Nawel BELGHITH
Nawel Belghith est enseignante chercheure à l’Institut Supérieur des Beaux-arts/ Université de Sousse Tunisie et titulaire d’un mastère de recherche en esthétique et pratiques des arts visuels. Elle est également docteure en théories et pratiques du design avec une thèse de doctorat intitulée : « Le sensoriel dans la scénographie urbaine contemporaine ; contraintes et perspectives. Le cas de la fête des lumières de la ville de Lyon ».
Pour citer cet article : BELGHITH Nawel, « La scénographie évènementielle ou la quête du divin », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse-Jean Jaurès, n°13, « Temps à l’oeuvre, temps des oeuvres », saison automne 2023, mis en ligne le 13 octobre 2023, disponible sur https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2023/09/28/la-scenographie-evenementielle-et-la-quete-du-divin/
Résumé
Fort de sa technologie et de ses progrès techniques et scientifiques, l’homme moderne aspire désormais à dominer sa servitude face au temps et à l’espace desquels il est prisonnier. Longtemps considéré comme une condition qui détermine l’existence humaine, l’espace-temps est désormais à portée de main de l’homme grâce aux apports de la technologie qui ont rendu possible, notamment dans les arts, la possibilité de créer un cadre spatio-temporel malléable et maniable. À l’éternel questionnement sur la vie et l’existence, la technologie numérique et la scénographie événementielle se proposent de plus en plus d’offrir des réponses capables de satisfaire la quête du divin chez l’homme.
À travers cet article, nous nous proposerons d’analyser le rôle de l’art scénographique dans le traitement de la question de la temporalité.
Pour ce faire, nous allons répartir ce travail de recherche en trois parties d’égale importance. Dans un premier temps, nous analyserons les représentations scénographiques du Festival du Mouled de Kairouan afin de démontrer comment la scénographie événementielle offre au visiteur la possibilité de voyager dans le temps.
Dans un second temps, nous analyserons le spectacle Évolution qui a eu lieu sur la façade de la Cathédrale Saint-Jean lors de la fête des Lumières de Lyon en 2016. À travers cette analyse, nous démontrerons comment la scénographie événementielle a permis aux spectateurs de se placer en dehors du temps et de contempler l’évolution de la cathédrale de Saint Jean dans un contexte d’atemporalité.
Dans un dernier temps, nous analyserons le spectacle Van Gogh Une nuit Étoilée en 2019 à l’Atelier des Lumières de Paris pour mettre en avant la mise en scène d’une infinité de temporalités simultanées qui conjuguent le temps de l’artiste et celui du visiteur.
Mots clés : scénographie – événementiel – divin – temporalité – malléabilité – pouvoir – spectateur- technologie
Abstract
Armed with his technology and his technical and scientific progress, modern man now aspires to dominate his servitude to the time and space of which he is a prisoner. Long considered a condition that determines human existence, space-time is now within man’s reach thanks to the contributions of technology which have made possible, particularly in the arts, the possibility of creating a spatial framework. -time malleable and manageable.
To the eternal questioning of life and existence, digital technology and event scenography are increasingly offering answers capable of satisfying man’s quest for the divine.
In this article we propose to analyse the role of scenographic art in dealing with the question of temporality.
In order to do so, we will divide this research work into three equally important parts. Firstly, we will analyse the scenographic representations of the Mouled Festival of Kairouan in order to demonstrate how the scenography of the event offers the visitor the possibility to travel in time. Secondly, we will analyse the Evolution show that took place on the façade of the Saint-Jean Cathedral during the Lyon Festival of Lights in 2016. Through this analysis, we will demonstrate how the event scenography allowed the spectators to place themselves outside of time and contemplate the evolution of the Cathedral of Saint John in a context of atemporality. Finally, we will analyse the Van Gogh Une nuit Étoilée show in 2019 at the Atelier des Lumières in Paris to highlight the staging of an infinite number of simultaneous temporalities that combine the time of the artist and that of the visitor.
Keywords : event – scenography – divine – temporality – malleability – power – spectator- technology
Sommaire
Introduction
1. Le festival du Mouled de Kairouan : une exposition en dehors du temps et de l’espace
2. Spectacle Évolution sur la façade de la Cathédrale Saint-Jean en 2016
3. Une nuit étoilée de Van Gogh à l’atelier des lumières en 2018
Conclusion
Notes
Bibliographie
Introduction
Le XXIème siècle a ouvert la voie à d’innombrables perspectives dans le domaine de la scénographie. En effet, le développement technologique et les avancées numériques ont permis à l’homme moderne de vaincre ses anciens démons et de triompher de sa finitude et de sa condition de mortel en créant un univers malléable à son image. Dans ce contexte, la scénographie a évolué d’un moyen pour mettre en scène l’espace en un art à part entière riche en perspectives et en significations. Le vidéo mapping ou la projection architecturale de vidéos et de lumières, la réalité augmentée, la vidéo haptique et la vue 360° sont des technologies qui ont offert à l’artiste le pouvoir et la mobilité nécessaires pour modeler et manier l’espace et le temps. À l’éternel questionnement sur le sens de la vie et de l’existence, la technologie numérique et la scénographie événementielle se proposent de plus en plus d’offrir des réponses capables de satisfaire la quête du divin chez l’homme et de mêler traditions et contemporanéité. Nous pouvons considérer que la quête du divin chez l’homme se réfère à la recherche spirituelle, à la recherche d’une connexion profonde avec une réalité supérieure ou transcendante. C’est une aspiration humaine fondamentale qui cherche à trouver un sens plus profond à la vie, à comprendre l’existence de forces supérieures et à explorer les dimensions spirituelles de l’existence[1]. À travers des expositions scénographiques qui offrent au spectateur la possibilité d’effectuer des voyages temporels et de remonter à l’aube des temps, la scénographie propose de satisfaire la curiosité et l’égo de l’être humain en lui offrant, à travers des stratégies de réceptions variées, la possibilité de bénéficier d’une expérience immersive et singulière unique.
À travers cet article, nous nous proposerons d’analyser le rôle de l’art scénographique dans le traitement de la question de la temporalité.
Pour ce faire, nous allons répartir ce travail de recherche en trois parties d’égale importance. Dans un premier temps, nous analyserons les représentations scénographiques du Festival du Mouled de Kairouan afin de démontrer comment la scénographie événementielle offre au visiteur la possibilité de voyager dans le temps. Dans un second temps, nous analyserons le spectacle Évolution qui a eu lieu sur la façade de la Cathédrale Saint-Jean lors de la fête des Lumières de Lyon en 2016. À travers cette analyse, nous démontrerons comment la scénographie événementielle a permis aux spectateurs de se placer en dehors du temps et de contempler l’évolution de la cathédrale de Saint Jean dans un contexte où le temps cesse d’exercer une quelconque domination. Dans un dernier temps, nous analyserons le spectacle Van Gogh Une nuit Étoilée en 2019 à l’Atelier des Lumières de Paris pour mettre en avant la mise en scène d’une infinité de temporalités simultanées qui conjuguent le temps de l’artiste et celui du visiteur.
1. Le festival du Mouled de Kairouan : une exposition en dehors du temps et de l’espace
La ville de Kairouan occupe une place particulière en Tunisie et dans le monde arabo-musulman. Elle représente la quatrième ville de l’Islam après la Mecque, la Médine et Jérusalem[2]. Le rôle qu’elle a joué dans l’expansion de l’Islam en Afrique du Nord et en Europe lui confère le statut de ville sainte. Par son architecture et son histoire, Kairouan représente une extension de l’Orient et de la culture arabo-musulmane au Maghreb. D’ailleurs, vu la place importante qu’elle occupe, aujourd’hui encore, dans le monde sur le plan religieux, il arrive encore que des personnes des quatre coins du monde, choisissent de venir à Kairouan pour apprendre la théologie, le coran et même pour se convertir à l’islam dans certains cas. Toutes ces raisons font en sorte que la fête de la naissance du prophète Mahomet transforme annuellement la ville en un lieu de rencontres pour les Tunisiens et les étrangers qui viennent visiter la grande mosquée de Okba Ibn Nafâa, assister à la prière et aux cérémonies religieuses et également acheter de la porcelaine, des tapis ou des ustensiles de cuisine en cuivre. Or, avec le temps, le Mouled a cessé d’attirer un grand public et les jeunes en particulier semble se désintéresser du patrimoine aggravant par la même occasion la crise économique qui touche la ville de Kairouan marquée par une hausse du chômage et une baisse des recettes du tourisme. Afin de dynamiser l’économie de la ville et de promouvoir son identité patrimoniale et culturelle, le Festival du Mouled a été créé en 2017. Durant près d’une semaine, plusieurs spectacles artistiques, concours religieux de psalmodie et d’exégèse du Coran, événements gastronomiques et manifestations culturelles sont organisés aux quatre coins de la ville. Le succès de cet événement a conduit à l’augmentation du nombre de visiteurs, passant de 700 000 à plus de deux millions lors sa cinquième édition en 2022[3]. Les spectacles majeurs du festival se déroulent face à la grande mosquée de Kairouan. Afin de séduire toutes les tranches d’âges, des spectacles scénographiques qui mélangent la technique du vidéo mapping, les lasers et les lumières sont projetés sur les murs de la mosquée.
Durant le spectacle, des versets du coran, des chansons faisant l’éloge du prophète sont projetés sur le minaret de la mosquée ainsi que des vidéos qui mettent en scène les principaux moments clés de l’évolution de l’islam. Les vidéos mapping diffusés à l’aide de projecteurs sont accompagnés par des faisceaux lasers, des lumières de différentes couleurs et de la musique soufi pour offrir au public l’impression de se déplacer dans le temps et l’espace pour partager des moments intenses sur le plan religieux et se déplacer corps et âme à la Mecque, à l’époque du prophète Mahomet au VIIème siècle. En effet, la combinaison de la musique et les projections de vidéos et de lumières donnent forme et consistance à un espace sonore et à un univers mental dans lequel le spectateur matérialise ses perceptions du spectacle. En d’autres termes, les lumières et les sons transfèrent l’individu dans un univers sensible dans lequel il va construire à travers son esprit ses propres perceptions du thème du spectacle. Ainsi, l’essentiel du spectacle prend forme non pas sous les yeux du spectateur mais plutôt dans son esprit qui construit à son tour des scénarios et des représentations mentales basées sur sa propre conception de la religion, en dehors du contexte et de l’espace de la représentation. Les projections de vidéos de la ville de Kairouan en noir et blanc qui remontent au début du XXème siècle, les extraits de films religieux évoquant la vie du prophète et les calligraphies en arabe Kufi avec des poèmes faisant l’éloge de l’islam fonctionnent comme des stimuli qui invitent le spectateur à s’extraire du temps de l’exposition pour se projeter dans un espace-temps infini, transporté et guidé par sa propre imagination. Au-delà de son aspect divertissant, la scénographie événementielle urbaine se transforme lors du festival du Mouled en un moyen de vivre une expérience immersive et multisensorielle intense durant laquelle le spectateur effectue une sorte de pèlerinage religieux. En assistant aux représentations scénographiques religieuses, les spectateurs ont l’impression de se rapprocher de Dieu et de vivre pleinement leurs croyances religieuses à travers des pratiques communautaires qui renforcent leur identité religieuse. Ainsi, grâce à la scénographie événementielle urbaine mise en place dans le cadre du festival du Mouled, le sacré, qui était jusque-là réduit à l’intérieur de l’espace religieux, évolue à travers les vidéos mapping et la musique soufie pour envahir l’espace environnant. En effet, alors que la mosquée est réservée à un public de fidèles pratiquants, les spectacles projetés sur le minaret de la mosquée, donnent l’impression au public de se rapprocher du divin sans avoir besoin de franchir le seuil des lieux de culte. Par conséquent, le spectateur se retrouve transporté dans l’espace, tantôt se projetant à la Mecque, à la Médine ou à Jérusalem et tantôt il se projette dans d’autres temporalités du Moyen-âge, à une époque où la ville de Kairouan était encore la capitale politique du pays. Le spectacle se transforme ainsi en un voyage initiatique dans l’espace et le temps qui permet au visiteur de vivre une expérience sacrée, d’effectuer un voyage vers lui-même et de se livrer à un pratique culturelle et religieuse personnalisée à travers laquelle il sa propre relation au divin, selon ses propres codes, croyances et perceptions. En combinant la méditation à la vue de la mosquée et aux chansons soufis religieuses, le visiteur a l’impression de profiter d’un moment de paix intérieure durant lequel il devient son propre guide spirituel.
2. Spectacle Évolution sur la façade de la Cathédrale Saint-Jean en 2016
Chaque année, du 6 au 11 décembre, a lieu dans la ville de Lyon, la célèbre Fête des Lumières qui accueille chaque année des millions de visiteurs français et étrangers. Cet événement culturel représente un moyen pour la ville de Lyon de mettre en valeur son identité culturelle et patrimoniale et de dynamiser son économie. Durant la Fête, des représentations scénographiques ont lieu aux quatre coins de la ville sur les façades de ses monuments clés. Nous avons choisi dans cet article de présenter le spectacle Évolution qui s’est déroulé en 2016 et qui a été réalisé par l’artiste Yann Nguema Ez3kiel. Afin de comprendre les spécificités du spectacle scénographique en question, il est nécessaire de présenter un aperçu de l’histoire de la cathédrale de Saint-Jean dont la construction s’est étalée sur trois siècles entre 1175 et 1480. De plus, elle a évolué au fil des siècles et des architectes pour être un témoin de l’évolution des prouesses techniques et des courants architecturaux français. L’église emblématique de la ville a été également sérieusement endommagée par plusieurs événements historiques importants comme les Guerres de Religion en 1562, la Révolution française et enfin le siège de Lyon en 1793. À travers ce bref aperçu historique, nous constatons que la cathédrale Saint-Jean a évolué en style : du roman au gothique, puis du classicisme à la Renaissance avant d’arborer un style plus moderne de type néo-renaissance. La projection nous permet de saisir également l’évolution des matériaux utilisés au cours des siècles. En effet, les choins, des pierres calcaires, ont été remplacées au fil du temps par des pierres de Lucenay à dureté moyenne ou encore des pierres dorées appelées également pierres de Couzon. À travers l’exposition scénographique Évolution, l’artiste a cherché à rendre hommage à la cathédrale en recourant à l’art et à la scénographie. Pour ce faire, il a eu recours à plusieurs technologies telles que le vidéo mapping des hologrammes, des lumières, des enregistrements musicaux, et des lasers tous synchronisés pour projeter sur la façade de la cathédrale un spectacle dynamique et vivant qui met en avant la richesse historique de la place Saint-Jean Baptiste, la chronologie de la construction de la cathédrale et les styles architecturaux qui ont façonné son évolution. Lors du spectacle, les spectateurs sont debout face à la façade de l’église tandis que les dispositifs techniques et les projecteurs ont été placés autour de la place pour donner l’impression au public de faire partie intégrante du spectacle et de l’espace scénique. Durant le spectacle, les mouvements des faisceaux lasers, le changement des lumières et la construction et la déconstruction de textures mouvantes orchestrent le temps scénique qui évolue en temps forts et faibles en fonction de l’évolution des sons et des projections. La représentation se compose de plusieurs tableaux virtuels dont chacun évoque un fragment de l’histoire passée, présente et future de la cathédrale. Lors de chaque tableau, le rythme musical et les effets visuels atteignent leur paroxysme à travers des mouvements accélérés qui s’intensifient de minutes en minutes avant de céder la place au tableau suivant. Ensuite, le rythme de la musique ralentit avant de s’arrêter brusquement pour annoncer la fin d’une époque avant que, la lumière s’estompe pour plonger momentanément la place dans l’obscurité pour annoncer quelques instants après la renaissance de la cathédrale. L’évolution des séquences et la succession des tableaux virtuels placent le spectateur face à deux relations au niveau des interactions entre l’espace et le temps : une première temporalité qui apparaît lors de l’extinction des lumières et qui permet au spectateur de se repérer dans l’espace de la représentation au temps présent et une seconde temporalité fictive qui évolue lors du spectacle scénographique. Cette association de temporalités offre au spectateur la possibilité de méditer et de réfléchir par rapport à l’évolution de la cathédrale au fil des temps. De cette association entre le temps concret et le temps scénique, une relation complexe naît pour permettre au public d’entretenir une relation singulière avec l’œuvre scénographique exposée. En effet, en exposant sur la façade de la cathédrale Saint-Jean, la représentation d’une église virtuelle dont les matériaux, la façade et la texture changent au rythme des lumières et de la musique, la scénographie transforme le regard du public par rapport au monument qui se projette à son tour dans l’histoire racontée par le spectacle au-delà des frontières du temps et de l’espace. Par conséquent, il ne faut pas considérer le spectacle Évolution uniquement comme une représentation poétique et lyrique des moments marquants de l’histoire de la cathédrale, mais aussi comme un moyen de plonger le public à des époques variées. La façade de la cathédrale qui se compose de 13000 pierres est transformée à travers la scénographie événementielle urbaine pour accueillir une projection de 13000 pixels 3D pour offrir au public un voyage dans le temps qui ouvre la voie à l’imagination et à l’immersion[4]. Le spectateur remonte dans le temps et assiste à la construction de la cathédrale en papier, en soie, en pierre et en lumière. Cette représentation symbolique marque les différentes étapes de conception et de construction de la cathédrale au fil des âges ainsi que les événements historiques qui ont conduit à endommager partiellement ou totalement l’église. Plus qu’un voyage dans le temps, le spectacle se présente comme un voyage dans l’histoire pour offrir au spectateur l’occasion de méditer sur son histoire et son héritage patrimonial. La rapidité des changements d’ambiances et de rythmes poussent le spectateur à réfléchir concernant le temps qui passe. L’éclairage illumine sans arrêt la façade de la cathédrale sans l’écraser ou l’effacer.
La musique contribue fortement à faciliter l’immersion du public à travers des bandes sons spécifiques qui renvoient à des instruments musicaux variés inspirés du patrimoine culturel lyonnais relatifs à chaque époque. Le changement des rythmes et des sons favorise l’immersion du public et renforce la charge émotionnelle engendrée par la projection des tableaux virtuels sur la façade du monument. Cette évolution sonore qui rythme la représentation et envahit l’espace scénique permet de submerger le spectateur et d’offrir une représentation scénographique immersive et multisensorielle. Le temps sonore conjugué à la temporalité de l’œuvre et l’expérience temporelle offerte par le voyage dans le temps présenté dans l’œuvre offre au spectateur la possibilité d’expérimenter des temporalités plurielles qui le submergent. La répartition des hauts parleurs, des lasers et des projecteurs autour de la place Saint-Jean facilite l’adhésion du public qui se trouve emporté par les sons et les lumières vers un univers fictif et atemporel. Ainsi, tout a été pensé pour que les temps réels et fictifs, l’espace réel et l’espace scénique, se trouvent mêlés et liés pour favoriser l’immersion du spectateur. Le passage d’une époque à une autre tout au long du spectacle est favorisé par la rythmicité rendue possible par l’association entre les lumières et les sons, qui offrent au spectateur les outils pour saisir les sens des éléments scéniques et les moyens d’avoir plusieurs lectures et interprétations possibles. Dans ce contexte, l’artiste EZ3kiel résume le sujet de son spectacle de la manière suivante :
La première cathédrale fut construite au douzième siècle. Les bâtisseurs choisirent la pierre, l’acier et le bois. Immobile, lourde, tendue vers le ciel, la primatiale a traversé l’histoire, les guerres, pour se dresser telle qu’on la connaît aujourd’hui. Les temps changent, doucement, les lois de la physique cèdent leur place à d’autres plus malicieuses, plus poétiques. La pierre tremble, bouge et s’absout de toute gravité pour glisser, emportée légèrement par un souffle imaginaire. Il tire, ploie les fondations, courbe les arêtes de la cathédrale que l’on redécouvre malléable comme du papier de soie. Elle se déchire, s’éventre à droite, se froisse à gauche, s’effondre mollement, avant de se redresser dans un ultime salut. Vestiges d’une réalité oubliée, abandonnée par sa pierre, la cathédrale n’est plus. Les premières cathédrales ont disparu à cause des lois de la physique. Commence le cycle des renaissances. De nouveaux bâtisseurs, de nouvelles lois, de nouveaux atomes, pour parachever l’œuvre éphémère impossible d’un architecte de l’imaginaire. La cathédrale est de nouveau hissée, tressée, soudée par la lumière pure dans un enchevêtrement de fil d’acier ondoyant dangereusement avant de s’affaler une dernière fois. Qu’à cela ne tienne, on recommence, mais avec du papier, plus de vent, d’insouciance, et l’espoir sitôt balayé qu’un château de cartes réussisse là où la pierre et l’acier ont échoué. Puis vient l’âge des lumières. Là où la matière a échoué, la lumière perdurera. Le temps de l’atome révolu, il faut tout reconsidérer, apprendre à courber les longueurs d’onde, lisser les clairs obscurs, et se convertir à la dynamique des lasers. On allume les premières cathédrales, insensibles aux vents, aux pluies, à l’érosion du temps, elles brillent nourries par le feu du laser. Hologramme monochrome, mirage flamboyant abusé par la persistance rétinienne, elles ont vacillé lors des premières coupes budgétaires. Black-out, courts circuits et surtensions ont finalement eu raison de la plus grande d’entre toutes, disparue dans un dernier crépitement aux mille feux épileptiques. Noir[5].
À travers la présentation de l’artiste, nous constatons que le spectacle présente dans un premier temps l’évolution historique et architecturale de l’édifice. Il met l’accent sur l’évolution des matériaux qui ont servi à sa construction mais également les conflits et les guerres qui ont conduit à la renaissance perpétuelle de la cathédrale. Dans un second temps, le spectacle met en avant les caryatides qui marquent la période de la renaissance mais surtout l’évolution de la pensée humaine à travers la quête de la beauté et de l’espoir. Le second âge est suivi par l’âge des lumières : l’espoir auquel ont aspiré les hommes durant le second âge, se transforme en énergie qui remplace les matériaux de constructions classiques et qui triomphe des ravages du temps. À travers cette allégorie de la condition humaine, le spectacle Évolution offre au spectateur l’opportunité de réfléchir sur la temporalité et les moyens de triompher de la finitude humaine. La performance technique rendue possible à travers la scénographie événementielle urbaine et la technologie numérique offre au spectateur le moyen de faire des sauts temporels et de triompher de l’aspect irréversible du temps[6]. D’un autre côté, une autre lecture est possible. Alors que les édifices humains sont voués à disparaître, les images et les valeurs qu’ils laissent derrière eux sont éternelles et immortelles.
3. Une nuit étoilée de Van Gogh à l’atelier des lumières en 2018
Le spectacle Van Gogh : une nuit étoilée a été exposé à l’Atelier des Lumières de Paris pour la première fois en 2018. Ancienne fonderie transformée en un centre culturel numérique, cet espace qui fait 3300 m2 a accueilli plusieurs représentations artistiques et scénographiques. À travers un dispositif immersif constitué de « 140 vidéoprojecteurs et une sonorisation spatialisée[7] », les artistes Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi mettent en scène la vie intense et tourmentée du peintre Van Gogh, plus précisément les dix dernières années de sa vie, à travers près de 2000 tableaux[8] qui sont exposés sur l’ensemble de la superficie de l’Atelier des Lumières du sol au plafond. Cela donne l’impression au spectateur en pénétrant dans l’espace de la représentation d’entrer littéralement dans l’univers artistique du peintre : « Des paysages ensoleillés aux scènes nocturnes, des portraits aux natures mortes, les chefs-d’œuvre évoquent le monde intérieur à la fois démesuré et poétique de l’artiste ignoré de son vivant. Un voyage visuel et sonore qui renouvelle le regard sur la peinture et la richesse chromatique de Van Gogh[9]». Les dimensions de chaque tableau sur le mur sont de dix mètres. Cela donne au spectateur l’impression d’être submergé et envahi par les émotions et l’intensité des chefs-d’œuvre, par les craintes, l’anxiété, les déceptions et les rêves qui ont animé la vie de l’artiste. Par conséquent, le spectateur adhère à un univers impressionniste, spatial, atemporel et psychologique. Le réalisme de l’univers scénographique dans l’exposition Une nuit Étoilée a été rendu possible grâce à l’emploi de projecteurs lasers et d’enceintes qui permettent aux images diffusées d’embrasser l’espace de projection et de s’adapter aux reliefs de l’espace sans que l’image ne change. Cette démarche renforce l’authenticité de l’exposition tout en donnant l’impression au spectateur de ne plus être dans l’Atelier des lumières mais plutôt dans le monde de Van Gogh qui est constitué d’images géantes de tableaux et de fresques artistiques qui racontent la vie du peintre, ses tourments et qui rendent visible- son for intérieur. Les tableaux qui bougent sur le sol et les murs de l’espace de représentation prennent vie au contact des pieds du visiteur et lui offrent l’occasion de mieux s’immerger dans le monde artistique du peintre. Cet univers caractérisé par la dualité entre l’ombre et la lumière et le dynamisme des couleurs audacieuses et changeantes permet au visiteur de mieux saisir les dix dernières années de la vie démesurée, chaotique et poétique de Van Gogh. Afin de favoriser l’immersion du public, les tableaux sont accompagnés d’une musique qui mime l’animation des tableaux. La bande sonore comporte plusieurs registres musicaux de différents compositeurs appartenant à des genres musicaux variés : de la musique classique, du jazz, de la musique pop, etc. Les compositions du pianiste italien Luca Longobardi mettent en relief les moments forts de la vie de l’artiste à travers des séquences d’Oliviers et Cyprès et de La Plaine d’Auvers et de l’épilogue. La chanson Kozmic Blues de la chanteuse américaine Janis Joplin a accompagné la séquence scénographique associée au thème de la lumière provençale. Les créations de la musicienne russe Sofia Asgatovna Goubaïdoulina et du compositeur norvégien Edvard Grieg ont été associées à l’exposition des œuvres de jeunesse de Van Gogh. Le Jazz a servi, à travers la musique de Nina Simone, à exposer le passage du peintre à Saint-Rémy-de-Provence et à mettre en relief la violente crise qu’il a vécu tandis que les œuvres de Miles Davis ont été utilisées pour raconter le passage de Van Gogh à Arles. Nous retrouvons durant l’exposition scénographique les œuvres d’autres compositeurs célèbres comme Brahms et Vivaldi. À travers le choix de bandes sonores variées qui combinent des compositions musicales et des chansons, le visiteur voyage à travers le temps d’époque en époque et d’un genre musical à un autre pour saisir l’intensité de la vie du peintre durant la dernière décennie de sa vie. Cela a été confirmé dans le dossier de presse publié par les artistes : « Nous avons alterné des morceaux classiques et contemporains, concerts et symphonies, jazz et musique pop avec, en écho à la vie de l’artiste, des moments plus sombres et d’autres plus solaires[10] ».
Lors de ses déplacements dans l’espace, le spectateur est en contact avec plusieurs temporalités qui coexistent lors de la représentation scénographique : le temps réel, les temporalités présentées par les tableaux et les temporalités présentées par les bandes sonores qui renvoient à d’autres périodes de l’histoire moderne et la sphère temporelle en dehors de l’espace et du temps que construit le visiteur au contact de l’univers artistique de Van Gogh. La sensibilité que dégagent les tableaux exposés permet au visiteur d’associer la souffrance et les tourments du peintre à son propre vécu personnel. Selon Alessandra Mariani, au contact des différentes temporalités, le spectateur devient « coproducteur de ses propres expériences, de son interprétation des contenus, puisque l’exposition interactive/immersive lui offre de nouvelles possibilités, des choix qu’il n’avait pas auparavant[11] ». En l’absence de médiateurs entre le visiteur et l’exposition, ce dernier déambule dans l’espace et forge son propre itinéraire. Il ne suit aucun chemin préconstruit par les organisateurs pour découvrir à sa manière et en s’appuyant sur ses propres conceptions artistiques la vie de l’artiste. Cette démarche lui permet de construire sa propre temporalité et de coécrire le récit de sa visite. En étant le maître de l’espace et du temps, le visiteur participe à la trame narrative de l’exposition en y apportant sa propre sensibilité, vision et expérience à travers ses sens et son corps qui lui permettent d’appréhender l’œuvre scénographique d’une façon singulière. De plus, même si l’exposition Une nuit étoilée met en scène à travers des tableaux la vie du peintre, l’approche adoptée par les artistes n’est nullement chronologique. En effet, la recherche historique et iconographique, l’écriture du story-board, les animations vidéographiques, l’association des images, des vidéos et des bandes-son et la diffusion audiovisuelle, ont pour but d’appréhender la vie de Van Gogh d’une manière sensible et sensorielle, à travers l’immersion scénographique. La sensibilité du visiteur par rapport à l’exploit artistique et numérique mis en place lors de l’exposition scénographique est alimentée par des stimuli qui dotent le spectateur de clés de lecture pour dresser un portrait singulier, succinct et complet de la vie de Van Gogh. En réunissant dans le même espace des tableaux dispersés aux quatre coins du monde dans les musées, le public effectue un voyage initiatique et poétique en dehors de l’espace et du temps pour contempler, admirer et découvrir la vie d’un peintre atypique. L’animation audiovisuelle redonne vie aux tableaux tandis que la technique du vidéo mapping rend les maux du peintre plus actuels que jamais. Les expositions scénographiques mettent en scène les tableaux célèbres du peintre comme Des Mangeurs de pommes de terre (1885), Tournesols (1888), La Nuit étoilée (1889) et La Chambre à coucher (1889). Grâce à la technologie numérique utilisée, les chefs-d’œuvre du peintre s’animent et prennent vie pour mettre en relief l’intensité de l’existence mouvementée du peintre. Pour le spectateur qui déambule dans l’espace, Van Gogh cesse d’être un peintre qui a vécu à une époque révolue, mais devient un artiste dont l’intensité de la vie et des émois est actuelle. Par conséquent, la scénographie événementielle a offert le temps d’un spectacle à Van Gogh de renaître de ses cendres pour tisser une relation particulièrement intense avec le public et s’ancrer dans la réalité du monde d’aujourd’hui. Ainsi, la scénographie et le recours à la technologie numérique ont pu mettre en place différentes stratégies créatives dans l’espace de l’exposition pour placer le spectateur au cœur d’un processus de décisions et d’opinions dans lequel il est libre d’établir une relation émancipée et singulière avec l’œuvre exposée. Cette nouvelle relation esthétique entre le spectateur et l’exposition modifie le lien du spectateur à l’œuvre, à l’art et au temps.
Conclusion
À travers l’analyse des expositions scénographiques citées, nous avons mis en relief le rôle de la scénographie dans le développement d’un rapport singulier au temps. En effet, avec l’évolution technologique et la démocratisation du numérique, la scénographie a évolué en termes d’utilisation et de fonctionnement pour prendre en charge la dimension spatio-temporelle et permettre au public de manier le temps, de se l’approprier et d’effectuer, le temps de la représentation, des sauts dans le temps et ainsi avoir l’illusion de triompher de la finitude humaine, d’avoir le sentiment d’être connecté au Grand Tout. Sans notion de frontière temporelle ni de limite spatiale, les expériences scénographiques immersives offrent à l’homme les moyens de braver les lois physiques et humaines pour entrer dans les lois divines.
L’analyse des différentes expositions a mis en relief la thématique de la temporalité et le lien au divin à travers les notions d’éternité et de reliance qui suscitent chez les visiteurs une expérience immersive et une réflexion profonde concernant l’éternité, la transcendance et la persistance au-delà de la vie humaine individuelle. L’emploi des éléments visuels, sonores et textuels invite le visiteur à la méditation concernant le passage du temps, la continuité historique, les cycles naturels et les traditions ancestrales, et l’appelle à explorer le continuum temporel. La participation à la fois individuelle et collective des visiteurs aux expositions offre aux spectateurs la possibilité de mettre l’accent sur la relation symbiotique entre l’homme et son environnement.
En intégrant des symboles et des métaphores visuelles dans les expositions scénographiques, les concepteurs offrent aux visiteurs des moments de contemplation profonde, les invitant à réfléchir à leur place dans le monde et à explorer des questions existentielles, et éveillent par la même occasion chez le public un sentiment d’émerveillement, de connexion et de transcendance.
Notes
[1]Flippo, Claude, « Développement humain et croissance spirituelle », Études, vol.402, n°3, 2005, p.347-357.
[2]Safa, Isabelle, « Kairouan, un islam des Lumières », Les Cahiers de l’Orient, vol. 97, n°1, 2010, p. 83-87.
[3]Zaghoueni, Fatma, : « Kairouan, capitale du Mouled», La Presse [En ligne], 2022: https://lapresse.tn/140825/5e-edition-du-festival-du-moualed-du-1er-au-9-octobre-kairouan-capitale-du-mouled/
[4]Laganier, Vincent, « Fête des Lumières 2016 : Évolutions de Yann Nguema, EZ3kiel », Light Zoom Lumière [En ligne], 16 décembre 2016, consultable sur : https://www.lightzoomlumiere.fr/realisation/fete-des-lumieres-2016-evolutions-de-yann-nguema-ez3kiel/
[5]Wallers-Bulot, Jean-Baptiste, « Évolutions, récit du scénario d’un mapping par EZ3kiel », Light Zoom Lumière [En ligne], 2017: https://www.lightzoomlumiere.fr/realisation/evolutions-recit-scenario-dun-mapping-ez3kiel/Wallers-Bulot, Jean-Baptiste, « Évolutions : genèse du spectacle de lumière total par EZ3kiel », Light Zoom Lumière [En ligne], 2017: https://www.lightzoomlumiere.fr/realisation/evolutions-genese-du-spectacle-lumiere-total-par-ez3kiel/
[6]Wallers-Bulot, Jean-Baptiste, « Évolutions : genèse du spectacle de lumière total par EZ3kiel », Light Zoom Lumière [En ligne], 2017: https://www.lightzoomlumiere.fr/realisation/evolutions-genese-du-spectacle-lumiere-total-par-ez3kiel/
[7]Iannuzzi, Gianfranco, Gatto Renato, Siccardi Massimiliano, « Van Gogh : une nuit étoilée », Dossier de Presse, Culture espace [En ligne], 2019, p.4. : https://www.culturespaces.com/sites/ceportail/files/dp_van_gogh_atelier_des_lumières_paris_0.pdf/
[8]Coll, Laura, « L’exposition immersive « Van Gogh, la Nuit Étoilée » de retour cet été en Nocturnes à l’Atelier des Lumières ! », Paris Secret [En ligne], 2022: https://parissecret.com/van-gogh-la-nuit-etoilee-atelier-des-lumieres/
[9]Ibid.
[10]Iannuzzi Gianfranco, Gatto Renato, Siccardi Massimiliano, op. cit., p. 23.
[11]Mariani, Alessandra, « Pratiques interactives et immersives ; pratiques spatiales critiques. La réalité augmentée de l’espace d’exposition », MediaTropes, vol. 3, n°2, 2012, p. 30.
Bibliographie
Coll, Laura, « L’exposition immersive « Van Gogh, la Nuit Étoilée » de retour cet été en Nocturnes à l’Atelier des Lumières ! », Paris Secret [En ligne], 2022, consultable sur: https://parissecret.com/van-gogh-la-nuit-etoilee-atelier-des-lumieres/
Flippo, Claude, « Développement humain et croissance spirituelle », Études, vol.402, n°3, 2005.
Iannuzzi, Gianfranco, Gatto Renato, Siccardi Massimiliano, « Van Gogh : une nuit étoilée », Dossier de Presse, Culture espace [En ligne], 2019, consultable sur: https://www.culturespaces.com/sites/ceportail/files/dp_van_gogh_atelier_des_lumières_paris_0.pdf/
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Mariani, Alessandra, « Pratiques interactives et immersives ; pratiques spatiales critiques. La réalité augmentée de l’espace d’exposition », MediaTropes, vol. 3, n°2, 2012.
Safa, Isabelle, « Kairouan, un islam des Lumières », Les Cahiers de l’Orient, vol. 97, n°1, 2010 .
Wallers-Bulot, Jean-Baptiste, « Évolutions : genèse du spectacle de lumière total par EZ3kiel », Light Zoom Lumière [En ligne], 2017, consultable sur : https://www.lightzoomlumiere.fr/realisation/evolutions-genese-du-spectacle-lumiere-total-par-ez3kiel/
Wallers-Bulot, Jean-Baptiste, « Évolutions, récit du scénario d’un mapping par EZ3kiel », Light Zoom Lumière [En ligne], 2017, consultable sur : https://www.lightzoomlumiere.fr/realisation/evolutions-recit-scenario-dun-mapping-ez3kiel/
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