Le Musée Précaire d’Albinet de Thomas Hirschhorn.

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Photographie du quartier du Landy

Le musée précaire d’Albinet est créé à l’initiative de l’artiste contemporain Thomas Hirschhorn. L’idée était de construire un musée éphémère dans une cité de le Seine Saint-Denis, dans le quartier du Landy en région parisienne. Le musée sera ouvert du 19 avril 2004 jusqu’au 14 juin 2004. Durant huit semaines des artistes majeurs du 20ème siècle y seront exposés. Chacun d’entre eux fera l’objet d’une exposition monographique. Marcel Duchamp, Kasimir Malevitch, Piet Mondrian, Salvador Dali, Joseph Beuys, Andy Warhol, Le Corbusier et Fernand Léger seront successivement mis à l’honneur. En plus d’être un lieu d’exposition, le musée précaire accueil des conférences, des débats, des ateliers d’écritures, des ateliers pour enfants. Ce lieu dispose d’une bibliothèque et d’une buvette ainsi que d’une salle de réunion. Ces pièces permettent par exemple de planifier des sorties ou de prendre des repas en commun.

Plan du quartier du Landy, document réalisé par Thomas Hirschhorn en février 2003

Des habitants d’Albinet, engagés comme salariés ou apprentis construirons ce musée sous la supervision de Thomas Hirschhorn. Les Laboratoires d’Aubervilliers ont invité l’artiste. Il s’agit d’une association dont les subventions dépendent d’instances publiques telles que le ministère de la culture ou le Conseil général de la Seine-Saint-Denis. Thomas Hirschhorn cherches de nombreux financement, certains proviennent de fonds privés. Il travaillera avec la ville puisqu’il lui faudra obtenir un permis de construire. Les œuvres exposées seront prêtées par le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou. Elles proviennent des collections du Musée d’art moderne (Mnam).

Ainsi, le musée précaire d’Albinet nous interroge. Nous pouvons nous demander quels étaient les intentions de Thomas Hirschhorn lorsqu’ il imagine et conçois le musée ? De même pourquoi exposer des œuvres d’art majeures du 20ème siècle dans un espace qui leur est à priori étranger ?

Nous tenterons de répondre à ces questions. Dans un premier temps, nous nous concentrerons sur la conception et la construction du musée, sur l’importance de la participation des habitants du Landy. Dans un second temps nous évoquerons les enjeux soulevés par les expositions. Enfin, dans une ultime partie nous nous attarderons sur la nature précaire du musée et des expositions.

1. Un musée et des expositions encrés à Aubervilliers.

Les préoccupations de Thomas Hirschhorn

Thomas Hirschhorn est un artiste de nationalité Suisse. Il est habitué à travailler et penser ses œuvres dans l’espace urbain. En 1999 il réalise le Spinoza Monument à Amsterdam. Il souhaite rendre hommage au philosophe. Des extraits de l’œuvre de Spinoza sont imprimés ou écrits à la main et collés de part et d’autre du monument. Des ouvrages sont mis à disposition des passants. Comme pour le musée précaire, l’idée est d’amener l’œuvre d’un artiste au public. Au musée c’est le spectateur qui va vers l’art, ici c’est l’art qui vient au spectateur.

Spinoza Monument, Amsterdam, 1999

Par ailleurs le monument se fond dans l’espace urbain. La sculpture de Spinoza est recouverte d’une bâche en plastique, entourée par des tasseaux en bois et par du ruban de signalisation. Formellement le monument évoque d’avantage l’univers du chantier que celui de la philosophie. En somme, l’Œuvre de Spinoza est désacralisée, rendue accessible tout en étant mise à l’honneur.

Construction du Musée Précaire Albinet, 29 mars- 16 avril 2004

Le musée précaire est le musée des habitants

Ces problématiques se retrouvent dans le musée précaire. L’art est emmené dans un espace qui ne lui est pas familier. Plus encore, le musée est créé pour les habitant d’Aubervilliers. Ils sont le publique auquel est destiné le musée. Mais ils en sont également les acteurs, chargés de la construction, de la sécurité, du montage des expositions, de la tenue de la buvette… Avant de commencer à construire le musée Hirschhorn organise de nombreuses réunions pour prévenir et rencontrer les habitants. Le musée en plus d’être un espace d’exposition, est conçu comme un espace social, culturel et pédagogique.

Pour Thomas Hirschhorn, comme il l’explique dans une conférence donnée aux Beaux-Arts de Marseille en 2015 l’art est politique. Il estime que l’art a changé sa vie. Il a donc la conviction qu’une œuvre peut changer la vie de chacun. Il essaie donc de partager ce qu’il estime être une chance à des personnes qui n’ont pas accès à l’art, pour des raisons économiques et sociales principalement.

Les expositions rencontrent un grand succès, des habitants du Landy sont présents, de même qu’un publique d’avantage accoutumé à l’art et aux musées. Au total, 20 œuvres ont été prêtées par le Musée Beaubourg ainsi que 10 multiples prêtés par le Fond National d’art contemporain. Chaque exposition donne lieu à un débat autours de questionnements abordés par l’artiste exposé. De nombreux intervenants extérieurs, artistes ou écrivains, sont sollicités. Des sorties dans les musées et centres d’art sont régulièrement organisées. Ainsi, Thomas Hirschhorn implique les habitants du quartier dans toutes les phases du projet. L’art et le musée en lui même est un évènement. Il appartient aux habitants du quartier, ils l’ont construit, le font vivre, ils l’éprouvent comme une expérience de vie. Les œuvres des artistes modernes peuvent sembler extrêmement opaques pour un public qui n’est pas habitué. Emmener cet art dans une vie locale, l’encrer dans une réalité humaine, physique le rend plus accessible.

2. Les enjeux et sujets des expositions

Montage et Exposition Marcel Duchamp

Des expositions monographiques

La première exposition est celle de Marcel Duchamp. Chacun des artistes exposés bénéficiera d’une scénographie différenciée. Les murs seront repeints chaque semaines. La salle sera monochrome, une couleur est réservée à un artiste. Le spectateur est ainsi immergé dans une atmosphère particulière. Le lieu ne ressemble en rien à un white cube, l’accrochage tout comme le musée ne sont pas neutre. La singularité du lieu est affirmée et mise en avant. La pièce est rectangulaire, des œuvres originales ou des reproductions sont fixées aux murs. L’accrochage est chargé, il y a un effet d’accumulation. Il n’y a pas de cartel plastifié,  les biographies et titres des œuvres sont imprimés et scotchés à même les murs, à hauteur d’œil. Le spectateur est directement confronté aux œuvres, il n’est pas mis à l’écart par de nombreuses vitres et distances de sécurité à respecter.

Dans l’exposition Marcel Duchamp le centre de la salle est réservé aux œuvres originales ou aux multiples. Ces éléments étant les plus précieux, ils sont posés sur un socle et protégés par des vitres en verre. On retrouve par exemple le célèbre ready-made roue de bicyclette réalisé par l’artiste en 1913. La boîte en valise est également exposée. Cette œuvre a été présentée pour la première fois en 1941. Elle est conçue comme un petit musée portatifs présentant l’Œuvre de Duchamp. Elle permet au public de se faire une idée la production de l’artiste. De même, ce petit musée portatif fait échos, dans sa fragilité, sa précarité au musée d’Albinet.

Montage de l’exposition Marcel Duchamp
tract et affiche de la semaine Marcel Duchamp, avril 2004
montage de l’exposition Marcel Duchamp

Un disque graphique tournoyant est également exposé. Thomas Hirschhorn travaille conjointement avec les habitants d’Aubervilliers pour trouver la scénographie. Elle n’est pas pensée longtemps en amont, la surface limitée de la salle laisse de toute façon peu d’option. Comme pour une exposition monographique plus classique, l’important est de donner à voir au spectateur une appréciation globale de l’Œuvre de l’artiste. C’est pourquoi de nombreux documents bibliographiques et reproductions sont photocopiés. Il n’y a pas de sens de visite induit, le public fait simplement le tour de la pièce. Celui-ci visite aussi bien l’exposition que le musée, il s’arrête à la bibliothèque et va boire un verre à la buvette.

montage et exposition de la semaine Kasimir Malevitch

Des expositions politiques

La semaine de l’artiste Russe Kasimir Malevitch met en scène quartes de ses Architectone. Elles sont au centre de la pièce, dans l’espace de circulation, posée sur des socles et protégées par le verre. Malevitch est le créateur du suprématisme, une forme d’abstraction radicale. Les Architectone sont des proposition d’architecture suprématistes. Ce sont des maquettes purement théoriques qui n’ont pas vocation à être construites. Il s’agit d’une réflexion de l’artiste sur les origines de l’architecture, au delà de sa fonctionnalité. C’est la mise en forme de l’espace par opposition de plein et de vide, d’horizontal et de vertical. Ces œuvres inspirent des réflexions sur les formes architecturales, sur leurs fonctionnalités, leurs essences. Elles offrent une lecture politique des formes du quotidien. Les choix architecturaux ont un sens. C’est également ce que tend à montrer l’exposition du Corbusier. Il est souvent qualifié de « théoricien de l’architecture de l’utopie sociale ». Il est le créateur des grands ensembles. A l’origine ils sont conçus pour répondre à tous les besoins d’une communauté, qui peut alors fonctionner en autonomie. Son concept de grandes barres d’immeuble va être réutilisé par les architectes de l’urbanisme. Des bâtiments s’en inspirant vont être construits en masse partout en France. C’est finalement les populations les plus pauvres qui vont y loger, comme c’est le cas des habitants d’Aubervilliers. Finalement ces expositions amènent des réflexions politiques et artistiques sur le réel vécu par les habitants. L’histoire des logement qu’ils occupent est liée à l’art, au Corbusier et aux choix politiques d’urbanisation. Comme l’affirme Thomas Hirschhorn l’art est politique puisque toujours en prise avec la réalité.

Semaine le Corbusier, montage et exposition

La précarité comme affirmation artistique

Les expositions sont des chantiers

montage de l’exposition Joseph Beuys

L’aspect formel de l’exposition et les procédés d’accrochage sont directement identifiables. On reconnait la signature visuelle de Thomas Hirschhorn. Comme dans ces productions artistiques l’artiste utilise des matériaux précaires. Les vitres du musée sont en plexiglass, le toit est bâché, les murs sont en contreplaqué et les structures du bâtiment en tasseaux de bois. Au mur les photocopies sont parfois accrochées sur du carton. Tout est scotché. La pièce est éclairée à l’aide de néons fixés aux murs. Cet aspect dépouillé est en partie dû au faible budget du projet. Au total 338 498 euros seront dépensés, cette somme inclus par exemple les formations, les salaires des employés, les frais d’avocat, les repas … Le budget pour le matériel d’exposition est de 1175 euros, c’est un montant réduit. Pour autant, cette esthétique relève également du choix de Thomas Hirschhorn. Elle évoque l’univers du chantier, celui de l’atelier. Dans une certaine mesure les expositions semblent en construction. Les procédés d’accrochage ne sont pas cachés. Pour l’exposition Joseph Beuys deux télés diffusants des vidéos sont présentes dans la salle. Les câbles et prises ne sont que grossièrement dissimulées. Les radiateurs et aérations sont encadrés de scotch de chantier. Etrangement cela donne l’impression que ces formes sont misent en avant. Les expositions sont faîtes de matériaux pauvres, purement utilitaires.

Il y a là un double discours sur les procédés d’exposition. D’abord Hirschhorn affirme l’artifice, le laisse apparent. L’esthétique est marquée, elle à une place importante, presque autant que les œuvres exposées. Pour autant ces artefacts désignent et mettent en évidence les œuvres. Ils sont là pour leurs fonctionnalités : mettre en avant des productions artistiques majeures du 20ème siècle. La nature utilitaire des objets d’accrochage est mise en tension avec les œuvres. D’une part la fonctionnalité des matériaux rappelle que l’art et les productions artistiques sont utiles. D’autre par elle les mets à l’honneur en se dévoilant comme procédé d’exposition.

Le Musée Précaire comme œuvre artistique

Vue de la rue d’Albinet
Vernissage de la semaine Salvador Dali

Le Musée précaire d’Albinet propose d’adapter un espace urbain en lieu d’exposition. Le terrain d’origine n’est pas neutre. Le projet est construit par rapport et avec le quartier. Il n’a pas vocation à nier l’histoire et les spécificités de la cité où il s’insère. Au contraire, le particularisme géographique et social est au cœur du projet. Les habitants sont acteurs du musée. De prime abord il est facile de penser qu’il s’agit une entreprise humanitaire, puisque de nombreux jeunes se voient offrir une formation. Le musée apporte de la culture et du lien social à une population vivants dans un quartier défavorisé. Pour autant Thomas Hirschhorn se défend de faire une action caritative « Je ne suis pas un travailleur social, je suis un artiste ».

Il est donc possible de considérer l’intégralité du musée comme une œuvre à part entière. Le caractère éphémère du lieu en fait un évènement. Il s’agît d’un projet conceptualisé par l’artiste. La forme et le fond sont réfléchis. L’investissement de Thomas Hirschhorn a été immense, il a déclaré devoir être présent « vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». L’artiste Suisse est habitué à travailler avec d’autres personnes, notamment avec son ami philosophe Marcus Steinweg. Une œuvre d’art peut être collective. Dans la conception du Musée précaire l’idée de collectif est au centre. C’est le collectif qui construit l’œuvre, qui la fait vivre. Il s’agit d’une œuvre vivante, autogérée et en constant mouvement.

Pour Conclure…

Le Musée précaire d’Albinet est un projet collectif et participatif lancé à l’initiative de Thomas Hirschhorn. Ce lieu à pour but premier de créer du lien entre les habitants du quartier d’Aubervilliers autours de questionnements culturels. Des œuvres majeures du 20ème siècles y sont exposées. Elles sont sorties de leurs lieux d’exposition classiques. C’est le Musée précaire qui fait le lien entre les œuvres et les habitants. Les expositions sont conçues par et pour un public qui n’est pas coutumier des centres d’art. Les œuvres sont mise en tension avec les problématiques quotidiennes et matérielles des habitants. C’est l’affirmation que l’art a à voir avec la vie et qu’il peut concerner chaque individu. Ce Musée par du constat que l’art n’est pas rendu accessible à tous de manière égale. Hirschhorn créé donc un espace utopique, encré dans une réalité locale ou l’art appartient à tout le monde et est fait pour tout le monde.

Bibliographie :
  • Thomas Hirschhorn Musée Précaire Albinet Thomas Hirschhorn . Les Laboratoires d’Aubervilliers, 2005
  • Thomas Hirschhorn Benjamin H.D Buchloh Alison M. Gingeras Carlos Basualdo, 2007

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