Par souci de synthèse et de respect de la propriété intellectuelle, je ne souhaite pas restituer mot pour mot les notes prises lors des interventions. Je ferais donc un bref bilan de quelques phrases pour les résumer.
Le colloque intitulé « L’homme des bois, l’homme vert ; L’imaginaire de l’homme sylvestre dans la littérature et les arts » s’est tenu les 8 et 9 février 2017 à l’université Toulouse Jean Jaurès sous la présidence de Sophie Duhem, maître de conférence en Histoire de l’art moderne à l’UT2J, rattachée au FRAMESPA, et Cristina Noacco, maître de conférence en Littérature médiévale à l’UT2J, rattachée au PHL/EHL.
Ce colloque de deux jours a été fort stimulant : des interventions variées, des questions intéressantes, un thème exploité autant par la littérature que l’histoire de l’art et qui fait appel à une iconographie riche, un regard croisé entre ces deux disciplines, des explications sur l’étymologie de certaines notions, etc.
Ces deux jours étaient la fin d’une série de manifestations scientifiques qui se tenaient depuis deux ans et clôturaient l’expédition du thème de l’homme sauvage à travers la transdisciplinarité littérature-histoire de l’art.
Je présenterai dans cet article uniquement le premier jour. Je ferais un autre billet pour les interventions du 9 mars.
Première partie : L’homme des bois : l’occupant des espaces intermédiaires – l’homme des « seuils »
La première journée a débuté avec une ouverture présentée par Sophie Duhem et Cristina Naocco, qui ont fait le bilan de cette série de colloques sur le thème abordé. La perception de l’homme sauvage se divise en deux temps, séparée par les Grandes Découvertes, avec les figures de l’homme et de la femme sauvages comme figures négatives, puis de l’ermite. La conclusion à cette introduction nous renvoie au pouvoir de l’homme vert qui nous rapproche du milieu originel de l’homme.
S’ouvre donc en réponse à cette conclusion d’introduction une intervention de Corinne Bonnet, Professeure d’Histoire grecque à l’UT2J, sur Endiku : Endiku : de la steppe à la ville, de la vie à la mort.
Après une brève explication sur le mythe de Gilgamesh et des lectures de tablettes, la figure d’Endiku se trouve être le fondateur de l’homme sauvage, aux environs de 2 500 ans avant notre ère. Sont détaillées les relations complexes entre Gilgamesh et Endiku : l’un est roi et symbole de la civilisation ; l’autre est le symbole de l’homme naturel mais aussi comme préfiguration d’un destin tragique.
Un saut dans le temps et nous nous retrouvons avec Agatha Sobczyk, Maître de conférence en littérature française du Moyen Age à l’Institut d’Études Romanes à l’Université de Varsovie, pour nous présenter L’anachorète, la nature et le sacré : frontière et osmose. Quelques exemples dans la littérature française des XIIe et XIIIe siècles.
L’intervention s’ouvre sur l’importance de la forêt dans l’ermitage et la différence entre un ermite (traces de civilisations, rapprochement de Dieu) et un homme sauvage (pas de trace de civilisation). A l’appui de son propos, cinq textes médiévaux qui relatent des exemples d’ermites, et non pas d’homme sauvage puisque la figure est vue négativement. La foi est une notion importante dans ces textes et résume bien la raison principale au choix de vie d’ermite.
Restons dans l’univers médiéval avec la légende de Merlin : Merlin dans les forêts de Romenie : irruption du sauvage dans le courtois, présentée par Anne Berthelot, Professor of French and Medieval Studies at University of Connecticut.
L’introduction résume la légende de Merlin, ses métamorphoses (en cerf) et la complexité du personnage, pris entre la nature, la métamorphose et l’homme. La métamorphose comme supérieure à l’animal sauvage car transcendée par la parole. La question de l’homme sauvage se pose par sa capacité à se métamorphoser.
Deuxième partie : Hybridité, bipolarité de l’homme des bois et de l’homme vert
Retour en Grèce avec l’intervention de Caroline Borio-Lobert, Docteure en Lettres classiques à l’UT2J, intitulée Figures de l’homme sauvage en Grèce ancienne : la chevelure, indice d’une nature sauvage.
Le vocabulaire est une partie intégrante à la figure de l’homme et de la femme sauvage : les mots utilisés s’emploient aussi bien pour des éléments naturels (forêts, buissons) que de pilosité (même mot pour poils et cheveux). Cette porosité sémantique met bien en avant la différence entre l’homme sauvage, rattaché au végétal, à l’animal, à des divinités violentes (elle prend l’exemple de Pan, de Typhon).
Dans la continuité de l’étymologie et explication de termes originaires du Grec ancien, l’intervention Hybris d’Olivier Secardin, Professeur assistant à l’Université d’Utrecht, clôture cette deuxième partie du colloque.
La notion d’hybridité est à l’origine elle-même hybride : elle est pluridisciplinaire, à la fois issue du latin et du grec. Elle oppose le sauvage à la mesure, à l’ordre, la sauvagerie à la citoyenneté, nature et contre-nature. Je cite : « La notion d’hybridité va à l’encontre de l’approbation de la cité », comme si l’hybride serait signe de désordre.
Troisième partie : « L’homme des bois, figure du lieu et du territoire »
Pascale Tiévant, Docteure en Histoire de l’art médiéval à l’UT2J présente L’homme sauvage – figure de l’ailleurs- dans l’iconographie de la littérature profane des XVe et XVIe siècles.
L’homme sauvage connaît un regain d’intérêt pendant la période ciblée mais ne se voit pas porté d’un jugement aussi négatif qu’il a pu l’être lors des périodes précédentes. En effet, d’après le corpus choisi par Pascale Tiévant, l’homme sauvage est plus une victime que l’agresseur dans les enluminures. L’homme sauvage n’est pas vraiment humain et a une part d’animalité hybride importante, vit dans un milieu naturel hostile et parfois associé aux marginaux. Il y a cependant de l’ambiguïté : la figure sauvage est entre animalité, violente barbare et mythe du « bon sauvage », de l’Age d’or vu par les Grecs.
S’ensuit une présentation sur Arminius, héros fondateur germanique d’une « ethnicité forestière » par Brigitte Krulic, Professeure d’Études germaniques à Paris Ouest Nanterre.
Le mythe d’Arminius est fondateur dans l’idée d’identité germanique, avec à la bataille dans la forêt de Teutobourg en 9 après J.-C ; il sera largement diffusé grâce à l’invention de l’imprimerie. La forêt comme vecteur d’identité et de protection, de frontière entre le pur (la Germanie) et l’impur (la France abâtardie), entre la civilisation et la kultur, entre les Germains (habitants de la forêt) et les Romains civilisateurs (ayant rasé leur forêt pour soumettre la nature).
Voyage temporel et géographique avec Joëlle Ginestet, Maître de conférence en Littérature occitane à l’UT2J, qui présente Hommes sauvages de Provence dans la littérature occitane (XIXe-XXe).
Avec quelques lectures en Occitan (avec traductions en Français), cette intervention a su nous faire voyager dans le Sud de la France avec des personnages hybrides : homme-bouc, homme-taureau, homme-chèvre, etc. Les frontières entre réel et irréel ainsi que les démons intérieurs sont questionnés, interrogés, remis en cause, brouillés.
Autre voyage géographie, direction la Louisiane avec L’homme vert des bois des bayous de Louisiane : héritage et syncrétisme dans la série True Detective présentée par Mailys Aste (LISST) et Marie Maillos (ALLPH).
Les bayous comme lieux propices à des histoires fantastiques et mystérieuses. L’homme vert comme métamorphose entre l’humain et le végétal, à la croisée de deux mondes. Il y a un affrontements entre la figure de l’homme vert et celle du coureur de forêt, mais à la fois une ambivalence et un rapprochement dans le destin. La série joue avec l’iconographie et les codes, entre les lieux, les interfaces, les relations, la porosité des mondes censés s’opposer.
Hyacinthe Carrera, Professeur de Littérature française à l’Université de Perpignan, présente Hommes sauvages, hommes bêtes et fêtes populaires.
C’est une sorte de clin d’œil au propos de Joëlle Ginestet et une continuité ou une réalisation des légendes écrites.
L’homme bête est très présent dans l’imaginaire catalan et des fêtes sont organisées avec des costumes d’ours. « Carnaval-théâtre » où on peut vivre l’excès, un moment de catharsis des pulsions animales, représentées par le costume, les danses, les activités de ces fêtes.
Bernard Boisson, Photographe et auteur, présente une très belle vidéo-conférence sur Les forêts inexploitées : espace d’éveil sensible et de déconditionnement psychologique pour l’humain actuel. Magnifique panorama de photographies en forêt avec un fil conducteur narratif sur les forêts, leurs façons de vivre et l’importance de les préserver.