China/Avant-Garde 1989

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L’exposition China/Avant-Garde, du 5 au 19 février 1989, est une exposition clé dans le développement de l’expression artistique en Chine mais également dans la prise de parole du peuple chinois. C’est la première exposition d’art avant-garde en Chine. L’exposition s’est organisée dans le Musée National d’Art de Chine à Pékin, un lieu habitué à accueillir des expositions d’art moderne et classique du patrimoine chinois. Cette exposition a permis de regrouper environ 180 artistes de toute la Chine et d’exposer environ 300 œuvres. De cette façon, un large panel du travail des artistes depuis 1985 a pu être présenté. Cette exposition était à l’initiative du commissaire Gao Minglu.

En quoi l’exposition de 1989 China/ Avant-Garde est une passerelle pour l’expression chinoise?

D’abord, le contexte délicat et compliqué de la Chine à cette période a permis de révéler les artistes de la Nouvelle Vague. Puis, nous verrons que l’exposition ne s’est peut-être pas déroulée comme les autorités l’auraient souhaitée, notamment par la présence d’œuvres bouleversantes. Finalement, cette exposition est un symbole et un événement qui restera dans l’Histoire du monde de l’Art et de la Chine.

Gao Minglu présentant l’exposition le 5 février 1989

La construction d’une exposition d’art d’avant-garde qui attire le regard du monde, dans un contexte politique rigide

Le contexte politique de la Chine en 1989 a accentué l’effet de révélation des artistes et la promotion de cette exposition avant-garde. En effet, avant, la Chine était un pays fermé avec une politique stricte. Mao Zedong, lors de sa révolution culturelle, mettait en avant le canon officiel du réalisme social chinois. Dans cette continuité la Conférence de Yanan sur l’art et la littérature, met en exergue cette idéologie, l’art n’est plus destiné aux seuls intellectuels mais à la masse. Les artistes devaient résister à toute forme d’expressions individuelles et toute expression était contrôlée par le parti communiste. A l’arrivée de Deng XiaoPing et juste après l’ouverture économique de la Chine, les artistes sentent un relâchement politique et l’opportunité de faire exprimer leur art plus librement, de moins être restreints.

Ainsi, en 1979, durant trois jours, non officiellement, le groupe The Stars décide d’exposer dans un parc juste à côté de la China Art Gallery de Pékin. The Stars est un groupe d’artistes appartenant au mouvement fondateur de l’avant-garde chinoise contemporaine, qui se revendique héritier de Picasso. Ce groupe est lancé par Huang Rui et cofondé par Ma Desheng. Il était actif à la fin des années 70 et au début des années 80. Autodidacte, The Stars défendait la liberté d’expression individuelle dans son art. En s’éloignant du contexte du réalisme socialiste, il s’inspire d’expériences personnelles.

Mais malgré l’ouverture de la Chine, l’organisation de l’exposition fut complexe et n’a pas pu être réalisée en quelques jours ou même quelques mois. C’est notamment grâce à Gao Minglu que cette exposition a pu voir le jour. Gao était rédacteur de Meishu, un magazine d’art chinois. Avec lui, Peng De, Vice-Président de l’Institut de recherches de l’Association des artistes du Hubei, ancien directeur de la plus marginale des revues d’art, Meishu sichao, censurée à partir de 1987, a également participé à la mise en place de l’exposition. Li Xianting, attaché à l’Institut de recherches en art de Pékin, cofondateur et éditeur de Zhongguo meishu bao jusqu’à sa démission en 1989, s’est joint à eux. Mais, l’élément déclencheur dans la présentation d’une exposition des avant-gardes de la Nouvelle Vague, fut la conférence de Zhuhai ’85 New Wave Large-Scale Slides Exhibition, animé par Gao Minglu en 1986. A la suite de celle-ci, le comité d’organisation pour une exposition fut fondé le 8 octobre 1988 avec Gao Minglu à sa tête en tant que conservateur en chef du comité de quatorze membres dont des universitaires et des critiques. L’exposition devait avoir lieu au Musée National de l’Agriculture de Pékin en juillet 1987 mais trois mois avant l’ouverture, les responsables de l’Association des arts chinois ont ordonné l’arrêt de l’organisation en raison de la campagne politique contre la libéralisation bourgeoise.

Pour monter une exposition d’art d’avant-garde à cette époque, Gao Minglu devait obtenir les sceaux d’approbation officiels de plusieurs organisations gouvernementales. Cette tâche s’avéra compliquée. Et finalement, tous les fonds de l’exposition ont été réunis par l’organisateur et les artistes eux-mêmes. Six institutions officielles ouvertes d’esprit se sont montrées prêtes à parrainer l’exposition même si leur soutien a surtout été formel mais nécessaire afin d’autoriser l’exposition. Mais, même si l’événement fut accepté, il ne devait y avoir aucune performance, ni aucune représentation au contenu sexuel explicite dans le musée. Seule la documentation sur des performances était autorisée.

Environ 180 artistes de toute la Chine et 290 pièces ont été sélectionnées pour l’exposition mais quelques œuvres furent retirées par une délégation officielle. Beaucoup d’œuvres ont été sélectionnées par l’intermédiaire de photographie.

Malgré toutes ses mésaventures et grâce au bruit que provoque l’événement, et les œuvres qui y sont exposées, l’exposition sonne comme une réussite. Le monde entier en parle, même le Time Magazine présente cette exposition titrée “Condoms, Eggs and Gunshots”. Des artistes sont ainsi repérés par des commissaires et sont conviés à des expositions internationales. De ce fait, en mai 1989, un mois après China/Avant-Garde, lors de l’exposition, Magiciens de la Terre au Centre Pompidou, plusieurs artistes chinois ayant exposés pour China/Avant-garde comme Huang Yong Ping ou Yang Jiechang sont invités. L’art chinois s’intègre maintenant pleinement sur le marché de l’art international.

En plus d’exposés et d’être reconnus dans les pays étrangers, les artistes chinois d’avant-garde accèdent à une reconnaissance par les institutions de leur pays. Les curateurs chinois de musée se sont montrés plus ouverts à la suite de cette exposition, et ont plus facilement accueilli l’art dans sa globalité. Ainsi, Guo Shirui, responsable du Centre d’art contemporain de Pékin en 1994, a commencé à organiser une série de manifestations artistiques.

Couverture du catalogue d’exposition avec le symbole de l’événement : le panneau
“No U-Turn” de Yang Zhilin

Des artistes inconnus du monde de l’art chinois dans une exposition tumultueuse

Cependant, avant d’apparaître sur la scène internationale, les artistes chinois doivent se présenter à leur public. C’est ce qu’ils font durant cette exposition de 1989. En Chine, les artistes d’avant-garde sont inconnus du public et même du monde officiel de l’art chinois. En effet, les installations et l’art conceptuel sont interdits dans les espaces d’exposition publics et ne peuvent être montrés qu’à l’occasion d’expositions non officielles. De cette façon, sans exposition, le travail des artistes ne peut pas être présenté. L’avant-garde chinois était donc avant China/avant-garde ignorée et aucune critique publique n’en était faite.

C’est notamment par son importance politique que cette exposition a autant marqué les esprits. Cette exposition était considérée par certains comme un acte rebelle et une critique de la politique officielle. Les artistes devaient donc se montrer très prudents dans cet Etat où le moindre faux pas pouvait s’avérer funeste.

 De ce fait, l’exposition en groupe pouvait permettre la formation d’une capsule d’anonymat qui leur permettait de se protéger derrière la masse. La légitimité institutionnelle leur donnait la liberté d’exposer. Ainsi, cette exposition officielle s’est présentée comme un forum d’échanges entre les artistes, discutant de leurs définitions de l’art dans ce système politique. L’artiste Zhang Peili rappelle dans un article de Francesca Dal Lago : « Plus qu’une exposition d’art typique, cela ressemblait vraiment à un marché de producteurs….. Ce qui comptait ce jour-là, ce n’était pas l’art, ni l’exposition elle-même. Tout le monde savait que nous étions en train d’écrire l’histoire. Nous nous investissions totalement dans notre rôle d’acteurs sur une scène où n’importe qui pouvait soudainement devenir une star. ».

La figure « No U-Turn » de Yang Zhilin avec une flèche de demi-tour, barrée, était et reste le symbole fort et l’emblème de l’événement. Elle était notamment présente sur le catalogue de l’exposition et sur de nombreuses banderoles.

La galerie fut partagée en sept zones différentes sur trois étages. L’exposition présentait différents médias comme la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo et les installations. Il y avait donc comme œuvres, aujourd’hui célèbre, The book from the sky de Xu Bing, un texte accroché au plafond écrit dans une écriture inventée par l’artiste ou encore The History of Chinese Painting and The History of Modern Western Art Washed in the Washing Machine for Two Minutes de Huang Yong Ping. Cette dernière œuvre se retrouvera ensuite exposée au centre Pompidou. Ce dernier artiste proposait, également durant cet évènement, une sorte de schéma avec des instructions pour démolir le bâtiment du musée. Gu Dexin, quant à lui, installait des morceaux de plastique brûlés qui ressemblaient à des parties d’être humains fondus.

Wu Shanz Huan, présentait Big business, où il vendait des crevettes congelées dans un stand de marché improvisé. L’œuvre qui a retenu le plus l’attention du monde fut celle de Xiao Lu et de Tang Song ; Dialogue. Xiao Lu s’est servi d’une arme à feu pour tirer sur son propre travail.

Ainsi, les artistes ont présenté des nouveaux supports en refus des conventions classiques. Par manque de temps, Li Xianting, a évoqué le fait qu’il n’avait pas pu écrire de panneaux explicatifs des œuvres pour le public. Là encore, l’art de la Nouvelle Vague a évolué dans un environnement difficile. Des œuvres explicitement politiques étaient tout de même présentes comme la peinture du Mao derrière une grille de Wang Guangyi ou encore Net-fence de Gu Xiong illustrant l’ouverture de la Chine à ce moment par un grillage ouvert, déchiré.

L’exposition fut très tumultueuse. A peine quelques heures après son ouverture, elle fut fermée en raison de plusieurs performances dites provocantes. Les deux coups de feu tirés par Xiao Lu sur son installation provoquèrent l’arrêt de l’événement, encerclé par la police anti-émeute. Avec son collègue, l’artiste fut emprisonnée, puis libérée après quatre jours. Dans une interview plus tard, elle annoncera que les coups de feu n’avaient rien de politique, ils étaient personnels et n’avaient rien à voir avec la révolution sociale ou la Nouvelle Vague. Mais le critique d’art chinois Li Xianting qualifia tout de même la fusillade de « levé de rideau de la Nouvelle Vague ».

Gao Minglu dû payer une amende pour les coups de feu. Trois jours après, le 10 février, l’exposition a pu rouvrir  ses portes, pour une courte durée, car elle a dû les refermer peu de temps après. En effet, une lettre anonyme menaçait de faire exploser trois bombes placées dans le Musée si l’exposition n’était pas fermée. Le Musée National d’art a sanctionné le comité d’organisation d’une amende de 2 000 yuans. En plus, le musée ne souhaitait pas voir accrocher sur sa façade des bannières avec le symbole du panneau « No U-turn ». Les organisateurs les ont donc positionnés sur le sol devant la galerie.

Photo prise par Tong alors que Xiao tir son oeuvre Dialogue. Une tension s’est immédiatement installée dans le bâtiment et les discussions informelles se sont arrêtées.
Tang Song se faisant arrêter après les tirs de Xiao Lu sur son œuvre Dialogue.    Au sol, des draps avec le symbole de l’exposition.

Un événement qui s’inscrit dans l’Histoire

Finalement, cette exposition reste dans l’Histoire pour sa portée symbolique, comme un événement déclencheur dans l’expression du peuple et des artistes chinois.

Ce basculement lié à la prise de conscience de l’avant-garde chinois s’est fait à l’aide d’une institution reconnue qu’est le musée d’art chinois de Pékin, une institution qui incarnait les règles socialistes de Chine. Cet établissement a proposé à ses spectateurs un évènement plus chaotique que ce qu’il proposait habituellement. Pour la première fois, les autorités autorisaient une exposition de premier plan qui rompait ouvertement avec les principes fondamentaux de la création artistique depuis le début de la République Populaire.

Même si les performances n’étaient pas autorisées certaines ont eu lieu et ont annoncé l’apparition d’événements ponctuels, dans des espaces privés qui tendent à diversifier la présence et l’activité des participants. Les organisateurs, les artistes et les spectateurs savaient avant même que celle-ci ouvre ses portes que l’exposition était destinée à marquer l’Histoire et à provoquer une rupture dans l’expression des artistes chinois. Ainsi, c’est comme si ce qui comptait ce jour-là, ce n’était pas l’art, ni l’exposition elle-même. Car malgré le manque de ressource financière et le fait de ne pas connaître le débouché de cette exposition, les artistes et les organisateurs ont pris le risque de présenter cet événement dans un environnement chaotique.

L’exposition a marqué les esprits. Que ce soit le nombre de visiteurs chinois ou le retour des médias internationaux, l’exposition fut sur ces deux tableaux une réussite malgré le peu de temps qu’elle fût restée ouverte. Il n’y avait pourtant ni peinture chinoise traditionnelle ni calligraphie, les œuvres n’étaient rattachées à aucun culte contrairement à l’art traditionnel.  Après les différentes fermetures, le public devenait de plus en plus attentif au moindre détail des œuvres, comme s’il désirait vérifier les rumeurs qui s’étaient créées. En plus des élites culturelles, des gens « ordinaires » ont été attirés par cette exposition. Le public a compris que ce n’était plus “l’art pour l’art” mais l’art à ce moment était bien politique qu’on le veuille ou non. Il était à la limite de ce qu’autorisait l’État, il semblait le défier. L’art s’est positionné en tant que critique de l’ordre social en provoquant notamment l’inconfort physique des spectateurs par des œuvres comme celle de Xiao Lu, de Gu Dexin ou encore The book from the sky de Xu Bing, qui a privé les spectateur de leurs repères connus et habituels.

 Grâce à ce premier pas en avant réalisé par Gao Minglu, les nouveaux curateurs chinois ont moins appréhendé d’exposer. De cette façon, le critique Li Xianting et Johnson Chang de la galerie de Hong Kong Hanart TZ travaillèrent en 1993 sur l’exposition internationale China’s New Art, post-1989. Des artistes chinois se retrouvèrent également invités aux  biennales de Venise. Des publications dans des journaux du monde entier ont eu lieu comme dans Flash Art et New York Times Magazine. Ce qui a montré l’intérêt grandissant des médias internationaux pour la scène d’art contemporain chinois. Li Xianting est tout de même resté déçu que l’on se souvienne de cette exposition plus pour son rôle dans l’histoire que de la qualité des œuvres présentées à l’intérieur.

Malheureusement, cette exposition reste fortement liée au terrible massacre de la place Tiananmen.

Comme un avant-goût des manifestations et des grèves de la faim des étudiants pékinois sur la place de la paix dès le 27 avril 1989, l’exposition répondait à une sorte de contestation du pouvoir en place, même si cela n’était pas aussi explicite. Certains critiques conservateurs ont qualifié l’exposition de « libéralisme bourgeois ».

 En particulier après la manifestation du 4 juin sur la place Tiananmen, quelques critiques ont même qualifié l’exposition de « petite place Tiananmen”, car les coups de feu de Xiao Lu auraient fait partie des premières manifestations qui allaient entraîner le massacre de la place Tiananmen.

Œuvre de Wang Guangy avec des visiteurs. Cette se présente comme une critique du régime politique chinois, comme si Mao était derrière des barreaux. Elle a était très critiquée.

L’exposition China/Avant-garde de 1989 représente une passerelle pour l’expression des artistes mais également du peuple chinois. Elle était provocatrice et en dehors des règles instituées par le régime gouvernemental, pourtant elle a participé à un certain réveil du peuple chinois. Elle a attiré le regard du monde de l’art le temps d’une courte exposition bouleversante. L’événement a libéré la parole des artistes malgré le fait qu’ils ne critiquent pas directement et officiellement la politique chinoise. China/ Avant-Garde a également permis aux artistes de se faire connaître et reconnaître par les institutions internationales.

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  • Lien du site de la photographie 3 : https://www.moma.org/collection/works/114901
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  • Lien du site de la photographie 5 : http://www.china1980s.org/en/interview_detail.aspx?interview_id=88

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