un peu ici, manger du cheval rôti. » ; « tu vas prendre une poêle d’un mètre et tu vas nous frire cette viande de cheval[44]», sauf que ses propos paraissent si incohérents à l’assemblée, qu’il est accusé d’avoir trop bu et de délirer : « Quand tu iras à Lachau, ne bois plus le même vin Marceau, celui-là a l’air de te rester sur l’estomac. Qu’est-ce que c’est que cette viande de cheval dont tu parles tout le temps ? Et quel cheval ?[45]». L’esprit de l’auditeur/lecteur est partagé, par dissociation cognitive, entre l’image du cheval vivant et celle du cheval mort réduit à l’état de viande. Le processus naturel de dissolution du corps vivant en matière morte et sanglante est inversé, puisque la narration commence par un contact avec la matière. Il s’agit pour Marceau de provoquer d’abord un contact physique et matériel avec le cadavre, d’abord par la vue (« regarde ») puis par le toucher, en prenant conscience de son poids et de la douceur de son poil (« lustré »). Le sang est toujours chez Giono lié à un acte d’amour, et à une fascination similaire à celle que l’homme éprouve pour le feu. D’ailleurs l’adjectif « beau » est répété de nombreuses fois, comme si le cadavre était un objet esthétique. C’est parce que le sang induit d’autres représentations, esthétiques, symboliques, qu’il est difficile de superposer à l’image de la viande sanguinolente, signe de mort – mais aussi de vie, puisqu’elle permet la consommation, et donc la survie de l’homme – la vision de l’animal vivant, choyé, dans l’imaginaire collectif. Toute la description faite par Marceau semble une transfiguration du corps du cheval, qui transite du statut de chose sanguinolente à celui de bête, pour revêtir peau, poils, et enfin redevenir la « plus belle bête du monde ». Le fait de la manger devient alors extrêmement symbolique[46]. C’est un renvoi au mythe de la transsubstantiation – repris par l’Église catholique avec la pratique de l’Eucharistie – qui veut que la consommation permette à celui qui mange le corps de s’approprier les propriétés de l’être consommé : sa beauté, sa force, son âme, et peut-être ici sa fonction éternelle, comme le suppose Anne Simon en introduisant l’hypothèse de l’hybridité et la fusion de ce qu’elle appelle le « corps temps[47] ». Cet acte marque en effet le commencement de la renommée de Marceau comme homme le plus fort du monde, et la venue de multiples combattants pour l’affronter : il est vrai que les Jason sont destinés à rester dans les mémoires bien après leur mort. Marceau s’inscrit donc à partir de cet acte sacrificiel, tel Œdipe, dans une voie inéluctable et tragique, dont seuls la mort et le sang pourront le délivrer.

3.2. La dissolution du corps équin, dans La Route des Flandres

La mort du cheval constitue aussi le nœud dramatique du Cheval de Claude Simon, et même de La Route des Flandres, dont la narration s’articule, de manière cyclique, par un mouvement de continuel retour à la figure d’un cheval mort vu par le narrateur sur la route et presque couvert de boue au point de ne pas être reconnaissable. Les chevaux sont matière à l’hybridation autant comme lien entre les différents personnages – au point que le narrateur imagine des parents « équins », comme c’est le cas à la lecture d’écrits d’ancêtres conservés par Sabine, sa mère (« il n’y a qu’un cheval qui a pu écrire ça[48]») – que dans leur rapport au corps et à la matière. Corps-fusionnant avec celui du cavalier, corps-dissolu se fondant dans la terre et la boue environnante, comme l’exprime cette phrase de La Route des Flandres : « les chiens ont mangé la boue[49]». La boue est alors à la fois la matière de la naissance permettant à la vision de surgir et celle de l’anéantissement annonçant la mort du « nous » polyphonique, dans lequel se fondent et se dissolvent les soldats de la garnison et leurs montures, dont le narrateur est l’un des seuls survivants. La phrase simonienne est aussi, à l’image de la boue, une phrase sans début ni fin. À peine une capitale vient-elle marquer le début d’une pensée et quelques virgules permettent-elles de respirer. C’est une phrase qui englue la lecture comme la boue, projetant sans cesse de nouvelles particules. Le lecteur a beau essayer de se dégager pour poursuivre l’histoire, il est immobilisé par le poids de la matière narrée. C’est la volonté d’une narration toujours plus précise et exacte des faits, épuisant toutes les possibilités herméneutiques des mots par l’énumération et l’addition de références, jusqu’à en délivrer le sens profond. La première phrase de La Route des Flandres s’étend sur une page entière, ne trouvant le point final qu’à la dernière ligne. Mais la boue gèle aussi parfois et retrouve alors la dureté de la terre et des pierres du sol, laissant la place à des « mondes morts, éteints et couverts de glace[50]». La boue fige alors les empreintes, tout comme elle fige et ensevelit les hommes et les chevaux dans l’Histoire, tous ensembles gris et méconnaissables dans cet immense bourbier qu’est la guerre. Cette boue est aussi la glaise originelle, celle dont est fabriquée l’homme et qui reprend son dû à la fin ; c’est le Memento, homo : quia pulvis es, et in pulverem reverteris[51]. Sauf que ce n’est ni un homme ni un dieu mais un cheval qui incarne cette destinée dans le récit. Georges est hanté par le cadavre d’un cheval sur la route, ou plutôt de « ce qui avait été un cheval[52] » : le corps se dissout ne faisant plus qu’un avec la boue qui l’entoure. Georges découvre que le cadavre « n’était plus à présent qu’un vague tas de membres, de corne, de cuir et de poils collés, aux trois quarts recouvert de boue[53]». Ce cheval devient une métonymie du vivant représentant à la fois l’être humain dont il partage les souffrances, mais aussi l’être vivant de manière plus universelle en perpétuelle métamorphose.

ce qui avait été un cheval était presque entièrement recouvert – comme si on l’avait trempé dans un bol de café au lait, puis retiré – d’une boue liquide et gris-beige, déjà à moitié absorbé semblait-il par la terre, comme si celle-ci avait déjà sournoisement commencé à reprendre possession de ce qui était issu d’elle […] et était destinée à y retourner, s’y dissoudre de nouveau, […] pourtant (quoiqu’il semblât avoir été là depuis toujours, comme un de ces animaux ou végétaux fossilisés retournés au règne minéral, avec ses pattes de devant repliées dans une posture fœtale d’agenouillement et de prière […])[54].

Avec la boue, on revient à l’origine du monde. La boue glaise, dont le règne animal est issu, et à laquelle il retourne, est d’abord une matière cosmique qui rappelle la figure du reptile, évoquant le serpent de la Genèse. En effet, comme lui, elle est fuyante et n’a ni début ni fin. C’est elle qui fait chuter l’homme. La boue est ensuite une mère protectrice qui « recouvre » ou « enveloppe » son enfant placé en position fœtale. On retrouve le sein maternel, et jusqu’au « bruit de succion » de la tétée, alors que la situation est inversée, puisque c’est ici la mère qui mange son enfant. Mais c’est l’étape nécessaire pour retrouver le grand tout, un espace qui réduit à néant toute individualité – on ne sait même plus à quelle espèce l’embourbé appartient (animal, végétal, fossile ?). La boue est cette matrice originelle, cette divinité terrible de la mythologie : une terre-mère qui avale ses enfants et les fait disparaître. Pourtant la terre en elle-même est peu évoquée dans La Route des Flandres. La matière qui s’oppose à la boue est le macadam de la route sur laquelle résonnent les sabots des chevaux. La seule allusion à cette terre-mère apparaît dans l’acte d’enterrer le cheval[55]. La figure du cheval offre alors aux soldats un retour aux rites funéraires qu’il ne leur est pas permis de pratiquer en temps de guerre. Lorsqu’on sait que le père de Claude Simon, tombé au cours de la Première Guerre mondiale, n’a pas été enterré, on peut se demander jusqu’où le texte participe, pour l’auteur, à un travail cathartique de deuil.

Par la disparition et l’hybridation finale du corps-cheval avec la matière (mangé chez Jean Giono, enfoui dans la terre chez Claude Simon), le temps prend enfin sa revanche sur l’animal dont le corps, dissolu, absorbé, disparait enfin. Le cheval continue néanmoins d’endosser un aspect double, à la fois matière vivante et tangible mais aussi support de la rêverie, permettant la superposition d’images oniriques et de projections transcendant sa réalité. Cette façon de confier l’être aimé (humain ou animal) à la terre ou à son propre ventre revient à le rendre à la matière originelle, source de vie. En ce sens, l’enterrement du cheval chez Simon peut aussi s’apparenter à l’acte d’hippophagie évoqué plus tôt chez Giono. Il viserait là aussi à inclure l’autre dans la matière, qu’il s’agisse de la terre ou du propre corps de Marceau, pour ne former qu’un tout, selon ce même principe de transsubstantiation créant une continuité entre la matière des corps et les éléments. Cette continuité pourrait alors être vue aussi comme un allongement du corps du cheval faisant partie du processus de transformation, après la mort de l’animal diffusant la matière jusqu’à sa fusion avec l’espace extérieur et sa disparition totale.

Notes

[1] Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, 1984, 12è éd., Paris, Dunod, 2016, p. 57.

[2] Giono Jean, Le Chant du Monde, Gallimard, 1934, p. 173.

[3] Simon Claude, La Route des Flandres, Paris, Minuit, 1982, (1ère éd. 1960), p. 46-47.

[4] Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, p. 175.

[5] Ibid., p. 193.

[6] Vincent Jouve, « pour une analyse de l’effet-personnage », Littérature, n°85, 1992. Forme, difforme, informe, p. 103-111.

[7] Simon Anne, « Hybridité animale et végétale dans Deux Cavaliers de l’orage (Giono) », Nouvelles Francographies, septembre 2007, vol. 1, n° 1, p. 205-216.

[8] Samoyault Tiphaine, « Achever le cheval : un problème historique et un problème poétique dans L’Acacia de Claude Simon », journées d’études consacrées au nouveau programme d’agrégation de littérature comparée, Université Paris Diderot, 25-26 janvier 2018.

[9] Arnaud-Toulouse Marie-Anne, « Cheval », in Sacotte Mireille et Laurichesse Jean-Yves (sous la dir. de), Dictionnaire Giono, Paris, Garnier, 2016, p. 199.

[10] Giono Jean, Que ma joie demeure (1936), in Œuvres complètes, Paris, La Pléiade, 1972, p. 448.

[11] Giono Jean, Noé, Paris, Gallimard, 1961, p. 12.

[12] Ibid., p. 14 et 18.

[13] Giono Jean, Que ma joie demeure, op. cit., p. 635-636.

[14] Giono Jean, Deux cavaliers de l’orage, Paris, Gallimard, 1965, p. 24-25.

[15] Simon Claude, Le Cheval, Paris, Les éditions du Chemin de Fer, 2015 (1ère éd. 1958).

[16] Ibid., p. 7.

[17] Simon Claude, La Route des Flandres, Paris, Minuit, 1982, (1ère éd. 1960) p. 46-47.

[18] Wagner Marc-André , Le Cheval dans les croyances germaniques : paganisme, christianisme et traditions, vol. 73 de Nouvelle bibliothèque du moyen âge, Champion, 2005 ; Wagner Marc-André,  Dictionnaire mythologique et historique du cheval, Éditions du Rocher, coll. « Cheval chevaux », 2006.

[19] Simon Claude, La Route des Flandres, op. cit., p. 145-146.

[20] Samoyault Tiphaine, op. cit., p. 2.

[21] Simon Claude, La Route des Flandres, op. cit., p. 242.

[22] Ibid., p. 231.

[23] Ibid., p. 34.

[24] Genette Gérard, op.cit., p. 175.

[25] Giono Jean, Deux cavaliers de l’orage, op. cit., p. 23-30.

[26] Ibid., p. 27.

[27] Ibid., p. 66-67.

[28] Ibid., p. 67.

[29] Ibid.

[30] Simon Claude, La Route des Flandres, op. cit., p. 46-47.

[31] Ibid., p. 174.

[32]

Voir Dumézil Georges, Le Problème des Centaures. Étude de mythologie comparée indo-européenne, Librairie orientaliste P. Geuthner (programme ReLIRE), « Annales du Musée Guimet », 1929, p. 42.

[33] Simon Claude, La Route des Flandres, op. cit., p. 173.

[34] Ibid., p. 18.

[35] Giono Jean, Les Récits de demi-brigade, Paris, Gallimard, 1972, p. 168.

[36] Ibid., p. 12.

[37] « Le cheval de Carpentras »,  Entretiens avec Taos Amroche (1954), CD 1, Editeur : Patrick Frémeaux / Editorialisation : Lola Caul-Futy Frémeaux, Frémeaux & Associés, 2017.

[38] Giono Jean, Deux cavaliers de l’orage, op. cit., p. 136.

[39] Ibid., p. 139.

[40] Ibid., p. 139.

[41] Ibid., p. 142.

[42] Ibid., p. 142.

[43] Ibid., p. 137.

[44] Ibid., p. 146.

[45] Ibid., p. 147.

[46] Si le bœuf a aussi été l’objet de sacrifices, il est important de rappeler que l’hippophagie, même légalisée depuis le XIXe siècle, ne représente que 3% de la viande consommée en France. Elle a toujours été une viande tabou réservée aux plus pauvres et à une consommation de famines et de guerres. Le symbolisme de son sacrifice, même dans un milieu rural, s’en trouve amplifié. Voir les travaux récents de Leteux Sylvain, « L’hippophagie en France : la difficile acceptation d’une viande honteuse », Terrains et Travaux : Revue de Sciences Sociales, ENS Cachan, 2005, p. 143-158 et de Maillard Ninon, « Manger ou ne pas manger le cheval (sacrifié) ? Telle est la question pour le chrétien. Mode d’abattage et consommation de viande chevaline dans l’occident chrétien », Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA, 2/2010, p. 291-301.

[47] Simon Anne, op. cit., p. 1.

[48] Simon Claude, La Route des Flandres, op. cit., p. 63.

[49] Ibid., p. 9.

[50] Ibid., p. 34.

[51] Genèse, 3, 19.

[52] Simon Claude, La Route des Flandres, op. cit., p. 29.

[53] Ibid., p. 29.

[54] Ibid., p. 30.

[55] Simon Claude, Le Cheval, p. 46.

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