Mycènes

Là-haut, contre les montagnes grises et désolées qui dressent leurs pointes à 800 mètres, nous entrevoyons Mycènes. Le train s’arrête devant une petite maison qui a l’honneur d’être la « station de Mycènes ». Aux environs, la campagne est dépeuplée, les arbres très rares, les champs malingres. Trompés par la transparence de l’air, nous pensions arriver en quelques minutes, il faut près d’une heure pour gagner le village intermédiaire, Kharvati – à travers ce « pays de la soif », comme on disait du temps d’Homère, alors que se racontaient la dispute de Héra et de Neptune, le verdict des juges en faveur de la déesse et le dépit de Neptune faisant disparaître toute l’eau de leur pays. – L’eau nous importe peu, mais le soleil paraît nous faire sentir qu’il marche sur les rochers, comme disaient les anciens. Je connais des gens de notre caravane qui, la chaleur aidant, excusés d’ailleurs par le poids de plusieurs appareils photographiques, regrettent les ânes de Delphes !
Enfin, nous sommes en face de la célèbre citadelle, la seule, fait curieux, que l’antiquité n’a jamais désignée sous le nom d’acropole. Elle se profile à nos regards, dans un site sauvage et désolé.
C’est Mycènes, la cité riche en or, πολύχρυσος Μυκήνη, dont les fameuses légendes servent de préface à l’histoire et de base aux chants d’Homère, aux tragédies de Sophocle, d’Eschyle et d’Euripide ! On sait jusqu’à quel point l’archéologie a reconnu dans ces récits de véridiques traditions, si bien qu’on a pu rappeler le mot d’Aristote : il y a plus de vérité dans la poésie que dans l’histoire.

« Mycènes. Le revers de la Porte des Lions. N°33. 32 ». 1896

Devant l’entrée principale, et, comme tous les voyageurs qui nous ont précédés, nous sommes fortement impressionnés. Les matériaux volumineux et la construction, plus soignée que partout ailleurs, ont l’allure d’une œuvre de géants : οὐράυνια τείχεα, murailles célestes, disait Euripide. Sur le linteau de la porte, s’appuie le plus ancien monument de la sculpture grecque, bloc énorme avec ses lions étranges et fiers, qui sont comme le blason de la force et de la majesté.

 

 

 

 

« Le cercle de Mycènes ». 1896

Le seuil franchi, nous trouvons devant nous le mystérieux Agora, cet enclos entouré d’un double cercle de dalles encore droites. Dans Electre, le héraut debout près des degrés de pierre, crie à haute voix : « A l’Agora, à l’Agora ! Venez, peuple de Mycènes, pour voir les présages et les signes effrayants des rois bienheureux !
En effet, là étaient des tombes royales et sacrées. Les fosses profondes où elles gisaient sont ouvertes à nos pieds. Schliemann, guidé par ses études spéciales, par ses fouilles préliminaires sur tous les points de la ville, par son génie et sa foi, voyait ses morts illustres sous leur épais manteau de terre protectrice, et il sut les exhumer en 1876.

Au travers des ruines mises à découvert par lui et par ses émules, en tête desquels on doit nommer les éphores des antiquités, MM. Stamatakis et Tsoundas, nous montons vers le palais des Pélopides.

« Entrée de la chambre funéraire près Mycènes, restitution. 46 ». 1896
« Intérieur du Trésor d’Atrée, Mycène reconstitution. 46 ». 1896

 

 

 

 

 

 

 

Schliemann a eu le mérite d’attirer l’attention sur cette ville, à peu près abandonnée, dans son ensemble du moins, 1,200 ans avant notre ère, date de l’invasion des Doriens. Il a mis au jour, pour en doter les musées d’Athènes, une prodigieuse collection d’objets merveilleux. Il a révélé au monde savant l’art mycénien, une civilisation ayant duré des siècles dans la Méditerranée orientale. Il a fait, en outre, définitivement la lumière sur ces monuments tumulaires épars aux abords de Mycènes et que l’on appelait des trésors, sépultures à coup sûr réservées à de grands personnages. Schliemann raillé durant sa vie, surtout en France, est mort en 1889 ; sa mémoire reçoit des louanges universelles, il n’a plus que des admirateurs !
Les attelages d’Argos, chargés de notre déjeuner, ont trouvé la côte trop raide. Nous les avons en vain attendus à Mycènes. Ils ont pu arriver à grand peine au trésor d’Atrée ou tombeau d’Agamemnon. Dans le vestibule même de la crypte, le festin nous est servi et s’achève au milieu d’une joie exubérante dont les échos retentissent.
Nous redescendons, nous reprenons le train et il nous dépose à Tirynthe, la patrie d’Hercule. Aussi bien les murailles de l’acropole sont-elles les plus colossales de toutes et, par places du moins, mieux conservées que partout ailleurs.

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De retour à Nauplie

En gare, nous pénétrons lentement, au milieu d’une foule énorme, éclairée de la manière la plus étrange : des centaines de petits cierges brillent entre les mains de ces braves gens. Tout un peuple nous acclame.
Sur une estrade improvisée, que dominent les drapeaux des deux nations, la municipalité nous reçoit, nous harangue et Larroumet, Monceaux remercient. Aux cris de : « Vive la France ! Zito i Gallia, » nous répondons par ceux de : « Zito i Hellas, Vive la Grèce ! » La musique municipale joue la Marseillaise (apprise dans la journée !) et l’hymne grec. A sa suite on se range en cortège et nous entrons en ville. Notre marche devient triomphale ; des illuminations, des flammes de bengale, des drapeaux, des trophées de verdure à profusion partout sur notre chemin ! D’unanimes acclamations nous accueillent.
La France a là des amis sincères, à coup sûr les plus désintéressés. Leurs vivats retentissent longtemps encore lorsque nos canots nous ont ramenés à notre bord.