L’exposition d’art « dégénéré » (entartete kunst), munich, 1937

naimameddah

L’exposition d’art « dégénéré » (entartete kunst) qui a lieu à Munich en 1937 intervient dans un contexte très particulier, autant pour le pays que pour l’Europe. En 1937, Hitler est au pouvoir depuis déjà trois ans. L’Europe sort tout juste d’une grosse crise économique (1929) qui a aidé la montée du totalitarisme. Hitler, alors élu démocratiquement, ne cache pas son antisémitisme et sa conviction que la « race » allemande est la « race pure ». Dans cette volonté de prouver la supériorité du peuple allemand né alors l’exposition d’art « dégénéré ». L’art « dégénéré » s’oppose à l’art officiel nazi : l’art « héroïque ». L’art « dégénéré » est l’expression qui sert à caractériser l’art moderne ; l’art qui ne va dans le sens de l’idéologie nazie. Sera considéré comme « dégénéré » l’art avant-gardiste, s’inscrivant dans une volonté de liberté expressive et militante ; l’impressionnisme, le cubisme, le dadaïsme, le fauvisme, le surréalisme… Sont des mouvements considérés comme hors-norme par le parti nazi, et ces mouvements sont durement mis à mal lors de l’exposition de 1937. Une exposition comme celle-ci n’est d’ailleurs pas inhabituelle. La même année, l’exposition d’art officiel Große Deutsche Kunstausstellung prend place dans la Maison de l’art Allemand, à Munich également. Cette exposition est inaugurée par Hitler, et à l’opposé de la précédente, elle ne présente pas d’œuvres de juifs et de bolcheviques ; cette exposition se veut représentative de l’art pur allemand. Ainsi, l’art, dans un contexte politique complexe, est très important pour prouver la puissance d’un pays. Le terme « dégénéré » est d’ailleurs paradoxal car il vient d’un intellectuel juif Max Nordeau ; il a utilisé ce terme justement pour rejeter le racisme et l’antisémitisme.

Comment cette exposition a-t-elle permis au Nazisme d’imposer sa vision sur le monde de l’art ? Comment leur a-t-elle permis d’avoir la main mise sur le monde de l’art ? Dans quelle mesure pouvons-nous affirmer que cette exposition sert d’outil de propagande ? Quels ont été les réels enjeux de cette exposition et son impact dans une société totalitariste ?

Illustration 1: Exposition d’art « dégénéré » 1937, Munich, devanture

I – Une exposition a très grande ampleur

a) Organisation de cette exposition

L’exposition des arts « dégénérés » de 1937 à lieu à Munich et est l’une des premières à avoir lieu ; en quatre ans, elle prend place dans toutes les grandes villes Allemandes, ainsi qu’en Autriche. Cette exposition est originellement organisée par le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, qui était alors chargé de la culture, de l’enseignement, et du contrôle de la pensée de l’opinion publique. Le comité de sélection des œuvres d’art n’est composé que par des sympathisantes du parti nazi ; nous retrouvons notamment l’historien de l’art Klaus Von Baudissin (qui sera plus tard gradé dans l’armée SS), le peintre Adolf Ziegler (apprécié d’Hitler), par le dessinateur Wolfgang Willrich et par le graphiste Hans Schweitzer. A eux quatre, et à l’aide de l’ouvrage Die Kunst des 20. Jahrhunderts écrit par Carl Einstein (un artiste et intellectuel Juif et Allemand) dans lequel il définit le modernisme et présente les nouveaux mouvements artistiques qui défient la tradition, ils ont pu choisir environ 650 œuvres parmi les riches fonds des musées allemands. Le but de cette exposition était de définir la « race pure » en la mettant en relation avec ce qu’elle rejette. Les œuvres sont exposées à l’anglaise : il n’y a pas d’homogénéité dans le choix des cadres, ils sont tous mis au hasard, sans suite ni disposition logique, ce qui peut amener le spectateur à se perdre –notamment avec le grand nombre d’œuvres exposées. Les cartels indiquent le prix des œuvres lors de l’achat par l’ancien pouvoir ; une sorte de mise en valeur de l’argent « gaspillé » avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

Illustration 2: Disposition des oeuvres lors de l’exposition de 1937

Plusieurs salles étaient mises à disposition, et chacune d’elles devaient représenter des thèmes précis. Néanmoins, les thèmes principaux restent politiques et esthétiques. Des textes étaient à la disposition des spectateurs ; néanmoins, étant faits par l’état nazi, ils sont bien souvent très racistes et antisémites.

b) De très nombreux artistes exposés : le réquisitoire d’artistes Juifs, Bolchéviques, étrangers mais aussi Allemands

Cette exposition, comme dit précédemment, a rassemblé environ 650 œuvres pour environ une centaine d’artistes. Ici, nous retrouvons des artistes très connus tels que Picasso, Kokoschka, Chagall, Beckmann, Otto Dix, Kirchner, Max Ernst ou encore Paul Klee ; autant des artistes étrangers qu’allemands étaient représentés.

« Et que produisez-vous ? Des estropiés tordus et des crétins, des femmes qui ne peuvent inspirer que du dégoût, des hommes qui sont plus proches des animaux que des êtres humains, des enfants qui, s’il devait en exister de semblables, seraient immédiatement considérés comme une malédiction divine ! » – Hitler lors de l’inauguration de l’exposition.


Beckmann, Le départ, 1932-35
Picasso, songes et mensonges, 1937

Rose Quappi de Max Beckmann, 1932

Les œuvres étaient exposées de manière à faire un parallèle entre le modernisme et la dégénérescence. En effet, elles étaient accompagnées par des œuvres de malades mentaux afin de démontrer que le modernisme est le résultat du déclin moral de la société et de l’infériorité « raciale ».

Ici, nous sommes face à quatre peintures de Karl Schmidt-Rottluff et Amedeo Modigliani, mises en parallèle avec des photographies de personnes présentant des maladies physiques. Ici, cette liaison des peintures et des photographies amène les Allemands présents lors de l’exposition à faire un raccourci direct entre modernité et maladie physique. Le parti Nazi cherche à démontrer l’impureté du modernisme à travers son esthétique.

c) La réussite de cette exposition

Cette exposition a été un véritable succès ; elle a rassemblé plus de deux millions de visiteurs lors de sa première ouverture, et un million de plus durant les quatre autres années. Elle constitue un tournant majeur dans le gouvernement nazi car, grâce à elle, la vision d’un art pur esthétique et moral s’est imposée dans l’Allemagne. A contrario, la même année s’est tenue l’exposition Große Deutsche Kunstausstellung, une exposition mise en place par Hitler lui-même et qui a compté moins de 6000 visiteurs. L’exposition des arts « dégénérés » doit son succès à l’exceptionnalité de l’événement. En effet, bien qu’après l’exposition de 1937 plusieurs autres dans le même esprit aient eu lieu, elle reste la première d’une longue série. L’art considéré comme « dégénéré » sera, par la suite, vendu, détruit ou brûlé lors d’autodafés.

Timelapse de l’exposition de 1937

II – Exposition des « arts dégénérés » 1937 : une exposition politique ?

a) Une exposition organisée par le gouvernement

L’exposition de 1937 a été mise en place par des sympathisants du régime nazi, voire même des proches d’Hitler. Nous l’avons vu, cette exposition prend place dans un contexte très particulier ; nous sommes ici après une crise économique violente qui a favorisé la montée du totalitarisme en Allemagne. L’art est un moyen politique pour montrer la puissance d’une nation. Ici, ce n’est pas un hasard si l’organisation est notamment passée par les mains de Goebbels, ministre de la propagande, et que l’inauguration a été faite par Hitler lui-même. Cette mise en place a permis au régime nazi d’avoir la main mise sur l’art en imposant sa vision de la pureté « raciale ». La même année, par ailleurs, Hitler a mis en place l’exposition Große Deutsche Kunstausstellung, à la Maison de l’art allemand. Elle se trouvait en face de l’exposition des arts « dégénérés » ; le but étant, pour les visiteurs, de confronter la vision de l’art « dégénéré » à l’art héroïque allemand. Cette exposition présentait des œuvres « pures » d’artistes allemands ; l’organisation des tableaux n’était pas aussi aléatoire, c’était homogène, agréable, coordonné. La volonté du gouvernement se fait bien ressentir lorsque nous comparons ces deux expositions : d’un côté, un art impur, une organisation des tableaux mal faite laissant place à l’incompréhension, au malaise, avec une comparaison basse à des œuvres de malades mentaux, et de l’autre quelque chose d’organisé, d’homogène.

Hitler lors de l’inauguration de l’exposition

b) la volonté du nazisme de faire des Allemands la « race » pure

La volonté du gouvernement se fait bien ressentir lorsque nous comparons ces deux expositions : d’un côté, un art impur, une organisation des tableaux mal faite laissant place à l’incompréhension, au malaise, avec une comparaison basse à des œuvres de malades mentaux, et de l’autre quelque chose d’organisé, d’homogène. Nous le savons que trop bien, la volonté du régime nazi était de faire de l’allemand la « race » pure. C’est pourquoi, lors de l’exposition des arts « dégénérés », Goebbels a décidé d’exposer des artistes Juifs et Bolchéviques. Le fait de les mettre en parallèle avec des œuvres de malade mentaux participe de la vision allemande comme quoi les juifs et les bolcheviques sont impurs, amoraux, voire pervers.

Sur cette photographie, nous observons deux statues : Adam et Eve, à gauche, par Christophe Voll, et La Femme famélique de Niestrath. Derrière elles, trois tableaux peints par le peintre expressionniste Otto Mueller : Nus ; Gitans devant une tente, ainsi que Trois Femmes. Le long de la cimaise, nous pouvons lire la phrase : « La nostalgie du juif à retrouver le désert se révèle – En Allemagne, le nègre devient l’idéal racial de l’art dégénéré ». L’art, donc, revendiqué par les nazis rejette tout ce qui peut venir de l’extérieur et qui ne convient pas à leurs attentes esthétiques ; ici, cette phrase prépare les Allemands à voir leur gouvernement sombrer dans des actes plus extrêmes encore, l’Holocauste, où tout élément n’allant pas dans leur sens se verra disparaître. Des autodafés sont également organisés après l’exposition ; certaines des œuvres sont vendues, et d’autres brûlées.

c) L’exposition comme moyen d’homogénéiser la pensée collective

Le régime nazi voit la foule comme quelque chose qui ne pense pas par elle-même. La foule, le peuple, forme un tout qui va devoir être orienté, guidé, pour penser. En mettant en place l’exposition des arts « dégénérés », le gouvernement a pour but d’amener le peuple allemand à penser comme ils le souhaitent. C’est d’ailleurs le rôle de Goebbels en tant que ministre de la propagande : il doit faire en sorte d’avoir un peuple docile, qui ne pense pas par lui-même. Un événement culturel est un moyen parfait pour contrôler une foule, pour guider une pensée collective. Mettre en parallèle des œuvres de malades mentaux avec des œuvres de juifs, de bolcheviques, d’artistes étrangers qui suivent les courants modernes de l’art est le moyen pour le gouvernement d’amener les spectateurs à les lier, à les associer.

Nous venons de voir que cette exposition avait une portée politique. En effet, l’art est un outil de propagande ; il peut servir dans le cadre d’une tyrannie pour homogénéiser la pensée collective, comme nous l’avons vu précédemment. Il est également un outil qui donne du poids à un pays ; politiquement, l’art est très important. Ici, nous aons vu qu’il permettait d’imposer l’idéologie nazie ; l’Allemand comme la « race » pure. Nous allons maintenant voir les conséquences de l’exposition.

III – La réception de l’exposition

a)  Une nouvelle exposition : la musique « dégénérée »

Le terme d’art dégénéré s’est ensuite étendu au-delà des arts plastiques : à la musique, au cinéma et à la littérature (pour la littérature, le premier autodafé a eu lieu en 1933, peu de temps après l’accession au pouvoir d’Hitler, donc la littérature « dégénérée » était déjà connue). L’Allemagne a un héritage musical très riche ; de Bach, en passant par Beethoven pour aller à Brahms, à Wagner… Ces compositeurs très connus sont alors utilisés par Hitler pour promouvoir la supériorité de la « race » Allemande. Les idées nazies concernant l’art et la musique sont majoritairement dominantes dans la culture du pays à cette époque. Les compositions musicales créées par les juifs, par les bolchevique, par les étrangers qui n’adhèrent pas à l’idéologie nazie sont violemment interdites. Tout comme pour l’art, les musiciens essayent de faire évoluer le courant de la musique, néanmoins, tout ce qui se rapproche trop de l’expressionnisme, du jazz, ou s’essayant à l’atonalité est considéré comme « dégénéré ». En 1938, après l’exposition des arts « dégénérés », une exposition de musique « dégénérée » (Entarte Musik) est mise en place. Les travaux de Mendelssohn, Mahler et Shoenberg sont utilisés comme des exemples de musique impure. Cette exposition est organisée par le docteur Hans Serverus Ziegler, conseiller d’état et directeur des théâtres du régime hitlérien. Goebbels fait un discours de politique musicale dans lequel il dénonce la « domination juive » et sa volonté de libérer la musique de la « presse d’égout ». Il s’agit pour les nazis de préserver la pureté de la musique allemande. De la même manière qu’avec l’exposition d’art « dégénéré », ici nous retrouvons une comparaison entre ce qui est pur et ce qui ne l’est pas. Par cette exposition de musique, l’idée était de faire passer l’idée que l’Allemagne est le pays de la musique.



Affiche pour l’exposition « Entartete Musik », Duesseldorf, 1938

Pour conclure, nous venons de voir que l’exposition des arts « dégénérés » a permis d’imposer la vision nazie sur l’art allemand. Cette exposition est la première à avoir lieu en quatre ans, et elle permet un tournant majeur dans la culture allemande. L’événement de 1937 est inouïe car jamais auparavant il y avait eu une exposition de la sorte. La même année, une exposition de l’art pur est organisé par Hitler lui-même ; la mise en parallèle des deux expositions a permis au régime nazi de mettre en avant l’art pur de l’art impur. Cette exposition, organisée par Goebbels, est un outil de propagande. L’idée est d’uniformiser et d’imposer la pensée nazie au peuple Allemand par l’art.

En 2014 est organisé au Neue Galerie, à New York, l’exposition « Degenerate Art: The Attack on Modern Art in Nazi Germany, 1937. » (Art « Dégénéré » : L’attaque de l’art moderne en Allemagne Nazie, 1937). Cette exposition a lieu après la découverte d’oeuvres au trésor Artistique de Munich (The Gurlitt Trove) ; découverte qui remet en avant l’exposition de 1937 et le terme de « dégénéré ». De nombreuses oeuvres ont été à nouveau exposées, néanmoins beaucoup ont été détruites ou perdues. Par exemple, Le départ de Berckmann, dont nous parlions plus tôt, a été exposée à nouveau durant cette exposition. La découverte des oeuvres a permis de remettre la lumière sur les atrocités faites durant le régime Nazie. Ici, le but n’est plus des les humilier, mais bien de leur rendre hommage.

Bibliographie / Webographie : (j’ai été obligé de faire une espace après chaque // dans un soucis d’esthétique).

http://www-universalis-edu.com.gorgone.univ-toulouse.fr/encyclopedie/art-degenere/

http://www-universalis-edu.com.gorgone.univ-toulouse.fr/encyclopedie/dada/

https:// www.youtube.com/watch?v=drc3p0ou4kI&ab_channel=JeanMineraud

https:// www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lart-degenere-14-lexposition#:~:text=Le%2019%20juillet%201937%20est,sympt%C3%B4mes%20d’un%20art%20malade.

https:// www.revuedesdeuxmondes.fr/19-juillet-1937-goebbels-ouvre-a-munich-exposition-dart-degenere/

https:// histoire-image.org/fr/etudes/exposition-art-degenere-1937

https:// www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/201403/25/01-4751208-degenerate-art-hitler-censeur-en-chef.php

https:// www.neuegalerie.org/degenerate-art-attack-modern-art-nazi-germany-1937

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