Syra et le retour à Marseille

« Nous laisserons M. Homolle à Syra. Nous devons lui exprimer notre reconnaissance pour les services rendus à la science et à la patrie ; nous avons été ses disciples, pendant les jours qu’il nous a consacrés, et si notre expédition a trouvé partout le terrain bien préparé, c’est à lui que nous le devons ; c’est lui qui nous a obtenu les faveurs du gouvernement et, par exemple, la suppression absolue de toute visite douanière ! »

« On vide en son honneur une coupe de champagne et l’on débarque.
Syra est une île autrement importante que le reste de l’archipel. Sa capitale compte plus de vingt mille habitants ; c’est, par conséquent, une des grandes cités du royaume et de plus un port excellent. Nous avons pu approcher du quai et autour de nous des navires en nombre marquaient l’activité du commerce local.
La ville se présente sur deux collines pointues que les maisons couvrent jusqu’au sommet ; l’aspect est original et rappelle le panorama d’Alger. »

                                             « Syra. 69 ». 1896

 

                               « Syra, une rue et porteuses d’eau. 8 ». 1896

« A sept heures du soir, nous quittons définitivement la Grèce. Tout est réglé pour nous permettre de voir au grand jour ses pointes méridionales, le détroit de Messine, celui de Bonifacio. Nous devons débarquer en France à la première heure du quatrième matin. Notre plan, on va le voir, n’a pas été rempli exactement. »

                                          « Syra. Le Sénégal en rade. 71 ». 1896

« Quelques heures plus tard, nous doublions le cap de Ténare, une des portes de l’enfer. La Grèce se perd bientôt à l’horizon et nous sommes, pour le reste du jour, seuls en pleine mer.
Le lendemain de bon matin, nous longeons les côtes de l’Italie et de la Sicile.

Vers dix heures, nous allons près du Stromboli, que notre commandant nous laisse le temps de bien observer.

« Vue du Stromboli. 79 ». 1896
« Vue du Stromboli. » 1896

 

 

 

 

 

 

Nous avons maintenant un temps admirable ; la Méditerranée a son bleu de cobalt incomparable ; un souffle tiède agite à peine l’air. C’est à merveille, car ce soir on entendra un grand concert au profit de la Société de secours aux naufragés.

Un programme des plus séduisants tint toutes ses promesses. Le speech de M. Larroumet nous prêchant la charité, cette vertu que les Grecs n’avaient pas soupçonnée, et qui est l’idéal chrétien, fut couvert de bravos et délia sérieusement nos bourses. Puis on dansa, et, tandis que le Sénégal s’embrasait, fantastique, dans la pourpre rutilante des feux de Bengale et, que les fusées multicolores se croisaient dans notre ciel, un punch d’honneur était offert au commandant Rebuffat et à ses officiers, qui avaient bien mérité notre reconnaissante sympathie.
A minuit, nous avons regagné nos cabines, et notre machine, après avoir ralenti son mouvement pour favoriser notre soirée, reprenait sa grande vitesse.
Le lendemain, au fond de cette même salle de fête, privée à peine de quelques ornements trop mondains, était dressé un autel et on disait la messe. Mais le temps était bien changé ; le mistral soufflait fort…

Le pont n’avait plus qu’un nombre restreint de passagers. A l’heure du repas, la cloche retentissait en vain dans la batterie, une trentaine de convives seulement sur deux cents buvaient à la santé des camarades !

Quand nous arrivâmes tardivement en face de Marseille, le port était consigné.

A ce moment, les esprits s’aigrissaient et prenaient en grippe la mer ; on insultait le port de Marseille, où l’on est bloqué au départ, où l’on ne peut rentrer quand on revient !

Le déjeuner fut lamentable, la cuisine du Sénégal mauvaise pour la première fois. Heureusement, vers quatre heures, le vent tomba et nous pûmes gagner le goulet. Le remorqueur vint, par une manœuvre audacieuse, recevoir notre amarre, et, à six heures, nous touchions aux pontons. Au milieu des embarras du débarquement, de la visite impitoyable de la douane, nous nous serrons les mains et nous disons au revoir.

Heureux qui comme Ulysse a fait un bon voyage,
ou comme celui-là qui conquit la toison,
et puis est retourné plein d’usage et raison
vivre entre ses parents le reste de son âge !

Ainsi parlait notre vieux poète, Joachim du Bellay ; mais de son temps les voyages n’étaient guère plus faciles ni plus rapides qu’à l’époque lointaine où vivait le fils illustre de Laërte. Aujourd’hui, sans fatigues ni dangers, en quelques moments,

nous voyons tous ces lieux dont les brillants destins
occupent la mémoire ou les yeux des humains,

Et il n’est personne qui ne m’approuve de garder, au fond du cœur, la douce espérance de quelques voyages encore et surtout d’un retour en Grèce. »