« Tous les auteurs, à la suite de Chateaubriand et d’Edmond About, ont fait à l’envi, des mulets et des ânes de la Grèce, de leurs caprices, de leurs sentiments originaux, un tel tableau, que mes craintes étaient excusables, car je n’ai jamais pensé qu’il y ait quelque gloire à se casser la tête dans une excursion et à se faire rapporter en morceaux à la famille éplorée. Pour en finir avec mes incertitudes, constatant d’ailleurs que tous les harnachements sont également primitifs, j’opte pour le premier bourricaud venu et je l’enfourche.
Eh bien ! j’ai le devoir de rendre à cet animal et à ses frères, un public hommage de reconnaissance. Le nombre des mal élevés a été d’un et demi pour cent. La proportion fait honte à l’espèce humaine. Mon camarade a été parfait ! et si j’ai rapporté un pénible souvenir de sa compagnie, je le dois uniquement à de menus détails de la selle fort originale de bois sculpté : j’aime l’ethnographie et les reliques des vieux âges, le hasard m’a servi à souhaits. »
« Si la pente est généralement modérée, parfois elle prend l’allure du plus raide escalier, et même, dans le dernier village traversé, nous montons véritablement à pic. Je frémis à l’idée qu’un des cinq ou six cavaliers qui zigzaguent sur ma tête peut tomber avec sa bête et entraîner les autres sur mes chers appareils photographiques. A quel péril ne sont-ils pas exposés ! Enfin, eux et moi, nous sommes hors de danger, et nous passons sous les arcs de triomphe champêtres que la population de Kastri a dressés en l’honneur des Français. »1
« Après deux heures de montée, voici Delphes ! […]
Aucune photographie, aucun dessin, aucune peinture ne peut donner une idée suffisante de ces vastes paysages que l’on admire dans leur ensemble en parcourant l’horizon du regard. »
« Depuis trois ans, [Delphes] sort de son linceul. On a déplacé Kastri, on a enlevé 70,000 mètres cubes de terre ; ces travaux ont exigé 3 kilomètres de voie ferrée, 220 terrassiers par jour, grecs, italiens et ottomans. Les recherches seront terminées en 1897.
M. Homolle nous a fait l’honneur de venir nous recevoir et nous guider au milieu de toutes ses découvertes. Les présentations faites rapidement, la visite commence. »
« Au pied des roches Phaedriades, qui sont à l’opposé de notre point d’arrivée, au seuil même de la gorge qui les partage, est la fontaine de Castalie, un des séjours préférés des muses dont quelques pauvres femmes, en train de laver des nippes, occupent la place ! Là les pèlerins se purifiaient avant de pénétrer dans l’enceinte réservée aux choses divines. La source était habilement captée : on voit l’empreinte des robinets de bronze appliqués aux rochers, mais de ce qu’on avait édifié sur ce point il ne reste rien. »
« [La voie sacrée] monte par trois grands lacets vers le temple du dieu principal, toute bordée de monuments offerts par la piété orgueilleuse des Hellènes. M. Homolle nous les signale au passage. Dès l’entrée, nous rencontrons ces édicules où chaque nation abritait les dons faits par elle dans les plus solennelles circonstances ; voici, face à face, les trésors d’Athènes et de Lacédémone… »
« C’est dans ce quartier [celui du trésor de Syracuse] que les fouilles, peu de jours après notre passage, mirent à découvert une admirable statue de bronze et des fragments d’un char qui est probablement celui de Hiéron Ier, tyran de Syracuse, dont Pindare a chanté les victoires aux jeux olympiques. Nulle part, nous dit M. Homolle, nulle part les statues ni les bronzes ne sont sortis de terre en aussi grand nombre. On était là plus près du Dieu ; plus pressées et plus somptueuses étaient les offrandes.
En effet, voici le temple couvrant de ses ruines une large et longue terrasse. Il gît écroulé sur le sol, mais les bases de la construction, des murs et des colonnes, le pavé de ses diverses parties, les degrés demeurés en place, les ouvertures béantes du souterrain, séjour de la Pythie, sont nettement dégagés à la surface d’un soubassement énorme et le plan général s’étale à nos yeux. »
« Le théâtre, comme tous ceux que nous verrons en Grèce, est creusé dans la montagne même. De tous les points de l’enceinte où notre troupe paraît clairsemée, nous ne perdons pas un mot des conversations qu’on tient sur la scène. Tout à coup, une voix fait entendre le Noël de Massenet et un air d’Orphée de Gluck. C’est à la fois le triomphe de Mme F…, que nous avions déjà applaudie à bord, et du théâtre, dont les qualités parfaites ne pouvaient être mieux démontrées. Assis sur les gradins supérieurs, nous avons devant nous le majestueux horizon que les spectateurs antiques recherchaient, et à nos pieds l’ensemble des ruines que nous venons de passer en revue. »
« M. Homolle a pu dire, avec une satisfaction bien légitime, que l’histoire de la sculpture archaïque, si récemment transformée par les découvertes d’Olympie et d’Athènes, est à refaire depuis les fouilles de Delphes. Ici, nous avons des renseignements précis, des inscriptions, des dates et la lumière acquise rayonne sur le Péloponnèse, l’Attique, les îles. »
« Nous sommes réunis à sept heures sur le Sénégal ; tout va bien. Dieu ! qu’il a passé vite ce premier jour de bonheur ! »
1. « Il y a quatre ans, lorsqu’on faisait les expropriations pour commencer les fouilles, ces mêmes gens qui nous saluent s’étaient insurgés et recevaient à coups de fusil les mandataires de la France et les autorités helléniques ! »↩