Leslie CASSAGNE
Ancienne élève de l’École Normale Supérieure (Ulm), Leslie Cassagne est doctorante en théâtre et danse à l’Université Paris 8 (EA 1573 « Scènes du monde, création, savoirs critiques »). Dans le cadre de sa thèse sur les usages des matériaux documentaires dans la création chorégraphique contemporaine, elle s’intéresse au travail d’artistes tels que Luciana Acuña, Faustin Linyekula, Sandra Iché, Dorothée Munyaneza, Rachid Ouramdane, Arkadi Zaides. Récemment, elle a publié dans La Revue Documentaire (octobre 2022) « Un écho porteur d’une émotion politique. Archives sonores et corps en mouvement ». Actuellement, elle est également en formation en danse-mouvement thérapie à l’Université Paris Cité.
Pour citer cet article : CASSAGNE, Leslie, « Traverser le temps : un passé qui ne meurt pas ? À l’écoute d’archives qui dansent chez Anne-Teresa de Keersmaeker et Faustin Linyekula », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse-Jean Jaurès, n°13, « Temps à l’oeuvre, temps des oeuvres », saison automne 2023, mis en ligne le 13 octobre 2023, disponible sur https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2023/09/27/traverser-le-temps-un-passe-qui-ne-meurt-pas-a-lecoute-darchives-qui-dansent-chez-anne-teresa-de-keersmaeker-et-faustin-linyekulaa1-a/
Résumé
Par une analyse de deux pièces mobilisant en leur sein une archive sonore – Elena’s aria (1984) de Anne-Teresa de Keersmaeker et Sur les traces de Dinozord (2012) de Faustin Linyekula – cet article propose de penser la pièce de danse comme espace possible où faire sentir la complexité du temps. Alors que la danse, art par excellence de l’éphémère, pourrait être perçue comme la pratique phare d’une époque présentiste, elle se révèle ici instrument pour faire éclater la conflictualité à l’oeuvre dans le temps, reposant sur la conscience que les archives sont vivantes et le passé une matière à sans cesse dé-monumentaliser.
Mots-clés : danse contemporaine – archive – reenactment – contre-présentisme – Congo
Abstract
Through the analysis of two choreographic works, Anne-Teresa de Keersmaeker’s Elena’s aria (1984) and Faustin Linyekula’s Sur les traces de Dinozord (2012), both using sound archives, this paper aims to think of the dancing play as a site where time complexity can be experienced. While dance, the ephemeral art, could be seen as the top artistical practice of our lifetime, focused on the present, it appears to be a way of blowing up time conflictuality by raising awareness about the living aspect of archives and coming down the past from its pedestal.
Key words : contemporary dance – archive – reenactment – counter-presentism – Congo
Sommaire
Introduction
1. L’anti-monument : vie et métamorphose des archives
2. Des voix subalternes dans des monuments de la danse contemporaine
3. De multiples couches de temps, vernis d’un mémorial détruit ?
Conclusion
Notes
Bibliographie
Introduction
Les archives sont des organismes vivants. Ce n’est pas parce qu’un objet est entré dans une collection d’archives qu’il appartient entièrement au passé. Bien au contraire : l’entrée dans l’archive[2] signifie pour l’objet – matériel, textuel, visuel ou sonore – l’inauguration d’une nouvelle forme de vie, d’une nouvelle inscription dans le temps. Une fois archivé, l’objet a un devenir, tout à la fois matériel et symbolique : s’il est parfois sur-préservé, il peut être oublié, détérioré voire détruit… Ou encore manipulé ou re-signifié. Si les archives sont vivantes, c’est qu’elles sont inscrites dans une temporalité, et donc dans un processus de métamorphose.
Une société qui refuse de percevoir le caractère métamorphique des archives et qui les considère comme des blocs immuables, témoins fiables d’un passé, s’abîme paradoxalement dans ce que François Hartog nomme « présentisme ». Par l’usage d’un tel terme, il décrit le tournant pris par les sociétés européennes depuis les années 1970, qui se caractérisent par une attitude de « réponse immédiate à l’immédiat », le présent devenant « seul horizon possible[3] ». Dans Régimes d’historicité[4], il explique que si le début XXe siècle a été marqué par le « futurisme », axé sur la confiance en un futur meilleur, impliquant l’idée de progrès, c’est le point de vue du présent qui a pris de plus en plus de place : puisqu’il n’est plus possible de croire en un avenir émancipateur, humainement comme techniquement, on en vient à générer des besoins et inventer des réponses au jour le jour. Le présentisme prend un double visage : celui de l’accélération, de la consommation effrénée du temps d’un côté ; la stagnation de la survie au jour le jour, de l’autre. Ce qu’il est important de souligner, c’est que le corollaire de ce présentisme n’est pas l’oubli du passé, mais bien plutôt sa patrimonialisation : pris dans des enjeux mémoriels qui reposent sur la nécessité de définir des identités, le présentisme manifeste son désir de préserver les traces du passé « en l’état ». Ceci est le signe d’une rupture entre le passé et le présent, puisque le passé n’est plus vivant mais figé. Ces pratiques n’intègrent pas ce que clame Michel Foucault dans L’Archéologie du savoir, à savoir que le document est toujours déjà monument, c’est-à-dire un énoncé assemblé par un individu, un groupe ou une société afin de soutenir un discours et par extension, de défendre une vision de l’histoire.
1. L’anti-monument : vie et métamorphose des archives
La place de la danse dans cette réflexion est particulièrement intéressante. Fréquemment considérée comme un art de l’éphémère, elle reposerait sur un geste qui ne laisserait pas de traces. « Art mineur et hybride, offert selon l’espace louche de la scène et de la fête, produisant des “objets” évanouis sitôt que montrés[5] », comme le souligne Frédéric Pouillaude en introduction à une réflexion autour des écrits de Valéry sur la danse. Cette dimension se double de la volonté postmoderne de ne surtout pas reproduire le passé. La danse contemporaine, à l’époque d’une pensée et d’une pratique du happening, de l’event, de la performance et du non reproductible, a pu être séduite par cette idée, et ce dès les années 1950, lorsque Merce Cunningham rompt radicalement avec la danse moderne, en proposant des pièces qui s’émancipent de cette tradition, notamment par la quête de mouvements inédits, obtenus à travers une pratique du hasard. La danse contemporaine occidentale est traversée par cette double dimension de l’éphémère et de l’inédit, mais également par l’autre face du présentisme : la patrimonialisation. En effet, dans les années 1980, on se lance volontiers dans des « reconstitutions » de pièces du passé, dans une optique résolument anti-foucaldienne. Alors que des historien·nes imprégné·es par un regard critique sur l’historiographie expliquent qu’il ne s’agit pas de « faire parler des traces[6] » mais bien d’assumer qu’il existe une posture spécifique depuis laquelle un discours est construit à partir d’éléments qu’on a choisi d’isoler et de mettre en relation, certain·es pensent détenir le discours de vérité sur le patrimoine chorégraphique européen[7]. Or, c’est justement à la fin des années 1980 qu’apparaissent les premières résistances à cette vision de l’histoire. Mark Franko indique qu’il s’agit alors de l’entrée de la danse dans la « Post-Ephemeral Era[8] » : il analyse les manifestations d’une danse contemporaine qui n’est plus hypnotisée par la seule idée de présence au présent, mais qui joue avec les témoignages du passé afin de comprendre la complexité des temporalités historiques, et qui souvent réinterprète le passé à la lumière du présent, explorant les « futurs possibles du passé [9]». Cela se manifeste dans la multiplication des reenactments, qui selon Franko ne sont pas de simples entreprises de reconstruction, mais qui jouent bien au contraire sur les façons d’habiter la distance avec les pièces convoquées.
Je souhaite faire dialoguer ces réflexions sur le contre-présentisme et le post-éphémère avec l’étude de deux pièces de danse qui accueillent des archives sonores en leur sein, inventant un espace de mémoire – plus ou moins précaire – pour des voix de l’histoire. Les pièces elles-mêmes sont devenues des archives qui traversent le temps et se métamorphosent dans leurs parcours, que ce soit du fait d’un travail du / de la chorégraphe, comme de celui du regard des récepteur·trices. À dessein, je réalise dans cette confrontation un grand écart, à la fois temporel et esthétique. À un bout, Elena’s Aria créée à Bruxelles en 1984 par la chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaeker, représentante d’une esthétique abstraite et mathématique. Elle-même semble devenue un monument de la danse contemporaine occidentale, avec une oeuvre que je m’avance à dire patrimonialisée[10]. À l’autre, Sur les traces de Dinozord créée en 2012 par le chorégraphe congolais Faustin Linyekula, qui propose plutôt des formes ouvertes pour lesquelles importe peu l’aboutissement esthétique. Dans l’urgence de dire, il expose dans ses pièces les ruines d’un pays pulvérisé par le colonialisme. Si l’on songe aux modes de création des deux artistes, il peut sembler que leurs pièces sont symptomatiques du présentisme : d’un côté la dynamique de patrimonialisation, de l’autre celle d’un présent précaire qui produit dans l’urgence puisqu’il ne peut s’appuyer sur aucun passé stable. Or, ces deux pièces mobilisent chacune un document sonore de plusieurs minutes. Et c’est justement la présence de ces archives matérielles et leur devenir qui mettent en oeuvre la résistance au présentisme. Qui plus est, elles ont pour point commun de renvoyer à des événements critiques qui ont secoué un même pays : le Congo belge.
Si, du point de vue matériel, l’archive est de l’ordre du fixé, les corps dansants sont remarquables par leur qualité de présent. Or, le jeu entre des corps au présent et une matière traversant les époques permet de saisir non seulement comment une archive peut changer de statut au fil du temps, mais aussi à quel point cette métamorphose touche la pièce de danse en son entier. Alors qu’on pourrait avoir la tentation de faire des oeuvres de danse des archives-monuments, nous savons bien aujourd’hui que les monuments peuvent être détériorés-déconstruits-détournés, qu’ils sont donc vivants et non pas marques d’un passé intouchable. À travers la confrontation de ces œuvres, c’est avant tout un retour du refoulé colonial que je propose d’observer. Et il me semble que cela n’est possible que si l’on accepte de considérer les pièces de danse comme des instruments d’optique et d’écoute où se révèle avec éclat la complexité du temps.
2. Des voix subalternes dans des monuments de la danse contemporaine.
En 1984, Anne Teresa de Keersmaeker fait figurer une archive historique au cœur de sa pièce Elena’s Aria. Il s’agit d’une pièce non-narrative, surtout attachée à l’exploration de la qualité dansante, à l’émotion produite par les formes et les rythmes, dans un moment où la danse contemporaine redéfinit son rapport à la musique et tente de mobiliser des supports sonores singuliers.
Deux ans auparavant, Anne Teresa de Keersmaeker avait composé une chorégraphie sur une voix de l’histoire, mais à partir d’un document déjà travaillé par un musicien. Il s’agissait de Come Out, le troisième mouvement de Fase (Four movements to the music of Steve Reich). Ce morceau avait été créé au Town Hall de New York en 1966, dans le cadre d’une manifestation de soutien à six jeunes hommes noirs accusés de meurtre pendant les émeutes de Harlem (en 1964) arrêtés par la police et violemment battus[11]. C’est un militant du mouvement des droits civiques qui confie à Reich dix heures de témoignages des jeunes hommes, matière au sein de laquelle le musicien décide de garder une seule phrase — « I had to, like, open the bruise up and let some of the bruise blood come out to show them » — et de lui appliquer la technique du phasing — deux magnétophones démarrant en même temps puis se désynchronisant progressivement.
Ce morceau a une place centrale dans l’analyse des relations entre musique et document sonore que réalise Pierre-Yves Macé[12]. Celui-ci considère qu’on ne peut parler de document que dès lors qu’il y a une intention documentaire dans l’usage de celui-ci, là où le statut d’archive tient à sa présence dans un lieu de conservation. Le travail de Reich fait tension, car, s’il est pour lui tout à fait représentatif de la façon dont une matière documentaire peut « s’intégrer au tissu de l’oeuvre », perdre « sa qualité d’élément étranger[13] » – c’est-à-dire devenir musique et non plus indice – il souligne néanmoins que Come out trouve sa source non pas dans « l’appréciation des qualités musicales d’une voix, mais plutôt dans l’événement particulier dont cette voix porte le témoignage[14] ». Plus encore, il s’agit d’un véritable acte politique dans la mesure où l’écriture du morceau a été pensée dans une visée très pragmatique, pour servir à acquitter les frais d’avocat du jeune garçon lors de son procès. Le rapport au document n’est pas documentaire, mais le geste de Reich fait du document juridique une pièce d’archive, dans la mesure où il fait le choix de le conserver et lui offre un espace singulier. Or, proposer un espace d’archivage à une voix que la société américaine raciste voudrait passer sous silence, c’est un acte politique. Car il s’agit d’un acte d’archivage qui n’attache pas la voix à un passé révolu, mais qui propose de lui redonner vie en lui permettant un devenir.
La chorégraphie créée à partir de Come out par Anne Teresa de Keersmaeker en 1982 peut être lue de deux façons. D’un côté, on pourrait avancer que la pièce de danse est un espace de rencontre entre une voix qui exprime la nécessité d’exhiber les blessures – « show them » – et les corps des danseuses qui, à chaque réactivation, se laissent mouvoir dans une composition heurtée par cette voix lancinante et fantomatique, jusqu’à un certain épuisement. De l’autre, on ne manquera pas d’avancer que le fait de se concentrer sur les qualités sonores et rythmiques de l’objet musico-documentaire de Reich l’esthétise, le décontextualise et lui fait donc perdre sa portée politique. En effet, Keersmaeker reprend la logique de la composition de Reich en adoptant le schéma d’accumulation par décalages. L’utilisation par une chorégraphe de ce matériau lui confère d’autant plus une identité musicale, tant la démarche est de construire un mouvement qui semble faire corps avec la trame musicale qui l’accompagne. Come out est toujours présenté avec les trois autres pièces constituant Fase, sans aucun élément contextuel autour de la genèse de la musique de Reich : celle-ci perd clairement sa portée référentielle. Dans ses carnets de chorégraphe, Anne Teresa de Keersmaeker reconnaît que les choix chorégraphiques ne sont aucunement liés aux émeutes de Harlem, et que la série était bien plutôt un « manifeste en faveur de l’abstraction chorégraphique[15] ».
Pour Elena’s Aria, la démarche est formellement très différente : le document sonore n’est pas retravaillé musicalement. La composition chorégraphique cherche d’ailleurs à s’émanciper d’un certain rapport à la musique. On contemple dans cette pièce cinq femmes en robe fuseau et talons hauts, dans une tonalité plutôt mélancolique, avec le silence pour point de départ de la recherche : une grande place est laissée au souffle des danseuses, au glissement des corps au sol, aux chocs des objets, la trame sonore finale juxtaposant plusieurs matériaux hétérogènes : extraits d’arias en sourdine, son violent d’une machine à vent, des fragments de textes de Dostoïveski, Tolstoï et Weill, lus par les danseuses. C’est juste avant la section d’or de la pièce[16], constituée par une vidéo d’immeubles qui s’écroulent, que l’on entend l’enregistrement d’une voix solennelle en espagnol, longtemps identifiée par la chorégraphe et la critique comme étant celle de Fidel Castro. Cet enregistrement dure le temps de toute une séquence constituée par un solo de l’une des danseuses, Roxane Huilmand. Celle-ci circule alors entre les chaises en tourbillonnant, en s’y asseyant et se relevant rapidement. Pendant ce temps, les quatre autres danseuses sont assises, détendues, et la regardent. Roxane Huildmand ne danse pas à partir de la matière du document sonore, elle ne joue pas avec sa présence. C’est la co-présence et l’effet de montage entre l’image visuelle et l’image auditive qui crée des éclats de sens : bien qu’Anne-Teresa de Keersmaeker se défende de toute logique narrative ou sémantique, l’assemblage entre l’image de la femme en mouvement et le discours révolutionnaire prend une force symbolique qui n’est pas la même à la création en 1982, à la recréation en 2011 et à la réception que j’en fais en 2023.
Dans le projet d’Anne Teresa de Keersmaeker, il ne s’agissait pas que la voix prononçant le discours soit identifiée et questionnée. Pourtant, c’est l’une des premières remarques des critiques étasunien·nes. Les journalistes du New York Times ou de Art in America commentent, entre 1987 et 1988 : « des enregistrements de Mozart ou un discours de Fidel Castro sont représentatifs de l’univers sonore qui a remplacé les partitions minimalistes ayant d’abord attiré de Keersmaeker[17] » ; « un discours enregistré de Fidel Castro autour de la politique internationale, plus ou moins inaudible (quand j’en ai parlé avec elle, de Keersmaeker n’a pas voulu révéler son identité ou son contenu)[18] ». Les journalistes soulignent cette présence, mais insistent sur le fait que le document n’est pas surexposé. Le son produit par les pas des danseuses était bien plus audible que celui de l’enregistrement, restant au second plan. C’est en fait au moment où Keersmaeker constitue sa propre archive qu’elle est amenée à commenter ce choix de matière sonore. En collaboration avec sa dramaturge Bojana Cvejić, elle constitue en 2012 ses Carnets de chorégraphe, sous la forme de deux livres et sept DVD où elle explore ses créations de jeunesse ainsi que deux pièces plus récentes. C’est en répondant à une question de Bojana Cvejić qu’elle révèle l’identité de la voix mystérieuse. Il s’agit en réalité d’un discours prononcé par Che Guevara devant l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1964, dans lequel il dénonce l’opération Dragon Rouge des forces armées belges au Congo, qu’il considère comme une marque de l’impérialisme et du néocolonialisme dans un pays ayant récemment conquis son indépendance. On entend d’ailleurs très distinctement le nom de Lumumba, l’un des principaux constructeurs de l’indépendance du Congo, assassiné en 1961, et dont le mémorial a été détruit par l’opération en question. La chorégraphe, qui se refuse généralement à expliciter les sens auxquels pourraient ouvrir ses compositions, se livre alors à une activité interprétative. Elle parle de contraste entre l’univers intime et la crise politique, et la sensation d’une urgence dans les propos du Che : « le malaise émotionnel personnel et individuel qui existait au départ s’est transformé en une crise politique et une inquiétude globale [19]». On sent ici la volonté de la part de Keersmaeker de souligner une connexion entre l’intime et le politique, de suggérer que son œuvre, souvent qualifiée de formaliste, n’en est pas moins un écho du monde. Ces jeunes femmes vivent à leur échelle les effondrements qui sont ceux que vivent les citoyens des années 1980 : effondrement des grands idéaux et des espoirs révolutionnaires, « fin de l’histoire » et du futurisme, là où le passé était porteur d’une trajectoire vers le futur, entrée dans le présentisme. En 2012, alors que la pièce est entrée dans un répertoire de la compagnie Rosas, il me semble que le discours qui entoure l’oeuvre, probablement amené par Bojana Cvejić, est possible non seulement parce que Keersmaeker arrivée à une certaine maturité de sa trajectoire artistique fait retour sur celle-ci, mais aussi parce qu’a émergé une nouvelle figure de l’artiste, qui non seulement s’inscrit dans une histoire mais est également appelé à ouvrir son atelier, exposer ses sources[20].
Cependant, pour la spectatrice hispanophone que je suis, sensibilisée à l’histoire des élans révolutionnaires latino-américains des années 1960 et de leurs liens avec les luttes tiers-mondistes dans un contexte de décolonisation, le cadre d’écoute de cette archive, lorsque je m’y confronte en 2018 génère chez moi un malaise, et plus encore aujourd’hui, après deux séjours de recherche en Argentine et la rencontre avec des penseur·euses afrodescendant·es latino-américain·es. C’est un ami et collègue colombien, Ivan Jimenez, qui me met sur la piste d’Elena’s Aria lorsque je lui explique que je m’intéresse aux usages du document sonore en danse contemporaine. Il me parle de la confusion qu’il a pu y avoir entre les voix de Castro et du Che. Je lève alors les yeux au ciel face à la faible rigueur documentaire de la démarche, en me disant qu’alors que le béret étoilé scintille sur des tee-shirts aux quatre coins du monde, on n’a peut-être jamais vraiment pris la peine d’écouter attentivement sa voix. Mon irritation grandit lorsque j’écoute à plusieurs reprises l’archive en question et que je finis par entendre distinctement : « hoy, en nombre de la defensa de la raza blanca, asesinan a millares de congoleños » – « aujourd’hui, au nom de la défense de la race blanche, on assassine des millions de congolais ». C’est la confrontation avec les créations de Faustin Linyekula, dont je vais bientôt parler, qui m’a amenée à m’intéresser à l’histoire du Congo belge, aux exactions qui y ont été commises par Léopold II et ses complices zélés depuis le XIXe siècle, puis par ses successeurs, et qui ont débouchées sur la situation alarmante dans laquelle se trouve la République démocratique du Congo aujourd’hui. Voir la danse tourbillonnante de cette femme blanche bourgeoise – c’est en tout cas l’archétype que je lis dans cette robe droite et ces talons hauts – et comprendre qu’il a pu s’agir de mettre en corrélation son « malaise émotionnel personnel et individuel » avec les violences subies par les congolais dont parle le Che me laisse sans voix. Car ce qui se révèle avec violence, c’est bien le retour d’un refoulé colonial. En 1982, lorsqu’est créée la pièce, le Congo belge est devenu République du Zaïre, gouvernée par le dictateur Mobutu, dont on sait que la prise de pouvoir a été soutenue par les États-Unis afin d’empêcher l’installation de Lumumba, proche des communistes. Or, l’archive mobilisée évoque l’opération qui, en plus d’affaiblir les rebelles congolais, a détruit un mémorial dédié à Lumumba assassiné deux ans auparavant. Alors que Keersmaeker voulait faire signe vers un « malaise global », elle pointe un malaise tout à fait localisé et situé, qui implique au premier chef l’histoire du pays dans lequel elle vit et crée.
Il me semble clair que les Carnets d’une chorégraphe de Keersmaeker participent à une patrimonialisation de son œuvre, qu’elle le veuille ou non. Toutefois, la chorégraphe et sa dramaturge ont eu l’intelligence d’exposer clairement les processus de fabrication du monument. Ce n’est qu’à cette condition que nous pouvons débusquer ce qui permet de faire voler le monument en éclats, et ce à travers une pratique avisée et critique de l’écoute.
3. De multiples couches de temps, vernis d’un mémorial détruit ?
Si ce sont les entours de la pièce qui permettent de réaliser une écoute critique de l’archive dans l’étude de cas précédente, chez Faustin Linyekula, c’est la dramaturgie même de la pièce qui constitue un appareil discursif explicitant la réalité documentée par l’enregistrement sonore. En mobilisant un document contemporain, constitué pour la création de la pièce, le chorégraphe entre plus directement dans une démarche documentaire dans laquelle il s’agit « d’habiter » la relation avec l’enregistrement sonore. En 2012, il crée Sur les traces de Dinozord, pièce au centre de laquelle intervient un enregistrement de près de 10 minutes, dans un dispositif d’écoute particulier.
Cette pièce accompagne la trajectoire de Faustin Linyekula entre 2001 et 2018, et naît de la juxtaposition de différentes strates événementielles. En 2001, le chorégraphe retourne en République Démocratique du Congo après plusieurs années d’exil, et y monte une structure dans laquelle il créera tous ses spectacles, les studios Kabako. Le pays est alors en pleine guerre civile : le gouvernement contrôle 20% du territoire, le reste étant aux mains de divers mouvements rebelles (dont Kisangani, la ville de Faustin). En 2006, après la fin officielle de la guerre, ayant la possibilité de faire des allers-retours entre l’Europe et Kisangani, il crée The dialogue series III : Dinozord[21]. Cette pièce naît de ces retrouvailles avec son pays, de l’envie de construire un projet avec les camarades de ses aventures théâtrales zaïroises, ainsi qu’avec deux très jeunes hommes qu’il rencontre à son retour, un contre-ténor et un danseur de hip-hop, Dinozord, qui a donné son nom à la pièce. Il rassemble ainsi deux générations : l’une ayant connu le Zaïre de Mobutu et la RDC de Laurent Désiré Kabila, l’autre ayant grandi après l’assassinat de ce dernier. The Dialogue Series III : Dinozord est créée et jouée à Kisangani, puis en Europe. A cette époque-là, l’un des camarades de Faustin Linyekula est enfermé dans la prison de Makala à Kinshasa. Il s’agit de Antoine Vumilia Muhindo, dit Vumi, révolutionnaire ayant participé à la rébellion qui a conduit à la chute de Mobutu en 1996, puis arrêté pour haute trahison au moment de l’assassinat de Laurent Désiré Kabila en 2001. Linyekula affirmant construire des pièces people-specific, comme d’autres pratiquent le site-specific[22], il lui est impossible de réaliser cette pièce sans la participation de son ami acteur et écrivain. Il lui fait donc parvenir un appareil photo et un magnétophone en prison, afin que sa voix et les images qu’il a sous les yeux soient présentes sur scène. En 2012, Faustin Linyekula propose une reprise de la pièce. Non pas une reconstitution, mais un retour sur, une réactivation de la pièce dans un contexte qui a évolué : l’expérience deviendra Sur les traces de Dinozord, une pièce qui entrelace les reconstructions de fragments de la pièce originelle avec des discours rétrospectifs sur la façon dont elle était construite en 2006, sa dramaturgie, les matériaux utilisés, les références à son contexte de représentation.
En 2012, le comédien Antoine Vumilia Muhindo a réussi à s’évader de prison, il est donc présent sur scène, aux côtés de ses camarades, tous plus ou moins exilés en Europe. Pourtant, l’enregistrement est toujours présent dans la pièce. Ce qui a été constitué pour pallier l’impossibilité d’une présence physique survit dans les versions suivantes en tant qu’archive. Archive de la première pièce, mais également d’une histoire du Congo, dont la scène est espace vivant de conservation, de présentation et d’activation. Sur les traces de Dinozord ne se constitue pas comme un monument figé traversant le temps, mais rend visible les changements de statut que peut avoir un document. L’enregistrement de Vumi est un très bon exemple de ce processus : entre 2006 et 2012, et plus encore en 2017, lorsque la pièce est reprise, ce document n’a plus la même portée. En 2006, Vumi étant enfermé à Makala, le document parvenait à l’écoute du public presque au présent, enregistré quelques mois auparavant et, accompagné de photographies, servait de preuve d’une situation à dénoncer. En 2012, comme le dit Faustin, ce sont les mots d’un « revenant » qui, du fait de l’écart temporel prennent le statut de document historique, auréolé de son « effet de passé ». Une strate supplémentaire s’ajoute en 2017 : Vumi a obtenu le droit d’asile en Suède, mais pour voyager il a besoin d’une autorisation de déplacement. Or les bureaux les délivrant sont alors submergés par les demandes de réfugiés Syriens qui arrivent en masse et Vumi n’obtient pas son autorisation. Son intervention, qui se fait par Skype – encore une fois Faustin doit trouver un moyen de rendre présents ses acteurs, condition de sa pièce “people specific” –, constitue alors une preuve au présent des conditions de traitement des réfugiés, et cohabite sur scène avec ce qui est devenu par la force du temps document historique.
Dans la dramaturgie globale de la pièce de 2012, le document sonore est environné d’une série d’éléments qui font jouer l’archive avec la qualité de présent de la performance. Avant que n’intervienne l’enregistrement à proprement parler, apparaissent des fragments de discours politiques. Cependant, alors que l’archive sonore semble à la fois conservée et fragile, surgie du passé et patinée par le temps, les discours politiques sont interprétés au présent par les performeurs. Si ceux-ci font corps et voix avec ces bouts d’histoire passés à la postérité, c’est pour les singer et les parodier. Rassemblés autour d’une malle devenue tribune, les danseurs font suivre chaque énoncé d’une danse et de cris de liesse exagérés. Chaque déclaration est accompagnée d’une légende qui apparaît sur l’écran en fond de scène. Ceux qui les prononcent ne sont jamais nommés, seulement désignés par leur fonction[23] : à la scène, la ribambelle d’hommes politiques est privée de noms, réduite à des fonctions et des discours.
En revanche, le discours du vaincu, de celui qui a été enfermé et qui a dû s’exiler, apparaît dans la dignité que peut conférer le support de l’archive historique. La liesse provoquée par ces discours est stoppée brutalement par Vumi, puis Faustin Linyekula, en conteur, prend le micro pour détailler l’histoire de son ami : sa foi dans les slogans révolutionnaires, la façon dont il intègre l’armée rebelle, sa participation au conseil national de sécurité, l’assassinat de Kabila dont il est accusé, la prison dans laquelle il a enregistré en 2006 le texte que nous entendons juste après… Passeur entre la scène et la salle, Faustin énonce l’identité de cet homme, alors que celle des grands noms du Zaïre-Congo ont été réduites au minimum. Les performers applaudissent, réunis autour de la malle rouge qu’ils portent à l’avant-scène. C’est à ce moment-là qu’intervient le document sonore, les applaudissements se superposant à la voix de Vumi pendant quelques secondes encore, alors que les six hommes quittent le plateau. Les premiers instants de l’enregistrement sont donc peu audibles, puis face au plateau vide, la lumière baissée, l’auditeur peut se concentrer sur la voix de Vumi, qui emplit l’espace, le plateau restant un peu éclairé — dans les pays non francophones, l’enregistrement est surtitré. Le texte lu par Vumi passe par une construction rhétorique et poétique : il est déjà discours, et le sujet de l’énoncé observe sa trajectoire en la problématisant. Vumi ne s’attarde pas sur son quotidien à Makala : il ne s’agit pas d’un témoignage sur sa condition de prisonnier, mais plutôt d’un regard rétrospectif sur sa trajectoire et sur la fabrique des subjectivités révolutionnaires.
Le présent scénique se construit dans une relation toute particulière avec ce témoignage du passé. Après un moment d’effacement des corps – la scène reste vide pendant trois minutes, comme pour que rien ne vienne interférer avec l’écoute –, les six performers entrent lentement sur la scène, mais ils restent à la lisière. Ils ont le visage et les mains peintes en blanc, comme un masque effaçant leur identité singulière, qui les fait devenir hommes-statues pénétrant dans un espace de rituel. Ils s’avancent lentement en ligne vers le public, bras ouverts comme en signe de reddition. Ils arrivent au bord du plateau une fois que Vumi a terminé sa lecture et qu’il commence un chant : il entonne une phrase puis la reprend, rejoint par les voix des performeurs au présent, se connectant à l’archive par le son. Tous sont immobiles, sauf un jeune danseur, au centre, le corps parcouru de vibrations, qui finalement s’effondre derrière le coffre rouge. Ce danseur fait écho à la figure originelle de Dinozord[24], et semble avoir à peu près l’âge qu’avait Vumi quand il a rejoint les troupes rebelles. C’est donc ce corps, qui a pour héritage les multiples crises traversées par le Congo, les guerres et les assassinats, qui réagit physiquement au document sonore. Deux trajectoires de vies se rencontrent : celle du corps du danseur et celle de l’archive sonore, dans une danse qui éclaire l’interdépendance du corps individuel et du corps social avec les temporalités d’un pays.
Conclusion
Originellement, l’archive au singulier n’est pas le document. Le terme désigne à la fois un choix, un espace matériel et un dispositif de conservation, du savoir comme du pouvoir. Je pense pouvoir désormais soutenir que les deux pièces que j’ai voulu que nous observécoutions non seulement mobilisent des archives, mais surtout qu’elles font archive. Elles ont permis de conserver deux documents, dans des performances éphémères mais répétées, mais encore dans leur captation vidéo, que j’ai pu me passer et repasser en boucle. Elles ont construit, chacune à leur façon et plus ou moins consciemment, des espaces matériels et symboliques de présentation de discours subalternes. Ce qui m’émeut, c’est que la démarche esthétique peut être celle du monument comme celle de la ruine, celle des vainqueurs comme celle des vaincus, dans les deux cas, la co-présence des corps dansants et des archives met à mal une conception figée et mortifère du faire histoire. Elle ouvre la possibilité de dynamiter les monuments et de mettre les ruines en mouvement. Et c’est ici qu’on peut retrouver Foucault :
L’archive, ce n’est pas […] ce qui recueille la poussière des énoncés redevenus inertes et permet le miracle éventuel de leur résurrection ; c’est ce qui définit le mode d’actualité de l’énoncé-chose ; c’est le système de son fonctionnement […], elle fait apparaître les règles d’une pratique qui permet aux énoncés à la fois de subsister et de se modifier régulièrement[25].
La danse comme espace d’une pratique critique de l’archive démontre que le passé est aujourd’hui bien vivant. J’ose espérer qu’il ne mourra que lorsque nous aurons tout écouté.
Notes
[1] Ce texte lui-même a vécu un processus de traversée du temps. Les réflexions nées dans le cadre d’une communication pour le colloque « Pratiquer le réel en danse : document, témoignage, lieux » ont depuis lors beaucoup évolué, grâce aux discussions avec les participant·es au colloque (Julie Perrin, Gérard Mayen, tout particulièrement, retrouveront je pense certaines de leurs impulsions dans ce texte), et au passage du temps et des espaces. Sans l’invitation de Pauline Boschiero pour le numéro « Temps à l’oeuvre, temps des oeuvres », elles seraient sans doutes restées archivées au fond de mon disque dur. Je les sens désormais elles aussi vivantes, prêtes à poursuivre leur chemin.
[2] Ici, nous entendons l’archive au singulier comme lieu et dispositif institutionnel, où sont conservés certains document, mais aussi au sens foucaldien d’un système d’énoncés qui fait pouvoir : « L’archive est d’abord la loi de ce qui peut être dit, le système qui régit l’apparition des énoncés comme événements singulier », Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1969, p. 170-171. C’est par extension que l’archive au singulier est devenue archives au pluriel, à savoir l’ensemble des documents qui sont conservés dans le lieu archive, sources des historien·nes pour élaborer leur discours. Pour plus de détails, voir Henri Méchoulan « Des archives à l’archive », Archiver/archiving, revue Intermédialités / Intermediality, Numéro 18, automne 2011, p. 9–15.
[3] François Hartog, « Présentisme et vivre ensemble », Entre temps court et temps long. Les Forums du CESE sur le vivre ensemble, Paris, PUF, 2013, p. 43-52.
[4] François Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expériences du temps, Paris, Points, 2015.
[5] Frédéric Pouillaude, « Un temps sans dehors : Valéry et la danse », Poétique 2005/3 (n° 143), p. 359-376, consultable sur : https://www.cairn.info/revue-poetique-2005-3-page-359.htm
[6] Michel Foucault, op. cit., p. 16.
[7] Voir Juan Ignacio Vallejos, « El cuerpo–archivo y la ilusión de la reconstrucción: el caso de la Consagración de la Primavera de Dominique Brun », in Maria Julia Carozzi, Escribir las danzas. Coreografías de las ciencias sociales, Buenos Aires, Gorla, 2015. Il analyse la confrontation de deux visions de la reprise d’un monument de la danse moderne : celle de Milicent Hodson et Kenneth Archer, qui se revendiquent auteur·rices de la version la plus proche de l’original de la pièce de Nijinski ; celle de Dominique Brun et son équipe, dont a fait partie J. I. Vallejos, qui assume la distance intrinsèque qui sépare la pièce de 1913 du travail contemporain, qui est justement ce qui permet de jouer avec le passé.
[8] Mark Franko, « Introduction. The Power of Recall in a Post-Ephemeral Era », in Mark Franko, The Oxford Handbook of Dance and Reenactment, New York, Oxford University Press, 2018, p. 1-17.
[9] Voir Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou, « Des causes historiques aux possibles du passé ? Imputation causale et raisonnement contrefactuel en histoire », Labyrinthe, 39 | 2012, p. 55-79. Si les auteurs utilisent la formule « futurs possibles du passé » pour analyser les pratiques d’histoire contre-factuelle, l’expression me semble adéquate pour désigner les formes de reenactment qui s’autorisent à imaginer à la scène les devenirs qu’auraient pu avoir une pièce du passé.
[10] Ce n’est pas le champ de cet article, mais la réflexion sur le temps implique une réflexion sur l’espace, au sens géographique et symbolique : alors que les espaces dominants se constituent souvent sur des pratiques patrimoniales, les espaces dominés, pour survivre, inventent des pratiques contre-patrimoniales.
[11] Anne Teresa de Keersmaeker, Fase, Rosas danst Rosas, Elena’s Aria, Bartok. Carnets d’une chorégraphe, Bruxelles, Rosas, 2012, p. 47.
[12] Pierre-Yves Macé, Musique et document sonore, Paris, Les Presses du réel, 2012.
[13] Ibid., p. 7.
[14] Ibid., p. 65.
[15] Ibid., p. 153.
[16] Fascinée par les mathématiques, Keersmaeker utilise fréquemment la suite de Fibonacci et le nombre d’or pour construire l’architecture de ses pièces. Qui, si elles sont éphémères, portent en leur sein un projet monumental, me semble-t-il.
[17] « Recordings of Mozart or a speech by Fidel Castro are typical of the accompanying sound that has replaced the minimalist scores that first attracted Miss de Keersmaeker […] The sudden intrusion of Fidel Castro’s speech in Spanish during Elena’s Aria is used for emotional and structural purposes, Miss de Keersmaeker said. « It doesn’t matter if you understand Spanish or not. This has to do with doubling layers and breaking things out of their intimacy », Anna Kisselgoff, The New York Times, novembre 1987, article reproduit dans Anne Teresa de Keersmaeker, op. cit., p. 187.
[18] « A tapes speech by Fidel Castro is about international politics and was more or less inaudibly presented (when I spoke to her, De Keersmaeker would not reveal its identity or content », Bill Johnston, Art in America, janvier 1988, article reproduit dans Anne Teresa de Keersmaeker, op. cit., p.189-190.
[19] Extrait du DVD qui accompagne les Carnets.
[20] Ici il conviendrait d’établir des liens entre la démarche des Carnets et les différents avatars de la recherche-création qui sont apparus sur les scènes et dans les universités depuis une vingtaine d’années.
[21] Voir Sabine Sorgel, « The global politics of Faustin Linyekula’s dance theater. From Congo to Berlin and back again via Brussels and Avignon », in Brandstetter, Gabriele, Hartung, Holger (Ed.), Moving (across) borders. Performing Translation, Intervention, Participation, Bielefeld, Transcript, 2017.
[22] Rencontre avec Faustin Linyekula le 1er juin 2018, Maison des sciences de l’Homme, Paris.
[23] Sont ainsi mentionnés : « le président de la République du Zaire 1965-1997 » qui fête le Zaïre uni autour « d’un père, une mère, un chef » (Mobutu), « l’archevêque de Kisangani (1992) », qui commente la conférence nationale souveraine comme une « possibilité de réconciliation du peuple avec lui-même, un « opposant historique » (sans doute Kabila) qui désigne Mobutu comme le mal du Zaïre, le « président de la RDC, 2001-… » affirmant que le peuple congolais est fatigué des négociations (Kabila fils).
[24] Le jeune danseur Dinozord, qui a donné son nom à la pièce, s’étant présenté ainsi à Linyekula, parce que se considérant comme « le dernier de sa race », assez pessimiste quant aux possibilités d’horizon de sa génération, se révélant tout à fait symptôme du « présentisme » exposé en introduction.
[25] Michel Foucault, op. cit., p. 171.
Bibliographie
CASSAGNE, Leslie, « Faire corps avec le document : les chorégraphes contemporains face aux crises et aux conflits », communication à l’occasion du colloque « Pratiquer le réel en danse : document, témoignage, lieux » , Centre Culturel International de Cerisy, 4-11 juillet 2018 (sous la direction de Laurent Pichaud et Frédéric Pouillaude). Ecouter en ligne : https://www.canal-u.tv/chaines/la-forge-numerique/faire-corps-avec-le-document-les-choregraphes-contemporains-face-aux
DE KEERSMAEKER, Anne Teresa, Bojana CVEJIĆ, Fase, Rosas danst Rosas, Elena’s Aria, Bartok. Carnets d’une chorégraphe, Bruxelles, Rosas, 2012.
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LINYEKULA, Faustin « An artist/activist moving (across) borders » in Gabriele Brandstetter, Holger Hartung (Ed.), Moving (across) borders, Performing Translation, Intervention, Participation, Bielefeld, Transcript, 2017.
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VALLEJOS, Juan Ignacio, « El cuerpo–archivo y la ilusión de la reconstrucción: el caso de la Consagración de la Primavera de Dominique Brun », in Maria Julia Carozzi, Escribir las danzas. Coreografías de las ciencias sociales, Buenos Aires, Gorla, 2015.
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