Deconstruction of Oedipus Tyrannus and Construction of Identity: the Performative Speech of Michèle Fabien’s Jocasta
Présentation de l’autrice
Cassandre MARTIGNY
Cassandre Martigny est agrégée de Lettres classiques et doctorante contractuelle à Sorbonne Université en Littérature française et comparée (CRLC). Sa thèse, « Devenir Jocaste : naissances et renaissances du personnage, de l’Antiquité à nos jours », est codirigée par Véronique Gély et Marie-Pierre Noël.
cassandre.martigny@gmail.com
Pour citer cet article : Martigny, Cassandre, « Déconstruction d’Œdipe roi et construction identitaire : la parole performative de la Jocaste de Michèle Fabien », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse-Jean Jaurès, n°12, « Les personnages féminins dans les réécritures féministes : dramaturgie, esthétique et politique des classiques à la scène », saison automne 2022, mis en ligne le 30 janvier 2023, disponible sur https://blogs.univ-tlse2.fr/littera-incognita-2/2022/12/26/deconstruction-doedipe-roi-et-construction-identitaire-la-parole-performative-de-la-jocaste-de-michele-fabien/
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Résumés
Le but de cet article est d’analyser la façon dont Jocaste, personnage dans l’ombre d’Œdipe dans la tragédie Œdipe roi de Sophocle, devient la protagoniste dans le monologue Jocaste de Michèle Fabien (1981). Ce changement de point de vue implique une relecture du texte antique et une réélaboration du mythe œdipien qui s’enrichit de nouvelles perspectives liées à la mutation des mentalités sur la condition féminine. Grâce à une parole performative, Jocaste déconstruit la tragédie antique pour s’affirmer en tant que sujet. Après avoir analysé les enjeux de la quête identitaire de Jocaste à l’heure de la belgitude et des mouvements féministes, on montrera de quelle manière Jocaste remet en cause l’histoire véhiculée par Œdipe Roi et ses réécritures, en surmontant les épreuves qui ont marqué la destinée d’Œdipe. Sa quête identitaire fait advenir une Jocaste postmoderne qui affirme son désir et qui trouve dans le théâtre un espace de libération et de renouvellement.
The aim of this paper is to analyse in which way Jocasta, a character in the shadow of Oedipus in Sophocles’ tragedy Oedipus Tyrannus, becomes the protagonist in Michèle Fabien’s monologue Jocasta (1981). This change of viewpoint implies a rereading of the ancient text and a re-elaboration of the Oedipal myth, which is enriched by new prospects linked to the changing mentalities about women’s condition. Thanks to a performative speech, Jocasta deconstructs the ancient tragedy to assert herself as a subject. After analysing the issues at stake in Jocasta’s quest for identity in the age of Belgativity and feminist movements, we will show how Jocasta challenges the history conveyed by Oedipus Tyrannus and its rewritings, by overcoming the trials which left their mark on Oedipus’ destiny. Her quest for identity brings about a postmodern Jocasta who affirms her desire and finds in theatre a place for liberation and renewal.
Mots-clés
Littérature comparée – mythe – Jocaste – Œdipe Roi – réécriture – féminisme
Comparative Literature – Myth – Jocasta – Oedipus Tyrannus– Rewriting – Feminism
Sommaire
Introduction
1. La tragédie du « je » fragmenté : à la recherche de l’identité perdue
1.1 Les enjeux de la quête identitaire de Jocaste à l’heure de la belgitude
1.2 Sortir du silence : la quête de soi
2. La construction identitaire à travers la déconstruction d’Œdipe Roi
2.1 Le suicide pour renaître
2.2 La conquête de soi : les épreuves de la Peste et de la Sphinx
3. Faire advenir la Jocaste postmoderne : l’éclosion d’une parole de désir
Conclusion : Le théâtre comme utopie
Notes
Bibliographie
Jocaste est longtemps restée muette, renvoyée au silence qui se referme sur elle à la fin de l’Œdipe Roi de Sophocle, tragédie représentée entre 429 et 425 avant notre ère. Sous l’impulsion des mouvements et critiques féministes qui s’épanouissent en France dans les années 1970-1980, elle devient la protagoniste d’œuvres qui remettent en cause les idées reçues sur l’histoire œdipienne et ses interprétations, véhiculées par la tradition littéraire et la psychanalyse[1]. C’est dans ce contexte que Michèle Fabien écrit sa première pièce, Jocaste, représentée le 29 septembre 1981 à Bruxelles par l’Ensemble Théâtral Mobile, dans une mise en scène de Marc Liebens.
Seul personnage de la pièce, Jocaste prend la parole dans un long monologue. La dramaturge explique ce choix :
[…] je n’ai jamais pu imaginer [Jocaste] en grande conversation avec qui que ce soit : il me semblait au contraire qu’ayant été lâchée par tout le monde, y compris les auteurs dramatiques qui après Sophocle ont écrit des Œdipe, mais pas des Jocaste, elle ne pouvait être que seule en scène[2].
Cette forme théâtrale, héritée des performances plasticiennes de militantes féministes, accompagne le renouvellement dramaturgique des années 1970-1980. Des femmes, se fondant sur le récit d’expériences singulières, s’approprient le monologue pour faire entendre des méditations intérieures et mettre en scène leur corps[3]. Ce faisant, elles cherchent à se redéfinir comme sujet en l’absence de l’autre. C’est également dans ce but que Jocaste doit se raconter : « le dialogue ne peut plus être qu’à l’intérieur d’elle-même, écrit Michèle Fabien, elle doit faire son théâtre à elle toute seule[4]. » En faisant d’elle l’unique protagoniste de la pièce, la dramaturge change de perspective par rapport aux autres réélaborations d’Œdipe Roi de Sophocle et propose ainsi une « révision » (« re-vision ») du texte antique[5] : elle réécrit la tragédie du point de vue du personnage féminin pour remettre en cause ses réinterprétations patriarcales[6]. Ce décentrement donne lieu à une relecture politique du mythe d’Œdipe. « Jocaste se tait depuis si longtemps[7] » : cette exclamation du personnage dans la pièce est aussi celle de la dramaturge belge qui exprime la nécessité de redonner une voix à Jocaste, longtemps considérée « comme le symbole de la femme castratrice qui encourage Œdipe, le prototype de l’intellectuel, à abandonner sa quête de la vérité[8] ». En faisant entendre les voix de Jocaste, mais aussi de Déjanire ou de Cassandre dans ses pièces ultérieures[9], M. Fabien fait représenter d’autres versions possibles des mythes qui ne sont jamais figés mais qui se fabriquent et se réélaborent au sein des œuvres de fiction[10]. Le monologue de Jocaste réinterprète le mythe d’Œdipe pour réactualiser son sens et sa portée. Il se présente comme une véritable quête identitaire où le personnage affirme son existence. « Je m’appelle Jocaste[11] » : cette déclaration ouvre et referme la pièce. Entre-temps, le lectorat/public assiste à la transformation du personnage : « de l’antique à la moderne, de la mère à la femme, une autre Jocaste est advenue », selon M. Fabien[12]. La construction identitaire de Jocaste passe par une parole performative, une parole qui réalise une action par le fait même de son énonciation. En effet, la protagoniste, en s’appropriant Œdipe Roi, déconstruit les images véhiculées par la tragédie mais aussi par ses réécritures et réinterprétations, en littérature et en psychanalyse, pour faire advenir une Jocaste postmoderne, sujet de son désir et de sa destinée.
« Qui est Jocaste[13] » : cette question sur laquelle s’ouvre le monologue de Jocaste constitue toute l’intrigue de la pièce. L’importance du nom révèle l’aliénation du personnage, dépossédé de lui-même par tous les discours qui ont forgé son identité. « Ni reine, ni veuve, ni épouse, ni mère[14] », Jocaste, qui ne peut au début de la pièce se penser que par la négative, tente de se redéfinir en dehors des images traditionnelles ou de ses statuts sociaux. Les notions d’altérité et d’identité sont au cœur de son discours et reflètent les problématiques contemporaines à la mise en scène de la pièce en 1981. Les années 1970-1980 sont marquées par les mouvements de la belgitude et de la libération des femmes, qui visent à faire entendre la voix des oublié(e)s de l’Histoire.
La question de l’« identité en creux » occupe une place importante dans la littérature belge qui, dès sa naissance, a vécu de manière problématique la confrontation avec le modèle français[15]. L’interrogation identitaire des Belges, conscients de participer et d’appartenir aux cultures européennes et de devoir sortir du monopole français, donne lieu au mouvement littéraire de la belgitude, proclamée par Pierre Mertens et Claude Javeau à la fin de l’année 1976. C’est dans l’écriture dramatique que s’exprime le plus cette volonté de trouver une identité propre[16]. Michèle Fabien joue un rôle majeur dans l’avènement d’un nouveau théâtre, à la croisée du littéraire et du politique, et entreprend un travail important d’adaptation d’œuvres[17]. Bien qu’elle ne propose pas une réflexion directe sur la situation politique de son pays dans son théâtre, elle pose la question de l’altérité. Sa pièce Jocaste répond aux enjeux de la belgitude, en montrant la nécessité de « dire le sujet barré par la tradition historique[18] » et de chercher des formes d’existence nouvelles.
Comme le souligne Marc Quaghebeur, les problématiques identitaires auxquelles sont confrontés les autrices et auteurs de la belgitude rejoignent les revendications portées par les mouvements féministes[19]. Des femmes s’insurgent pour reprendre possession de leurs corps et devenir sujets de discours et d’actions[20]. Elles veulent parler en leur nom, de la même manière que Jocaste, dans le monologue de M. Fabien, cherche à retrouver celle qu’elle est en allant « chercher Jocaste qui n’est plus que son nom[21] ». La dissociation du « je » et du « elle », la fragmentation du « moi », est due aux nombreuses réélaborations de l’histoire antique qui ont dépossédé Jocaste de son être et de sa parole, en la maintenant dans l’ombre d’Œdipe ou en réinterprétant ses silences dans Œdipe Roi pour faire d’elle une figure monstrueuse[22] ou une énigme[23]. La protagoniste « étouffe dans ce silence[24] » auquel elle a longtemps été reléguée, en tant que personnage féminin uniquement pensé par des hommes. Or, elle est bien consciente du pouvoir performatif des mots : « il y a des mots qui tuent », pas seulement des mots mais aussi « des images qui sortent des mots, prennent des formes tortueuses, comme des goules[25] ». Jocaste subvertit ici une imaginaire masculin, celui de la goule, vampire féminin qui cristallise toutes les angoisses autour de la sexualité féminine et de la mort, pour mettre en exergue le caractère mortifère de la parole des hommes, une parole qui « tue », « enferme », et jamais « ne s’endigue[26] ». Après que Créon a révélé que la peste ne pouvait prendre fin qu’avec la vengeance du meurtre de Laïos, Jocaste, incapable de soutenir le discours du masculin, se tait : « une bouche se tord dont aucun cri ne s’échappe. La mienne[27] ». Le mutisme de la Jocaste antique entraîne une inaction que la Jocaste moderne ne comprend pas : « Que fait Jocaste[28] ». Elle porte alors un regard critique sur la Jocaste antique et questionne cette passivité imposée par l’histoire et le discours masculin. Marcelle Marini a montré le fondement patriarcal du mythe d’Œdipe dans son article « Sommes-nous toutes des Jocaste qui s’ignorent[29] ». Elle y dénonce la « métamorphose » systématique des femmes en mères[30] et les discours psychanalytiques de Freud et de Lacan qui ont entériné cette assignation[31]. « Le complexe d’Œdipe » renvoie Jocaste, l’épouse-mère, à ses liens au fils et au mari et nie le désir féminin. Jocaste « du temps du complexe tente de renouer avec la Jocaste d’avant le complexe[32] » à travers une parole performative qui déconstruise les interprétations présentes et passées qui ont forgé son histoire.
M. Fabien redonne alors une voix à celle qui s’est tue et qui meurt en silence pour qu’elle puisse directement interpeller les spectateurs et sans doute aussi les auteurs qui l’ont confinée à ses différents rôles : « Vas-y, maintenant, pose-la ta question » ; « Demande ! Aujourd’hui, Jocaste peut répondre[33] ».
À travers un dialogue fictif avec le musicien sur scène, avec Œdipe, avec le public, mais aussi avec elle-même[34], Jocaste tente de se reconnaître. Elle fait référence à la longue tradition littéraire qui a forgé un mythe de Jocaste, dans un commentaire métalittéraire : « Viens, toi, viens près de moi, écoute, je suis Jocaste, je parle. Il m’a paru si long le chemin pour arriver ici, si difficile, aussi, pourtant je n’ai pas mal[35] ». « Écoute », « je parle » : ces deux verbes sont essentiels pour que Jocaste puisse affirmer un « je » qui témoigne de son emprise sur les événements. Il est significatif que sur les cinq scènes qui composent la pièce, quatre portent son nom : « 1- Jocaste la pendue », « 2- La peste de Jocaste », « 3- Jocaste : scène primitive et révélation », « 4- L’énigme de Jocaste ». Ces titres, dont on analysera la richesse sémantique, montrent que Jocaste se réapproprie les moments marquants de l’histoire d’Œdipe – la résolution de l’énigme de la Sphinx, la peste qui frappe le royaume de Thèbes et la révélation de son mariage incestueux – pour repenser sa propre histoire. Elle parcourt ainsi toutes les étapes de sa destinée pour s’affirmer en tant que sujet.
À cause de la fatalité tragique, mais aussi de la tradition mythique, Jocaste est consciente qu’elle « doit se tuer[36] ». La familiarité populaire du titre de la première partie, « Jocaste la pendue », condamne le personnage au silence et le fige dans son destin tragique. C’est pourquoi, dans sa recherche d’elle-même, Jocaste commence paradoxalement par son suicide, comme Ophélie dans la pièce Die Hamletmaschine de l’écrivain allemand Heiner Müller, adaptée par M. Fabien en 1979 (Hamlet Machine), deux ans avant la mise en scène de Jocaste. Dans une lettre envoyée au critique théâtral Bernard Dort, elle propose de voir en Ophélie une figure paradigmatique du féminin, contrainte de lutter contre une représentation qui lui a été imposée au cours de l’Histoire[37]. Comme Ophélie, la Jocaste moderne ne peut plus jouer « la suicidée » et tente « de se libérer sur son propre terrain, celui du corps, celui du foyer[38] ». Les paroles de Jocaste font écho à celles d’Ophélie[39] mais aussi à celles du messager d’Œdipe Roi de Sophocle. M. Fabien reprend la traduction de la tragédie attique par Robert Pignarre pour l’éditeur Garnier, tout en la modifiant pour ajouter un supplément de sens[40]. Par exemple, dans la traduction, l’apparition d’Œdipe fait oublier la mort de Jocaste parce que les spectateurs sont captivés par ses malheurs[41] ; dans le monologue de M. Fabien, c’est parce qu’Œdipe est un homme qu’il relègue dans l’ombre le personnage de l’épouse-mère. Jocaste se déclare alors « transparente […] pour cause d’apparition de Roi, de Mari, de Fils[42] ». Au moment de son énucléation, Œdipe « crie que ses yeux ne verront plus sa misère[43] » dans la traduction ; dans la réécriture de M. Fabien, c’est la mère que les prunelles du fils-époux ne veulent plus voir[44]. Par ce changement significatif, la dramaturge montre que la mère est annihilée par son fils. L’équivalence entre « misère » et « mère » fait également d’elle la responsable de tous les maux. Elle incarne les malheurs qui frappent Thèbes, la souillure qui doit être éradiquée, comme en témoigne le titre de la deuxième partie, « La peste de Jocaste ». « Transparente », la reine de Thèbes disparaît sans le regard d’autrui mais aussi dans cette image d’éternelle coupable. La voix et le corps de Jocaste, « refoulé[s][45] » par Œdipe, réapparaissent lorsqu’elle se regarde dans le miroir à la fin de la première partie. Rendue à elle-même, Jocaste se reconnaît comme sujet[46]. Elle prend alors le poignard, non pour renoncer à la vie mais pour renaître en anéantissant tout ce qui la définit :
Je vais tuer la reine de Thèbes.
Je vais tuer la mère qui exposa Œdipe.
Je vais tuer la Reine qui le fit Roi et père de ses sœurs, de ses frères[47].
À travers l’anaphore « je vais tuer », Jocaste vise la somme des réélaborations et réinterprétations d’Œdipe Roi qui ont fait d’elle l’éternelle mère coupable.
Afin de (re)trouver son identité, Jocaste se réapproprie le discours mythique et surmonte les mêmes épreuves qui ont jalonné la quête identitaire d’Œdipe. Elle tente de résoudre la question de la peste en s’offrant comme victime sacrificielle, comme pharmakos (φαρμακός), pour expulser de Thèbes la souillure mais aussi, métaphoriquement, chasser d’elle-même tout ce qui la caractérise. Dans Œdipe Roi, c’est Œdipe qui intériorise le mal Thèbes : à la fin de la tragédie, son corps et ses yeux ensanglantés exhibent le nosos (νόσος), la maladie qu’il porte en lui et qui contamine l’ensemble de la cité[48], tandis que Jocaste disparaît dans la chambre nuptiale. Dans le monologue de Michèle Fabien, c’est elle, la reine de Thèbes, qui, à l’image de la cité qu’elle gouverne, est un « gigantesque bubon qui éclate[49] ». Durant toute cette séquence, Jocaste recourt au lexique de l’expulsion et de la parturition pour arracher d’elle-même la « terreur » et l’« horreur »[50]. La dimension maternelle du corps féminin est privilégiée pour rappeler le crime commis par Jocaste, l’inceste, et montrer sa sexualité monstrueuse. Le ventre de Jocaste « se crispe » et « se relâche » afin de « vomir » ce qui la meurtrit, de rejeter précisément par la bouche tous les discours aliénants et destructeurs dont elle a été l’objet. Ce n’est plus Œdipe mais elle qui passe alors par tous les affres de l’anéantissement pour reprendre vie[51].
Dans la quatrième partie, Jocaste parachève sa construction identitaire en donnant sa propre réponse à l’énigme de la Sphinx. La reine de Thèbes qui est objet de l’épreuve dans le mythe, la récompense promise au vainqueur du monstre et remportée par Œdipe, en devient le sujet dans le monologue de M. Fabien. La rencontre avec la Sphinx ne consacre plus la victoire d’Œdipe le conquérant[52] mais devient pour Jocaste une étape essentielle à sa conquête d’elle-même. Dans l’un de ses manuscrits, la dramaturge explique que cette épreuve, qui permet au héros de se révéler comme tel n’est jamais donnée aux femmes. Elle ajoute que Jocaste, en accédant enfin à la parole doit elle aussi accéder au Sphinx mais relativement puisque le rôle de la « bête chanteuse[53] » est tenu par un musicien, un homme qui reste muet car, comme l’explique la dramaturge, « c’est bien là le problème de Jocaste : personne ne lui pose d’énigme, elle ne bénéficie pas, elle d’un “révélateur”[54] ». C’est donc à elle seule dans ce monologue de formuler l’énigme et sa réponse. Les deux figures, marquées par la même horreur absolue, se superposent : Œdipe s’aveugle lorsqu’il découvre le corps de Jocaste pendue et s’enfuit de la chambre en criant ; il hurle la réponse à l’énigme et détourne les yeux du cadavre de la Sphinx[55]. Il refuse à ces deux figures toute forme d’échange, les renvoyant ainsi à leur altérité. « L’énigme de Jocaste », qui donne son nom à cette section, c’est aussi celle construite par les discours psychanalytiques, notamment ceux de Freud, qui ont contribué à l’essentialisation du féminin en l’associant constamment à un « continent noir[56] » ou à une « énigme » (Rätsel) à résoudre[57]. Pour lutter contre cette aliénation et cet effacement, Jocaste force un allocutaire fictif – Œdipe mais peut-être aussi le public, témoin et complice de cet anéantissement du personnage, aussi bien dans Œdipe Roi que dans ses réinterprétations – à la regarder et à l’entendre, en se réappropriant l’énigme de la Sphinx :
Toi, le vainqueur de la Sphinx, toi qui as répondu à la question… Quel est l’animal qui… C’est l’homme !
Eh bien moi, je suis la femme, la femme, tu entends, la femme du ventre de laquelle tu es sorti[58].
« Je m’appelle Jocaste », affirme alors pour la seconde fois le personnage, comme pour signifier la fin de sa quête identitaire, marquée par sa renaissance en tant que femme. Ce cri d’affirmation de soi ne signifie cependant pas la fin de l’aliénation. En revendiquant son « ventre », Jocaste détourne le stigmate, se libère du poids de la culpabilité, tout en réaffirmant sa condition maternelle comme essentielle : elle ne parvient pas à se redéfinir en dehors de l’assimilation femme / mère forgée par les discours psychanalytiques. Pour mettre fin à un langage qui tue, Jocaste doit elle-même faire advenir une langue libératrice.
En devenant sujet du discours, Jocaste cherche à trouver son propre langage, celui qui abolit la rhétorique humaniste classique pour exposer l’intime et la sexualité, se faisant ainsi la porte-parole des réflexions portées par des féministes qui, dans les années 1970, s’interrogent sur le pouvoir des mots pour mieux subvertir l’écriture traditionnelle. On perçoit notamment dans le monologue l’influence des théories d’Hélène Cixous dont l’opéra Le Nom d’Œdipe. Chant du corps interdit (1978) constitue l’une des sources possibles de Jocaste[60]. Celle-ci soutient « sans équivoque qu’il existe des écritures marquées » et que « l’écriture masculine », la plus couramment répandue, a produit « le refoulement de la femme », sa mise à mort symbolique[61]. Dans La Jeune Née[62] puis Le Rire de la Méduse[63], elle revendique une « écriture féminine » grâce à laquelle les femmes puissent reconquérir dans un même mouvement l’écriture et le corps, dont elles se sont vues dépossédées[64]. Cette écriture est revendiquée par les tenantes d’une tendance du féminisme rétrospectivement qualifiée de « différentialiste » et accusée d’essentialisme par les représentantes d’un féminisme « matérialiste[65] ». Elle vise à renégocier l’héritage psychanalytique freudien[66] et à subvertir un « système phallocentrique » en travaillant dans la langue une « différence » : celle du rapport du sujet écrivant à l’écriture mais aussi du rapport de l’écriture au corps dans sa dimension sexuée[67].
Comme l’explique Dominique Ninanne, la pièce de M. Fabien « fait surgir un lien entre la mise à mort de Jocaste par le “tu” masculin et celle qui est l’œuvre des mots et des images – mise à mort par un langage phallique[68] ». Jocaste, qui « n’a pas d’image[69] », est en quête d’elle-même, en quête aussi d’un langage qui puisse lui redonner un corps. Longtemps occulté, caché dans les silences d’Œdipe Roi, celui-ci est exhibé dans sa nudité à la fin de la pièce. Jocaste retire sa robe et son écharpe, une manière de faire oublier l’image de « la pendue », mais aussi de revendiquer une démarche transgressive, héritée de la performance plasticienne et reprise dans le théâtre féministe des années 1970-1980[70]. Dans un dialogue entre le politique et le poétique, les femmes prennent leur corps comme outil premier de création pour le libérer des représentations réductrices, notamment celles qui l’associent à une matrice reproductrice, et imposer leur vision propre. Traditionnellement au théâtre le corps des femmes est obscène : sa représentation sur la scène contemporaine permet à l’objet de devenir sujet, de subvertir les rôles et de dénoncer la norme dans la supposée nature[71]. Le corps de Jocaste est d’autant plus frappé d’interdit qu’il incarne le tabou de l’inceste. La protagoniste outrepasse ainsi toute règle morale en montrant le corps de l’épouse-mère qu’Œdipe n’a pas voulu voir : « Mes mains descendent le long de mon corps nu, car je suis nue, Œdipe, n’oublie pas[72] ». La situation a changé par rapport à la première partie de la pièce où Jocaste, reprenant les mots du messager d’Œdipe Roi, laissait dans l’ombre son corps pour n’évoquer que le geste de mutilation d’Œdipe et ses cris. Le personnage contemporain donne enfin à voir celle qui représentait la souillure et l’horreur pour sortir de cette identification. L’exhibition du corps interdit passe aussi par un langage du désir qui se fait entendre dès le début du monologue :
Mes cheveux, tant de fois caressés.
Mes pommettes, rougies par le désir.
Mes bras, qui s’accrochèrent aux épaules de Laïos.
Mes mains, qui caressèrent ses cuisses.
Mes seins, qui se gonflèrent du désir de son corps.
Mon ventre, qui porta les enfants de mon fils.
Mes cuisses, qui s’ouvrirent aux hanches de mon fils[73]
Grâce aux déterminants possessifs, le personnage se réapproprie son corps, un corps sujet de l’action qui possède bien plus qu’il n’est possédé. C’est une différence notable par rapport au discours idéologique qui réduit le corps du personnage à son rôle de matrice, et donc à l’« antre », au « trou » ou au « ventre[74] ». Toutefois, les verbes choisis par la protagoniste relativisent quelque peu cet apparent triomphe, en soulignant aussi sa vulnérabilité, sa passivité par rapport à l’homme (« caressés ») ou aux émotions qu’elle ressent (« rougies »). De plus, à travers cette énumération, le corps de Jocaste apparaît comme fragmenté, morcelé, comme dans les blasons de la poésie amoureuse du xvie siècle. En consacrant ainsi l’autonomie des parties les plus sexuelles de son anatomie, Jocaste ne se départit pas d’une vision classique du corps féminin.
Le personnage explore son désir et son plaisir, étouffés dans les silences d’Œdipe Roi, à travers un langage qui reconduit aussi des représentations traditionnelles de la sexualité féminine. C’est très visible dans la manière dont Jocaste associe constamment corps de la femme et corps de la mère, révélant ainsi l’influence des théories du féminisme dit différentialiste qui lie la spécificité d’une « autre langue » à la spécificité du corps « féminin ». Lorsque le personnage affirme qu’« on ne regarde pas sa mère quand elle est une femme » et qu’« on ne regarde plus sa femme quand elle est sa mère[75] », il ne se réfère pas seulement au tabou de l’inceste : le chiasme et le pronom impersonnel « on » soulignent l’exclusion générale de la féminité par la maternité. Pour lutter contre cette inévitable dissociation, la protagoniste réaffirme sans cesse sa condition de mère comme preuve de sa féminité. Dans la citation donnée plus haut, le dernier vers est ambigu, pouvant tout aussi bien renvoyer à un coït qu’à un accouchement. En effet, Jocaste refuse de séparer le corps de la mère et celui l’amante, quitte à clamer haut et fort son désir scandaleux pour son fils à la fin de la pièce[76]. Ce faisant, elle reconduit aussi l’assimilation femme / mère, consacrée par le discours psychanalytique. Le personnage ne parvient donc pas totalement à s’émanciper des mots et du regard d’autrui : lorsqu’elle donne l’ordre à Œdipe mais aussi au public de la regarder, elle, la femme[77], elle revendique son existence, tout en se définissant comme objet et non comme sujet qui voit et regarde.
L’espace théâtral est un espace de libération et de renouvellement où tous ceux « qui ont été condamnés au silence ou à l’oubli par l’Histoire – peuvent prendre la parole[78] », un espace utopique, selon le titre de la dernière scène de Jocaste, « Utopie au théâtre », un « non lieu » ou plutôt un « espace vide » dans lequel tout est possible. Dans le contexte d’une crise identitaire généralisée, mise en évidence par le mouvement de la belgitude et les revendications féministes, l’héroïne du monologue de M. Fabien fait advenir la Jocaste postmoderne en retrouvant celle qui est derrière son nom, celle qui est perdue dans le labyrinthe de ses représentations. Entre les deux affirmations « Je m’appelle Jocaste », la protagoniste s’est affirmée comme sujet de sa propre enquête et quête : en recomposant Œdipe Roi et son passé, elle s’est délivrée du poids de la culpabilité et s’est redéfinie comme femme grâce à un langage du corps et du désir qui admette l’existence d’un « nous[79] », de mots qui rassemblent au lieu de diviser et de détruire. Elle a tenté de s’affranchir de la logique patriarcale mais n’y est cependant pas totalement parvenue. Bien qu’elle s’affirme comme sujet au théâtre en agissant véritablement par la parole, elle reste aussi objet, objet des regards et de discours aliénants dont elle ne parvient pas à s’émanciper, en témoigne la façon dont elle définit sa féminité par sa maternité.
[1] En psychanalyse, voir Olivier Christiane, Les Enfants de Jocaste, Paris, Denoël/Gonthier, 1980 ; en littérature, Cixous Hélène, Le Nom d’Œdipe, chant du corps interdit, Paris, Éditions des femmes, 1978.
[2] Fabien Michèle, « Le monologue et son double », Alternatives théâtrales, n° 45, 1994, p. 45.
[3] Robert Lucie, « Dire ses propres mots : le monologue au féminin », dans Françoise Dubord, Françoise Heulot-Petit (dir.), Le Monologue contre le drame ?, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, [En ligne] https://books.openedition.org/pur/64917?lang=fr (consulté le 13/12/2022).
[4] M. Fabien, « Le monologue et son double », Alternatives théâtrales, n° 45, 1994, p. 57.
[5] On s’appuie sur la définition de « Re-Vision » de Rich Adrienne, « When We Dead Awaken: Writing as Re-Vision », College English, vol. 34, n° 1, 1972, p. 18 : « the act of looking back, of seeing with fresh eyes, of entering an old text from a new critical direction » ; « le fait de regarder en arrière, de voir avec un regard neuf, d’entrer dans un texte ancien à partir d’une nouvelle perspective critique ».
[6] Nous reprenons la définition de « patriarcat » donnée par Bereni Laure, Chauvin Sébastien et alii, Introduction aux études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, 2012, p. 31 : « Système de subordination des femmes qui consacre la domination du père sur les membres de la famille. Les féministes insistent en particulier sur les aspects politiques – et non naturels – de cette oppression ».
[7] M. Fabien, Jocaste, Bruxelles, Espace nord, 2018, p. 40. Édition de référence.
[8] Fabien Michèle et Diaz Claire, « Jocaste parle, Jocaste naît, enfin déculpabilisée », La Nouvelle Libre Culture, 29 septembre 1995.
[9] Leontaridou Dora, « Réécriture des mythes par Michèle Fabien : la valorisation de l’élément féminin », Revue belge de philologie et d’histoire, tome 94, fasc. 3, 2016, p. 737-754.
[10] Gély Véronique, « Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction », Bibliothèque comparatiste (SFLGC), 2006.
[11] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 7 et 43.
[12] M. Fabien, « Il n’y a pas que les vampires qui ne se reflètent pas dans les glaces », Alternatives théâtres, n° 51, 1999, p. 23.
[13] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 10.
[14] Ibid., p. 7.
[15] Quaghebeur Marc et Piemme Alice, « À la pointe d’un théâtre belge et européen de la fin du xxe siècle », Interfrancophonies, n° 10, 2019.
[16] Quaghebeur Marc, « À l’heure de la belgitude, Jocaste parle. L’invention de Michèle Fabien », dans Chikhi Beïda (sous la dir. de), Passerelles francophones : pour un nouvel espace d’interprétation. Vol. I, Europe et Québec, Strasbourg, Université Marc Bloch, 2000, p. 68 : « L’écriture dramatique moderne constitue un lieu où actualiser par excellence la sensation d’illusion, de non-lieu ou de hors-lieu qu’éprouvent les Belges à l’égard de l’Histoire et de leur histoire. »
[17] Avec Marc Liebens, elle est à l’origine d’un premier événement essentiel de l’histoire théâtrale des années 1970 en Belgique francophone : la réécriture de Conversation en Wallonie de Jean Louvet. Elle adapte également les Bons Offices de Pierre Mertens, le co-inventeur de la belgitude, et met en scène Œdipe sur la route de Henry Bauchau.
[18] M. Quaghebeur, « À l’heure de la belgitude, Jocaste parle. L’invention de Michèle Fabien », op. cit., p. 75.
[19] M. Quaghebeur, « Au creuset du moderne, du politique et du soi : la belgitude », dans Quaghebeur Marc, Zbierska-Moscicka Judyta (sous la dir. de), Entre belgitude et postmodernité : textes, thèmes et styles, Bruxelles, Peter Lang, 2015, p. 67 : « La position des femmes dans la société n’est pas, à différents égards, sans rapport métaphorique avec la situation littéraire francophone belge vis-à-vis de la France, à l’intériorisation d’un schéma de sujétion ou d’assimilation, mais aussi d’une autre façon d’inscrire et d’écrire l’Histoire. Les hommes de la génération de la belgitude durent à la fois la réinscrire et la démythifier à partir de leurs critères, là où les femmes partaient d’une autre perception initiale de cette Histoire qui les avait toujours marginalisées ».
[20] Voir par exemple Rochefort Florence, Histoire mondiale des féminismes, Paris, « Que sais-je ? », 2018 et Riot-Sarcey Michèle, Histoire du féminisme, Paris, La Découverte, 2008 [2002].
[21] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 11.
[22] On pense notamment aux représentations du personnage dans Œdipe de Sénèque (ier siècle), Oedipus: a Tragedy de John Dryden et Nathaniel Lee (1679) ou encore à Œdipe ou les Trois Fils de Jocaste de La Tournelle (1730).
[23] Pour le traitement psychanalytique du personnage, voir infra : « 2.2 La conquête de soi : les épreuves de la Peste et de la Sphinx ».
[24] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 21.
[25] Ibid., p. 19.
[26] Ibid., p. 22.
[27] Ibid., p. 23.
[28] Ibid., p. 23.
[29]Marini Marcelle, « Sommes-nous toutes des Jocaste qui s’ignorent ? », Didascalies, n° 1, Bruxelles, 1981, p. 54-62.
[30] Ibid., p. 61 : « Car ce n’est pas d’être la Jocaste du petit garçon qui nous glace. C’est le geste accompli par tout amant – tout homme – rencontré : quand, nous renvoyant, jeune femme amante, nouvelle Eurydice, dans le domaine des ombres, ils nous métamorphosent en leur mère. »
[31] Ibid., p. 61 : « Quel bénéfice inavoué reçoivent-ils de se faire éternels Œdipe ? Qu’est-ce qui pousse Freud à donner complaisamment la relation entre le fils et sa mère pour idéal de toute relation amoureuse et érotique ? et Lacan à affirmer, sans humour, que ‘‘la femme n’entre dans le rapport sexuel que quod matrem” ? »
[32] Ibid., p. 59.
[33] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 8.
[34] M. Fabien, « Le monologue et son double », Alternatives Théâtrales, n° 45, 1994, p. 47 : M. Fabien considère son texte comme un dialogue, entre un « elle », Jocaste l’antique, « celle qui autrefois s’est jugée avec les yeux du monde antique » et un « je », Jocaste la moderne, qui tente de « nommer en elle la femme et la mère ». Elle conclut que son texte est « une pièce à trois personnages : le protagoniste (Jocaste l’ancienne), l’antagoniste (Jocaste la nouvelle qui demande réconciliation) et le juge-témoin, le public ».
[35] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 9-10.
[36] Ibid., p. 12 : « Je sais : Jocaste doit se tuer » ; p. 16 : « Maintenant, on attend qu’elle se tue. / Qui attend ? / Toi ?… »
[37] Dort Bernard et Fabien Michèle, « Tout mon petit univers en miettes ; au centre, quoi ? », Alternatives théâtrales, n° 3, 1980 ; cité par De Bonis Benedetta, « Œdipe n’est pas roi. La crise de la masculinité dans l’œuvre d’Henry Bauchau et de Michèle Fabien », European Drama and Performance Studies, n° 10, 2018, p. 144.
[38] Propos tenus par Michèle Fabien dans le tapuscrit pour le programme de la création de Hamlet Machine par l’Ensemble Théâtral Mobile en novembre 1978 au Théâtre Élémentaire, inséré dans ETM 2 (périodique trimestriel, n° 1, 1978) : « Quelle est cette femme qui ne joue pas le jeu de la honte et de la souillure proposé par l’homme ? C’est une femme moderne qui ne peut plus jouer Ophélie, la suicidée, mais qui tente, aujourd’hui, de se libérer sur son propre terrain, celui du corps, celui du foyer ».
[39] Müller Heiner, Hamlet-Machine, épreuves d’imprimerie annotées par Michèle Fabien (collection Marc Quaghebeur), cité dans Quaghebeur Marc et Piemme Alice, « À la pointe d’un théâtre belge et européen de la fin du xxe siècle », art. cit., p. 69 : « Je suis Ophélie. Que la rivière n’a pas gardée. La femme à la corde la femme aux veines ouvertes la femme à l’overdose sur les lèvres de la neige la femme à la tête dans la cuisinière à gaz. Hier j’ai cessé de me tuer. Je suis seule avec mes seins, mes cuisses, mon ventre. Je démolis les instruments de ma captivité, la chaise la table le lit ».
[40] Sophocle, Œdipe Roi, Théâtre de Sophocle, Tome 1, traduction de Robert Pignarre, Paris, Librairie Garnier frères, 1947, p. 246-335. Les lignes suivantes reprennent des arguments proposés par De Bonis Benedetta, « Œdipe n’est pas roi. La crise de la masculinité dans l’œuvre d’Henry Bauchau et de Michèle Fabien », art. cit., p. 131-147.
[41] Sophocle, Œdipe Roi, Théâtre de Sophocle, Tome 1, traduction de Robert Pignarre, op. cit., v. 1252-1254, p. 321 : ὑφ᾽ οὗ / οὐκ ἦν τὸ κείνης ἐκθεάσασθαι κακόν, / ἀλλ᾽ εἰς ἐκεῖνον περιπολοῦντ᾽ ἐλεύσσομεν. « Ce n’est plus elle, dès lors, c’est lui dont le désespoir a captivé nos regards. »
[42] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 8.
[43] Sophocle, Œdipe Roi, Théâtre de Sophocle, Tome 1, traduction de Robert Pignarre, op. cit., v. 1271-1272, p. 321 : αὐδῶν τοιαῦθ᾽, ὁθούνεκ᾽ οὐκ ὄψοιντό νιν / οὔθ᾽ οἷ᾽ ἔπασχεν οὔθ᾽ ὁποῖ᾽ ἔδρα κακά « et il crie que ses yeux ne verront plus sa misère et ne verront plus son crime ».
[44] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 9 : « Et il crie que ses prunelles ne verront plus sa mère, et qu’elles ne verront plus son crime ».
[45] Bajomée Danielle, « La reine déchirée ou le dé-lire de l’origine », Didascalies, n° 1, 1981, p. 69 et sq.
[46] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 12 : « Je me regarde dans le miroir et je vois un visage que je ne connais pas, un corps neuf, jamais vu ».
[47] Ibid., p. 12.
[48] Sophocle, Œdipe Roi, texte établi par Alphonse Dain et traduit par Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1997 [1958], v. 1293, p. 119, v. 1369-1415, p. 122-123.
[49] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 17 : « J’attends d’éclater, moi aussi. Que ma peau se couvre de pustules, petits cratères venimeux qui me marqueront à tout jamais. »
[50] Ibid., p. 14 : « Mon ventre se crispe… / Et maintenant il se relâche. / Et voilà que je ne peux plus retenir ce corps qui m’échappe. / Vomir…Vomir la terreur et l’horreur » ; p. 15 : « Que sorte de mes entrailles creuses cette horreur qui s’y colle, s’y enroule, s’y agrippe. »
[51] Ibid., p. 17-18 : « Dans la charrette, au fond, s’y étendre la première […]. / Un corps lourd, un choc, un cadavre roule, puis un autre, puis un autre encore, ils s’empilent les uns sur les autres, sur moi, moi seule, témoin de leur agonie. J’étouffe, je hoquète, / […] je ferme les yeux, je suis morte. / Non. / Je vis. »
[52] Delcourt Marie, Œdipe ou la légende du conquérant, Paris, E. Droz, 1944, que M. Fabien cite dans les notes préparatoires de Jocaste.
[53] L’expression est utilisée dans Œdipe Roi pour désigner la Sphinx, au vers 391 : ἡ ῥαψῳδὸς.
[54] Fabien Michèle, « Jocaste [: genèse] », manuscrit, Bruxelles, Archives & Musée de la Littérature, MLT 05174 / 0002/003, ([s. d.]).
[55] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 32 : « – L’homme, hurle celui qui se délivre de ce qu’il veut. Meurt la sphinx. […] L’homme Œdipe ne jettera pas un regard sur le cadavre. Je le sais, il me l’a dit puisque c’était un monstre, elle le savait bien, elle, qui elle était, puisque c’était elle-même qui le lui avait dit, qu’elle n’était pas une femme, et donc que ce n’était pas difficile à deviner qu’elle était un monstre que c’était d’ailleurs le nom qu’elle s’était donné pendant tout le temps qu’elle s’était entretenue avec lui, dont elle s’était entretenue, plutôt, lui étant là les yeux fermés, alors, pourquoi les aurait-il rouverts au moment de l’horreur. »
[56] Freud Sigmund, Ma vie et la psychanalyse suivi de Psychanalyse et médecine, Traduit de l’allemand par Marie Bonaparte, Paris, Gallimard, 1968 [1950], p. 133 : « nous connaissons moins bien la vie sexuelle de la petite fille que celle du petit garçon. N’en ayons pas trop honte : la vie sexuelle de la femme adulte est encore un Continent noir (dark continent) pour la psychologie. ».
[57] Freud Sigmund, « Die Weiblichkeit », Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse (1933), Gesammelte Werke, Frankfurt am Main, S. Fischer, 1979, p. 120.
[58] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 42-43.
[59] Ce titre fait référence à l’ouvrage de Ninanne Dominique, L’Éclosion d’une parole de théâtre : l’œuvre de Michèle Fabien, des origines à 1985, Bruxelles, Peter Lang, « Documents pour l’Histoire des Francophonies : Europe », 2015.
[60] Fabien Michèle, Fonds Michèle Fabien, Bruxelles, Archives & Musée de la Littérature, ISAD 00005 : « des Jocaste, à ma connaissance, il n’y en a que deux : Herman Teirlink et Hélène Cixous ». Pour une comparaison entre les deux pièces, voir Martigny Cassandre, « Relire pour nous relier : voix, chants et contre-chants dans les réélaborations féminines du mythe de Jocaste », GLAD!, n° 12, 2022, [En ligne] http://journals.openedition.org/glad/4275 (consulté le 18/07/2022).
[61] H. Cixous, Le Rire de la Méduse et autres ironies, Préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 43.
[62] Cixous Hélène et Clément Catherine, La Jeune Née, Paris, UGE, 1975.
[63] H. Cixous, Le Rire de la Méduse et autres ironies, op. cit.
[64] H. Cixous, Le Rire de la Méduse et autres ironies, op. cit., p. 37 : « Il faut que la femme s’écrive : que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à l’écriture, dont elles ont été éloignées aussi violemment qu’elles l’ont été de leurs corps ; pour les mêmes raisons, par la même loi, dans le même but mortel ».
[65] Pour un aperçu synthétique des points de divergences entre « matérialistes » et « différentialistes », voir Tomiche Anne, « Littérature et études de genre : un champ (de) polémique(s) », dans Thouret Clotilde (sous la dir. de), Littérature et polémiques, Paris, SFLGC, 2021, p. 115‑130. Voir aussi Turbiau Aurore qui aborde la question des divergences entre « matérialistes » et « différentialistes » pendant les années 1970 à partir de leur pensée du positionnement théorique : « Théories littéraires féministes des années 1970 : situer et engager l’écrit », Fabula-LhT, n° 26, 2021, [En ligne] http://www.fabula.org/lht/26/turbiau.html (consulté le 19/12/2022).
[66] Le nom du collectif créé par Antoinette Fouque, « Psychanalyse et Politique », qui revendique cette forme d’écriture, témoigne de cet héritage psychanalytique.
[67] H. Cixous, Le Rire de la Méduse et autres ironies, op. cit., p. 43 : « [l’écriture a été jusqu’à présent] un lieu qui a charrié grossièrement tous les signes de l’opposition sexuelle (et non de la différence) et où la femme n’a jamais eu sa parole, cela étant d’autant plus grave et impardonnable que justement l’écriture est la possibilité même du changement, l’espace d’où peut s’élancer une pensée subversive, le mouvement avant-coureur d’une transformation des structures sociales et culturelles ».
[68] D. Ninanne, L’Éclosion d’une parole de théâtre : l’œuvre de Michèle Fabien, des origines à 1985, op. cit., p. 345.
[69] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 19.
[70] Voir par exemple Ausina Anne-Julie, « La performance comme force de combat dans le féminisme », Recherches féministes, vol. 27, n° 2, 2014, p. 81–96.
[71] Plana Muriel, « Mises en scène au féminin ou l’obscène au présent », Théâtre et féminin : identité, sexualité, politique, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, « écritures », 2012, p. 235-255.
[72] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 43.
[73] Ibid., p. 12.
[74] M. Marini, « Sommes-nous toutes des Jocaste qui s’ignorent ? », art. cit., p. 66-67.
[75] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 41.
[76] Ibid., p. 43 : « Mais d’abord, laisse-moi te dire que mes seins sont ceux d’une femme, d’une femme amoureuse, je les prends dans mes mains et les pointes durcissent, je tremble, moi aussi, autant que toi, et tout mon corps se tend […] Mes mains ensemble sur mon sexe, humide et gonflé tu te souviens, ce sexe dont tu as aimé le goût et l’odeur. Tout cela reste, Œdipe, rien n’a changé. Tu peux encore tout reconnaître en moi. »
[77] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 41 : « Regarde, Œdipe, ta mère est une femme ».
[78] B. De Bonis, art. cit., p. 137.
[79] M. Fabien, Jocaste, op. cit., p. 36 : « nous pouvons aussi décider que les mots restent là, qu’ils nous entourent […] ».
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